Marie-Laure Legay
Régie générale des aides : Recette du
Lyonnais, année commune, 1788
(AD Rhône, 1C 55).
Fiscaliser la
consommation. Dans les villes, les opérations fiscales
devenaient d’autant plus exaspérantes qu’elles se
multipliaient : les commis en exercice à l’entrée et les
commis aux caves
enregistraient et contrôlaient la vente et la
consommation. « A l’entrée de Paris, une pièce de vin paie trente-deux ou trente-trois
droits différents », rapporta Darigrand qui dénonça toutes les vexations auxquelles ces
taxes donnèrent lieu. A Lyon,
on en comptait plus d’une vingtaine en 1788.
Favoriser la circulation. La circulation des vins
faisait également l’objet d’un contrôle étroit, non
seulement pour protéger le royaume de la concurrence
étrangère, en réalité peu dangereuse, mais aussi
pour protéger l’étendue des Cinq grosses fermes et le régime des pays d’aides. A la sortie du royaume, la Ferme générale levait
treize livres 10 sols par muid (mesure de Paris) selon l’ordonnance de
1681. Lorsqu’un siècle
plus tard, le traité de commerce avec l’Angleterre fut signé (1786), l’exportation
vers Londres quadrupla, ce qui permit de compenser les
effets de la libéralisation. A l’intérieur du royaume, le
roi agit également à plusieurs reprises pour encourager le
commerce. L’aire d’approvisionnement de la capitale
permettait d’écouler les vins d’Ile-de-France,
prioritairement, mais tous les vins de France se
trouvaient sur les tables des taverniers, cabaretiers ou
hôteliers. Lorsque les mauvaises récoltes nécessitaient de
voiturer à Paris davantage de vins méridionaux, comme en
1709 ou 1726, le roi modérait les droits de
circulation. Pour arriver dans la capitale, les vins du
Languedoc, de Provence et du Dauphiné devaient trois sortes de droits : la Douane de Valence lorsqu’ils
empruntaient le Rhône
au-dessus de la rivière de l’Ardèche, la Douane de Lyon lorsqu’ils touchaient la
côte du Lyonnais, et les droits de subvention par
doublement à leur arrivée à Roanne. Le droit du tarif des
Cinq grosses fermes à
l’entrée de la Bourgogne était du si les vins ne passaient pas par Lyon. A l'égard des vins
transportés par mer des ports de Bordeaux, Blaye, Bourg et Libourne et destinés à
Paris, le roi procédait de même en cas de pénurie : les
droits d'entrées des Cinq grosses fermes et ceux de la subvention par
doublement étaient réduits. Localement, le gouvernement
tenta de limiter la portée du privilège exorbitant que les bourgeois et
viticulteurs de la Sénéchaussée de Bordeaux imposaient : seuls les vins « de
ville » (c’est-à-dire de la sénéchaussée de Bordeaux)
pouvaient être consommés dans la cité. Ceux du Languedoc, de l’Agenais, Périgord et Quercy n’avaient qu’un accès limité à la
Garonne et au port, seulement à partir de décembre,
c’est-à-dire après la formation des glaces en Europe du
Nord et donc après la possibilité de convoiement des vins
vers les nations consommatrices. Les vins du haut-pays
pouvaient être stockés dans le faubourg des Chartrons,
mais seulement jusqu’au 8 septembre de l’année suivante.
Plusieurs villes et provinces contestèrent cette police
bordelaise. En 1772, un procès fut intenté contre ce
monopole par la
ville de Cahors, suivie par divers
corps dont les Etats provinciaux du Languedoc. Il importait alors au gouvernement de
libéraliser davantage le commerce. En avril 1776, un édit mit fin à toutes
les entraves établies localement contre le commerce des
vins, sur le modèle adopté en 1774 pour les grains. De nombreuses communautés
avaient en effet imité les viticulteurs de Bordeaux en interdisant
la vente et la consommation des vins « étrangers » à leur
terroir : Bergerac, Domme, Belvès, Montpazier…
En 1667, les Etats du
Béarn avaient de même adopté un règlement
interdisant la vente et la consommation de vins «
qu’en 1747. En Dauphiné, Grenoble, Gap ou Veyne étaient
également tentées par la prohibition. En Provence, Marseille
agissait de longue date pour protéger la production de son
territoire. En mars 1717, un
édit confirma l’établissement d’un « bureau du vin »
chargé de veiller à la prohibition des vins « étrangers »…
Le gouvernement souhaita donc limiter les monopoles
abusifs dans les provinces méridionales et encourager le
commerce libre du vin tant à l’intérieur qu’à l’étranger.
