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Caution, cautionnement

Marie-Laure Legay





La caution est celui qui répond de la gestion d’un autre. Concernant la Ferme générale, il faut distinguer les cautions de l’adjudicataire d’une part, et les cautions des employés de la Ferme d’autre part. Les cautions de l’adjudicataire du bail de la Ferme générale étaient à proprement parler les Fermiers généraux et les intéressés par parts qui leurs étaient associés. Ces derniers étaient tenus de signer l’acte de cautionnement au greffe du Conseil du roi dans les trois jours suivant l’adjudication du bail. Tout catholique pouvait entrer dans les fermes et sous-fermes du roi et y associer qui bon lui semblait, à condition de garder un tiers de la part prise dans le bail. Le Fermier général formait un fonds de ferme lui permettant d’obtenir une place de caution dans la compagnie. La particularité du montage financier faisait des Fermiers généraux à la fois les cautions de l’adjudicataire et les dirigeants de la compagnie, rémunérés pour leurs fonds d’avance d’une part, mais aussi grâce aux diverses indemnités et aux bénéfices de la Ferme. Le gouvernement recevait la caution des Fermiers généraux et la rémunérait à hauteur de 4 %. A la fin du bail, il réglait cette dette en la déduisant du dernier versement. La nature de cette caution évolua à partir du bail Bocquillon (1751): elle devint une dette permanente du roi vis-à-vis de la compagnie. De 8 millions, la caution, en devenant une sorte de prêt obligatoire, passa à 20 millions, puis 72 millions en 1762, 92 millions en 1774 et encore 62, 4 millions en 1780, malgré la séparation de la régie des aides et des domaines.

Les employés de la Ferme présentaient, eux, des cautions proportionnées à leurs maniements. Il s’agissait de lutter contre le divertissement des deniers et de garantir la bonne gestion des employés comptables. En 1758, un arrêt du 30 avril imposa en outre un cautionnement par consignation en espèces aux employés en charge d’une direction, d’une recette tout comme aux commis plus modestes comme les préposés aux entrepôts de tabac ou les commis aux exercices. Il s’agissait toujours de prémunir la compagnie d’éventuels délits comptables, mais aussi des abus de fonction des employés non comptables. Le cautionnement par consignation fut alors fixé au quart des fonds maniés et portait un intérêt de 5 %. En 1779, le cautionnement en espèces fut étendu à tous les employés des domaines et des aides pourvus d’une recette d’au moins 600 livres. Ces mesures visaient également à remplir les caisses du roi (« Sa Majesté a pensé que ce seroit un moyen de se procurer un secours à intérêt modéré »), comme le comprit assez bien Buffon. Le musée de Montbard conserve une lettre du savant à Hébert, receveur général des Fermes à Dijon, datée du 31 décembre 1778, dans laquelle il explique : « Au sujet des cautionnements, on assure qu’il faudra tous les réaliser en argent et qu’on les augmentera d’un tiers et en proportion des maniemens que l’on réussira. On dit que cela ne fera point de tort aux comptables parce qu’on leur payera l’intérêt à cinq pour cent des sommes déposées pour leur cautionnement et que de plus, ils auront une taxation proportionnée à l’augmentation de leur travail, mais en bon français, tout cela signifie que l’on veut de l’argent et lorsque j’en ai parlé pour vous en particulier, j’ai vu qu’il n’y avait guère moyen d’obtenir une exception dans une affaire aussi générale et qui ne se fait que pour faire entrer au Trésor royal quelques millions de plus ». A la fin de l’Ancien régime, le cautionnement d’un commis aux exercices variait de 2 000 à 12 000 livres ; celui d’un directeur des fermes pouvait aller au-delà de 50 000 livres. Les intérêts des cautions transformées en prêts remboursables à la caisse des amortissements étaient exemptés de retenues de vingtièmes ou sols pour livre, sauf entre 1770 et 1774. Ils attiraient donc de nombreux Français désireux de placer leurs économies, notamment dans l’entourage familial de l’employé, comme l’a montré Yves Durand. Tous les groupes sociaux étaient représentés, comme le montrent les nombreux registres de cautionnement conservés aux archives nationales et départementales. A titre d’exemple, voici la classification des cautions des employés de la généralité de Caen (302 cautions enregistrées entre 1774 et 1780) :

-Clergé : 2, 36 %

-Noblesse militaire : 3, 93 %

-Noblesse d’offices : 11, 81 %

-Officiers civils : 12, 59 %

-Professions libérales (notaires, avocats, apothicaires…) : 9, 4 %

-Négociants, fabricants, hommes d’affaires : 5, 5 %

-Marchands, artisans : 14, 9 %

-Bourgeois : 17, 3 %

-Laboureurs : 8, 6 %

-Inconnu : 13, 38 %

Certains affectaient tous leurs biens, comme ce Philippe Cuisy, conseiller Secrétaire du roi et ancien fermier général en 1774, d’autres hypothéquaient une terre, une maison, une ferme, des rentes…. Des modèles de cautionnement étaient prévus par l’administration centrale et diffusées dans les directions de la Ferme générale. Les actes de cautionnement étaient enregistrés dans les directions. En 1780, les régisseurs des aides réunirent 25 millions pour lesquels 323 déclarations ont été faites. Sur ces 323 déclarations, 192 mentionnent explicitement le prêteur. Nous en avons identifié 122 (nous n’avons pas compté les 9 « bourgeois de Paris », sans doute des prête-noms), représentant un total de 9, 68 millions de livres, soit 38 % du capital mobilisé. Voici le résultat :

Cautions de la régie générale (AN, G2 129, 1780)

   Dans cet ensemble, on peut distinguer trois groupes. Le premier, constitué des ecclésiastiques, de la noblesse de cour et de la noblesse militaire, ne représente guère que 10 % du capital mobilisé dont on connaît l’origine. On y trouve le père Parent, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, la duchesse de Bouillon ou le duc de Villequier, des colonels comme de Mean, lieutenant d’infanterie, ou le vicomte de la Belinaye, lieutenant des dragons, des capitaines comme Favard d’Herbigny, du régiment de la Ferre, ou Faure, capitaine au régiment du roi, des sous-lieutenants…

  Le second groupe rassemble les quatre catégories suivantes : officiers supérieurs de justice, officiers supérieurs de finances, fermiers et régisseurs généraux. Cette aristocratie robine et financière est bien établie dans la gestion des finances publiques. Elle constitue, en corps et compagnies, la base institutionnelle sur laquelle s’accumulent les capitaux du système fisco-financier. Ensemble, les officiers et fermiers représentent 46, 5 % du capital prêté identifié. Si on leur agrège les régisseurs et autres fermiers, on atteint 60 %. Les Magistrats ou leurs familles prêtèrent volontiers aux régisseurs, à l’instar de la présidente Portail (140 000 livres), de l’ancien président du parlement de Bretagne, Hervé de Silgny (24 000 livres), du président de la Cour des monnaies, André-Léon Eynaud (29 212 livres), des conseillers de la Chambre des comptes, Jean du Tremblay de Saint-Yon (22 000 livres), Pierre du Tremblay de Rubelles (12 000 livres), Blanchebarbe de Grandbourg (17 000 livres), du conseiller à la Cour des aides, Petitot de Chalancey (64 000 livres)…. Plus réduite fut la participation des officiers de finances. Bréant par exemple, receveur général de la douane de Paris, investit 24 000 livres. Coquebert, Trésorier général au bureau de finances de Champagne, n’engagea que 12 000 livres. L’ecuyer Lecaron de Mazancourt, trésorier, prêta 9 000 livres. On observera la participation majoritaire des Fermiers généraux ou de leurs familles : la veuve du marquis de Cramayel, Françoise Monique de Laborde, Jean Haran de Borda, Darjubon, Denis Lalive d’Epinay, de Varanchart, Godard d’Aucourt, qui investit sur quatre régisseurs généraux, de Laage… Les grands noms de la Ferme générale soutenaient naturellement la régie qui émanait d’elle. La catégorie intermédiaire des régisseurs généraux et fermiers secondaires est intéressante à étudier. Ce sont des gens de finances plutôt assimilables aux Fermiers généraux par l’origine de leur fortune, mais de condition sociale moindre (ensemble, 13, 85 % du capital identifié). Certains, au moment de la prise d’intérêt, bénéficiaient déjà de situations enviables, étaient d’anciens directeurs des aides (François-Charles Didelot ou Edme Gauthier).

  Le dernier groupe est composé de tous les autres investisseurs, des négociants au laboureur (Bailly, laboureur à Jabelines). Constituant 30 % du capital identifié, ces prêteurs de tous horizons sont plutôt des hommes nouveaux dans les affaires de finances du roi. Bien sûr, ils ont tous des positions sociales et économiques enviables. Ecrivain à la mode (Marmontel), négociants, marchands, parfumeurs-bijoutiers (Jean Dulac, la veuve Claude Huet), inspecteurs de police (Honoré Hellot, à Pont-Audemer ; Jean Meunier à Paris), veuve d’intendant (madame de Bernage, veuve Rossignol), subdélégués (Royer, auprès de l’intendant de Rouen ; Brulley, auprès de l’intendant de Lyon), directeurs en tout genre (des octrois, des aides…), avocats en parlement (on en compte 6 en tout), substitut du procureur, chef de bureau, chirurgien du roi (Germain Pichault de la Martinière), ancien maire, ancien banquier (Jean-Frédéric Osterwald)… Ils appartenaient à la bourgeoisie moyenne. Si certains représentants disposaient d’un capital dynamique, peu étaient en position pourtant de relayer les investissements de leurs supérieurs. Ainsi, il est patent que le système fisco-financier ne fut guère ébranlé par les réformes de Necker. On ne voit pas clairement disparaître les représentants du business.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 66, Registre de cautionnement des employés de la Ferme générale, Généralité de Caen, 1774-1780.
  • AN, G2 129, registre de cautions, 1780.

    Sources imprimées:
  • Musée Buffon de Montbard, lettre de Georges Louis Leclerc de Buffon à Hebert, 31 décembre 1778.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui fixe à un mois après le décès, destitution ou retraite des employés des fermes, l'époque de la cessation de jouissance des intérêts des sommes par eux consignées pour leur cautionnement pour rendre leurs comptes, 16 septembre 1760.
  • Arrêt du Conseil d’Etat du Roi, qui autorise l'adjudicataire général des fermes à faire fournir par chacun de ses employés chargés de maniement, un supplément de cautionnement jusqu'à concurrence du quart de la recette annuelle lorsqu'il sera fourni en immeubles, du huitième lorsqu'il sera remis en espèces, sans qu'un cautionnement total puisse jamais excéder 150 000 livres en argent, 150 000 livres en obligations immobilières. Ordonne que sur le montant de chaque cautionnement les sommes remises ou à remettre en espèces, tiendront lieu du double de pareille valeur si elle était fournie en obligations immobilières. Permet de destituer les employés qui ne pourroient fournir lesdits suppléments, en leur remboursant, après l'entier appurement de leurs comptes, les sommes qu'ils ont fournies en espèces, 3 mars 1761.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne la retenue de deux dixièmes, en sus de celui d'amortissement, sur les bénéfices des fermes générales, et d'un dixième aussi en sus sur les intérêts des cautionnements, 4 février 1770.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne qu'il sera fourni par les préposés et receveurs, tant des fermes que des administrations et regies générales des cautionnements et supplements de cautionnements en argent, le tout suivant les états qui les seront incessamment arrêtés au Conseil, 17 février 1779.
  • Jean-Louis Lefebvre de Bellande, Traité général des droits d’aides, vol. 2, Paris, chez Pierre Prault, 1760, p. 183-185 : modèle de cautionnement pour un commis aux exercices.


    Bibliographie scientifique:
  • Yves Durand, « Un placement sûr au XVIIIe siècle. Les cautionnements des employés de la Ferme générale », in Études, tome 6, Publications de la Sorbonne, Paris, 1973.
  • George T. Matthews, The royal general farms in eighteenth-century France, New York, Columbia University Press, 1958.
  • Vida Azimi, Un modèle administratif de l’Ancien régime : les commis de la Ferme générale et de la régie générale des aides, Paris, éditions du CNRS, 1987, p. 101-104.
  • Marie-Laure Legay, La banqueroute de l’Etat royal. La gestion des finances publiques de Colbert à la Révolution, Paris, EHESS éditions, 2011.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Caution, cautionnement » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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