Ordonnances
Entre 1680 et 1687, la monarchie adopte plusieurs grandes ordonnances dont la démarche relève, à l’évidence, d’une entreprise de codification du droit. Le moment choisi coïncide avec la formation de la première Ferme générale en 1681 et montre le souhait de la monarchie de donner un code de lois stables et établies à la nouvelle compagnie en charge de collecter l’impôt. Au total, cinq ordonnances sont édictées. L’ordonnance sur les gabelles de mai 1680 est rapidement suivie par les ordonnances sur les aides de Paris puis sur les aides de Normandie en juin 1680. En 1681, l’ordonnance sur « plusieurs droits de ses fermes, et sur tout en général » vient compléter les trois premiers codes, en particulier par son titre sur le tabac. Au lendemain de la mort de Colbert, cet édifice législatif est parachevé par l’adoption de l’ordonnance sur les traites de 1687. Les cinq codes traduisent la volonté d’homogénéisation du droit perçu par la monarchie comme un objectif politique essentiel dans la construction de l’absolutisme. Sur la forme, ils surprennent par leur ampleur. L’ordonnance sur les gabelles comprend vingt titres divisés en 292 articles, et plus de cent pages qui s’attardent sur une infinité de détails concernant la police du sel. Les ordonnances sur les aides sont encore plus volumiques traduisant la technicité de ce droit et la pluralité des marchandises réglementées. Au total, ces cinq codes sont les plus prolixes de la législation adoptée sous Louis XIV, loin devant les célèbres code de procédure civile de 1667, code criminel de 1670 ou encore code noir de 1685.
L’historiographie cite fréquemment ces codes, souvent pour en pointer l’extrême sévérité, mais sans rentrer davantage dans les détails ni de son contenu ni de sa formation. Concernant sa formation, les correspondances de Colbert en partie imprimées et en partie conservées à la BNF, offrent certains renseignements. Formellement au nombre de cinq, le choix d'édicter ces codes séparément est la conséquence du nombre finalement trop important de normes, de circonstances extérieures et de particularités locales, notamment pour la Normandie. Intellectuellement, l’ensemble se conçoit toutefois comme un monument unique au moins pour les quatre premières ordonnances établies entre 1680 et 1681. La genèse de ces textes résulte, pour une part assurément importante, de tractations entre la Couronne et la compagnie financière. Le droit est négocié en amont de l’adoption des ordonnances, voire de la conclusion des baux, lors de réunions réunissant différents acteurs : maîtres des requêtes, fermiers, sous-fermiers, directeurs, et bien entendu intendants de généralités qui jouent un rôle central au sein des territoires. Les financiers présentent leurs doléances et semblent calculer les risques financiers auxquels ils s’exposent en fonction de la norme royale qui sera finalement adoptée. Ces négociations traduisent une grande souplesse dans l’adoption de la norme fiscale qui est le résultat de compromis davantage que d’injonctions venant du pouvoir central. L’ensemble est supervisé par Colbert qui se tient informé des évolutions des discussions et indique à ses agents la marche à suivre. Cette démarche collective adoptée lors de la formation de la loi est finalement assez conforme aux pratiques rencontrées en matière de règlements de différends. Lorsqu’une affaire de fraude est soumise au Conseil du roi, les financiers sont également consultés et participent, au sein du Contrôle général, au fonctionnement de la justice.
Sur le contenu, les règles inscrites dans les grandes ordonnances ne sont pour la plupart pas des créations ex nihilo. Les articles sont, bien souvent, issus d’une législation royale préexistante, de coutumes, voire d’anciens baux qui accèdent alors à une nouvelle forme de légitimité. L’ensemble semble ainsi constituer un patchwork dessiné collectivement par les financiers et la monarchie. Sur le plan strict du droit, ces codes ne forment pas une unité législative complète. Certaines provinces résistent et le maquis fiscal perdure. En Provence, on s’enorgueillit par exemple de l’absence d’enregistrement de l’ordonnance de 1687, et donc de l’impossibilité d’établir des lieues limitrophes. En outre, certaines provinces jouent sur la nature de leur régime fiscal pour rattacher leurs usages en droit administratif à telle ordonnance plutôt qu’à telle autre. Ainsi, la question de l’affirmation du procès-verbal n’est pas traitée de la même façon dans l’ordonnance sur les aides de 1680 et dans celle de 1687. Les juges du Dauphiné font alors valoir, par exemple, que tout procès-verbal qui n’a pas été affirmé dans les trois jours doit être déclaré nul, se référant non à l’ordonnance sur les aides (qui permet un délai de huit à quinze jours), mais à l’ordonnance des traites : « Comme en Dauphiné, on ne connoît pas les aydes et qu’on ne veut point les connaitre, on regarde les inspecteurs aux boucheries à l’instar des Cinq grosses fermes et on soutient qu’ils doivent être régis par les mêmes règlements, c’est ce qui fait qu’on ne veut point leur accorder les délais de quinzaine et de huitaine pour l’affirmation des procès-verbaux et qu’on les somme au contraire au delay de 24 heures qu’on étend par grâce jusqu’à trois jours ».
Ces codes connaissent une grande postérité et, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sont cités comme fondement des condamnations prononcées à l’encontre des fraudeurs. Progressivement toutefois, cet ensemble législatif est amendé par différents édits, déclarations, arrêts ou règlements. Dans l’ensemble, ces réformes semblent superposer de nouvelles règles à celles préexistantes de sorte qu’il est plus difficile pour les contemporains d’avoir une vision d’ensemble de la législation même pour les spécialistes de la fiscalité.
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- AN, G1 91, Mémoire de 1782.
- AN, G7 71, Correspondance entre Colbert et Méliand du 8 octobre 1679.
- AN, G7 213, Lettre de Colbert à Méliand, 1er décembre 1680.
- AN, Z1A 571, Minute originale de l’ordonnance sur le fait des gabelles et des aides.
- Bnf Clairambault 462-463, Correspondances entre l’intendant Le Blanc et Colbert, 1679-1680.
- Bnf Fr 8751-8752, Correspondances entre l’intendant Le Blanc et Colbert, 1677-1680.
- AD Isère, 2C 640 : « Observations sur la perception des droits d’inspecteurs aux boucheries et sur les plaintes de quelques bouchers de l’Election ou plutôt de la subdélégation de Vienne », sans date, après 1747.
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Sources imprimées:
- Lettres, instructions et mémoires de Colbert, t. 6, Justice, police, affaires religieuses, affaires diverses, Paris, Impr. impériale, 1869.
- Georges-Bernard Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV entre le cabinet du roi, les secrétaires d’État, le chancelier de France et les intendants et gouverneurs des provinces, Paris, Impr. nationale, t. 3, 1852.
- Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, du mois de May 1680, Portant Règlement sur le fait des Gabelles, Paris, Libraires associés pour l’impression des ordonnances des Fermes, 1748.
- Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, Donnée à Fontainebleau, au mois de juin 1680, Sur le fait des Entrées, Aydes et autres Droits y joints, Paris, Libraires associés pour l’impression des ordonnances des Fermes, 1748.
- Ordonnance du Roy du mois de juin 1680 sur le fait des Droits d’Aides de Normandie, dans Recueil des Ordonnances, Édits, Déclarations et Arrests de sa Majesté sur le fait des Aides de Normandie registrez en la Cour des comptes, aides et finances de cette Province, Rouen, J.-B. Besongne, t. 1, 3e éd., 1733, p. 1‑74.
- Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, Donnée à Versailles, au mois de juillet 1681, Portant Reglement sur plusieurs Droits de ses Fermes, et sur tous en général, Registrée en la Cour des Aydes, Paris, Libraires associés pour l’impression des ordonnances des Fermes, 1748.
- Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, Donnée à Versailles, au mois de février 1687, Portant Reglement sur le fait des Cinq grosses fermes, Registrée en la Cour des Aydes, Paris, Libraires associés pour l’impression des ordonnances des Fermes, 1748.
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Bibliographie scientifique:
- Marguerite Boulet-Sautel, « Colbert et la législation », dans Roland Mousnier (dir.), Un nouveau Colbert, Paris, Sedes, 1985, p. 119-132.
- Thomas Boullu, « Les arbitrages fiscaux et douaniers du Contrôle général des finances » dans Benjamin Deruelle, Michel Hébert (dir.), Arbitraire et arbitrage. Les zones grises du pouvoir (XIIe-XVIIIe siècle), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2024, p.321-339.
- Thomas Boullu, « Forger le droit de la Ferme générale : premières réflexions sur la genèse des grandes ordonnances fiscales (1680‑1681) », dans Marie-Laure Legay (dir.), Administrer le privilège. La Ferme générale dans l’espace français et européen, 1664-1791, Paris, CHEFF, 2025, p. 245-260.
, « Ordonnances » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 16/11/2025
DOI :