Voiture (de sel)
Les
bénéfices des voituriers consistaient essentiellement dans
la gratification de huit à dix livres par chaque minot de sel dont le déchet
était inférieur à celui autorisé, de sorte que la
compagnie de transport avait grand intérêt à éviter les
pertes au maximum. Le 7 octobre 1715, l’adjudicataire Paul
Manis signa pour six ans le traité des voitures des
sels destinés aux greniers du Lyonnais, Dauphiné, Provence, Languedoc par le Rhône, l’Isère et la Saône en faveur de Dominique Fraisse
à raison de 52 000 livres année commune. Le
traité de Fraisse fut donné « à déchet », c’est-à-dire que
l’entrepreneur devait rendre dans les greniers la quantité de minot de sel qui lui avait été délivrée aux
lieux de chargement (Peccais et Arles), aux
déchets près portés par le traité et fixés selon
l’éloignement de chaque grenier. Fraisse présenta de
solides cautions : des banquiers de Lyon comme Dominique Rolland, Edme Rousseau
ou Jean-Baptiste Berger, « des hommes riches et fort
versés dans les affaires du roi » comme François Pauliny,
Etienne Charpy, Jean-François Dumas, des fermiers des
coches du Rhône comme Jean Chiquet, Philippe Camac, Louis
Bourbon… L’entreprise Fraisse installa son bureau à
Tarascon. Elle prévit de dresser ses comptes chaque année
et pour connaître ses pertes et profits, elle exigea de
chaque commis de la conduite des trains, lors du dernier
voyage, un descriptif certifié par le bureau de Tarascon
de l’état de son train, de ses chevaux,
bœufs, cordages, barques, et autres ustensiles pour
pouvoir faire immédiatement après le dernier emplacement
un inventaire général de tous les équipages, denrées,
ustensiles restant en nature avec l’estimation qui en sera
faite par les associés. Une offre concurrente vint
perturber cet agencement : Pierre Aubert, bourgeois de
Paris, proposa de se charger de l’entreprise des voitures
pour 42 000 livres seulement. Outre le rabais de 10 000
livres, Aubert prétendait faire une économie de plus de
20 000 livres sur les déchets. Les Fermiers généraux
acceptèrent cette nouvelle offre. Dans les années 1760, l’entrepreneur de
voitures de sel des petites gabelles était payé 60 000
livres par mois, prix fixé en 1762, ce qui indique une hausse très forte du prix des
voitures au XVIIIe siècle.
Par terre, le voiturage se
faisait à l’aide des agriculteurs, rouliers, fariniers et
voituriers de toute espèce ; certains chargeaient le sel
en retour, d’autres, comme les petits exploitants
agricoles faisaient ce service exprès. Dans tous les cas,
il s’agissait d’exploitants qu’on ne pouvait solliciter
qu’entre avril et juillet, temps court pendant lequel les
greniers à sel se
remplissaient. On relève dans les archives plusieurs
plaintes de métayers ayant été contraints de faire ce
service pendant les récoltes. On relève également des
plaintes de la compagnie liées aux « infidélités » des
voituriers. Nombre d’entre eux étaient tentés de découdre
les sacs, de les déficeler et
déplomber pour prélever une part destinée à la revente
frauduleuse. Contre eux, un édit de 1696 les menaça de peine de mort par
pendaison et étranglement comme voleurs domestiques. De
même, ils étaient soumis à une amende de 500 livres et au
paiement du surplus si le déchet dépassait les deux minots par muid. La sévérité de
la loi n’empêcha pas certains de frauder comme le
voiturier Louis Chartier pendu sur la place des halles au
Mans le 23 août 1783 pour avoir
prélevé du sel lors d’un transport entre Malicorne et
Connéré. La sûreté des longs trajets était assurée par la
mise en œuvre de convoi d’une dizaine ou douzaine de
voitures. Ces trains-sauniers circulaient en plein jour et
étaient escortés de gardes armés. Toutefois, le
gouvernement dut rappeler ces mesures et engager les intendants de province
à y pourvoir, comme en 1771.
Le
roulage des voitures par terre fit l’objet d’une
règlementation importante en 1724. Le gouvernement fixa le nombre de chevaux,
mulets, boeufs qu’on devait atteler aux voitures à deux
roues. Il s’agissait de régler le transport pour éviter la
dégradation des chemins et une réfection trop fréquente
par la corvée. La mesure engageait les voituriers à
augmenter le nombre de voitures et d’hommes pour les
conduire, ce qui devait avoir une répercussion sur le prix
du transport. C’est pourquoi la règlementation fut souvent
détournée. Il fallut la rappeler régulièrement. Le
ministre Terray, par
l’arrêt du 7 avril 1771,
revint à la charge en rappelant que les charrettes à deux
roues ne pouvaient être attelées avec plus de trois
chevaux. Dès lors, les voituriers sollicitèrent une
exemption pour les voitures des sels. Le ministre Bertin
leur fut favorable et écrivit une lettre circulaire aux
intendants de province pour les enjoindre à exempter les
rouliers du sel de la mesure adoptée par Terray. Le
roulage fit encore l’objet d’un arrêt du 20 avril 1783 allant dans le même
sens. Pour les voies d’eau, la Ferme générale procédait de
même par traité. L’adjudicataire Nicolas Desboves signa ainsi en
1731 plusieurs contrats
de voiture, avec Charles Nicolas Leblanc pour le transport
par terre des gabelles du
Languedoc, avec Joachim Chenu pour les voitures par les
rivières de l’Aisne, Seine, Yonne, Jean-Baptiste Dumont
pour les voitures par les rivières du Maine, de la Sarthe,
du Loir, Nicolas de Bombourg pour les voitures par eau du
Dauphiné…. Les entrepreneurs constituaient des trains
de bateaux accrochés les uns aux autres avec en tête le
bateau-maire.
Un train de chalands de la Loire se composait par exemple
du bateau-maire, du
tirot, sous-tirot, du soubre, du soubriquet et en dernier
lieux de quelques allèges.
Sur le Rhône, le train-saunier était ordinairement composé
de trois ou quatre barques chargées ensemble de 20 à 38
muids. La navigation était gênée par nombre d’obstacles :
la force des courants aux abords des moulins, les bacs à
traille dont les cordages étaient mal tendus,
l’encombrement aux passages des ponts ou à l’entrée des
villes… Les baux d’adjudication des Fermes précisaient que le
roi, pour faciliter le voiturage sur les rivières,
enjoignait à toute embarcation montante ou descendante de
céder le passage aux barques de sel, comme aux articles
196 et 197 du bail Carlier. Toutefois, ces dispositions
n’étaient pas toujours respectées et les contestations
liées à l’encombrement des rivières, notamment à Paris ou Lyon, étaient nombreuses.
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- AN, G1 23, f° 18 (plainte du 9 septembre 1768), f° 67 (lettre de l’intendant d’Alençon à l’abbé Terray le 11 mars 1771 lettre de l’intendant de Rouen à l’abbé Terray du 22 mars).
- AN, G1 91, affaire Louis Chartier, 1783.
- AN, G1 97 Dossier 5 : Traité de l’entreprise de la voiture des sels pendant le bail Mager (1787-1793), Fournissement pour la 2e année (1788).
- AN, G1 98 dossier 11, “Correspondance et règlement sur le roulage des voitures des sels, 1772-1787”.
- AD du Rhône, 5C 4, f° 147, octobre 1762.
- AD du Rhône, 6C 22, traités des voitures de sel des pays de petites gabelles, 1715.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du conseil d’Etat servant de règlement pour faciliter les voitures des sels sur les rivières du Rhône, de la Saône et de l’Isère, 10 mai 1735.
- Édit du Roy portant peine de mort contre les voituriers qui auront volé du sel, Versailles, février 1696.
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 62-63.
- Encyclopédie méthodique, Finances, t. 2, Paris, 1785, article « Fournissement », p. 260-276.
-
Bibliographie scientifique:
- Thierry Claeys, Les institutions financières en France au XVIIIe siècle, Paris, SPM, t. 2, 2011, p. 503-508 .
Voiture (de sel) » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :