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Lyon, Lyonnais

Marie-Laure Legay





La ville (150 000 habitants au XVIIIe siècle), ses faubourgs et son arrière-pays formaient le centre d’une intense activité commerciale et manufacturière. La Ferme générale y était solidement implantée avec une direction générale des fermes dont dépendaient le receveur général en charge des gabelles, des traites (Douane de Lyon), des droits sur les huiles et savons et des droits sur les soieries, mais aussi le receveur général des tabacs et le receveur des aides. Sels, tabacs, vins, soieries… généraient d’importants revenus. Le Consulat et le roi se partageaient les fruits de cette fiscalité sur les denrées et marchandises selon des conventions complexes. C’est également ensemble que les autorités locales (Consulat et Chambre de commerce en particulier) et royales (Intendant et Ferme générale notamment) luttaient contre la fraude et les bandes spécialisées dans le trafic international qui sévirent dans le Lyonnais dans les années 1750-1770.

La recette brute des gabelles s’établissait autour de quatre millions de livres, recette constatée dans le journal du receveur général des fermes à Lyon pour la première année du bail Henriet (1757), comme dans les comptes centraux pour une année commune du bail Laurent David (vers 1775). La régie des petites gabelles ne présentait aucun règlement qui obligeait les particuliers de s’approvisionner directement au grenier. Dans cet état de liberté, ils pouvaient se fournir au regrat pour pot et salières comme ailleurs en pays de petites gabelles. Toutefois, la distribution du sel se rapprochait dans le Lyonnais de celle du régime de grandes gabelles. Moreau de Beaumont rapporte une tentative d’établissement de registres sextés lors du bail Forceville (1738-1744). La mesure échoua mais les contribuables étaient tout de même assujettis à la présentation d’une feuille de gabelle justifiant leurs achats, ce qui ne se rencontrait pas dans les autres pays de petites gabelles comme le Languedoc, le Rouergue ou la haute Auvergne. De même, les regrattiers étaient commis dans le Lyonnais à l’instar de ceux des pays de grandes gabelles.

Feuille de gabelle, 15 mars 1710, grenier de Lyon (AD Rhône, 1C 260).

   Cette application des autorités royales à assimiler le régime des gabelles du Lyonnais au régime général remontait au temps de Jean-Baptiste Colbert. Par l’édit de mars 1667, ce dernier supprima la ferme du Lyonnais et ses 416 greniers et chambres à sel pour établir une distribution et un contrôle plus uniformes : 32 greniers seulement (Lyon, Neuville, Anse, Saint-Symphorien, Saint-Chamond, Sainte-Colombe, Condrieu, Charlieu, La Clayette, Saint-Etienne, Saint-Bonnet, Feurs, Cervières, Montbrison, Roanne, Belleville, Beaujeu, Villefranche, Thizy, Bourg-Argental, Annonay, Tournon, Saint-Agrève, Beauchastel, Vals, Mâcon, Cluny, Saint-Gengoux, Tournus, Trévoux, Chalamont, Thoissey) couvraient la distribution du Vivarais (séparé du Languedoc par la rivière de l’Eyrieu), du Forez, du Beaujolais, du Mâconnais et de Trévoux à l’Est. Cette intégration au bail général de la Ferme eut également des répercussions sur l’assignation des dépenses : les ordres pour orienter ces dernières se multipliaient. En 1757, on constate dans le journal du receveur général de la Ferme à Lyon que sur 4 millions de recettes, 3 695 347 livres furent dépensées localement (voitures de sel, franc-salé, charges et assignations diverses, comme par exemple l’ordre de l’intendant de régler les frais de plus de 53 000 livres pour le passage de Madame Infante, duchesse de Parme, de retour en France). Ainsi, seules 305 034 livres furent comptées cette année-là en débet auprès du receveur général des fermes à Paris. Lors du bail Alaterre, la vente du sel des 32 greniers rapporta net 95 511 livres (octobre 1770-septembre 1771), puis 103 916 livres l’année suivante (1771-1772), puis 107 473 livres (1772-1773) et 113 810 livres entre octobre 1773 et septembre 1774. Il s’agit là d’une recette nette somme toute modeste. Le faux-saunage qui sévissait depuis les Dombes, pays privilégié jusqu’en 1762, ou depuis le Gex, pays privilégié depuis 1776, et transitait par Belleville sur la Saône pour alimenter les greniers de Charlieu et La Clayette n’arrangeait rien. De même, la proximité de la Savoie, de la Suisse et de la Franche-Comté nuisait à la vente. Aux frontières, on enregistrait de nombreux cas de saisies. Celles-ci se répartissaient comme suit en 1783, par grenier :

Nombre de saisies de sels par grenier pour la 3e année du bail Salzard(AD Rhône, 6C 29, 1783).