Les Etats provinciaux
sollicitaient d’ailleurs régulièrement la modération des
droits de sortie (par exemple en 1715 pour l’assemblée du Languedoc). L’exportation des vins de Provence et du Languedoc était favorisée comme moyen de subsistance des
habitants. De même, lorsque les
viticulteurs du pays d’Aunis réclamèrent une
modération des droits à l’exportation,
l’obtinrent-ils du roi sur rapport de Calonne (1786). En revanche, le roi protégea le port franc de
Dunkerque des
prétentions de Calais où les droits à l’exportation
s’élevaient jusqu’à 16 livres le muid: les marchands
firent valoir en 1722 le
désavantage qu’ils subissaient, mais leur requête ne fut
pas entendue. Ordonnances et règlements protégeaient le régime des Cinq grosses fermes. Cinq livres
étaient prélevées sur chaque muid pour droit d’entrée dans
l’Etendue selon le tarif
de 1664.
L’Etendue était protégée, comme pour le sel et le
tabac, par une zone
limitrophe de
quatre lieues, définie pour la Picardie ou la Champagne en 1681, ou
pour le Poitou, Maine et Anjou par l’ordonnance de 1687. Ce système de protection demeura défaillant. Les
vins de Lorraine ou de Bourgogne se dirigeaient clandestinement vers le pays de
Liège, le Hainaut ou la Picardie pour ne pas payer le tarif de 1664 à l’entrée. En 1746, le Conseil renforça la législation
sur les déclarations des vins sortant des Cinq grosses fermes pour
l’étranger par la Picardie ou la Champagne.
A Paris: dans la capitale, comme à Bordeaux ou à Marseille, tous les
vins devaient être déclarés au « bureau du vin » de la
communauté des marchands. Qu’ils fussent vendus dans les
ports de la ville (et notamment au principal port de
débarquement de la Rapée), place de Grève, à la halle au
vin, à l’étape, qu’ils fussent du cru ou non…, ils
devaient être déclarés non seulement aux entrées de la
barrière d’octroi, mais
aussi à ce bureau établi à la halle au vin. Les droits qui
se levaient sur les vins destinés aux marchands étaient
levés pour le compte de la Ferme générale. Pour les
régler, les marchands s’adressaient à des prêteurs parfois
peu scrupuleux. Il fut donc établi une « caisse de crédit
des vins » (septembre 1719)
confiée à Martin Girard, chargé de la régie des droits
rétablis, et seule
agréée pour avancer le coût des droits. Pour faciliter le
contrôle, on fit passer tous les vins par la halle (19
mars 1724). Le règlement du
fonctionnement de cette dernière fut précisé en 1726 différentes régies d’aides
ou droits réunis. En 1771, l’abbé Terray fit
disparaître la distinction fiscale entre vins bourgeois et
vins marchands entrant dans Paris ; il unifia les taxes au profit de la Ferme
générale pour simplifier la comptabilité, ce qui lui valut les critiques
les plus vives. Les Parisiens entraient déjà dans une
dynamique contestataire et rébellionnaire qui culmina au moment de la
construction du mur des Fermiers généraux et de la destruction des barrières de l’octroi. Lorsque la
Régie générale des aides fut
créée (1780), les droits sur
les vins furent divisés pour être une partie levés au
profit de la Ferme générale (droits de sortie du tarif de
1664, subvention par
doublement, droits de jauge et courtage) et pour l’autre partie au profit
de la Régie des aides (anciens et nouveaux cinq sous, droits des inspecteurs
aux boissons, droits de
courtiers-jaugeurs…).
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Vin » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :