Privilégiés
Le gouvernement attaquait
le privilège personnel
plus facilement que le privilège de corps. Il rappelait au besoin que seuls les
officiers commensaux de première classe et actifs
disposaient d’une exemption des droits de gros. Les autres, même
confirmés dans les privilèges de commensaux et à ce titre
exemptés de la taille, ne furent pas reconnus comme
exempts des droits d’aides « parce qu’ils n’ont pas
livrée, ni bouche à la Cour ». Le Conseil du roi
légiférait par ailleurs sur les visites des demeures des
privilégiés (« places, châteaux, maisons royales, maisons
des princes et seigneurs, couvents, communautés et autres
prétendus privilégiés ») en autorisant les employés de la
Ferme à procéder sans permission du juge local et en cas
de refus de visite, à forcer l’ouverture des portes par un
serrurier (Déclaration du 6 décembre
1707 pour le tabac par exemple). On défendait en outre à tous
domestiques de ces maisons de vendre et débiter du tabac, sans la permission
de l'adjudicataire des fermes. Les propos de Darigrand se vérifiaient
donc pour partie. Toutefois, son argumentation reposait
moins sur la nature juridique de l’ordre social que sur
son fondement économique : l’impôt unique que nombre de
politistes appelaient de leurs vœux, se fondait sur
l’iniquité fiscale entre « riches » et « pauvres ».
De
fait, l’impact du privilège particulier sur l’activité de la Ferme générale se
révélait plus faible que celui des privilèges de corps,
tant pays d’états, villes,
communautés ecclésiastiques. Mis en cause par une
gouvernance arbitraire, les titres des privilégiés furent
tous dressés dans un Traité des droits, fonctions,
franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés
en France à chaque Dignité, à chaque Office et à chaque
Etat, rédigé par Guyot et Merlin. Le clergé souffrait plus
difficilement les visites que les nobles, qui se
préoccupaient essentiellement de leur consommation. Outre
les franc-salés dument
enregistrés dans un état comptable particulier, ils
obtenaient des exemptions d’aides auprès de différentes
administrations, notamment pour leurs vins, eaux-de-vie, bières. Les officiers d’une élection pouvaient attribuer ce type
d’exemptions, comme ce fut le cas pour le chevalier de
Malte, Neufchaise, qui obtint des juges de Tours
l’exemption des droits d’aides en 1722. A Paris, les
privilégiés pouvaient faire instruire leurs demandes au
sein d’un « bureau des Privilégiés ». En revanche, les
gentilshommes pratiquaient plus ouvertement la contrebande que les
ecclésiastiques, en période de troubles notamment. Encore
en 1704, l’intendant d’Auvergne signalait que les nobles offraient une prime de
60 livres et un cheval à qui s’enrôlait dans leur bande. L’ordonnance sur les
gabelles de 1680 (article XII
du titre XVII) prévoyait pour ces nobles « assez lâches
pour commettre le crime de fraude » la suppression de
leurs privilèges,
charges et emplois, et la destruction de leurs maisons. L’ordonnance de
1681 sur le fait du tabac, en revanche, ne
prévoyait pas de telles sanctions. Celles-ci furent
définies dans la déclaration du 1er août 1721. Toutefois, les ecclésiastiques et
gentilshommes, officiers militaires (qui sont dans le cas
de l’édit de la noblesse militaire de novembre 1750), les officiers de
justice et autres personnes jouissant du privilège de
noblesse, ne pouvaient être jugés par les commissions
établies pour les faits de contrebande.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Doubs, 1C 1312, Mémoire des Fermiers généraux du 27 août 1762 sur le faux-tabac en Franche-Comté.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d’Etat du Roy portant permission aux Fermiers du Tabac de faire visite dans les places, châteaux, maisons royales, celles de Princes et Seigneurs, couvens et communautés, 14 août 1688.
- Arrêt du Conseil d’Etat du Roy qui confisque au profit de Martin Girard six demies queues de vin saisies sur le sieur de Neufchaise, chevalier de Malthe, arrivées par la rivière nuitamment, en la ville de Tours, sans acquit des droits de courtiers jaugeurs et sans déclaration pour ceux des inspecteurs aux entrées des boissons, et condamne solidairement ledit sieur de Neufchaise, La Savinière, Hestevanne huissier et Bélet batelier, complices de ladite fraude en 300 liv. d'amende, Paris, 4 août 1722.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui permet aux Capitaines généraux et préposés pour la régie du privilège des ventes exclusives du Tabac et du Caffé, de faire des visites dans les maisons des Ecclésiastiques, Nobles et Bourgeois autres pour y faire la recherche des faux Tabacs Caffés, sans permission, 25 janvier 1724.
- Arrêts du Conseil d'État déboutant les comtes d'Ars et de Ségonzac, et autres gentilshommes du Poitou, de l'Aunis, de la Saintonge et de l'Angoumois, de leurs oppositions aux règlements concernant les eaux-de-vie et portant que lorsqu'ils en fabriqueront, ils seront soumis à la visite des commis, 12 avril et 20 mai 1746.
- Edme-François Darigrand, L’anti-financier, 1763, p. 75.
- A.M. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux des Finances avec les intendants des provinces, Paris, 1874-1897, t. 2, n° 668.
- Joseph-Nicolas Guyot et Philippe Antoine Merlin, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque Dignité, à chaque Office et à chaque Etat, soit Civil, soit Militaire, soit Ecclésiastique, Paris, Visse, 1786-1788, 4 vol.
Privilégiés » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :