Marie-Laure Legay
Archives départementales du Doubs, 1C 1358.
Empreintes des nouveaux cachets de la régie des cartes à jouer
Le nouveau règlement de 1751
restreignit drastiquement les conditions de
fabrication des cartes. L’exercice de la
profession de cartier fut limité à certaines villes du
royaume, en dehors desquelles la fabrication fut
interdite. Par exemple dans la généralité de
Lyon, seules les villes de Lyon et Montbrison purent accueillir des
fabricants. Aucun cartier ne fut admis dans les
généralités de Moulins, de Soissons et dans le Roussillon. Dans les 63 villes autorisées, les fabricants
devaient se fournir en papier auprès des régisseurs et
payer, en sus du prix marchand, un droit d’un denier par
carte sur ledit papier (au lieu de 18 deniers par jeu
précédemment). C’était là la grande nouveauté qui facilita
la levée dès lors que la régie se dota du monopole du
papier-cartier. Précisons toutefois que les droits étaient
le plus souvent réclamés après la fabrication des cartes :
« On laisse toujours à l’artisan le temps de recueillir
les fruits de son travail », note-on dans un mémoire de
1781 sur la régie des
cartes. Ce principe était appliqué à la plupart des droits
imposés sur la fabrication, y compris les salines. Les
fabricants de cartes devaient en outre faire
homologuer leurs moules à imprimer, déclarer les
noms de leurs compagnons et apprentis, recevoir chez
eux au moment de l’assortiment des cartes les commis
de la régie chargés de coller la bande de contrôle
sur l’enveloppe, obtenir la permission écrite de
vendre leurs cartes …
Sur ce dernier point, le législateur eut également du
mal à établir l’attribution du contentieux fiscal. Dans la mesure où l’Ecole
royale militaire était administrée par le Secrétaire
d’Etat à la guerre, le contentieux fut attribué aux intendants et, en
appel, au Conseil. On relève dans les archives de l’Isère
94 ordonnances de l’intendant sur les procès-verbaux de saisies des cartes entre
juillet 1752 et décembre 1776, soit 4 par an. Par
ailleurs, la modicité des droits incitait à prévoir une
justice sommaire pour éviter aux contribuables les frais
plus élevés de la justice ordinaire. Au demeurant, la
plupart des intendants se montraient cléments vis-à-vis
des contrevenants aux droits, ce qui provoqua l’agacement
du ministre Choiseul : « j’ai remarqué avec peine que dans
la plupart des intendances, ces affaires restoient fort
longtemps indécises, qu’on se formait une jurisprudence
particulière dans chacune faute de s’assujettir
littéralement à ce que prescrivent les règlements rendus
sur la perception de ce droit». Toutefois, les cours
souveraines dénoncèrent cette attribution.
Le parlement de Paris réclama pour lui la
connaissance des litiges; le parlement de Rouen fit
valoir en 1770 non
seulement que les commis de la régie ne pouvait
faire de visite sans
un juge, mais que la connaissance des contestations
appartenait aux officiers de police. Cette
provocation flagrante contre les dispositions royales fit
réagir le gouvernement qui, par arrêt du 21 avril 1770, rappela à l’ordre la
cour normande et précisa de nouveau que les intendants
disposaient pleinement du contentieux sur les cartes.
La
principale disposition du règlement de
1751, outre la restriction des
établissements, était d’imposer le papier de la régie aux
fabricants. Une rame permettait la fabrication de 240
jeux de cartes. Toutefois, le prix du papier lui-même
augmenta ; en 1769, la régie
dut répercuter ce coût sur le prix marchand demandé aux
cartiers. Ces derniers tentaient
d’obtenir la réduction de droits sur une partie du
papier employé. L’intendant de Pau entendit la
requête des artisans de sa ville sur ce point mais fut
débout par un arrêt de 1776. A
cette époque, les commis de la régie luttaient contre les
recoupes et réassortiments frauduleux, mais leurs soupçons
se portèrent de plus en plus sur la présence de papier non
homologué chez les cartiers. C’est ainsi que la
veuve Le Couturier fut saisie à Caen en juillet
1779 de 240 jeux de
piquet, 260 cartons de points peints, 848 cartons de
points peints et non peints, d’une boîte pleine de
cartes coupées, et de toute une armoire contenant
également des cartes : les commis
soupçonnaient une fraude sur le papier-cartier sur lequel
ils ne reconnaissaient pas le filigrane du régisseur.
Cette affaire fit grand bruit. Elle représentait un cas
avéré de vexation car non
seulement les commis ne respectèrent pas les formes
demandées par le législateur pour l’assignation de la
veuve devant le juge compétent, mais ils agirent sous
l’ordre d’un directeur
véreux dénommé Ménager. La régie ne sut affirmer
clairement la vérité des faits. « Ce n’est point une
indignité passagère qui vous est dénoncée, c’est une
oppression continuée pendant quatre année entières, c’est
un enchaînement de vexations de toute espèce ; c’est enfin
le vœu de la haine du plus odieux acharnement exécuté par
la ruine de six victimes ». Les conseillers du
parlement de Rouen consultés sur l’affaire jugèrent
qu’en effet, la veuve et ses enfants étaient dans le
cas d’être indemnisés pour les abus commis par la
régie des cartes, dans la mesure où le soupçon de
fraude seul ne pouvait fonder un tel acharnement. Etablir l’objet saisi comme frauduleux était
cependant difficile à établir dans le cas des cartes à
jouer.
La régie devait également lutter contre la fabrique
de fausses cartes depuis l’étranger. Vis-à-vis du Comtat-Venaissin, une convention fut signée en août 1758 : moyennant le prix annuel
de 5 000 livres versées dans la caisse apostologique, la
Ferme générale des droits sur les cartes du Comtat fut
confiée à l’Ecole royale militaire. La convention fut
renouvellée en faveur de la régie générale à partir de 1780. Du côté des Pays-Bas autrichiens, la ville de Tournai s’était fait une
spécialité des imitations des cartiers lillois ou d’autres
lieux de Flandre
française et de l’Artois.
L’importance de ces pratiques décida les régisseurs à
faire imprimer en 1770 un
mémoire d’avertissement et à le diffuser dans toutes les
provinces frontières.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Cartes (droits sur) » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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