Marie-Laure Legay
Cautions de la régie générale (AN, G2 129, 1780)
Les employés de
la Ferme présentaient, eux, des cautions proportionnées à
leurs maniements. Il s’agissait de lutter contre le
divertissement des deniers et de garantir la bonne gestion
des employés comptables. En 1758, un arrêt du 30 avril imposa en outre un
cautionnement par consignation en espèces aux employés en
charge d’une direction,
d’une recette tout comme aux commis plus modestes comme
les préposés aux entrepôts de tabac ou les commis aux exercices. Il s’agissait toujours
de prémunir la compagnie d’éventuels délits comptables,
mais aussi des abus de fonction des employés non
comptables. Le cautionnement par consignation fut alors
fixé au quart des fonds maniés et portait un intérêt de 5
%. En 1779, le cautionnement
en espèces fut étendu à tous les employés des domaines et des aides
pourvus d’une recette d’au moins 600 livres. Ces mesures
visaient également à remplir les caisses du roi (« Sa
Majesté a pensé que ce seroit un moyen de se procurer un
secours à intérêt modéré »), comme le comprit assez bien
Buffon. Le musée de Montbard conserve une lettre du savant
à Hébert, receveur général des Fermes à Dijon, datée du 31
décembre 1778, dans laquelle
il explique : « Au sujet des cautionnements, on assure
qu’il faudra tous les réaliser en argent et qu’on les
augmentera d’un tiers et en proportion des maniemens que
l’on réussira. On dit que cela ne fera point de tort aux
comptables parce qu’on leur payera l’intérêt à cinq pour
cent des sommes déposées pour leur cautionnement et que de
plus, ils auront une taxation proportionnée à
l’augmentation de leur travail, mais en bon français, tout
cela signifie que l’on veut de l’argent et lorsque j’en ai
parlé pour vous en particulier, j’ai vu qu’il n’y avait
guère moyen d’obtenir une exception dans une affaire aussi
générale et qui ne se fait que pour faire entrer au Trésor
royal quelques millions de plus ». A la fin de l’Ancien
régime, le cautionnement d’un commis aux exercices variait de 2 000 à
12 000 livres ; celui d’un directeur des fermes pouvait aller au-delà de
50 000 livres. Les intérêts des cautions transformées en
prêts remboursables à la caisse des amortissements étaient
exemptés de retenues de vingtièmes ou sols pour livre,
sauf entre 1770 et 1774. Ils attiraient donc de
nombreux Français désireux de placer leurs économies,
notamment dans l’entourage familial de l’employé, comme
l’a montré Yves Durand. Tous les groupes sociaux étaient
représentés, comme le montrent les nombreux registres de
cautionnement conservés aux archives nationales et
départementales. A titre d’exemple, voici la
classification des cautions des employés de la généralité de
Caen (302 cautions enregistrées entre
1774 et 1780) :
-Clergé : 2, 36 %
-Noblesse militaire : 3, 93 %
-Noblesse d’offices : 11, 81 %
-Officiers civils : 12, 59 %
-Professions libérales (notaires, avocats, apothicaires…) : 9, 4 %
-Négociants, fabricants, hommes d’affaires : 5, 5 %
-Marchands, artisans : 14, 9 %
-Bourgeois : 17, 3 %
-Laboureurs : 8, 6 %
-Inconnu : 13, 38 %
Certains affectaient tous leurs
biens, comme ce Philippe Cuisy, conseiller Secrétaire du
roi et ancien fermier général en 1774, d’autres hypothéquaient une terre, une maison,
une ferme, des rentes…. Des modèles de cautionnement
étaient prévus par l’administration centrale et diffusées
dans les directions de la Ferme générale. Les actes de
cautionnement étaient enregistrés dans les directions. En
1780, les régisseurs des
aides réunirent 25 millions pour lesquels 323 déclarations
ont été faites. Sur ces 323 déclarations, 192 mentionnent
explicitement le prêteur. Nous en avons identifié 122
(nous n’avons pas compté les 9 « bourgeois de Paris »,
sans doute des prête-noms), représentant un total de 9, 68
millions de livres, soit 38 % du capital mobilisé. Voici
le résultat :
Le second groupe rassemble les
quatre catégories suivantes : officiers supérieurs de
justice, officiers supérieurs de finances, fermiers et
régisseurs généraux. Cette aristocratie robine et
financière est bien établie dans la gestion des finances
publiques. Elle constitue, en corps et compagnies, la base
institutionnelle sur laquelle s’accumulent les capitaux du
système fisco-financier. Ensemble, les officiers et
fermiers représentent 46, 5 % du capital prêté identifié.
Si on leur agrège les régisseurs et autres fermiers, on
atteint 60 %. Les Magistrats ou leurs familles prêtèrent
volontiers aux régisseurs, à l’instar de la présidente
Portail (140 000 livres), de l’ancien président du
parlement de Bretagne,
Hervé de Silgny (24 000 livres), du président de la Cour
des monnaies, André-Léon Eynaud (29 212 livres), des
conseillers de la Chambre des comptes, Jean du Tremblay de
Saint-Yon (22 000 livres), Pierre du Tremblay de Rubelles
(12 000 livres), Blanchebarbe de Grandbourg (17 000
livres), du conseiller à la Cour des aides, Petitot de Chalancey (64 000 livres)….
Plus réduite fut la participation des officiers de
finances. Bréant par exemple, receveur général de la
douane de Paris, investit 24 000 livres. Coquebert,
Trésorier général au bureau de finances de
Champagne, n’engagea que 12 000 livres.
L’ecuyer Lecaron de Mazancourt, trésorier, prêta 9 000
livres. On observera la participation majoritaire des
Fermiers généraux ou de leurs familles : la veuve du
marquis de Cramayel, Françoise Monique de Laborde, Jean
Haran de Borda, Darjubon, Denis Lalive d’Epinay, de
Varanchart, Godard d’Aucourt, qui investit sur quatre
régisseurs généraux, de Laage… Les grands noms de la Ferme
générale soutenaient naturellement la régie qui émanait
d’elle. La catégorie intermédiaire des régisseurs généraux
et fermiers secondaires est intéressante à étudier. Ce
sont des gens de finances plutôt assimilables aux Fermiers
généraux par l’origine de leur fortune, mais de condition
sociale moindre (ensemble, 13, 85 % du capital identifié).
Certains, au moment de la prise d’intérêt, bénéficiaient
déjà de situations enviables, étaient d’anciens directeurs
des aides (François-Charles Didelot ou Edme Gauthier).
Le
dernier groupe est composé de tous les autres
investisseurs, des négociants au laboureur (Bailly,
laboureur à Jabelines). Constituant 30 % du capital
identifié, ces prêteurs de tous horizons sont plutôt des
hommes nouveaux dans les affaires de finances du roi. Bien
sûr, ils ont tous des positions sociales et économiques
enviables. Ecrivain à la mode (Marmontel), négociants,
marchands, parfumeurs-bijoutiers (Jean Dulac, la veuve
Claude Huet), inspecteurs de police (Honoré Hellot, à
Pont-Audemer ; Jean Meunier à Paris), veuve d’intendant
(madame de Bernage, veuve Rossignol), subdélégués (Royer,
auprès de l’intendant de Rouen ; Brulley, auprès de
l’intendant de Lyon), directeurs en tout genre (des
octrois, des aides…), avocats en parlement (on en compte 6
en tout), substitut du procureur, chef de bureau,
chirurgien du roi (Germain Pichault de la Martinière),
ancien maire, ancien banquier (Jean-Frédéric Osterwald)…
Ils appartenaient à la bourgeoisie moyenne. Si certains
représentants disposaient d’un capital dynamique, peu
étaient en position pourtant de relayer les
investissements de leurs supérieurs. Ainsi, il est patent
que le système fisco-financier ne fut guère ébranlé par
les réformes de Necker. On ne voit pas clairement
disparaître les représentants du business.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Caution, cautionnement » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :