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Aides

Marie-Laure Legay





Les droits d’aides étaient levés sur divers produits de consommation, en premier lieu sur les boissons (vins, bières, cidres, liqueurs et eaux-de-vie) et les bestiaux. Hérités des levées pratiquées à partir du XIVe siècle pour les besoins de la guerre, ces droits tenaient compte non seulement des statuts particuliers des provinces, mais aussi des multiples privilèges urbains. Comme le rappela Jacques Necker à Louis XVI en 1781: « ce sont des droits purement locaux ». Quatorze généralités sur 32 étaient particulièrement taxées : les quatre généralités qui formaient les pays de gros (Paris, Châlons, Amiens et Soissons), c’est à dire les provinces où pesait sur les boissons un droit d’un vingtième à la vente en gros, mais aussi divers droits de détail; les généralités qui formaient les pays de huitième (Paris, Châlons, Soissons, Lyon, Bourges, Orléans, Moulins, Tours, Poitiers, La Rochelle, mais aussi les élections de Mâcon et Auxerre et une partie de la généralité d’Amiens) dans lesquels le gros n’existait pas, mais où les boissons supportaient un huitième à la vente au détail ; et les généralités (Rouen, Caen et Alençon, l’élection de Bar-sur-Seine, une partie de la généralité d’Amiens) dites pays de quatrième (avec, là encore, moult exceptions, la ville de Rouen étant par exemple soumise au droit de gros et subvention). Ces généralités incluses dans le ressort des deux Cours des aides de Paris et de Rouen formaient ainsi les « pays d’aides » et supportaient l’essentiel des droits. Les deux ordonnances de juin 1680 (une pour le ressort de la Cour des aides de Paris et l’autre pour celui de la Cour des aides de Normandie) y formaient un règlement complet, tandis que les Fermiers généraux prenaient à bail la plupart de ces droits. Comparativement, les dix-huit autres généralités se trouvaient privilégiées, même si des systèmes de compensation existaient, soit que les Etats provinciaux levaient eux-mêmes des taxes équivalentes (comme les devoirs en Bretagne ou l’Equivalent en Languedoc), soit que les boissons qui sortaient de ces pays étaient taxées à l’entrée des pays d’aides (droits de Foraine en Languedoc et Provence). Précisons enfin que les droits annuels, les droits rétablis à partir de 1722, les droits des hôpitaux (1724), les droits réservés (1758) et divers autres droits concernaient bien tout le royaume, mais ils étaient le plus souvent abonnés, c’est-à-dire que les provinces situées hors du ressort des Cours des aides pouvaient ne payer qu’une somme forfaitaire pour s’en acquitter.

Le maillage administratif des 152 bureaux d’aides repérés dans le Dictionnaire d’Expilly (1762-1770) ne concernait donc qu’un noyau central qui ne couvrait pas plus du tiers du royaume. Toutes les provinces périphériques (Bretagne, Artois, Flandre, Hainaut, Alsace, Trois-Evêchés, Lorraine, Franche-Comté) et une bonne moitié méridionale (Guyenne, Gascogne, Béarn, Auvergne, Languedoc, Provence, Roussillon, Dauphiné, et même la Bourgogne) bénéficiaient de régimes spéciaux. Jean-Louis Lefebvre de Bellande, dans son Traité général des droits d’aides (1760), reconnut « les difficultés que produisait le défaut d’uniformité » mais jugea qu’il était vain de vouloir simplifier ces droits qui, par leur diversité, retombaient sur un plus grand nombre de contribuables. De fait, l’administration centrale entendait augmenter les recettes des aides en assimilant à ces dernières des taxes sur de nouveaux produits comme les cartes à jouer ou les cuirs, tout en limitant les franchises dont les corps privilégiés pouvaient se prévaloir au titre des aides. L’idée générale consistait à affirmer que les franchises obtenues anciennement en matière d’«aides » par les corps et communautés ne pouvaient s’entendre pour les droits des fermes qui étaient « droit de commerce ».

Les aides constituaient globalement une recette importante. Le prix du bail Rouvelin passé le 25 septembre 1663 s’élevait à 13, 72 millions de livres pour une année. Colbert en augmenta le produit global, mais reconnut en 1681 que la multiplicité des droits en rendait la perception malaisée. Le bail Ferreau (1703-1708) fixa le prix des droits d’aides et entrées ensemble à près de 15 millions et le bail Carlier (1726-1732) à 32 millions. Entre ces deux dernières dates, de nouveaux droits s’étaient adjoints : ceux de courtiers-jaugeurs, d’inspecteurs aux boissons et aux boucheries, et les quatre sols pour livre d’augmentation. En outre, les prix des marchandises elles-mêmes avaient progressé et la gestion de la Ferme s’était améliorée. Le 2 janvier 1781, Germain Jean-de-Dieu Baron, caissier de la Régie générale, certifia une recette de 42 millions. A cette époque, Necker avait détaché la gestion des aides de la Ferme générale pour la confier à une régie. Créée en 1777, cette Régie générale fit l’admiration de ces contemporains pour la rigueur de son administration et de sa comptabilité. L’historien dispose de données comptables plus sûres pour les dernières années de l’Ancien régime. Voici la recette annuelle de la Régie Henri Clavel par Direction des aides du centre de la France pour l’année 1784 (ou 1785 pour certaines directions). Proportionnée à la population, cette recette variait néanmoins selon l’importance des droits de marque de fer ou de marque d’or et d’argent, mais aussi selon l’importance de l’industrie du cuir, de l’amidon, du papier. Sur l’ensemble des droits étaient levés des sols pour livre.

Produit net des droits levés par la Régie générale en 1784 ou en 1785 par Direction

    A une échelle plus fine on mesure d'autres variations. A titre d’exemple, en 1788, lors de la deuxième année du bail Jean-François Kalandrin, la Direction de Roanne rapporta 176 776 livres tandis que la Direction de Lyon voisine fit recette de 2 098 844 livres, soit au-delà de 10 fois plus. Au sein de la Direction de Lyon, le département de Lyon lui-même rapportait l’essentiel (1 907 434 livres) comparativement aux départements de Vaise (36 757 livres), Saint-Genis (52 719 livres), Saint-Symphorien (23 440 livres), Anse (33 099 livres), Tarare (26 166 livres) et L’Arbresle (19 229 livres). Plusieurs droits assimilés aux aides ne se prélevaient qu’à Lyon comme les droits de marque d’or et d’argent, les papiers et cartons, les cartes à jouer, et surtout les droits sur les soies et sols pour livre qui rapportaient en tout dans ce département 222 400 livres:

Recette des droits d’aides au sein de la Direction de Lyon (1788), en livre tournois

    La complexité des droits d’aides donnait lieu à toutes sortes de malentendus, vexations et fraudes. Les commis aux aides avaient fort à faire. Ils visitaient naturellement les caves, magasins ou pressoirs, les cabarets, hôtelleries, tavernes, mais aussi les particuliers soumis aux droits annuels. Le contrôle des droits dits de cinq sous, tant anciens que nouveaux, nécessita par exemple d’établir les états des limites des lieues sujets, qui provoquèrent de nombreuses contestations. D’aucuns parmi les administrateurs pensaient que les accusations contre les Fermiers généraux n’étaient que « préjugé de vexation et d’injustice qui naissait de la confusion apparente des droits » ; tel fut le cas de Jean-Louis Lefebvre de Bellande. A la frontière des provinces de huitième et quatrième, comme en Picardie, généralité partagée entre différents régimes, la fraude était permanente. Le 29 décembre 1763 par exemple, quatre commis aux exercices aux départements de Poix et de Grandvilliers, veillant au versement des eaux-de-vie du Beauvaisis, ont vu venir à eux deux particuliers à cheval, chargés de paniers et besaces. Les deux hommes déclarèrent que ces paniers contenaient des harengs, Vérification faite, ils contenaient quatre barils de différentes jauges remplies d’eau-de-vie loyale et marchande. N’ayant pas de congé à présenter pour cette marchandise, les deux hommes déclarèrent avoir acheté leurs eaux-de-vie chez le dénommé Dupuis à Feuquière en Beauvaisis dans le dessein de le transporter à Hornois en Picardie, ce qui les définissait comme fraudeurs du droit de quatrième. Les chevaux et les barils furent saisis. Les deux hommes refusèrent de décliner leurs noms, et de signer le procès-verbal, déclarant qu’ils « [sont] de pauvres gens ayant le malheur d’être surpris en fraude ». Les commis procédèrent aux prises de corps mais l’un d’eux s’échappa…. D’autres procès-verbaux attestent du caractère récurrent de cette fraude picarde. Mais la fraude aux droits d’aides sévissait partout. Voici le nombre de procès-verbaux enregistrés au greffe pour l’élection d’Amiens et, à titre de comparaison, pour l’élection de Villefranche entre 1763 et 1790 :


  On observe un pic de fraude en Picardie entre 1768 et 1773 qui n’apparaît pas en Beaujolais. En revanche, les deux courbes deviennent similaires à partir de 1779 avec sans doute un renforcement des contrôles lors des baux Clavel et Kalandrin. A cette époque, les fraudeurs, enhardis par l’esprit patriotique qui soufflait sur les villes, jugeaient leurs actes légitimes au regard des vexations abusives du fisc et des conditions économiques difficiles. Ils recouraient à une rhétorique succincte mais compréhensible dans l’ordre de l’économie morale : « chacun fait son métier et se procure la subsistance comme il peut » déclarèrent deux d’entre eux surpris par les commis des aides dans l’élection d’Amiens (24 décembre 1768).





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Somme, 1C 2449 à 2451, élection d’Amiens.
  • AD Rhône, 4C 607 à 614, élection de Villefranche.
  • AN, G2 103, Sommier des produits de la Régie générale Henri Clavel, 1780-1786. .
  • AN, D VI, dossier 17, procès-verbal du 9 décembre 1789.
  • AN, G2 125, registre.

    Sources imprimées:
  • Vues générales sur l’impôt des aides, les inconvénients de sa suppression et la possibilité de sa réforme, 1789.
  • Arrêt du conseil d’Etat qui nomme le sieur Henri Clavel régisseur des droits compris dans la Régie générale, 15 septembre 1780.
  • Jacques Necker, Compte-rendu au Roi, Paris, Imprimerie royale, janvier 1781, p. 91 et 106.
  • Jean-Louis Lefebvre de Bellande, Traité général des droits d’aides, 2 vol., Paris, chez Pierre Prault, 1760.
  • Pierre Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, t. II, Paris, p. CIII.
  • Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 277-472.


    Bibliographie scientifique:
  • Aline Logette, « La Régie générale au temps de Necker et de ses successeurs, 1777-1786 », Revue historique de droit français et étranger, 1982, vol. 60, n°3 p. 415-445.
  • Gustave Dupont-Ferrier, « Histoire et signification du mot « aides » dans les institutions financières de la France, spécialement aux XIVe et XVe siècles », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1928, t. 89, p. 53-69.
  • Thierry Claeys, Les institutions financières en France au XVIIIe siècle, Paris, SPM, t. 1, 2011, p. 286-287.
  • René Le Mée, Les villes de France et leur population de 1806 à 1851, dans Annales de démographie historique, 1989. Le déclin de la mortalité, p. 321-393.
  • Julien Villain, Le commode et l’accessoire. Le commerce des biens de consommation au XVIIIe siècle. Lorraine, v. 1690-v. 1790, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2021.
  • William J. Ashworth, Customs and Excise: Trade, Production and the English Customs and Excise, 1640-1845, Oxford University Press, 2003.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Aides » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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