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Régie des accises de Prusse

Florian Schui
(traduction: Dominique Macabies)





En Prusse entre 1766 et 1787, La Régie – comme était communément appelée l’Administration générale des accises et de péages – était une administration en charge de la taxe d’accise, dirigée par des fonctionnaires français. Bien qu’éphémère, la Régie fut associée à d’importants développements pendant cette période de l’histoire prussienne, notamment en rapport avec les transferts de connaissances européennes, la construction de l’État en Prusse et l’émergence dans ce même pays d’un public critique éclairé. La discussion suivante se concentre sur ces questions. Elle est structurée chronologiquement.

La création de la Régie: À l’issue de la guerre de Sept Ans (1756-1763), les puissances participantes se retrouvèrent avec des ressources financières exsangues et un besoin urgent de générer des revenus supplémentaires. En France, cela inaugura la période d’instabilité financière qui mena à la Révolution. Quant aux Britanniques, ils tentèrent d’augmenter leurs recettes fiscales dans les colonies d’Amérique du Nord, ce qui contribua au déclenchement de la Révolution américaine. En Prusse, Frédéric le Grand chercha à obtenir des recettes supplémentaires en augmentant les droits d’accises et en collectant l’impôt de manière plus efficace. Ses plans se heurtèrent à la résistance de l’administration : elle refusa d’exécuter les ordres du roi, jugeant ses exigences trop lourdes pour la population – qui avait déjà souffert de la guerre. Afin de briser la résistance de l’administration établie, il recruta des fonctionnaires fiscaux français, qui allaient créer une toute nouvelle administration des accises : l’Administration générale des accises et des péages. Les fonctionnaires français arrivèrent en 1766, sous la direction de Marc Antoine de la Haye de Launay. De Launay avait été Sous-Fermier en Languedoc et avait auparavant tenté de faire fortune dans d’autres États allemands comme entrepreneur en temps de guerre. On ne sait pas grand-chose des réseaux par lesquels lui et ses collègues furent recrutés, mais Mirabeau affirme qu’Helvétius, lui-même ancien fermier fiscal et visiteur à la cour de Frédéric, joua un rôle central. Le nombre exact de ces fonctionnaires est également confus, mais une estimation à 350 semble raisonnable. Ces fonctionnaires français occupaient exclusivement les niveaux hiérarchiques les plus élevés de l’administration.

En recrutant des étrangers, le roi cherchait surtout à créer une administration fiscale dépourvue des mêmes liens de loyauté que ceux qui liaient l’administration prussienne aux communautés locales et aux contribuables. Sa francophilie le poussa à choisir des administrateurs français, d’autant plus que la Ferme Générale française avait très bonne réputation – et qu’il comptait aussi voir les fonctionnaires français apporter avec eux le capital nécessaire pour avancer à la couronne le montant des recettes fiscales restant à collecter, en échange du droit de les percevoir plus tard, comme il était d’usage dans l’administration fiscale des exploitations agricoles françaises. Cependant, dès son arrivée, de Launay déconseilla à Frédéric de mettre en place une structure institutionnelle similaire : cela donnait aux fermiers fiscaux un ‘intérêt au pressoir’qui engendrait des abus. En conséquence, l’administration des impôts agricoles fût placée sous la tutelle directe de la Couronne au lieu de relever directement des agents du fisc. Ce transfert de connaissances et d’expérience empêcha l’introduction en Prusse de l’une des formes d’administration fiscale les plus controversées à l’époque, éliminant ainsi l’un des facteurs qui concourut considérablement à l’escalade des conflits fiscaux en France. Il s’agit du cas le plus important de transfert de connaissances en lien avec la Régie mais, en d’autres occasions importantes, les participants aux débats politiques controversés autour de la Régie s’inspirèrent abondamment de publications d’autres pays européens. À eux tous, ils constituent un exemple de l’intégration étroite des mondes intellectuels de la période des Lumières qui transcendaient les frontières nationales. Paradoxalement, ces échanges transnationaux jouèrent même un rôle important dans la formation des administrations fiscales européennes, qui fournirent aux États nationaux émergents leur principale source de revenus et leur force de frappe.

Principales caractéristiques de la Régie: La Régie était chargée des accises, des douanes et de certains monopoles. Les accises étaient les plus importantes de ces taxes. Elles n’étaient perçues que dans les villes ; dans les campagnes, le principal impôt était l’impôt foncier. Dans la plupart des cas, l’accise était prélevée sur les marchandises vendues dans les villes ou qui y transitaient. Elle s’apparentait à un impôt sur les ventes ou à une taxe douanière, perçue non pas à une frontière internationale mais à la frontière entre ville et campagne. Magasins et portes des villes étaient donc les principaux points de collecte de l’impôt. De nombreuses villes étaient entourées de murs d’accises et de dispositifs similaires destinés à entraver la contrebande.

La principale mission de la Régie était de rendre plus efficace la perception des impôts. Cet objectif fut principalement atteint en luttant contre la corruption et en renforçant les contrôles. Les procédures administratives furent également rationalisées et les tarifs et réglementations en matière d'accises homogénéisés dans les différentes provinces prussiennes. Elles étaient dispersées géographiquement, souvent isolées les unes des autres et très hétérogènes, tant sur les plans politique qu’administratif et culturel.

L’introduction de nouveaux tarifs d’accise constitue un autre changement important mis en œuvre par la Régie. Il s’agissait de remplacer les différents tarifs qui avaient évolué au fil du temps par un seul ensemble de tarifs répondant à des objectifs spécifiques. L’un des objectifs était de faire passer le fardeau fiscal sur les biens de consommation courante vers les biens de luxe. Par exemple, la réduction de la taxation des céréales était compensée par l’augmentation des taxes sur la viande de bœuf, mais pas sur la viande de porc. Outre qu’elle déplaçait la charge fiscale sur les consommateurs les plus riches, cette mesure était également conçue comme un outil d’orientation économique et morale. Les produits de luxe étaient souvent importés, et leur taxation plus élevée servait à promouvoir les ventes de marchandises alternatives produites localement. Les considérations morales jouaient également un rôle : la consommation de produits de luxe était souvent considérée comme une source de corruption morale. C’est sur cette base que Frédéric prétendait par exemple que la bière locale traditionnelle était préférable, au petit-déjeuner, à des boissons exotiques importées, telles que café ou thé, soupçonnées également d’être consommées dans des tasses en porcelaine fabriquées à l’étranger.

Sur le plan financier, les efforts de la Régie furent couronnés de succès. Comparées à celles de l’année précédant la création de la Régie (1766-1767), les recettes d’accise furent de 7 à 57 % supérieures au cours des vingt années pendant lesquelles fonctionna cette administration – qui contribua également de manière substantielle au processus de construction de l’État en Prusse. Grâce à la création de la Régie, presque tous les territoires gouvernés par la dynastie des Hohenzollern furent soumis au même traitement administratif et à un ensemble unifié de règlements et tarifs. Chose rare à l’époque – et qui contribua à cimenter les territoires de la Maison de Hohenzollern pour en faire une entité politique plus homogène, de plus en plus communément connue sous le nom de « Prusse » à cette époque.

La Régie s’avéra également un outil important de développement économique. Elle appliqua des tarifs douaniers et favorisa des monopoles destinés à orienter les consommateurs vers les produits nationaux. En même temps, elle recueillait des informations sur la production, la consommation et les flux commerciaux. Ces données statistiques, bien qu’encore rudimentaires, ne fournissaient pas moins à Frédéric et à ses ministres une vision de la situation économique plus claire qu’à aucune autre période antérieure. Enfin, les revenus supplémentaires générés par la Régie contribuèrent également à financer les dépenses militaires, ainsi que les investissements dans des infrastructures et autres moyens de développement économique sous la direction du gouvernement. Cette implication de l’État contribua de manière substantielle à la croissance des secteurs manufacturiers et commerciaux de la Prusse qui, à bien des égards, était encore à la traîne par rapport à de nombreuses régions d’Europe plus avancées sur le plan commercial.

Résistance contre la Régie: Avec des contrôles plus stricts, la perception des impôts par la Régie devint plus efficace et, très rapidement, les contribuables urbains mirent en œuvre diverses formes de résistance. Les contrôles fiscaux se déroulaient non seulement aux portes des agglomérations – où étaient fouillés cargaisons commerciales et particuliers – mais aussi dans les ateliers et magasins des villes. Parfois, même les domiciles privés étaient fouillés lorsqu’était soupçonnée une violation des règles du monopole. Le café, par exemple, devait être acheté déjà torréfié auprès d’une société monopolistique. Lorsque les fonctionnaires de la Régie soupçonnaient que le café avait été torréfié à domicile, ils avaient le droit de fouiller la maison, ce qui leur valut le surnom de « renifleurs de café ». Ces intrusions dans l’espace privé des citadins et dans les sphères de circulation commerciale suscitèrent indignation et résistance. La résistance commença chez les marchands du petit territoire occidental de Clèves. Juste après la création de la Régie, ils proposèrent de mettre en place leur propre collecte de l’impôt agricole: ils verseraient à la couronne une somme forfaitaire en échange du droit de collecter l’impôt eux-mêmes. En l’occurrence, Frédéric céda rapidement à la pression locale : Clèves était une petite province périphérique et les marchands étaient plus puissants dans ce territoire commercialement plus avancé qu’ailleurs en Prusse. La résistance dans d’autres parties de la Prusse prit d’abord des formes similaires : les habitants et administrateurs locaux adressaient des pétitions au roi et plus Frédéric s’entêtait, plus la résistance adoptait des formes différentes. L’excise et ses agents étaient défiés frontalement par la contrebande et par des attaques violentes à l’encontre des fonctionnaires de la Régie, qui affrontaient les contrebandiers ou leurs clients. Du point de vue de l’État, la contrebande n’était rien moins qu’un délit, mais le grand public ne prenait pas les contrebandiers pour des criminels gouvernement s’opposant à la cause naturelle du libre-échange. Les consommateurs rejetaient toute notion selon laquelle leurs décisions sur le marché devraient être régies par autre chose que leurs propres choix et préférences. Les monopoles gouvernementaux et les structures fiscales visant à favoriser l’industrie nationale ou à protéger les citoyens des effets moralement corrosifs de la consommation de luxe étaient rejetés comme condescendants et mus par des intérêts particuliers. Vus sous cet angle, les contrebandiers étaient bien plus que des délinquants et jouissaient d’une popularité considérable. La sympathie de l’opinion publique à l’endroit des contrebandiers prussiens fait écho au mythe populaire entourant le contrebandier français Louis Mandrin et à la valeur politique associée par les habitants des colonies britanniques d’Amérique du Nord à la résistance aux monopoles, comme par exemple la Boston Tea Party, entre autres événements similaires. Le conflit autour de la Régie fut également l’un des points centraux des débats contradictoires qui se développèrent en Prusse pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Certaines des institutions et des figures les plus importantes du public bourgeois prussien à cette époque prenaient part à ces discussions. Ces échanges se déroulaient dans les salons et les maisons d’édition savantes de Berlin, telles que la Mittwochsgesellschaft et la Berlinische Monatsschrift. Ils étaient commentés par des sommités de l’époque des Lumières en Prusse, telles que Johann George Hamann, Johann Gottfried Herder, Friedrich Hartknoch, Friedrich Nicolai, Friedrich Gedike, Johann Zimmer, entre autres. Des fonctionnaires, dont de Launay et le premier ministre Ewald Friedrich von Hertzberg, alimentèrent également le débat public, qui dépassait d’ailleurs le contexte prussien immédiat. L’un des contempteurs les plus virulents de la Régie était Mirabeau, qui séjourna en Prusse en 1786-1787 et s’attaqua abondamment à la Régie dans son ouvrage en quatre volumes intitulé De la monarchie Prussienne, ainsi que dans d’autres écrits. En Prusse, les controverses étaient également liées à d’autres plus larges concernant le commerce et la fiscalité. Les travaux de l’abbé de Raynal, de l’abbé Galiani et le Compte Rendu de Necker, entre autres, ont tous été lus et discutés par les participants à ce débat.

Lors de ces polémiques, les critiques se concentraient sur le caractère vexatoire et intrusif des contrôles effectués par la Régie perturber l’activité commerciale. La longueur et la complication des procédures administratives nécessaires pour faire entrer et sortir les marchandises des villes étaient fréquemment citées. Tout aussi honnies, les fouilles des charrettes et des individus, estimées trop longues et intrusives. Les perquisitions des maisons et des ateliers privés étaient également la cible de critiques. Ici, les arguments se concentraient sur l’idée que les actes de consommation et de production effectués dans les maisons et les ateliers privés devaient échapper au contrôle étatique. Ces critiques étaient souvent associées à des arguments décrivant le libre-échange comme un arrangement plus naturel et efficace, à perturber le moins possible par des contrôles fiscaux.

