Brouage
Plus
généralement, propriétaires et marchands restaient
vigilants pour contrer l’hégémonie de la Ferme. Comme
principal acheteur des sels de Brouage, celle-ci influait
sur les prix à la baisse. D’après l’intendant de La Rochelle qui s’exprima en
1708, « les sels ont été
vendus à ce fournisseur général à un si bas prix que les
propriétaires et ceux qui cultivent les marais en ont à
peine retiré les frais nécessaires pour la culture ».
L’envasement des marais de Brouage proprement dit provoqua
en outre le dépeuplement des bourgs alentours : Saint-Agnant,
Saint-Just, Saint-Fort… Le
recul de la mer engageait les hommes à produire le sel
plus à l’ouest. La Ferme générale transporta finalement
ses bureaux à Marennes, délaissant Brouage au début du
XVIIIe siècle. La ville récupéra néanmoins le bureau des
droits sur le sel par la suite.
Le gouvernement de
Brouage, les îles et au-delà, les marais de
Saintonge approvisionnaient traditionnellement les
dépôts de la Normandie et de la Manche, tandis que les achats
dans le comté nantais (Bretagne et partie du Poitou) servaient aux dépôts-magasins de
l’embouchure de la Loire. Les habitants des
villes de
Dieppe, Fécamp,
Saint-Valéry-en-Caux pour leurs
provisions de franc-salés, et les pêcheurs de Dieppe, Honfleur et Le Havre
pour la salaison des poissons faisaient leurs achats dans
les marais de Brouage et levaient donc les sels
indifféremment à Marennes, Oléron et Ré. En 1768, la production de sel
devint insuffisante pour couvrir les besoins.
Les
baux de la Ferme générale imposaient le recours aux
navires français (par exemple, l’article 25 du bail
Forceville). Défense était faite à la
compagnie d’admettre pour le fournissement du sel des
gabelles de France des navires étrangers sans une
autorisation par écrit du Conseil. Les maîtres des
vaisseaux français étaient tenus d’aller charger ces sels
à Brouage en mars aussitôt qu’ils en étaient requis. La
Ferme générale, en cas de réquisition, devait payer un
fret raisonnable. Cependant, il lui semblait préférable
d’éviter de recourir à l’autorité et de gêner les
armateurs dans leurs négociations. Le recours aux
bâtiments étrangers devenait fréquent. Les propriétaires
des marais salants de Saintonge soulevèrent la question du
risque de fraude, mais il apparut, d’après les calculs de
la compagnie, que ce risque demeurait faible : entre la
fin de l’année 1748 et le 12
juillet 1751, 158 bâtiments
avaient chargé le sel et « il n’y en a pas un seul qui
n’ait pas rendu le sel dont il était chargé dans les
dépôts de sa destination et rapporté son acquit à caution
déchargé ».
Sur le sel tiré des marais salants de Brouage
se levait un droit dit « droit de trente-cinq sols de
Brouage » par muid. Ce droit de « trente-cinq sols » ou
« droit de Brouage » se levait aussi sur les sels sortis
de l’Aunis, Saintonge, île de Ré et autres îles. Ce
droit royal était initialement payé par les
propriétaires des marais et maîtres de sel selon les
dispositions de l’ordonnance de mai 1553, mais il fut par la
suite levé sur les acheteurs comme droit de «
sortie » ou d’enlèvement. Pour éviter que le
sel du Comté nantais fît concurrence au sel de Brouage, il
fut décidé d’imposer également le « droit de Brouage » aux
sels sortis de Bretagne ou du Poitou et remontant les rivières de la Garonne ou de
l’Adour par exemple. La Ferme générale réglait également
ce droit, quoique selon un tarif moindre fixé par l’ordonnance de 1680 à trente sols et neuf
deniers par muid. De même, les négociants qui achetaient
le sel pour le compte de communautés diverses réglaient ce
droit. On déclarait dans deux bureaux installés à Brouage
même et à Ars sur l’île de Ré. Dans la mesure où le
droit de Brouage ne constituait pas un droit de
gabelle, mais un droit de sortie, les communautés
qui s’approvisionnaient là, même disposant du
privilège de franc-salé, devaient le régler. Ainsi, Jean
Content, négociant à Saint-Pierre sur l’île d’Oléron se
vit il condamné par le juge des traites de La Rochelle à payer les droits de Brouage sur
les 562 muids et sept boisseaux qu’il achemina au Havre, ville privilégiée,
pour le compte de Guillaume Prévost, adjudicataire de la
ferme des sels du Havre, soit 1 820 livres et 14 sols. Le
droit de « trente-cinq sols » de Brouage augmenta au fil
du temps. En 1680, il était
établi à 42 sols et 9 deniers.
Le plus gros problème que
rencontra l’administration dans ces petits côtiers que
l’on peut considérer ensemble depuis l’estuaire de la
Garonne jusqu’à la rivière du Lay, fut l’unification des
mesures de sel. Il fallut imposer le boisseau de Brouage
pour le transport et le transbordement du sel au-delà du
gouvernement de Brouage proprement dit et jusqu’en
Poitou pour éviter les fraudes liées aux différentiels
de mesures. La matrice du boisseau
se trouvait dans la citadelle de Brouage, dans le
bureau du duc de Richelieu, comme ancien propriétaire de l’office de
contrôleur des mesures créé par l’édit de décembre
1633. Des jurés-mesureurs étaient chargés d’assister à
tout enlèvement de sel sur les marais (arrêt du 22 octobre
1730), de signer les
certificats de transport, de registrer tous les sels levés
et de fournir copie de leurs registres au bureau de Marennes. Les commis du bureau de Marennes
établissaient la comparaison entre leurs
livres de recettes des droits et les registres des
mesureurs. Tout constat en moins de recette donnait lieu à
des amendes contre les propriétaires ou sauniers ou
voituriers responsables des fausses déclarations.
Le
gouvernement de Brouage était exempté de la traite de Charente depuis 1667, date à laquelle une
transaction intervint entre le pays et celui voisin de la
Saintonge.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 23, f° 19, 1768 Des droits sur le sel dans le gouvernement de Brouage pays adjacens, dans Ordonnances sur le fait des gabelles des aides…, mai et juin 1680, p. 102-106.
- AN, G1 7 559, demande des habitants de Brouage pour que l’on fasse revenir chez eux le bureau des droits du roi sur le sel, août 1721.
- AN, G1 95, dossier 20 : marais salants de Saintonge, 1751-1753.
- BNF, Ms fr 7726, f° 259-265 : « Extrait d’une proposition touchant les droits qui s’enlèvent du gouvernement de Brouage, pays d’Aunis, Isle de Ré, Marches communes du Poitou et comté nantois », juin 1716 f° 266-271 : « Mémoire concernant les Isles abonnées de Xaintonge où se fait le sel, les abus qui se commettent dans les ventes et les moyens d’y remédier » f° 272-276 : « Mémoire touchant les abus qui se sont commis pendant la première année du bail de Manis à l’enlèvement des sels sur les marais salins de La Rochelle, Angoulen et Saint-Laurent de la Prée, et aux contre-mesurages établis à Puidrouard et Nuaillé ».
- AN, G1 98, dossier 21 : « transport du sel par bâtiments étrangers, 1785 ».
-
Sources imprimées:
- Lettres patentes au sujet des droits qui se perçoivent sur les sels de Brouage, du 12 novembre 1730.
- Arrêt du Conseil d’Etat portant que le droit de convoi sur le sel venant de Bayonne sera perçu au bureau de Dax, à raison de 55 sols par conque, et qu'il sera perçu en outre, à titre de droit de brouage, 56 sols 8 deniers par pipe mesure de Bordeaux, ou 7 sols un denier par conque, pour celui venant de Bretagne et ordonne que les sels qui seront déclarés de Saintonge, Poitou et autres lieux où le droit de brouage se paie à l'enlèvement seront accompagnés à Dax de l'acquit dudit droit, faute de quoi ils seront assujettis au droit de brouage, 31 mars 1739.
- Arrêt de la Cour des aides qui juge que le droit de 35 sols de Brouage est dû sur les sels enlevés des marais salants de Brouage, pour la consommation des habitans de la ville du Havre-de-Grâce nonobstant les privilèges exemptions dont jouissent lesdits habitans, 26 janvier 1748.
- Buterne, Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies de France, Avignon, 1763, p.54-56.
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 123-144.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui proroge jusqu’à ce qu'il en soit autrement ordonné la modération des droits accordée par arrêt du 18 juin 1783 sur les sels de Saintonge et de Brouage expédiés à l'étranger, 10 novembre 1785.
-
Bibliographie scientifique:
- Louis Papy, « Brouage et ses marais », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, t. 6, fasc. 4, 1935, p. 281-323.
- Marcel Delafosse et Claude Laveau, Le commerce du sel de Brouage aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1960.
- Jean-Michel Deveau, Histoire de l’Aunis et de la Saintonge, Paris, PUF, 1974.
- Thierry Sauzeau, « Salines de Brouage et d’Oléron dans l’enquête Bouthiller (1714) », Entre horizons terrestres et marins. Sociétés, campagnes et littoraux de l’Ouest atlantique. Mélanges offerts à Jean-Luc Sarrazin, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 317-330.
Brouage » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :