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Etats provinciaux

Marie-Laure Legay





Les relations des Etats provinciaux avec les Fermiers généraux furent souvent des plus mauvaises. Les deux administrations étaient antinomiques jusque dans leur principe. D’un côté, l’expression de toute une province jalouse de ses libertés : « L’Artois est un pays gouverné par les Etats où les lois des fermes générales ont toujours été inconnues, où tout commerce est libre, où nulle imposition n’a lieu moyennant une somme fixe à laquelle le pays a toujours été abonné avec son souverain ». Les provinces d’Etats, tant Bretagne que Languedoc, nourrissaient une même aversion « pour les compagnies nouvelles et étrangères » et considéraient la Ferme comme un « adversaire redoutable ». De l’autre côté, une compagnie financière chargée d’alimenter les caisses du Trésor royal. La Ferme générale n’attaquait pas les Etats. Structure apolitique, elle ne dénonçait pas les franchises des provinces privilégiées, telles qu’elles avaient été préservées par les souverains, mais plutôt la mauvaise mise en œuvre des contrôles aux frontières avec le ressort des Cinq grosses fermes. Les Etats s’escrimaient à démontrer tout l’avantage de leur juste administration: « sous eux, la liberté excite l’industrie des peuples », indiquait encore l’assemblée d’Artois. Leur régime, en théorie, s’opposait en tout point au régime de vexations qu’introduisaient les Fermiers du roi. Ces derniers se défendaient en faisant valoir la supériorité de l’intérêt général de la monarchie sur les intérêts particuliers des provinces. Nulle autre affaire que celle du tabac ou du sel ne porta le débat à ce point d’affrontement dialectique d’où ressortait l’impossible conciliation des arguments et avec elle, l’impossible intégration des provinces frontières au reste du royaume. En Bretagne notamment, la lutte judiciaire entre les instances provinciales et le Conseil d’Etat fut permanente. S’il était d’usage partout dans le royaume que la vente de sel dans les dépôts fût enregistrée et fit l’objet de billets de délivrance, en Bretagne en revanche, les employés des dépôts avaient interdiction formelle de tenir registre ! Ou encore : les Etats jugeaient que les Bretons domiciliés dans les deux lieues limitrophes avaient le droit de s’approvisionner où bon leur semblait … Dans les instances pendantes devant les tribunaux de gabelles, leur procureur-syndic se tenait aux côtés des contrebandiers pour faire valoir les privilèges de la province, comme dans l’affaire Simon Bouteiller et François Oger (1726) pris à un quart de lieue de la province d’Anjou avec une quantité massive de sel. Les privilèges de franche gabelle reconnus par Louis XIV ne pouvaient donc être remis en cause sans atteindre la constitution même de ces provinces. A contrario du cas breton, la Bourgogne perdit l’essence même de son statut de province d’Etats lorsqu’elle fut intégrée dans les Cinq grosses fermes à partir du tarif commun de 1664.

Néanmoins, s’il ne fut pas question de revenir sur les franchises et libertés des autres Etats, il demeure que certains d’entre eux, soucieux de se muer en véritables administrateurs, ont su s’adapter aux exigences de contrôle de la Ferme et entamer avec elle un dialogue constructif. Philibert Orry, contrôleur général de 1730 à 1745, entra pour une bonne part dans cette entente en engageant les Etats provinciaux à seconder le gouvernement dans la suppression de la contrebande, sous menace de limiter leurs privilèges : « Loin que leur intérêt soit de s’opposer à la proposition des Fermiers généraux, ils en ont au contraire un sensible d’y concourir, s’ils veullent s’assurer de plusieurs avantages et mettre les privilèges de la province a couvert de toute contraction, qu’ils ne doivent pas se flatter que le Roÿ soit toujours disposé à souffrir les préjudices réels et considérables… Vu l’augmentation excessive de l’abus et de la contrebande, Sa Majesté prendra des partis dans lesquels leurs privilèges et leurs interetz ne seront certainement pas aussi ménagés qu’ils le seront quand on verra qu’ils se prêteront de bonne grâce aux arrangements raisonnables qu’ils auront faits de concert avec eux ». Le ministre suivant, Machault d’Arnouville poursuivit cette politique néo-colbertiste. Ainsi, certaines provinces en vinrent à se prêter elles-mêmes à la police de leurs frontières, à l’instar des Etats du Cambrésis qui obtinrent en 1746 la juridiction de la police dans les trois lieues limitrophes qui les séparaient de la Picardie.

De même, il faut considérer les liens parfois étroits entre les financiers provinciaux et la finance parisienne. Dans le cas du Languedoc, si l’assemblée lutta pour éviter une trop grande emprise des fermiers parisiens sur les baux de l’équivalent (taxe sur le commerce de la viande, du poisson et du vin) ou de l’étape, elle dut toutefois acquiescer en 1754, sous la pression de Machault d’Arnouville, l’offre faite par les Parisiens. Cette entente financière entre financiers languedociens et parisiens ne résista pas au temps toutefois les aides des provinces d’élections, scandalisèrent les habitants. L’archevêque de Narbonne pria donc de faire cesser le bail incriminé : « les Etats n’admettront jamais aussy les principes étrangers et inouis que les fermiers veulent établir ». Les assemblées demeuraient susceptibles sur leur autonomie de gestion des taxes. Pour défendre leurs libertés, les assemblées entraient comme partie prenante dans les procès qui opposaient à l’occasion une paroisse de leur ressort à la Ferme générale. Ce fut le cas en 1732 des Etats d’Artois, aux côtés des paroisses de Comtes, Cauron et St Vast qui contestaient leur intégration aux trois lieues limitrophes ou du Bilçar du pays de Labourd, qui s’engagea au côté de la paroisse de Sare en 1772.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Nord, C 873, Mémoire pour les Etats d’Artois contre les Fermiers généraux, Paris, 1740.
  • AD Nord, C 868, copie de la lettre écrite à M. de La Granville par le Contrôleur général, 9 mai 1740.
  • AN, H1 839, pièce 11, mémoire sur la ferme de l’équivalent, octobre 1747.
  • AN, H1 861, pièce 85, lettre de l’archevêque de Narbonne au Contrôleur général, 24 février 1756.

    Sources imprimées:
  • Encyclopédie méthodique, Finances, vol.1, article « dépôt », 1787, p. 505-508.


    Bibliographie scientifique:
  • Marie-Laure Legay, Les Etats provinciaux dans la construction de l’Etat moderne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Genève-Paris, Droz, 2001, « Les Etats provinciaux, garde-sel du roi ? », p. 208-216.
  • Arlette Jouanna, « Le combat des Etats pour écarter les financiers « étrangers » des baux de l’équivalent et de l’étape, 1748-1757 », dans Les Etats dans l’Etat, Les Etats de Languedoc de la Fronde à la Révolution, S. Durand, A. Jouanna, E. Pélaquier (dir), Genève, 2014, p. 561-579.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Etats provinciaux » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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