Régie des accises de Prusse
‘Die Einwanderung der Franzosen zur Errichtung der Regie’(The arrival of the French for the creation of the Régie), Daniel Nikolaus Chodowiecki, etching, 1771. Reproduced with permission from Klassik Stiftung Weimar, Museen, Inv. DK 293/84.
La création de la Régie: À l’issue de la guerre de Sept Ans
(1756-1763), les puissances participantes se
retrouvèrent avec des ressources financières exsangues et
un besoin urgent de générer des revenus supplémentaires.
En France, cela inaugura la période d’instabilité
financière qui mena à la Révolution. Quant aux
Britanniques, ils tentèrent d’augmenter leurs recettes
fiscales dans les colonies
d’Amérique du Nord, ce qui contribua au déclenchement de
la Révolution américaine. En Prusse, Frédéric le Grand
chercha à obtenir des recettes supplémentaires en
augmentant les droits d’accises et en collectant l’impôt
de manière plus efficace. Ses plans se heurtèrent à la
résistance de l’administration : elle refusa d’exécuter
les ordres du roi, jugeant ses exigences trop lourdes pour
la population – qui avait déjà souffert de la guerre. Afin
de briser la résistance de l’administration établie, il
recruta des fonctionnaires fiscaux français, qui allaient
créer une toute nouvelle administration des accises :
l’Administration générale des accises et des péages. Les fonctionnaires
français arrivèrent en 1766,
sous la direction de Marc Antoine de la Haye de Launay. De
Launay avait été Sous-Fermier en Languedoc et avait auparavant tenté de faire fortune dans
d’autres États allemands comme entrepreneur en temps de
guerre. On ne sait pas grand-chose des réseaux par
lesquels lui et ses collègues furent recrutés, mais
Mirabeau affirme qu’Helvétius, lui-même ancien fermier
fiscal et visiteur à la cour de Frédéric, joua un rôle central. Le
nombre exact de ces fonctionnaires est également confus,
mais une estimation à 350 semble raisonnable. Ces
fonctionnaires français occupaient exclusivement les
niveaux hiérarchiques les plus élevés de
l’administration.
En recrutant des étrangers, le roi
cherchait surtout à créer une administration fiscale
dépourvue des mêmes liens de loyauté que ceux qui liaient
l’administration prussienne aux communautés locales et aux
contribuables. Sa francophilie le poussa à choisir des
administrateurs français, d’autant plus que la Ferme
Générale française avait très bonne réputation – et qu’il
comptait aussi voir les fonctionnaires français apporter
avec eux le capital nécessaire pour avancer à la couronne
le montant des recettes fiscales restant à collecter, en
échange du droit de les percevoir plus tard, comme il
était d’usage dans l’administration fiscale des
exploitations agricoles françaises. Cependant, dès son
arrivée, de Launay déconseilla à Frédéric de mettre en
place une structure institutionnelle similaire : cela
donnait aux fermiers fiscaux un ‘intérêt au pressoir’qui
engendrait des abus. En conséquence, l’administration des
impôts agricoles fût placée sous la tutelle directe de la
Couronne au lieu de relever directement des agents du
fisc. Ce transfert de
connaissances et d’expérience empêcha l’introduction
en Prusse de l’une des formes d’administration
fiscale les plus controversées à l’époque, éliminant
ainsi l’un des facteurs qui concourut
considérablement à l’escalade des conflits fiscaux
en France. Il s’agit du cas le plus
important de transfert de connaissances en lien avec la
Régie mais, en d’autres occasions importantes, les
participants aux débats politiques controversés autour de
la Régie s’inspirèrent abondamment de publications
d’autres pays européens. À eux tous, ils constituent un
exemple de l’intégration étroite des mondes intellectuels
de la période des Lumières qui transcendaient les
frontières nationales. Paradoxalement, ces échanges
transnationaux jouèrent même un rôle important dans la
formation des administrations fiscales européennes, qui
fournirent aux États nationaux émergents leur principale
source de revenus et leur force de frappe.
Principales
caractéristiques de la Régie: La Régie était chargée des
accises, des douanes et de certains monopoles. Les accises
étaient les plus importantes de ces taxes. Elles n’étaient
perçues que dans les villes ; dans les campagnes, le
principal impôt était l’impôt foncier. Dans la plupart des
cas, l’accise était prélevée sur les marchandises vendues
dans les villes ou qui y transitaient. Elle s’apparentait
à un impôt sur les ventes ou à une taxe douanière, perçue
non pas à une frontière internationale mais à la frontière
entre ville et campagne. Magasins et portes des villes
étaient donc les principaux points de collecte de l’impôt.