En revanche, le fait que la Régie était dirigée par des fonctionnaires français joua un rôle relativement moins important dans ces débats. Certains auteurs ont attribué les aspects négatifs de l’administration ou le manque d’acceptation de l’institution par le grand public au fait que les administrateurs étaient des « étrangers », mais ce fut rarement le cas. Parfois d’ailleurs, comme dans le cas de Johanna von Schopenhauer, c’est postérieurement aux guerres napoléoniennes que s’intéressèrent à la Régie les auteurs mettant en avant cette explication. La faible importance des arguments nationalistes dans les débats antérieurs peut être liée au fait que les officiers de rang inférieur de la Régie, ceux qui avaient donc le plus d’interactions avec les contribuables, étaient le plus souvent prussiens. De plus, dans les polémiques contemporaines en Prusse, la catégorie de la nation restait floue et l’importance du nationalisme comme idéologie était d’une portée limitée. Elle ne prit de l’ampleur qu’au XIXe siècle.

Les controverses sur la Régie démontrent que les questions fiscales et économiques occupaient en Prusse une place de choix dans les débats publics à l'époque des Lumières. On a fait valoir que le siècle des Lumières prussien était davantage axé sur les questions esthétiques, philosophiques et religieuses que chez ses homologues d’Europe occidentale, mais les débats prussiens comprenaient une dimension économique évidente, directement liée également à d’autres controverses nationales, en particulier celles qui agitaient la France, puisqu’étaient intenses les échanges de personnes et d’idées.

Le lien entre questions fiscales et débats publics dans le cas de la Régie met également en lumière le lien entre développement socio-économique et éclosion d’un public critique. L’émergence d’une classe de Prussiens urbains investis avec succès dans une activité commerciale et résistant à l’ingérence du gouvernement dans leurs activités de production et de consommation était une condition nécessaire à l’essor de la culture du débat critique qui caractérisa le siècle des Lumières.

La fin de la Régie: Pour apaiser les protestations populaires, Frédéric-Guillaume II abolit la Régie en 1787. Il accéda au trône après la mort de Frédéric le Grand en 1786 et appela immédiatement à la création d’une commission pour la réforme de l’accise. La Régie fut dissoute et l’administration des accises fut à nouveau intégrée à l’administration générale. L’édit de 1787 ordonnant la fin de la Régie reprit intégralement les arguments et le langage du public protestataire. Frédéric-Guillaume condamna les « incessantes perquisitions », les « pernicieuses formalités » et les « vexations » perpétrées par la Régie. Il admit que la contrebande était le résultat inévitable des méthodes abusives et intrusives de la Régie. Le nouveau monarque fit siennes les exigences de la bourgeoisie urbaine et promit de mettre fin à ces vexations tout en supprimant ce qui « limite le commerce et la circulation des biens ». Au contraire, le nouveau régime fiscal s’attacherait désormais à « ranimer le commerce bourgeois » en lui rendant sa « légitime liberté ». L’abolition des monopoles sur le café et le tabac s’inscrivait dans cet esprit libéral. Ces changements s’accompagnèrent également d’une nouvelle structure tarifaire plus régressive qui augmentait de nouveau la charge fiscale sur les produits de consommation courante en taxant plus lourdement la mouture des céréales. Les riches citadins retirèrent un certain nombre d’avantages de cette réforme. Outre qu’elle favorisa la libéralisation économique et la réduction de l’impôt sur les produits de luxe, le renvoi des fonctionnaires fiscaux français offrit également aux classes aisées des opportunités d’accéder à des postes élevés au sein de l’administration, et l’administration traditionnelle y gagna l’accroissement de son pouvoir.

Quant à l’État prussien, le principal avantage qu’il en retira fut d’éviter l’escalade de ce conflit avec l’opinion publique urbaine. Le contexte historique met en lumière les conséquences dramatiques qui auraient pu résulter de conflits fiscaux non résolus. L’aggravation de la crise fiscale de l’État français dans les années 1780 joua un rôle central dans la chute de l’Ancien Régime et, quelques années auparavant déjà, l’intransigeance fiscale de la Grande- Bretagne avait contribué de manière cruciale au déclenchement de la Révolution américaine.

La couronne prussienne céda à la pression publique – au contraire d’autres États. Cela s’explique par sa faiblesse politique et par des différences structurelles au niveau des finances publiques. La mort de Frédéric le Grand entraîna l’accession d’un monarque plus jeune et moins expérimenté, qui ne pouvait pas se targuer de succès en qualité de chef militaire. On peut mettre en doute la validité des références militaires de Frédéric, mais ses prétendus glorieux lauriers renforcèrent fortement son autorité, y compris dans ses affaires intérieures. Si Frédéric le Grand trouva sans doute beaucoup plus difficile de mettre fin, sans perdre la face, à l'expérience de la Régie, son neveu quant à lui céda à la pression publique sans avoir trop à y perdre en termes de capital politique. En outre, dans un sens plus étroitement financier, le roi de Prusse pouvait, dans ce conflit fiscal, se permettre beaucoup plus facilement que d'autres monarques d’accepter un compromis car le niveau d'endettement de la Prusse était très faible. En préparation des conflits à venir, Frédéric et ses prédécesseurs avaient accumulé un trésor de guerre substantiel grâce auquel fut couverte une grande partie des dépenses de la guerre de Sept Ans. Cette précaution n’était pas seulement due à une plus grande prévoyance de sa part. Tout simplement, la Prusse ne disposait pas d’une strate de particuliers et d’entreprises aux poches suffisamment profondes pour financer les dépenses du gouvernement par des prêts de quelque importance. Comme la couronne prussienne n’avait pas à rembourser une dette publique élevée, elle disposait d’une plus grande flexibilité financière et pouvait donc se permettre de concéder une réduction des recettes fiscales.

Plus important encore, la structure des recettes de la Prusse était nettement différente de celle des autres pays à l’époque. L’accise fut la source de revenus de l’État prussien qui connut la croissance la plus rapide pendant tout le temps que dura la Régie, mais dans l’ensemble, elle ne représentait qu’une petite partie de ses revenus. La fiscalité urbaine ne fournissait qu’environ un tiers des recettes. Le reste était constitué des impôts prélevés sur la campagne et des revenus des domaines gouvernementaux. À eux seuls, ces derniers représentaient presque chaque année plus de 40 % des recettes. Ce chiffre était nettement plus élevé qu’en France ou en Grande-Bretagne, où la plupart des domaines avaient déjà été vendus à ce stade. Du point de vue politique, cette différence était cruciale car les conflits entre la jeune bourgeoisie et l’État étaient étroitement liés aux institutions de l’État fiscal émergent. Contrairement à la fiscalité habituelle, les revenus des domaines n’obligeaient pas le gouvernement à instituer une administration intrusive destinée à contrôler la vie professionnelle et privée des citoyens en vue de confisquer une partie de leurs revenus. L’État prussien était non seulement trop faible pour imposer sa férule à son peuple bourgeois, mais sa situation fiscale signifiait également qu’il pouvait se permettre de capituler politiquement plutôt que de risquer une nouvelle escalade…

‘Die Einwanderung der Franzosen zur Errichtung der Regie’(The arrival of the French for the creation of the Régie), Daniel Nikolaus Chodowiecki, etching, 1771. Reproduced with permission from Klassik Stiftung Weimar, Museen, Inv. DK 293/84.

  





Sources et références bibliographiques:


    Sources imprimées:
  • Frederick William II, “Verordnung für sämmtliche Provinzen diesseits der Weser, wegen einer neuen Einrichtung des Accise- und Zoll-Wesens, De Dato Berlin, den 25sten Jan. 1787″’, Novum Corpus Constitutionum Prussico-Brandenburgensium Praecipue Marchicarum, 12 vols., Berlin, 1787, vol. 8, p. 256–8.
  • Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau, Lettre remise à Fréderic Guillaume II, roi régnant de Prusse, le jour de son avènement au trône, 1787.
  • Honoré Gabriel de Riqueti de Mirabeau, De la monarchie prussienne, sous Frédéric le Grand, avec un appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l’Allemagne, 1788.
  • Marc Antoine De la Haye De Launay, Justification du système d’économie politique et financière de Frédéric II., roi de Prusse: pour servir de réfutation à tout ce que M. le Comte de Mirabeau a hazardé à ce sujet dans son ouvrage de la monarchie prussienne, 1789.


    Bibliographie scientifique:
  • Johann Georg Hamann, “Au Salomon de Prusse”, in Josef Nadler (ed.), Sämtliche Werke/Johann Georg Hamann, 6 vols., Vienna, 1951, vol. 3, p. 55–60 et p. 423–4.
  • Ingrid Mittenzwei, Preußen nach dem Siebenjährigen Krieg: Auseinandersetzungen zwischen Bürgertum und Staat um die Wirtschaftspolitik, Akademie, 1979.
  • Johanna Schopenhauer, Im Wechsel der Zeiten, im Gedränge der Welt, Winkler, 1986.
  • Florian Schui, Rebellious Prussians: Urban political culture under Frederick the Great, Oxford University Press, 2013 .




Citer cette notice:

Florian Schui (traduction: Dominique Macabies), « Régie des accises de Prusse » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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