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Angleterre

Marie-Laure Legay





Les relations commerciales entre la France et l’Angleterre ont été très largement étudiées. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, elles étaient basées sur des régimes protectionnistes sur fonds d’hostilité politique. Les deux royaumes se sont engagés dans une guerre d’argent particulièrement rude. Les lois prohibitives qui en découlèrent favorisèrent le développement de la contrebande à grande échelle. François Crouzet en a tracé les principaux trafics tant de la France vers l’Angleterre que de l’Angleterre vers la France. La Ferme générale demeura impuissante à contenir cette économie souterraine. Comme dans le cas de la contrebande d’indiennes et de tabacs organisées depuis la Suisse ou la Savoie, les trafics illégaux qui traversaient les provinces septentrionales et animaient la façade maritime depuis Dunkerque jusqu’à Bordeaux corrompaient les gardes côtes et les commis de la Ferme générale.

Les deux gouvernements furent constants dans leur législation protectionniste (prohibition ou droits de douane exorbitants), hormis une brève période plus détendue à la fin de la guerre de Succession d’Espagne (1713). Côté anglais, le Parlement de Londres instaura des barrières contre la production française en 1678, interdictions renouvelées en 1689 et 1705. Côté français, Colbert imposa des droits prohibitifs contre les draps anglais dès 1664. Le régime douanier se stabilisa en 1701 (arrêt du 6 septembre) en prohibant une grande partie de la fabrication anglaise. La liste établie à cette époque évolua sensiblement, mais la loi resta très contraignante vis-à-vis de l’importation des produits textiles, des produits métalliques ou stratégiques, des articles de mode, des produits concurrençant directement la production française. Voici, par ordre alphabétique, les marchandises qui furent concernées par la prohibition totale (AN, G1 79, dossier 22) : les bas (1701), la bière en futailles (excepté en bouteilles) : arrêt du 11 juillet 1737, les boutons de soie, crin et autres matières (1701), les boutons appelés pinsbeek (décision du 25 janvier 1740), le brai ou goudron végétal des colonies anglaises (décision du 22 mars 1719 et arrêts du 3 avril et 26 juillet 1723), le chanvre de toutes espèces (décision du 7 avril 1753), les chapeaux de quelques natures et qualités qu’ils fussent (arrêt du 6 septembre 1701) ; le cidre (ordonnance du 11 juillet 1737), les cornes claires (décision du 19 mai 1764) ; les coutelleries de toutes sortes (1701), les couvertures de laine (1701), les drogueries et épiceries (1701), l’étain ouvré ou laminé (arrêt du 6 septembre 1701, 20 mai 1738 et décision du 12 janvier 1739 portant que cette prohibition ne concerne que l’Angleterre), les étoffes (1701), les faïences et poteries (décision du 16 août 1740, arrêt du 12 mars 1743 et confirmation du 14 mars 1770), les gants (1701), les habits vieux et neufs (décision du 17 décembre 1716), le linge de table ouvré et non ouvré (arrêt du 8 janvier 1754 et circulaire de la compagnie du 7 février suivant), les merceries de toutes sortes (1701), le plomb ouvré ou laminé (arrêt du 6 septembre 1701, 20 mai 1738 et 15 février 1758), la quincaillerie de toutes sortes (1701), les rubans de soie, de laine et fil (1701), les serrureries (1701) ou encore les vins et liqueurs (1701). Pour certaines productions stratégiques comme l’étain non ouvré ou l’acier dont les manufactures françaises avaient besoin, la législation varia. Encore en 1785, la décision du 5 janvier fixa les marchandises de fer ou d’acier permises et les droits qu’elles devaient porter. Le régime prohibitif pouvait concerner également les produits qui étaient entièrement à l’imitation des marchandises anglaises comme la faïence de la manufacture de Bruges prohibée le 7 mars 1770. Inversement, pour contourner la loi, les Anglais faisaient passer leurs marchandises pour hollandaises, comme les cuirs. Dans le cas des harengs saurés et morues séchées par exemple, le trafic était si important qu’il fallut systématiquement convertir les arrivages hollandais comme pêche anglaise taxée très lourdement (1746). Le régime douanier de 1701 interdisait enfin à tout navire anglais d’entrer dans un port français avec des cargaisons qui n’étaient pas du cru de l’Angleterre. En 1772 par exemple, le Conseil de la Ferme fit un rappel à l’ordre au directeur de la Ferme à Amiens concernant l’entrée de blés du Levant et de Barbarie sur des vaisseaux anglais.

Etant donné un tel régime douanier, la contrebande qui s’ensuivit fut massive. Dès le début du XVIIIe siècle, des produits manufacturés anglais passaient en France en fraude des droits de la Ferme générale. Les commis saisirent en février 1702 quatre ballots de bas de laine prohibés et trente ballots de peaux de veau aux portes de Grézac en Saintonge. Les marchandises de contrebande passaient notamment par les Provinces-Unies et les Pays-Bas, et de là dans les provinces françaises « réputés étrangères ». Les marchands de Lorraine introduisaient des draps de laine par les Trois-Evêchés, ou bien les contrebandiers faisaient passer lainages et cotonnades par Ostende, puis dans les Flandre et le Hainaut par Bruxelles ou Tournai. Dunkerque, port franc de la Manche, devint le théâtre d’une activité semi-souterraine notoire. Toute la côte normande fut également animée par ces trafics. Ces derniers s’intensifièrent sous l’effet de l’évolution des goûts. Le tabac de la baie de Chesapeake introduit en fraude par mer ou par terre représentait quasiment 20 % de la consommation française d’après Jacob M. Price. Au total, la contrebande des produits anglais aurait représenté un marché de 16 millions de livres tournois juste avant le traité commercial de 1786.

Dans le sens France-Angleterre, la contrebande des produits coloniaux devint également massive. Le thé alimenta un trafic illégal particulièrement intense entre 1768 (taxe britannique fixée à 64 % de sa valeur), 1780 (106 %) et 1784, date du Commutation Act qui ramena les droits à 12, 5 %. Cette contrebande était encouragée par les autorités. Pour la faciliter, on accorda à la compagnie des Indes un droit d’entrepôt pour une partie des thés prévus pour cette destination, sous couvert d’être destinés au royaume. Les thés destinés au royaume étaient en effet initialement entreposés à Boulogne, Calais, Morlaix et Saint-Malo, mais le droit d’entrepôt fut étendu à Dieppe, Grandville, Cherbourg, Le Havre, Fécamp et Saint-Valéry sur Somme, ces ports s’étant dit pareillement « à portée de faire le commerce de contrebande en Angleterre ». Dans ces entrepôts, on tenait un compte de tous les thés qui paraissaient être sortis et l’on demandait aux négociants les droits sur la base du compte. Pour une plus grande fluidité comptable, la compagnie des Indes proposa à la Ferme générale une sorte d’abonnement à ces droits. Des relevés furent donc effectués sur les six années du bail Bocquillon et les six années du bail Henriet pour connaître le rapport des droits sur les thés, à partir des registres des bureaux de la compagnie des Indes de Lorient et de Nantes : Droits perçus année commune du bail Bocquillon en temps de paix : 50 555 livres ; droits restitués pour les thés sortis pour l’Angleterre : 23 212 livres ; produit net pour la Ferme générale : 27 343 livres ; Pour le bail Henriet (temps de guerre) : année commune : 4613 livres, pour les restitutions : 5 326 livres, soit une restitution supérieure au produit de 713 livres. L’abonnement fut convenu le 30 septembre 1766 entre le duc de Duras et les membres de la compagnie des Indes d’une part, et les fermiers généraux Etienne Gigault de Crisenoy, Roslin, Jacques Roussel d’Erigny, Charles Mazières, Jean-Baptiste Fournier, Ganthier, Faventiner : 30 000 livres par an pour les deux dernières années du bail Prévost, puis 15 000 livres par an pour le bail suivant. Moyennant quoi, les thés provenant de la Compagnie des Indes tirés de l’étranger pour garnir les ventes d’Angleterre restèrent sujets aux droits de 10 sous par livre (arrêt du 6 aout 1726) à l’arrivée, comme les thés qui venaient sans passer par la Compagnie. Ce principe de l’abonnement fut également utilisé pour le café.

Outre le thé, les contrebandiers de l’Essex, du Kent ou du Sussex venaient chercher le café, les étoffes de Rouen ou de Lyon, les batistes de Saint-Quentin ou Cambrai, les eaux-de-vie, mais aussi les tabacs de réexportation… Bayonne, Bordeaux, Lorient, les îles anglo-normandes, toute la côte bretonne, normande, picarde et flamande recevaient les trafiquants anglais. D’après les commissionnaires des douanes au Parlement de Londres, cette activité tripla entre 1780 et 1783. Elle aurait représenté en valeur à cette date 50 à 70 millions de livres tournois. Elle était encouragée par les autorités françaises, notamment, à Dunkerque par les principaux représentants à la Chambre de commerce, négociants volontaires pour alimenter le trafic des smoogleurs. Les actions de la Ferme générale pour juguler ce commerce demeurèrent de faible portée. A Dieppe, les employés constatèrent par exemple une fraude sur les marchandises déclarées pour Portsmouth lors de leur visite du 21 avril 1752 sur le navire anglais La Paix appartenant à Samuel Moore. Ils procédèrent à la saisie du navire et à la confiscation des marchandises restantes. Les commis de la Ferme étaient intéressés au partage du produit des saisies. Il n’est pas sûr toutefois que cet intéressement fût à la hauteur des espoirs de gain par la corruption.

Le traité d’Eden-Rayneval (septembre 1786) fut précédé d’un durcissement des relations commerciales entre la France et l’Angleterre. Durant la guerre d’Indépendance d’Amérique (1778-1783), la contrebande atteignit un point culminant. L’arrêt du 17 juillet 1785 confirma toutes les prohibitions générales prononcées par les ordonnances et règlements rendus depuis 1687. L’article 2 de cet arrêt prohiba les marchandises anglaises autres que celles annexées qui pouvaient entrer en payant les droits fixés par l’arrêt du 6 septembre 1701 et suivants. Etaient autorisés à entrer légalement : chevaux, laines, cuirs verts, peaux de bœuf, peaux de veau, poils de vache, suifs de toute espèce, cire jaune, cire blanche, charbon de terre, chairs salées, bière en bouteille seulement, colle dite d’Angleterre, corne ronde ou plate, dents d’éléphant, couperose, drogues servant à la teinture, instruments et outils propres aux arts, meules à taillandier, étain non ouvré, bois de construction, bois feuillards, bois merrains, futailles (les bois venant d’Angleterre ou des colonies anglaises). Une décision du 28 avril 1786 défendit à tous les employés de la Ferme générale de transiger sur les saisies de prohibé. Les propositions d’accommodement devaient être transmises au directeur et le directeur en donnait connaissance à la compagnie.

Les marchandises du cru ou de la fabrique d’Angleterre autorisées à entrer furent admises dans tous les ports et tous les bureaux de la Ferme générale par le traité du 26 septembre 1786. L’article 7 du traité portait que les marchandises anglaises qui n’y étaient pas énoncées devaient être soumises à leur entrée dans le royaume aux mêmes droits qu’acquittaient celles apportées par les autres nations européennes. La Ferme générale diffusa ses instructions pour faire face aux nouvelles conditions. Dans la ville de Dunkerque, les marchandises devaient être accompagnées d’un certificat d’origine ou d’un acquit de la douane anglaise ; sur cet acquit, la chambre de commerce délivrait un certificat visé par l’intendant ou son subdélégué, lequel le remettait au bureau des traites établi dans la basse-ville, hors de la franchise, pour servir à l’entrée dans le royaume (arrêt du 15 juin 1787). Il fallut également prévoir un surcroît d‘employés et les matrices nécessaires pour apposer les plombs non seulement à Dunkerque, mais aussi à Saint-Valéry-sur-Somme, Lorient, Bayonne, Marseille et Toulon. Les marchandises ne devaient pas être retardées par les formalités d’entrée plus de quinze jours. Le traité de libre-échange Eden-Rayneval (1786) semble voir davantage profité à l’Angleterre qu’à la France. Les importations de produits manufacturés anglais vers le continent augmentèrent sensiblement en valeur : 16 millions de livres en 1784, 64 millions en 1788.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Somme, 1C 2927, correspondance du directeur des Fermes, copie de la lettre reçue de la compagnie 18 septembre 1772.
  • AN, G1 79, dossier 21 : « état des marchandises dont l’entrée est fixée par certains bureaux », « état des marchandises d’Angleterre dont l’entrée est défendue dans le royaume  dossiers 22 et 23.
  • AN, G1 80, dossier 10, Mémoire sur les thés.
  • AN, G7 1147 : procès-verbal de saisie, 6 février 1702.

    Sources imprimées:
  • Arrêt du Conseil du roi, 6 septembre 1701.
  • Arrêt du Conseil d’Etat du roi portant réduction des droits d'entrée sur le charbon de terre venant des états de la Grande-Bretagne, 25 août 1716.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui défend itérativement l'entrée dans le royaume des cuirs de la fabrique de la Grande-Bretagne fixe les ports par où les cuirs d'autres fabriques étrangères pourront entrer en Normandie et Picardie, 26 mars 1718.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne qu'il sera perçu 30 sols sur chaque barril de charbon de terre venant d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande et entrant par Saint-Vallery, Dunkerque, Boulogne, Calais et autres entrées de la Picardie et de la Flandre, 6 juin 1741.
  • Arrêt du Conseil d’Etat concernant l'entrée des harengs saurés et morues sèches venant de Hollande, 10 septembre 1746.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui casse une sentence de l'amirauté de Dieppe du 5 juillet précédent, pour avoir fait mainlevée du navire de Londres La Paix, saisi par les employés des fermes à Dieppe, sur le capitaine Moore, Anglais et confisque ledit navire, 8 août 1752.
  • « Projet de traité de commerce entre la France et l’Angleterre, avec quelques notes de Colbert, daté de 1669 », dans Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiées par Pierre Clément, t. 2, IIe partie. Industrie, commerce, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 803-814.
  • Louis-Joseph Plumard de Dangeul, Remarques sur les avantages et les désavantages de la France et de la Grande Bretagne par rapport au commerce et autres sources de la puissance des États. Traduction de l’anglois du chevalier John Nickolls. Seconde édition, Leyde, 1754.
  • Charles Whitworth, Commerce de la Grande-Bretagne et tableaux de ses importations et exportations progressives depuis l'année 1697 jusqu'à la fin de l'année 1773, Paris, Imprimerie royale, 1777.
  • Traité de navigation et de commerce entre la France et la Grande-Bretagne, Versailles, le 26 septembre 1786.
  • Jacques-Philibert Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, vol. 1, article « contrebande », Paris, 1784, p. 364-369.
  • Pierre-Samuel Dupont de Nemours, Lettre à la chambre du commerce de Normandie, sur le mémoire qu'elle a publié relativement au traité de commerce avec l’Angleterre, Paris, chez Moutard, 12 février 1788.


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Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Angleterre » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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