De nombreuses villes étaient entourées de murs d’accises
et de dispositifs similaires destinés à entraver la contrebande.
La
principale mission de la Régie était de rendre plus
efficace la perception des impôts. Cet objectif fut
principalement atteint en luttant contre la corruption et
en renforçant les contrôles. Les procédures
administratives furent également rationalisées et les
tarifs et réglementations en matière d'accises
homogénéisés dans les différentes provinces prussiennes.
Elles étaient dispersées géographiquement, souvent isolées
les unes des autres et très hétérogènes, tant sur les
plans politique qu’administratif et
culturel.
L’introduction de nouveaux tarifs d’accise
constitue un autre changement important mis en œuvre par
la Régie. Il s’agissait de remplacer les différents tarifs
qui avaient évolué au fil du temps par un seul ensemble de
tarifs répondant à des objectifs spécifiques. L’un des
objectifs était de faire passer le fardeau fiscal sur les
biens de consommation courante vers les biens de luxe. Par
exemple, la réduction de la taxation des céréales était
compensée par l’augmentation des taxes sur la viande de
bœuf, mais pas sur la viande de porc. Outre qu’elle
déplaçait la charge fiscale sur les consommateurs les plus
riches, cette mesure était également conçue comme un outil
d’orientation économique et morale. Les produits de luxe
étaient souvent importés, et leur taxation plus élevée
servait à promouvoir les ventes de marchandises
alternatives produites localement. Les considérations
morales jouaient également un rôle : la consommation de
produits de luxe était souvent considérée comme une source
de corruption morale. C’est sur cette base que Frédéric
prétendait par exemple que la bière locale traditionnelle était préférable, au
petit-déjeuner, à des boissons exotiques importées, telles
que café ou thé, soupçonnées
également d’être consommées dans des tasses en porcelaine
fabriquées à l’étranger.
Sur le plan financier, les efforts
de la Régie furent couronnés de succès. Comparées à celles
de l’année précédant la création de la Régie (1766-1767), les recettes d’accise furent de 7 à 57 %
supérieures au cours des vingt années pendant lesquelles
fonctionna cette administration – qui contribua également
de manière substantielle au processus de construction de
l’État en Prusse. Grâce à la création de
la Régie, presque tous les territoires gouvernés par
la dynastie des Hohenzollern furent soumis au même
traitement administratif et à un ensemble unifié de
règlements et tarifs. Chose rare à l’époque
– et qui contribua à cimenter les territoires de la Maison
de Hohenzollern pour en faire une entité politique plus
homogène, de plus en plus communément connue sous le nom
de « Prusse » à cette époque.
La Régie s’avéra également un
outil important de développement économique. Elle appliqua
des tarifs douaniers et favorisa des monopoles destinés à
orienter les consommateurs vers les produits nationaux. En
même temps, elle recueillait des informations sur la
production, la consommation et les flux commerciaux. Ces
données statistiques, bien qu’encore rudimentaires, ne
fournissaient pas moins à Frédéric et à ses ministres une
vision de la situation économique plus claire qu’à aucune
autre période antérieure. Enfin, les revenus
supplémentaires générés par la Régie contribuèrent
également à financer les dépenses militaires, ainsi que
les investissements dans des infrastructures et autres
moyens de développement économique sous la direction du
gouvernement. Cette implication de l’État contribua de
manière substantielle à la croissance des secteurs
manufacturiers et commerciaux de la Prusse qui, à bien des
égards, était encore à la traîne par rapport à de
nombreuses régions d’Europe plus avancées sur le plan
commercial.
Résistance contre la Régie: Avec des contrôles
plus stricts, la perception des impôts par la Régie devint
plus efficace et, très rapidement, les contribuables
urbains mirent en œuvre diverses formes de résistance. Les
contrôles fiscaux se déroulaient non seulement aux portes
des agglomérations – où étaient fouillés cargaisons
commerciales et particuliers – mais aussi dans les
ateliers et magasins des villes. Parfois, même les
domiciles privés étaient fouillés lorsqu’était soupçonnée
une violation des règles du monopole. Le café, par exemple, devait
être acheté déjà torréfié auprès d’une société
monopolistique. Lorsque les fonctionnaires de la Régie
soupçonnaient que le café
avait été torréfié à domicile, ils avaient le droit de
fouiller la maison, ce qui leur valut le surnom de
« renifleurs de café ». Ces intrusions dans l’espace privé
des citadins et dans les sphères de circulation
commerciale suscitèrent indignation et résistance. La
résistance commença chez les marchands du petit territoire
occidental de Clèves. Juste après la création de la
Régie, ils proposèrent de mettre en place leur propre
collecte de l’impôt agricole: ils verseraient à la
couronne une somme forfaitaire en échange du droit de
collecter l’impôt eux-mêmes. En l’occurrence, Frédéric
céda rapidement à la pression locale : Clèves était une
petite province périphérique et les marchands étaient plus
puissants dans ce territoire commercialement plus avancé
qu’ailleurs en Prusse. La résistance dans
d’autres parties de la Prusse prit d’abord des
formes similaires : les habitants et administrateurs
locaux adressaient des pétitions au roi et plus
Frédéric s’entêtait, plus la résistance adoptait des
formes différentes. L’excise et ses agents
étaient défiés frontalement par la contrebande et par des
attaques violentes à l’encontre des fonctionnaires de la
Régie, qui affrontaient les contrebandiers ou leurs
clients. Du point de vue de l’État, la contrebande n’était
rien moins qu’un délit, mais le grand public ne prenait
pas les contrebandiers pour des criminels gouvernement
s’opposant à la cause naturelle du libre-échange. Les
consommateurs rejetaient toute notion selon laquelle leurs
décisions sur le marché devraient être régies par autre
chose que leurs propres choix et préférences. Les
monopoles gouvernementaux et les structures fiscales
visant à favoriser l’industrie nationale ou à protéger les
citoyens des effets moralement corrosifs de la
consommation de luxe étaient rejetés comme condescendants
et mus par des intérêts particuliers. Vus sous cet angle,
les contrebandiers étaient bien plus que des délinquants
et jouissaient d’une popularité considérable.
La sympathie de l’opinion publique à l’endroit des
contrebandiers prussiens fait écho au mythe populaire
entourant le contrebandier français Louis Mandrin et à la valeur
politique associée par les habitants des colonies
britanniques d’Amérique du Nord à la résistance aux
monopoles, comme par exemple la Boston Tea Party,
entre autres événements similaires. Le
conflit autour de la Régie fut également l’un des points
centraux des débats contradictoires qui se développèrent
en Prusse pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Certaines des institutions et des figures les plus
importantes du public bourgeois prussien à cette époque
prenaient part à ces discussions. Ces échanges se
déroulaient dans les salons et les maisons d’édition
savantes de Berlin, telles que la Mittwochsgesellschaft et
la Berlinische Monatsschrift. Ils étaient commentés par
des sommités de l’époque des Lumières en Prusse, telles
que Johann George Hamann, Johann Gottfried Herder,
Friedrich Hartknoch, Friedrich Nicolai, Friedrich Gedike,
Johann Zimmer, entre autres. Des fonctionnaires, dont de
Launay et le premier ministre Ewald Friedrich von
Hertzberg, alimentèrent également le débat public, qui
dépassait d’ailleurs le contexte prussien immédiat. L’un
des contempteurs les plus virulents de la Régie était
Mirabeau, qui séjourna en Prusse en
1786-1787 et
s’attaqua abondamment à la Régie dans son ouvrage en
quatre volumes intitulé De la monarchie Prussienne, ainsi
que dans d’autres écrits. En Prusse, les controverses
étaient également liées à d’autres plus larges concernant
le commerce et la fiscalité. Les travaux de l’abbé de
Raynal, de l’abbé Galiani et le Compte Rendu de Necker,
entre autres, ont tous été lus et discutés par les
participants à ce débat.
Lors de ces polémiques, les
critiques se concentraient sur le caractère vexatoire et
intrusif des contrôles effectués par la Régie perturber
l’activité commerciale. La longueur et la complication des
procédures administratives nécessaires pour faire entrer
et sortir les marchandises des villes étaient fréquemment
citées. Tout aussi honnies, les fouilles des charrettes et
des individus, estimées trop longues et intrusives. Les
perquisitions des maisons et des ateliers privés étaient
également la cible de critiques. Ici, les arguments se
concentraient sur l’idée que les actes de consommation et
de production effectués dans les maisons et les ateliers
privés devaient échapper au contrôle étatique. Ces
critiques étaient souvent associées à des arguments
décrivant le libre-échange comme un arrangement plus
naturel et efficace, à perturber le moins possible par des
contrôles fiscaux.
En revanche, le fait que la Régie était
dirigée par des fonctionnaires français joua un rôle
relativement moins important dans ces débats. Certains
auteurs ont attribué les aspects négatifs de
l’administration ou le manque d’acceptation de
l’institution par le grand public au fait que les
administrateurs étaient des « étrangers », mais ce fut
rarement le cas. Parfois d’ailleurs, comme dans le cas de
Johanna von Schopenhauer, c’est postérieurement aux
guerres napoléoniennes que s’intéressèrent à la Régie les
auteurs mettant en avant cette explication. La faible
importance des arguments nationalistes dans les débats
antérieurs peut être liée au fait que les officiers de
rang inférieur de la Régie, ceux qui avaient donc le plus
d’interactions avec les contribuables, étaient le plus
souvent prussiens. De plus, dans les polémiques
contemporaines en Prusse, la catégorie de la nation
restait floue et l’importance du nationalisme comme
idéologie était d’une portée limitée. Elle ne prit de
l’ampleur qu’au XIXe siècle.
Les controverses sur la Régie
démontrent que les questions fiscales et économiques
occupaient en Prusse une place de choix dans les débats
publics à l'époque des Lumières. On a fait valoir que le
siècle des Lumières prussien était davantage axé sur les
questions esthétiques, philosophiques et religieuses que
chez ses homologues d’Europe occidentale, mais les débats
prussiens comprenaient une dimension économique évidente,
directement liée également à d’autres controverses
nationales, en particulier celles qui agitaient la France,
puisqu’étaient intenses les échanges de personnes et
d’idées.
Le lien entre questions fiscales et débats publics
dans le cas de la Régie met également en lumière le lien
entre développement socio-économique et éclosion d’un
public critique. L’émergence d’une classe de Prussiens
urbains investis avec succès dans une activité commerciale
et résistant à l’ingérence du gouvernement dans leurs
activités de production et de consommation était une
condition nécessaire à l’essor de la culture du débat
critique qui caractérisa le siècle des Lumières.
La fin de
la Régie: Pour apaiser les protestations populaires,
Frédéric-Guillaume II abolit la Régie en 1787. Il accéda au trône après la mort de
Frédéric le Grand en 1786 et
appela immédiatement à la création d’une commission pour
la réforme de l’accise. La Régie fut dissoute et
l’administration des accises fut à nouveau intégrée à
l’administration générale. L’édit de
1787 ordonnant la fin de la Régie reprit
intégralement les arguments et le langage du public
protestataire. Frédéric-Guillaume condamna les
« incessantes perquisitions », les « pernicieuses
formalités » et les « vexations » perpétrées par la Régie. Il admit que la contrebande était le
résultat inévitable des méthodes abusives et intrusives de
la Régie. Le nouveau monarque fit siennes les exigences de
la bourgeoisie urbaine et promit de mettre fin à ces
vexations tout en supprimant ce qui « limite le commerce
et la circulation des biens ». Au contraire, le nouveau
régime fiscal s’attacherait désormais à « ranimer le
commerce bourgeois » en lui rendant sa « légitime
liberté ». L’abolition des monopoles sur le café et le tabac s’inscrivait dans cet
esprit libéral. Ces changements s’accompagnèrent également
d’une nouvelle structure tarifaire plus régressive qui
augmentait de nouveau la charge fiscale sur les produits
de consommation courante en taxant plus lourdement la
mouture des céréales. Les riches citadins retirèrent un
certain nombre d’avantages de cette réforme.
Outre qu’elle favorisa la libéralisation économique
et la réduction de l’impôt sur les produits de luxe,
le renvoi des fonctionnaires fiscaux français offrit
également aux classes aisées des opportunités
d’accéder à des postes élevés au sein de
l’administration, et l’administration traditionnelle
y gagna l’accroissement de son pouvoir.
Quant à l’État prussien, le principal avantage qu’il en
retira fut d’éviter l’escalade de ce conflit avec
l’opinion publique urbaine. Le contexte historique met en
lumière les conséquences dramatiques qui auraient pu
résulter de conflits fiscaux non résolus. L’aggravation
de la crise fiscale de l’État français dans les années
1780 joua un rôle central
dans la chute de l’Ancien Régime et, quelques années
auparavant déjà, l’intransigeance fiscale de la Grande-
Bretagne avait contribué de manière
cruciale au déclenchement de la Révolution américaine.
La
couronne prussienne céda à la pression publique – au
contraire d’autres États. Cela s’explique par sa faiblesse
politique et par des différences structurelles au niveau
des finances publiques. La mort de Frédéric le Grand
entraîna l’accession d’un monarque plus jeune et moins
expérimenté, qui ne pouvait pas se targuer de succès en
qualité de chef militaire. On peut mettre en doute la
validité des références militaires de Frédéric, mais ses
prétendus glorieux lauriers renforcèrent fortement son
autorité, y compris dans ses affaires intérieures. Si
Frédéric le Grand trouva sans doute beaucoup plus
difficile de mettre fin, sans perdre la face, à
l'expérience de la Régie, son neveu quant à lui céda à la
pression publique sans avoir trop à y perdre en termes de
capital politique. En outre, dans un sens plus étroitement
financier, le roi de Prusse pouvait, dans ce conflit
fiscal, se permettre beaucoup plus facilement que d'autres
monarques d’accepter un compromis car le niveau
d'endettement de la Prusse était très faible. En
préparation des conflits à venir, Frédéric et ses
prédécesseurs avaient accumulé un trésor de guerre
substantiel grâce auquel fut couverte une grande partie
des dépenses de la guerre de Sept Ans. Cette précaution
n’était pas seulement due à une plus grande prévoyance de
sa part. Tout simplement, la Prusse ne disposait pas d’une
strate de particuliers et d’entreprises aux poches
suffisamment profondes pour financer les dépenses du
gouvernement par des prêts de quelque importance.
Comme la couronne prussienne n’avait pas à
rembourser une dette publique élevée, elle disposait
d’une plus grande flexibilité financière et pouvait
donc se permettre de concéder une réduction des
recettes fiscales.
Plus important encore, la
structure des recettes de la Prusse était nettement
différente de celle des autres pays à l’époque. L’accise
fut la source de revenus de l’État prussien qui connut la
croissance la plus rapide pendant tout le temps que dura
la Régie, mais dans l’ensemble, elle ne représentait
qu’une petite partie de ses revenus. La fiscalité urbaine
ne fournissait qu’environ un tiers des recettes. Le reste
était constitué des impôts prélevés sur la campagne et des
revenus des domaines gouvernementaux. À eux seuls, ces
derniers représentaient presque chaque année plus de 40 %
des recettes. Ce chiffre était nettement plus élevé qu’en
France ou en Grande-Bretagne, où
la plupart des domaines
avaient déjà été vendus à ce stade. Du point de vue
politique, cette différence était cruciale car les
conflits entre la jeune bourgeoisie et l’État étaient
étroitement liés aux institutions de l’État fiscal
émergent. Contrairement à la fiscalité habituelle, les
revenus des domaines n’obligeaient pas le gouvernement à
instituer une administration intrusive destinée à
contrôler la vie professionnelle et privée des citoyens en
vue de confisquer une partie de leurs revenus. L’État
prussien était non seulement trop faible pour imposer sa
férule à son peuple bourgeois, mais sa situation fiscale
signifiait également qu’il pouvait se permettre de
capituler politiquement plutôt que de risquer une nouvelle
escalade…
Sources et références bibliographiques:
-
Sources imprimées:
- Marc Antoine De la Haye De Launay, Justification du système d’économie politique et financière de Frédéric II., roi de Prusse: pour servir de réfutation à tout ce que M. le Comte de Mirabeau a hazardé à ce sujet dans son ouvrage de la monarchie prussienne, 1789.
- Frederick William II, “Verordnung für sämmtliche Provinzen diesseits der Weser, wegen einer neuen Einrichtung des Accise- und Zoll-Wesens, De Dato Berlin, den 25sten Jan. 1787″’, Novum Corpus Constitutionum Prussico-Brandenburgensium Praecipue Marchicarum, 12 vols., Berlin, 1787, vol. 8, p. 256–8.
- Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau, Lettre remise à Fréderic Guillaume II, roi régnant de Prusse, le jour de son avènement au trône, 1787.
- Honoré Gabriel de Riqueti de Mirabeau, De la monarchie prussienne, sous Frédéric le Grand, avec un appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l’Allemagne, 1788.
-
Bibliographie scientifique:
- Johann Georg Hamann, “Au Salomon de Prusse”, in Josef Nadler (ed.), Sämtliche Werke/Johann Georg Hamann, 6 vols., Vienna, 1951, vol. 3, p. 55–60 et p. 423–4.
- Ingrid Mittenzwei, Preußen nach dem Siebenjährigen Krieg: Auseinandersetzungen zwischen Bürgertum und Staat um die Wirtschaftspolitik, Akademie, 1979.
- Johanna Schopenhauer, Im Wechsel der Zeiten, im Gedränge der Welt, Winkler, 1986.
- Florian Schui, Rebellious Prussians: Urban political culture under Frederick the Great, Oxford University Press, 2013 .
Florian Schui (traduction: Dominique Macabies), « Régie des accises de Prusse » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :