Droits levés sur divers produits de consommation, en
premier lieu sur les boissons (vins, bières, cidres,
liqueurs et eaux-de-vie) et les bestiaux… La diversité des régimes fiscaux
concernant ces droits était effrayante. Hérités des levées
pratiquées à partir du XIVe siècle pour les besoins de la
guerre, ces droits tenaient compte non seulement des
statuts particuliers des provinces, mais aussi des
multiples privilèges
urbains. Comme le rappela Jacques Necker à Louis XVI en 1781: « ce sont des droits purement locaux ». Les deux
ordonnances de
juin 1680 (une pour le ressort
de la Cour des aides
de Paris et l’autre pour celui de la Cour des aides de
Normandie) avaient réuni en un règlement complet les
dispositions sur le fait des aides, tandis que les
Fermiers généraux prenaient à bail la plupart de ces
droits. L’idée générale consistait à affirmer que les
franchises obtenues anciennement en matière d’« aides »
(au sens générique du terme, c’est-à-dire « don »,
soutien) par les corps et communautés ne pouvaient
s’entendre pour les droits des fermes qui étaient « droit
de commerce ». S’engagea donc une lutte entre les corps
privilégiés, comme les Suisses, certaines villes, certaines communautés… et le
Conseil d’Etat pour imposer cette doctrine. Par ailleurs,
la fiscalisation du commerce était censée soulager celle
de l’agriculture. Toutefois, ni le roi ni la compagnie ne
vinrent à bout de la bigarrure juridique des aides. Avec
le développement des échanges marchands, la complexité des
taxes finit par être dénoncée comme abusive. « A l’entrée
de Paris, dit Darigrand,
une pièce de vin [paie] trente-deux ou trente-trois droits
différents, les quittances qu’on en délivre en portent la
prevue » (1763). Les droits
sur les boissons se levaient par exemple à “l’entrée”, à
“la vente”, aux “inventaires”, à “l’arrivée”, aux
“passages”, à la “sortie”. Outre les droits de gros, les boissons vendues
au détail étaient soumises à la levée de huitième, de quatrième, des “cinq sous à l’entrée”, des
“anciens et nouveaux cinq sous
à la sortie”, mais aussi aux droits de subvention… Le défaut
d’uniformité entre provinces était tout aussi édifiant que
celui qui sévissait à propos des gabelles. Jean-Louis
Moreau de Beaumont le souligna dans son Mémoire sur les
aides: « Définitivement, une partie du royaume supporte
des charges auxquelles l’autre partie n’est point
assujettie, ou du moins ne l’est pas dans la proportion de
l’égalité que le Prince doit maintenir entre tous ses
sujets » (1769). Quatorze
généralités sur 32 étaient particulièrement taxées : les
quatre généralités qui formaient les pays de gros (Paris, Châlons, Amiens
et Soissons), c’est à dire les provinces où pesait sur les
boissons un droit d’un vingtième à la vente en gros, mais
aussi divers droits de détail; les généralités (Paris,
Châlons, Soissons, Lyon, Bourges, Orléans, Moulins, Tours,
Poitiers, La Rochelle, mais aussi les élections de
Mâcon et Auxerre et une partie de la
généralité
d’Amiens) qui formaient les pays de huitième dans lesquels le
gros n’existait pas, mais où les boissons supportaient un
huitième à la vente au détail ; et les généralités (Rouen,
Caen et Alençon, l’élection de
Bar-sur-Seine, une partie de la généralité
d’Amiens) dites pays de quatrième (avec, là
encore, moult exceptions, la ville de Rouen
étant par exemple soumise au droit de gros et
subvention). Ces
généralités incluses dans le ressort des deux Cours des
aides de Paris et de Rouen formaient ainsi les « pays
d’aides » et supportaient l’essentiel des droits.
Comparativement, les dix-huit autres généralités se
trouvaient privilégiées, même si des systèmes de
compensation existaient, soit que les Etats provinciaux levaient
eux-mêmes des taxes équivalentes (comme les devoirs
en Bretagne ou l’Equivalent en Languedoc), soit que les boissons qui sortaient de
ces pays étaient taxées à l’entrée des pays
d’aides. Précisons enfin que les droits annuels, les droits rétablis à partir de
1722, les droits des
hôpitaux (1724), les droits
réservés (1758) et divers
autres droits concernaient bien tout le royaume, mais ils
étaient le plus souvent abonnés, c’est-à-dire que les
provinces situées hors du ressort des Cours des aides
pouvaient ne payer qu’une somme forfaitaire pour s’en
acquitter. Le maillage administratif des 152 bureaux
d’aides repérés dans le Dictionnaire d’Expilly (1762-1770) ne concernait donc qu’un petit noyau central qui
ne couvrait pas plus du tiers du royaume. Toutes les
provinces périphériques (Bretagne, Artois, Flandre, Hainaut, Alsace, Trois-Evêchés,
Lorraine, Franche-Comté) et une bonne moitié méridionale (Guyenne, Gascogne, Béarn, Auvergne, Languedoc, Provence, Roussillon, Dauphiné, et même la Bourgogne) bénéficiaient de régimes spéciaux. Certes,
d’autres taxes permanentes moins directement portées sur
la consommation ont été associées aux droits d’aides comme
les droits de marque des fers, marque d’or et d’argent,
droits sur les cartes, sur
l’amidon, sur les cuirs, papiers et cartons ou encore sur le
papier timbré, qui
portaient sur l’ensemble du royaume, mais ces taxes
étaient de plus faible rapport.
Les aides constituaient
globalement une recette importante. Le prix du bail
Rouvelin passé le 25 septembre 1663 s’élevait à 13, 72 millions de livres pour une
année. Colbert en augmenta
le produit global, mais reconnut en 1681 que la multiplicité des droits en
rendait la perception malaisée. Le bail Ferreau (1703-1708) fixa le prix des droits d’aides et entrées
ensemble à près de 15 millions et le bail Carlier (1726-1732) à 32 millions. Entre ces deux dernières dates,
de nouveaux droits s’étaient adjoints : ceux de courtiers-jaugeurs, d’inspecteurs aux boissons et aux boucheries, et les
quatre sols pour livre d’augmentation. En outre, les prix
des marchandises elles-mêmes avaient progressé et la
gestion de la Ferme s’était améliorée. Le 2 janvier 1781, Germain Jean-de-Dieu
Baron, caissier de la Régie générale, certifia une recette de 42
millions. A cette époque, Necker avait détaché la gestion des aides de la Ferme
générale pour la confier à une régie. Créée en 1777, cette Régie générale fit
l’admiration de ces contemporains pour la rigueur de son
administration et de sa comptabilité. L’historien dispose de données
comptables plus sûres pour les dernières années de
l’Ancien régime. Voici la recette annuelle de la Régie Henri Clavel par Direction des aides du centre de la France pour l’année 1784 (ou 1785 pour certaines directions). Proportionnée à la population, cette recette variait néanmoins selon l’importance des droits de marque de fer ou de marque d’or et d’argent, mais aussi selon l’importance de l’industrie du cuir, de l’amidon, du papier. Sur l’ensemble des droits étaient levés des sols pour livre.
Produit net des droits levés par la Régie générale en 1784 ou en 1785 par Direction
A une échelle plus fine on mesure d'autres variations. A titre d’exemple, en 1788, lors de la deuxième année du bail Jean-François Kalandrin,
la Direction de Roanne
rapporta 176 776 livres tandis que la Direction de
Lyon voisine fit recette de 2 098 844
livres, soit au-delà de 10 fois plus. Au sein de la
Direction de
Lyon, le département
de Lyon lui-même rapportait l’essentiel
(1 907 434 livres) comparativement aux départements
de Vaise (36 757 livres), Saint-Genis
(52 719 livres), Saint-Symphorien (23 440 livres), Anse
(33 099 livres), Tarare (26 166 livres) et L’Arbresle
(19 229 livres). Plusieurs droits assimilés aux aides ne
se prélevaient qu’à Lyon comme les droits de marque d’or et d’argent, les papiers
et cartons, les cartes à jouer, et surtout les droits sur
les soies et sols pour livre qui rapportaient en tout dans
ce département 222 400 livres:
Recette des droits d’aides au sein de la Direction de Lyon (1788), en livre tournois
La complexité des droits d’aides donnait
lieu à toutes sortes de malentendus, vexations et fraudes. Les commis aux aides avaient
fort à faire. Ils visitaient naturellement les caves,
magasins ou pressoirs, les cabarets, hôtelleries, tavernes, mais aussi
les particuliers soumis aux droits annuels. Le
contrôle des droits dits de cinq sous, tant anciens que nouveaux,
nécessita par exemple d’établir les états des
limites des lieues sujets, qui provoquèrent de
nombreuses contestations. D’aucuns parmi
les administrateurs pensaient que les accusations contre
les Fermiers généraux n’étaient que « préjugé de vexation
et d’injustice qui naissait de la confusion apparente des
droits » ; tel fut le cas de Jean-Louis Lefebvre de
Bellande qui dédia pourtant son Traité général des droits
d’aides à Lamoignon de Malesherbes (1760). Employé dans les Fermes générales jusqu’à sa mort en
1762, Lefebvre reconnut
« les difficultés que produisait le défaut d’uniformité »
mais jugea qu’il était vain de vouloir simplifier ces
droits qui, par leur diversité, retombaient sur un plus
grand nombre de contribuables. A la frontière des
provinces de huitième et quatrième, comme en
Picardie, généralité partagée entre différents
régimes, la fraude était permanente. Le 29
décembre 1763 par exemple,
quatre commis aux exercices aux départements
de Poix et de Grandvilliers, veillant au
versement des eaux-de-vie du Beauvaisis, ont vu venir à
eux deux particuliers à cheval, chargés de paniers et
besaces. Les deux hommes déclarèrent que ces paniers
contenaient des harengs, Vérification faite, ils
contenaient quatre barils de différentes jauges remplies
d’eau-de-vie loyale et marchande. N’ayant pas de congé à présenter pour cette
marchandise, les deux hommes déclarèrent avoir acheté
leurs eaux-de-vie chez le dénommé Dupuis à Feuquière en
Beauvaisis dans le dessein de le transporter à Hornois en
Picardie, ce qui les définissait comme
fraudeurs du droit de quatrième. Les chevaux et les barils
furent saisis. Les deux hommes refusèrent de décliner
leurs noms, et de signer le procès-verbal, déclarant
qu’ils « [sont] de pauvres gens ayant le malheur d’être
surpris en fraude ». Les commis procédèrent aux prises de
corps mais l’un d’eux s’échappa….
D’autres procès-verbaux attestent du caractère
récurrent de cette fraude picarde.
Mais la fraude aux droits d’aides sévissait partout. Voici le nombre de procès-verbaux enregistrés au
greffe pour l’élection
d’Amiens et, à titre de comparaison, pour
l’élection de
Villefranche entre
1763 et 1790
:
On observe un pic de fraude en Picardie entre 1768 et
1773 qui n’apparaît pas
en Beaujolais. En revanche, les deux courbes
deviennent similaires à partir de
1779
avec sans doute un renforcement des contrôles lors
des baux Clavel et Kalandrin. A cette
époque, les fraudeurs, enhardis par l’esprit
patriotique qui soufflait sur les villes, jugeaient
leurs actes légitimes au regard des vexations abusives du
fisc et des conditions économiques difficiles. Ils
recouraient à une rhétorique succincte mais
compréhensible dans l’ordre de l’économie morale :
« chacun fait son métier et se procure la
subsistance comme il peut » déclarèrent deux d’entre
eux surpris par les commis des aides dans l’élection
d’Amiens (24 décembre 1768).