   On voit que les ressorts des greniers de la Bresse, du Bugey et du Valromey se trouvaient particulièrement exposés. Outre la fraude, les receveurs de gabelles subissaient les coûts exorbitants des voitures de sel depuis Peccais. A partir de 1762, 60 000 livres par mois, soit 720 000 livres par an étaient nécessaires au voiturage.

  De son côté, le receveur général des tabacs faisait une recette évaluée à deux millions, année commune, lors du bail David. Le magasin général et les bureaux se trouvaient à la Douane de Lyon, quartier Saint-Paul, avant le déménagement vers le nouvel Hôtel des fermes en 1786. De là, le tabac était distribué à l’entreposeur de la ville « chargé d’établir le bureau de son entrepôt aux places du change des Cordeliers, des Jacobins, de Saint-Nizier ou des Terreaux, et d’avoir des magasins au rez-de-chaussée approvisionnés de 4 milliers au moins de toutes sortes de tabac et de faire chaque semaine des visittes (sic) chez les débitans de la ville » (AD Rhône, registre d’ordres 5C 4, f° 155, 30 décembre 1757). L’entrepôt de Lyon, à l’inverse des entrepôts des campagnes environnantes soumises à la contrebande, subissait une fraude peu importante. D’après les archives de l’Election de la ville, on compte 45 procès-verbaux de fraude ayant trait au tabac entre 1726 et 1788, soit moins d’une affaire par an en moyenne.

Régie générale des aides : Recette du Lyonnais, année commune 1788 (AD Rhône, 1C 55).

   Les aides en revanche, constituaient un véritable défi pour les contrôleurs de la Ferme générale. En 1788, elles rapportaient deux millions de recettes brutes, dont 1, 3 millions grâce aux droits sur les boissons, soumises au huitième. Comme on peut le mesurer, les droits sur les vins formaient le principal du produit des aides. On constatait à Lyon la même complexité qu’à Paris, imbroglio fiscal dénoncé par Darigrand en 1763. Les droits réservés aux entrées rapportaient le plus, suivis des droits de huitième et des droits de courtiers-jaugeurs. Les procès-verbaux dressés contre les cabaretiers en fraude étaient nombreux, sans néanmoins que l’on puisse identifier une particularité par rapport au nombre de procès-verbaux repérés dans d’autres provinces. Le 15 mai 1782, 57 procès-verbaux furent dressés à titre d’exemple dans la même journée contre les cabaretiers de Villefranche qui coupaient leur rapé avec trop d’eau. Sur les vins, pesaient également les droits de douane lorsqu’ils étaient en transit. Les vins du Languedoc, de Provence et du Dauphiné à destination de Paris devaient trois sortes de droits : la Douane de Valence lorsqu’ils empruntaient le Rhône au-dessus de la rivière de l’Ardèche, la Douane de Lyon lorsqu’ils touchaient la côte du Lyonnais, et les droits de subvention par doublement à leur arrivée à Roanne.

Régie générale des aides : produits sur les boissons, année commune 1788 (AD Rhône, 1C 55).

  

  Les droits de traites enfin, formaient un produit également conséquent évalué dans l’état de recettes et dépenses du receveur général des fermes à Lyon en août 1757 à hauteur de 1 017 416 livres. Les dépenses formant un objet de 559 292 livres, le débet s’élevait à 458 124 livres. Ces droits se levaient au profit de la Douane de Lyon « assise sur le bord de la Saône avec un port suffisant et commode » à Saint-Paul et transférée à la demande de la chambre de commerce, dans le nouvel hôtel de la Ferme en 1789: le gel de l’hiver 1788 avait endommagé les ponts de Saint-Vincent et de Saint-Georges et emporté le pont d’Alincourt. La compagnie accéda à la demande des marchands et déplaça toutes les opérations de bureaux vers l’hôtel aménagé en 1786 par l’architecte Jean Dupoux, sous l’inspection de l’intendant Antoine-Jean Terray, sur l’emplacement du bicêtre de l’hôpital général de la Charité. Furent transférés non seulement le grenier à sel, le bureau général du Tabac, mais aussi, toute la Douane de Lyon, notamment le bureau des 2, 5 % et le bureau des 5% où se contrôlaient les « meilleures marchandises ». Les droits sur les soieries, en particulier, étaient de diverses natures : le receveur général des fermes tenait un registre « soie » où s’inscrivait le produit des droits de sortie sur les étoffes lyonnaises. Ce revenu montait à environ 500 000 livres brut. Mais il existait également des droits établis sur les étoffes de soie de fabrique étrangère et perçus au bureau principal de la Douane de Lyon, en faveur de la ville et du roi. La recette pouvait monter jusqu’à 70 000 livres au milieu du XVIIIe siècle mais elle tendit à diminuer sous l’effet de l’installation de manufactures de velours et d’étoffes de soie dans les villes françaises comme Aix. Sur cette caisse étaient faites des dépenses ordonnées par l’intendant de la généralité, en général en faveur des pauvres de la fabrique. Le receveur des aides enregistrait quant à lui les sols pour livre sur les soieries. Plus généralement, Lyon vivait au rythme de quatre foires de commerce. Toutes les marchandises destinées à l’exportation sortant de Lyon pendant les quinze jours de la foire étaient libres de droits de sortie et ne réglaient que la traite domaniale. Toutefois, deux conditions s’imposaient aux marchands : les ballots devaient être marqués le long de toutes les coutures de l’écusson des armes de la ville avec le nom de la foire et l’année ; en second lieu, ils devaient être accompagnés de certificats de franchises. Les marchands suisses et allemands disposaient en outre le privilège de quinze autres jours de franchise par foire. Les marchandises qui sortaient du royaume hors du temps des foires étaient sujettes aux droits de sortie, sauf celles qui passaient par les bureaux de Bourgogne, Bresse et Bugey qui ne réglaient que la moitié des droits de sortie (tarif de 1664).





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Rhône, 1C 55 : état du produit de toutes les impositions indirectes perçues pour le compte de la régie générale des aides et droits y réunis dans l’étendue de la direction de Lyon pendant l’année 1788.
  • AD Rhône, 1C 55 : lettre du 15 décembre 1777, du directeur des fermes à Jacques de Flesselles (intendant) sur les droits qui se lèvent sur les soieries étrangères.
  • AD Rhône, 1C 65 : élection de Lyon, translation de la Douane de Lyon et hôtel de la Ferme générale  lettre de Claude-Guillaume Lambert, contrôleur général des finances, à l’intendant Antoine-Jean Terray, 7 juillet 1789.
  • AD Rhône, 1C 248, affaire Buinand, receveur de grenier à sel, prévaricateur, 1714.
  • AD Rhône, 3C 100 : Election de Lyon, Procès-verbaux de fraude, 1726-1788.
  • AD Rhône, 4C : Election de Villefranche, Procès-verbaux de fraude.
  • AD Rhône, 5C 2 : Correspondance du directeur général, lettre du 5 août 1757.
  • AD Rhône, 5C 4 : registre d’ordres de la Douane de Lyon, 1752-1789.
  • AD Rhône, 5C 14 : Produit des droits établis sur les étoffes de soie de fabrique étrangère et perçus au bureau principal de la Douane de Lyon, 1779-1789.
  • AD Rhône, 5C 15 : réglementation pour les marchandises de fabrication étrangère.
  • AD Rhône, 6C 15 : tableau des ventes du sel par mois et par grenier, bail Alaterre.
  • AD Rhône, 6C 29, registre de saisies du bureau de la direction des gabelles de Lyon, 3e année du bail Salzard, 1783.
  • AN, G1 83, dossier 8 : « Privilèges des foires de Lyon ».
  • AN, G1 115 : dossier 6, Instruction pour les employés des Fermes du Roy établis dans les directions de Charleville, Châlons-sur-Marne Trois-Evêchés, 24 septembre 1744.

    Sources imprimées:
  • Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 179-183.


    Bibliographie scientifique:
  • Maurice Garden, Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Belles-Lettres, 1970.
  • Georges Durand, Vin, Vigne, Vignerons en Lyonnais et Beaujolais, Lyon-Paris, PUF, EHESS, 1979.
  • Anne Montenach, « Une économie de l’ombre ? La fraude dans le commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle », dans G. Béaur, H. Bonin, C. Lemercier (dir.), Fraude, contrefaçon et contrebande de l’Antiquité à nos jours, Paris-Genève, Droz, 2006.
  • Françoise Bayard, Pierre Cayez, et alii (dir.), Histoire de Lyon des origines à nos jours, Lyon, Editions lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2007, p. 602-610.
  • Olivier Le Gouic, « La contrebande des indiennes à Lyon au temps de la prohibition », dans M. Figeac-Monthus et C. Lastécouères (dir.), Territoires de l’illicite : ports et îles, de la fraude au contrôle (XVIe-XXe siècle), Paris, A. Colin, 2012, p. 55-93.
  • Anne Montenach, « “Il entre plus que jamais dans cette ville des marchandises de contrebande”. Portes et périphéries dans l’économie clandestine aux XVIIe et XVIIIe siècles : l’exemple de Lyon », Città e Storia, XI, 2016, 2, p. 233-246.
  • Cécile Bournat-Quérat, Fraude et contrebande à Lyon et dans le Lyonnais (1674-1791), Paris, L’Harmattan, 2022.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Lyon, Lyonnais » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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