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Alsace

Marie-Laure Legay





Pour comprendre la fiscalité indirecte en Alsace, il est nécessaire de distinguer les terres « d’ancienne domination », c’est-à-dire les territoires qui appartenaient à la Maison d’Autriche, et les terres de la « nouvelle domination », c’est-à-dire les territoires qui étaient restés « immédiats d’Empire » jusqu’aux Réunions et à la capitulation de Strasbourg (1681).

La Haute-Alsace, située dans la dépendance des diocèses de Bâle et Besançon, fut rattachée à la Couronne en 1648 par le traité de Münster. Les droits sur le sel, les vins (le maspfenning) ainsi que les traites domaniales ou péages levés jusque-là par la Maison d’Autriche entrèrent dans le Domaine du roi de France et furent confiés à une régie directe sous l’inspection de l’intendant d’abord, puis à la Ferme des Domaines et Gabelles d’Alsace, intégrée au bail de la Ferme générale en 1726. Les marchandises en transit vers l’étranger payaient un simple droit de huit sous par quintal, encore le fermier avait-il défense de plomber les marchandises et de demander une quelconque déclaration. D’après le bail Carlier de 1726 à qui fut cédé la ferme d’Alsace, celle-ci comprenait également « le droit de protection des Juifs ».

Cette ferme des Domaines et Gabelles d’Alsace comprenait une direction générale établie à Strasbourg et quatre départements, dirigé chacun par un receveur général, à Belfort, Altkirch, Ammerschwihr et Haguenau. Ces receveurs faisaient donc la recette des péages dans les bourgs et villages des bords du Rhin, aux frontières du canton de Bâle et de Soleure, en Suisse et aux environs de Mulhouse, la recette de l’impôt sur le vin, celle de la taxe sur les Juifs. Ils dirigeaient également les greniers à sel et le distribuaient en gros, par tonneaux de 6 quintaux chacun, à raison de 10 livres 16 sols et 8 deniers – monnaie de France – par quintal, aux communautés. Cette structure administrative fut reprise par la Ferme générale à partir de 1726. La compagnie française ajouta une direction à Thann. Au milieu du XVIIIe siècle, on comptait donc cinq départements composés en tout de 123 bureaux de la Ferme générale.

Vis-à-vis de la France, la province demeura séparée des Cinq grosses fermes par la Lorraine, dont l’annexion ne fut définitivement achevée qu’en 1766. La distinction entre territoires d’ancienne et de nouvelle domination demeura, mais la Basse-Alsace fut davantage privilégiée. Dans ces territoires, la capitulation de 1681 et les arrêts des 13 juin 1682 et 20 février 1683 avaient confirmé la liberté et jouissance du commerce, de la Douane et du pont du Rhin. Ce privilège fut mis en cause provisoirement par le Contrôleur général des finances Pontchartrain pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), mais la Ferme générale ne put maintenir ses bureaux de traites vis-à-vis de l’étranger.

Avec l’intensification des échanges, les marchands alsaciens en vinrent à considérer les avantages du rattachement à la France pour lutter contre la concurrence des produits de fabrication étrangère, notamment les tabacs, les cuirs, les verres, les armes à feu. In fine, le statut de province à l’instar de l’étranger effectif perdit une partie de son fondement : si l’Alsace conserva la liberté de commerce avec l’étranger, la protection de ses manufactures par des lignes de démarcation et de bureaux arrima cette province au royaume de France.

Pour la vente du sel, on comptait dans la province sept magasins (Belfort, Altkirch, Thann, Ammerschwihr, Colmar, Strasbourg et Haguenau). Chaque magasin, hormis Strasbourg et Colmar qui n’avaient pas de dépendance, fournissait le sel aux entrepreneurs ou regrattiers des bailliages dépendants, lesquels se chargeaient de la distribution. Assimilée aux pays de salines, l’Alsace se fournissait en réalité auprès des provinces voisines, Lorraine et Franche-Comté.

L’Alsace était un pays producteur de tabac. Les cultivateurs exportaient leurs productions en Lorraine, en Suisse et en Allemagne. Vers 1697, les manufactures de Strasbourg occupaient environ 1 500 ouvriers.  Vis-à-vis de la France, les tabacs payaient un droit d’entrée comme ceux de Flandre. A partir de 1674, on limita ces envois à 200 quintaux par an, mais les marchandises qui entraient dans le royaume n’étaient guère soumises qu’à une déclaration du poids transporté, et non de leurs qualités. Les commis de la Ferme générale affectés aux bureaux des entrées en Bourgogne ou en Champagne ne procédaient pas aux visites de voitures, de sorte que des entrepôts se formaient aisément au-delà des lignes de brigades et que les tabacs alsaciens se déversaient en abondance. La décision de 1736, en autorisant les commis à faire des visites, limita très relativement la contrebande.

L’instauration d’un droit de 30 sols par livre sur les tabacs étrangers (1749) protégea quelque peu les producteurs alsaciens. La rivière de la Moder servit de démarcation pour l’entrée des tabacs en Alsace, avec l’installation de bureaux pour lever les droits à Haguenau et Drusenheim, en sus du bureau de Strasbourg et Saint-Louis, près d’Huningue. Entre la Moder et la Queich, les habitants eurent le privilège de pouvoir faire venir des tabacs étrangers détaxés. La mise en œuvre d’une ligne de trois lieues limitrophes en 1774 (soit cinquante ans après celle établie en Franche-Comté) tenta quant à elle de préserver le monopole français des versements alsaciens. Dans cette zone, la culture fut interdite. Des marchands à la nomination de l’intendant étaient autorisés à vendre le tabac pour la consommation locale, à raison de 1 000 livres poids par marchand. Trois d’entre eux étaient établis à Belfort, deux à Giromagny, deux à Masevaux, deux à Saverne et un à Delle, Saint-Amarin, Soultzbach, Munster, Orbey, Sainte-Marie, Châtenois, Villé, Viche, Niederhaslach, Marmoutier, Neuviller et Rosteig. D’après les travaux d’Hidemi Uchida, on comptait en 1775 dans la province 334 employés de la Ferme générale chargés du contrôle ou de la police sur le tabac.

Si les cultivateurs de tabac tentaient de frauder le fisc, les verriers, quant à eux, avaient plutôt besoin du soutien de la Ferme générale pour se protéger contre la concurrence des produits étrangers. Ils sollicitèrent l’enregistrement de leurs certificats de fabrication par les bureaux pour éviter les contrefaçons de certificat auxquelles s’adonnaient les manufacturiers étrangers (1743). Les négociations entre la Ferme et les verriers concernaient également la modération des droits d’entrée prévus au tarif de 1664 : les verres d’Alsace n’atteignaient pas encore la qualité des verres en cristal de Bohême et se trouvaient donc pénalisés par des droits trop élevés, ce dont convint la Ferme générale en réduisant le tarif de moitié, soit 5 livres quinze sols du cent pesant à partir de 1747. Les bureaux d’entrée dans le royaume s’établirent à Renesve et Auxonne (direction de Dijon), à Fayl-Billot, Bourbonne et Tissol le Petit (direction de Langres), Longepierre (direction de Châlons sur la Saône), Cuiseaux (direction de Bourg-en-Bresse), Saint-Dizier, Sainte-Menehould et Vitry (direction de Châlons sur la Marne), Jussey, Vauvillers, Jonvelle, Luxeuil et Ronchamp (direction de Besançon). De la même façon que les verriers, les toiliers de chanvre et de lin obtinrent en 1752 que les toiles étrangères cessassent d’être assimilées à la production alsacienne. Celle-ci fut protégée à la frontière par l’activation des droits établis sur ces toiles le 22 mars 1692. L’arrimage manufacturier de l’Alsace à la France fut encore confirmé par la possibilité donnée aux fabricants de toiles peintes de vendre leur production dans le royaume en exemption des droits de traites (qui étaient établis à hauteur de 90 livres par quintal à l’entrée du royaume) comme « toiles nationales », dès lors qu’ils utilisaient les toiles blanches de coton de l’intérieur du royaume ou de la compagnie des Indes (1785-1786). Les Alsaciens étaient également producteurs de cuirs. La Régie générale tira de cette fabrication une recette globale de 135 000 livres (148 000 si l’on tient compte de la convention avec Mulhouse) en 1781. Les droits sur les vins (maspfenning) rapportaient à la même époque dans toute l’Alsace 74 733 livres, les droits sur les cartes près de 20 000 livres. Les autres droits royaux assimilés aux aides faisaient l’objet d’abonnements qui rapportaient en tout 351 222 livres (dont amidon : 20 000, papiers et cartons : 20 000), droits réservés : 163 000, sols pour livre des parties étrangères : 126 000 ; droits rétablis : 22 222).

Produits de la régie des aides par direction en Alsace (AN, G1 131, 1781)

   La ville de Strasbourg elle-même cherchait à bénéficier à la fois des avantages du commerce libre avec l’étranger et de la protection de ses manufactures vis-à-vis de la concurrence. Lorsque le gouvernement mit en œuvre les procédés déclaratifs sur le tabac étranger en 1749, les commis de la Ferme en profitèrent pour étendre leurs contrôles sur les autres marchandises le long du Rhin ; mais le préjudice porté au commerce strasbourgeois fut tel que l’arrêt du 9 juillet 1754 mit fin à ces déclarations et visites. La liberté de circulation fut encore renforcée par la suppression du droit de 30 sols sur le tabac entrant en 1774 : cette mesure mit fin à toute forme de contrôle et expulsa les employés de la douane. « Si l’on continua à laisser les commis de la régie faire les vérifications dans la douane, c’est qu’elles n’avaient pour but que la conservation de l’unique droit sur les cuirs encore nouveau et ne concernaient qu’une classe de gens peu au fait de leurs privilèges ». Les marchands de Strasbourg continuaient donc à jouir de la liberté de commercer avec l’étranger. Ils procédaient à des échanges, substitutions, versements de marchandises, soit dans la ville de Strasbourg soit sur les routes, en fraude des droits de la Ferme, ce qui engagea le Conseil d’Etat à adopter un règlement en date du 24 juin 1779, règle qui ordonna que toutes les marchandises entrant en Alsace à destination de la ville de Strasbourg, soit qu’elles viennent de l’étranger, soit de l’intérieur du royaume, devaient être ficelées et plombées, devaient être voiturées sans entrepôt sur la route et vérifiées au bureau de la Ferme où les employés donneraient la décharge des acquits à caution. Les mêmes formalités devaient être suivies au sortir de la province par les bureaux de la Haute ou Basse Alsace. Dans la ville même de Strasbourg, la liberté de commerce et de transit influait singulièrement sur les droits du roi : la levée d’aides, dès lors qu’elles n’étaient pas enregistrées par la ville, rencontraient également moult difficultés.

   L’Alsace n’était pas soumise aux droits de contrôle des actes. Ses notaires devaient néanmoins se soumettre à la nécessité de communiquer les minutes à partir de 1767, à la demande des commis de la Ferme générale qui luttaient contre la fraude des Lorrains. Quant au contentieux, le gouvernement dut confier à l’intendant les contestations liées à la fourniture du sel (arrêt de 1738), mais aussi les contestations des droits de la Ferme, en dehors de la ville de Strasbourg.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G2 25, Dossier 1, Etat de localité des ville et banlieue de Strasbourg.
  • AN, G154A, Dossier 14.
  • AN, G164, dossier 5 : Domaines et Gabelles d’Alsace : cautionnement des employés, 1780.
  • AN, G188, dossier 18, dossier 19, dossier 20.
  • AN, G191, dossier 20, « vente de sel, Strasbourg et Metz ».
  • AN, G1131: recettes de la régie des aides, 1781.
  • AN, G1 88, dossier 18, dossier 19, dossier 20.
  • AN, G1 91, dossier 20, « vente de sel, Strasbourg et Metz ».
  • AN, G1 131 : recettes de la régie des aides, 1781.

    Sources imprimées:
  • Arrest du Conseil d’Estat du roy, portant règlement pour empescher dans l’intérieur des provinces de la ferme, les versements de tabacs qui sortent de celle d’Alsace, 11 décembre 1736.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui renvoie pardevant les intendants d'Alsace et Metz les contestations qui surviendront, à l'occasion de la fourniture, vente et débits des sels, entre les traitants et l'adjudicataire des fermes générales, tant pour le civil que pour le criminel, 25 février 1738.
  • Arrêt du Conseil d’État du Roy qui prescrit les formalités à observer pour l'entrée des ouvrages de verrerie fabriquez en Alsace et Franche-Comté, empêcher la fraude qui se pratique sur ceux venant de l'étranger, du 31 décembre 1743.
  • Arrêt du Conseil d’État du Roy qui règle les droits d'entrée des 5 grosses fermes sur les ouvrages de verrerie fabriquez en Alsace et en Franche-Comté, et sur ceux venant de l'étranger, 17 décembre 1746.
  • Arrêt du Conseil d’État du Roy, qui indique les bureaux de Haguenau de Drusenheim, pour l'entrée des tabacs étrangers dans la province d'Alsace, au lieu de ceux de Landau, Benheim du Fort-Louis-Du-Rhin, établis par l'arrêt du 17 juin 1749, 20 janvier 1750.
  • Arrêt du Conseil d'État portant que les toiles de lin chanvre qui entreront par les bureaux établis sur les frontières des provinces d'Alsace ou des Trois-Evêchés, seront réputées de fabrique étrangère comme telles assujetties aux droits établis par arrêt du Conseil du 22 mars 1692, 22 février 1752.
  • Arrêt du Conseil d'État du Roi qui enjoint aux notaires, tabellions, greffiers autres personnes publiques, ayant droit d'instrumenter dans la province d'Alsace, de communiquer aux préposés du Fermier général, les minutes de leurs actes, registres répertoires, même d'en délivrer des extraits, en payant seulement six sous par chaque extrait, à l'exception des testamens ou donations à cause de mort, pendant la vie des testateurs ou donateurs à peine en cas de refus, de deux cents livres d'amende pour chaque contravention, 28 juillet 1767.
  • Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui fixe l'étendue des trois lieues d'Alsace, limitrophes aux Trois Evêchés, à la Lorraine, à la Franche-Comté et au Montbéliard, et le nombre des marchands auxquels il permet un approvisionnement de mille livres de tabac à la fois pour la consommation des Habitans de ces trois lieues, 9 novembre 1775.
  • Claude Dupin, Abrégé historique d’Alsace, vers 1726, publié dans E. Bavelaër, « État de l’Alsace par un financier », RA, 1858, p. 541-552.


    Bibliographie scientifique:
  • Georges Livet, « Maspfenning et Umgeld. Contribution à l’étude de la fiscalité du vin en Alsace sous l’Ancien régime», Annales de la Société d’ethnographie française, n° 1 La vigne et le vin, 1950, p. 81-94.
  • Georges Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, Paris, 1956.
  • Philippe Dollinger, Histoire de l’Alsace, Toulouse, Privat, 1970.
  • Hidemi Uchida, Le tabac en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècle. Essai sur l’histoire d’une économie régionale transfrontalière, Presses universitaires de Strasbourg, 1997.
  • Valérie Feuerstoss, « Nourrir, chauffer, éclairer les habitants de Strasbourg au XVIIIe siècle : les autorités et l’approvisionnement (1681-1788) », thèse sous la direction de Claude Muller, Université de Strasbourg, octobre 2015.
  • Georges-Frédéric Maillard, « L’intégration politique de l’Alsace de 1648 à 1870 », thèse d’histoire du droit, Université de Strasbourg, 2016.
  • Alain J. Lemaître, Odile Kammerer, L'Alsace au XVIIIe siècle. L'aigle et le lys, Editions Erich Schmidt Verlag, Berlin, 2022.
  • Dictionnaire historique des institutions de l'Alsace du Moyen Âge à 1815 En ligne.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Alsace » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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