Picardie
Etat des paroisses inclus dans
les Lettres patentes données à Versailles le 13 avril
1743.
La principale préoccupation
de la Ferme générale fut de lutter contre les flux de
contrebande aux confins de la province. Bordée au nord par
le Boulonnais, l’Artois, le Cambrésis et le Hainaut, elle ne fut protégée que très partiellement
par l’établissement de lieues limitrophes à la fin du XVIIe siècle. La mise
en place, sous la Régence, de six compagnies de dragons
pour lutter contre le faux-sel et le faux-tabac s’avéra
insuffisante. La ligne des trois lieues pour le sel et le
tabac fut définie par
l’ordonnance de mai
1680 et redéfinie par la
déclaration du 9 avril 1743.
Vis-à-vis de la fraude du
sel par exemple, la Ferme tenta d’acquérir en 1723 le droit de visite à
Saint-Pol-sur-Ternoise, bien que ce bourg fût situé à plus
de trois lieues de la frontière picarde. Les Fermiers
soupçonnaient dans cette ville d’importants trafics
frauduleux. Les Etats provinciaux d’Artois luttèrent contre le projet et le ministre
Philibert Orry dut céder en
supprimant, le 13 février 1742, l’arrêt incriminé de 1723,
préférant renforcer les contrôles à l’intérieur des trois
lieues limitrophes.
Pour ce faire, par la déclaration du 9 avril 1743, il mit en œuvre des
vérifications par certificats de consommation dûment
établis pour chaque chef de feu et basés sur les rôles des
communautés d’habitants, tant pour le sel et le tabac ; les
approvisionnements pouvaient ainsi être vérifiés, les
commis de la Ferme ayant naturellement droit de faire les
visites domiciliaires et visites de tout bateau ou chariot
à la frontière de la Picardie. Le
contrôle devint donc beaucoup plus précis, tant sur le sel
de pot, que sur les salaisons extraordinaires de beurre,
fromage, légumes, chairs ou poissons. De même, on légiféra
sur la distribution du sel et du tabac aux troupes en
garnison dans les trois lieues limitrophes. Près de 500 paroisses étaient
concernées par ces nouvelles dispositions : 253 dans les
trois lieues artésiennes face à la
Picardie, 108 face au Boulonnais, dont
une bonne partie de l’Audomarois, 51 paroisses du
Cambrésis face à la
Picardie, dont le Cateau-Cambrésis, 32 paroisses hennuyères,
auxquelles il faut ajouter les paroisses incluses dans les
trois lieues entre Sambre et Meuse et depuis Hirson en
Thiérache jusqu’à Guise.
Le long procès qui opposa les
Fermiers généraux aux Etats d’Artois et
seigneurs des lieux à propos des droits sur les vins,
eaux-de vie et bières se conclut à la même époque. Il prit
naissance sur la requête du sous-fermier des aides, Noël Roger, qui fit
valoir ses droits en 1719 sur
un ensemble de paroisses situées notamment dans la
mouvance du comté de Saint-Pol
et dans le bailliage du Montreuil. Les enclaves de la
Picardie dans l’Artois
et celles de l’Artois en
Picardie rendaient le prélèvement très
confus. Les adjudicataires suivants prirent le relais pour
réclamer l’application de l’ordonnance sur les aides ; le Contrôle
général suivit les requêtes des Fermiers généraux en
exigeant les déclarations auprès du bureau des aides et le
paiement des droits, tant à l’arrivée qu’à la vente, en
gros et en détail, dans l’attente de la vérification des
titres. Celle-ci occupa une quinzaine d’années. Les Etats
d’Artois s’appuyaient notamment sur le
traité de Paix de 1529 entre
François Ier et Charles Quint ; les seigneurs des lieux
firent également examiner leurs preuves. Au terme du
processus d’examen, le roi trancha non sur la base de ces
titres, mais sur celle, plus prosaïque d’une limite à
créer de part et d’autre de l’Authie. Les lettres patentes du 13 avril
1743 listaient ainsi
clairement les paroisses qui devaient payer les droits en
Picardie et celles qui dépendaient de
l’Artois.
La
Picardie était la province où le produit
des droits d’aides et d’entrée formait la plus importante
recette du royaume. Impropre à la culture de la vigne,
elle tirait de ses voisines tout le vin qu’elle consommait
et une partie du cidre. Pour ces raisons, l’ordonnance de 1680 avait repris des
dispositions antérieures (règlements de
1638 et 1645) en
limitant le nombre de routes par lesquelles ces boissons
devaient entrer. Pays de Quatrième, celles-ci étaient
taxées notamment par le droit d’entrée de 9 livres 18 sous
par tonneau, le plus fort impôt sur les boissons. Les
voituriers devaient faire leurs soumissions au premier
bureau de passage, et rapporter les acquits à caution selon les lois en
vigueur. Les certificats des commis aux aides du lieu de
destination ou du dernier bureau de sortie pour les vins
qui passaient debout, devaient être présentés dans un
délai d’un mois (voiturage par eau) ou d’une quinzaine
(voiturage par terre). Les Lettres patentes du 7 octobre
1740 établirent une
chaîne de bureaux plus conséquente. Pour adoucir les
formalités, la Ferme générale accepta pour caution le
paiement des droits de subvention par anticipation. La
difficulté vint de ce que la consommation des habitants de
cette province évolua. Outre la bière locale, les
marchands faisaient venir de plus en plus de tonneaux de
vin du Soissonnais et de la généralité de
Paris et de cidre de la
Normandie (3 à 4 000 muids par an). La
chaîne de bureaux se révéla insuffisante du côté de cette
province. En outre, le port de Saint-Valéry-sur-Somme
n’était pas inclus comme bureau de soumission, tandis
qu’il recevait des centaines de pièces de vin. Enfin, la
fraude se développait d’autant plus facilement que les
lieux de Picardie où les
entrées avaient cours n’étaient tous soumis aux mêmes
droits : certains ne devaient que la subvention, d’autres
devaient la subvention et les droits des inspecteurs aux
boissons, d’autres
encore aux anciens et nouveaux cinq sous, d’autres devaient l’imposition des 9
livres 18 sous. En conséquence, l’arrêt du 3 décembre
1771 redéfinit une ligne
de 119 bureaux d’aides, ce qui témoigne a priori d’une
capacité accrue de contrôle sur le territoire.
Le
successeur d’Orry, Jean-Baptiste Machault d’Arnouville,
renforça pour sa part le contrôle des droits sur les vins
qui passaient de Picardie et
Champagne vers les provinces réputées étrangères et
l’étranger effectif. Il
autorisa l’adjudicataire à établir des bureaux de déclaration dans les quatre lieues limitrophes des
provinces de Picardie et
Champagne pour suivre la destination des vins. Ces bureaux
reprenaient pour partie seulement ceux dits des Cinq
grosses fermes. D’après les
arrêts du 14 juin 1746, 12
août 1747, 13 mai 1748, 4 juin et 29 juillet
1749 et 5 mai 1750, la ligne de déclaration
pour les vins était sensiblement différente de celle des
Cinq grosses fermes. Pour la direction des fermes
d’Amiens, furent désignés les bureaux d’Ardres, Auxi-le-Chateau, La Barrière-de-France, Boisle, Calais,
Desvres, Dompierre, Dourrières, Etaples, Guisnes,
Huquelières, La Recousse, Lécluse, Lucheux, Licques,
Mailly, Samer, Saint-Riquier, Thièvres, Trois-Cornets,
tous bureaux de douane où se levaient les droits selon le
tarif de 1664 ; mais on y
ajouta pour les vins : Albert, Domart, Marquise, Nouvion,
Rue, Senlecq, Le Wast, Talmas et Warloy.
Vis-à-vis des traites, la Ferme
générale eut également à défendre les lisières de la
province contre les fraudeurs. Dès 1708, l’inspecteur des fermes Languérat déplora
l’usage des mulquiniers de l’Artois, du Cambrésis et du Hainaut qui, pour éviter de payer les droits d’entrée
de 20 sols par pièce de toile, s’entendaient avec les
mulquiniers picards qui les faisaient entrer sous leurs
noms. Pour remédier à cette fraude, l’inspecteur proposa
de faire marquer par les commis de la Ferme les toiles
fabriquées dans les villages picards entre l’embouchure de
la Somme et jusqu’à Guise. Au cours du siècle, les
autorités centrales eurent à cœur de protéger et
développer l’activité des fabricants de toiles fines,
batistes et linons qui s’exportaient bien. Il s’agissait
d’exempter les taxes à l’entrée sur les matières premières
comme le lin et le chanvre (par exemple, les arrêts du 12
novembre et 9 décembre 1749),
mais aussi, finalement, de rendre libre la circulation des
fils, même apprêtés. Au milieu du XVIIIe siècle, près de
2 300 métiers battaient autour de Saint-Quentin. La
liberté de circulation fit craindre un déclin de la
manufacture locale au profit d’autres régions. En 1764, les marchands de
batistes de Saint-Quentin et Cambrai prétendirent être concurrencés par
les Anglais. La monarchie rétablit des droits, somme toute
modiques, sur les fils en 1773.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Somme 1C 2927, registre de correspondance du Directeur des fermes, folio 7 verso : plainte des marchands de toiles batistes de Saint-Quentin et Cambrai, 13 février 1764.
- AN, G7 1170, procès-verbal de la tournée faite par l’inspecteur Languérat dans la direction des fermes de Saint-Quentin, 1708, AN, registre H1 158847, registre non daté qui établit le poids fiscal par généralité, années 1772 à 1778.
- BNF, Ms fr, Picardie, 8 : Liste alphabétique des localités de la Picardie, avec le nombre des feux et la population (état dressé en 1772 par les fermiers généraux, à la demande du comte de Périgord, Gabriel-Marie de Talleyrand).
-
Sources imprimées:
- Plan du cours de la rivière d’Authie figurant les gués établis irrégulièrement entre les villages d’Authie et Thièvres pour le transport du sel et du tabac, 1765, en ligne.
- Ordonnance du roy, portant deffense aux brigadiers dragons des six compagnies particulières que Sa Majesté à fait mettre sur pied, distribuer par brigades dans ses provinces de Soissonnais, Picardie Champagne pour empescher le faux saunage, la vente du tabac en fraude marchandises de contrebande, d'en favoriser le commerce ni de prendre de l'argent de ceux qui le feront, pour ensuite les laisser aller, sous peine de mort comme aussi de rançonner des habitans ou particuliers, en exigeant d'eux de l'argent ou autre chose sous prétexte de faux saunage, vente de tabac en fraude ou marchandises de contrebande, sur peine des galères perpétuelles, 5 janvier 1718.
- Ordonnance de Mr l’Intendant de la généralité de Picardie et Artois qui fait défenses à toutes les communautés de religieux et religieuses de la province de Picardie, de brasser ni faire faire aucunes boissons dans leurs enclos ou couvents, sans en avoir fait déclaration aux plus prochains bureaux établis par Martin Girard, avant de faire mettre le feu sous leurs chaudières, 2 octobre 1723.
- Ensemble : Arrêts du Conseil d’Etat du roy, lettres patentes et jugement de Mrs les commissaires du Conseil, concernant les enclaves de Picardie, Artois, Boulonnois, etc… (Arrêt qui renvoie par devant MM. les commissaires du Conseil pour affaires de gabelles une instance pendantes entre les fermiers généraux des fermes unies de France, d'une part les États de la province d’Artois, d’autre part et les seigneurs et habitants de Verton, Brimeux, etc., Arrêt qui établit la commission concernant les privilèges des enclaves de Picardie, Artois, Boulonnois, etc. Marly, 10 mai 1740.
- Ordonnance de MM. les commissaires du Conseil pour l’enregistrement de l'arrêt du 10 mai 1740. Paris, 17 septembre 1740, Jugement de MM. les commissaires du Conseil concernant les enclaves de Picardie, Artois, Boulonnois, etc. Paris, 27 juillet 1741, Arrêt du Conseil d’Etat du roy et lettres patentes sur icelui, concernant les enclaves de Picardie et d'Artois. Versailles, 13 avril 1743).
- Déclaration du roi portant réglement pour empêcher l’introduction des marchandises prohibées, du faux sel et du faux tabac, dans les provinces limitrophes de la Picardie et de l’Artois, 9 avril 1743 (une instruction aux commis et une liste des paroisses incluses dans les trois lieues furent annexées à ce texte).
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne l'exécution de celui du 14 juin 1746 et permet à l'adjudicataire des fermes générales unies de faire l'établissement des bureaux avec le nombre de commis nécessaire pour assurer la destination des vins qui sortent par les frontières de Picardie et de Champagne, 12 août 1747 (cet arrêt contient la liste de tous les bureaux de déclaration des vins pour les villes et villages situés dans les quatre lieux).
- Ordonnance du Roy portant règlement sur la distribution du sel et du tabac aux troupes dans les trois lieues de l'Artois, du Cambrésis et du Haynault françois, limitrophes à la Picardie, au Soissonnois et à la Thiérache, 14 novembre 1747.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui fait défenses à toutes personnes de faire sortir des provinces de Flandre, du Hainaut, de Picardie, d'Artois et du Soissonnais pour l'étranger, aucuns lins ou filets gris ou écrus, qui ne soient teints ou blanchis, 10 juin 1749.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne l'exécution de ceux des 14 juin 1746 et 12 août 1747, portant établissement de nouvelles précautions pour prévenir les fraudes à la sortie des vins par les provinces de Picardie et de Champagne, 29 juillet 1749.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne l'exécution de ceux des 14 juin 1746 et 12 août 1747, rendus à l'occasion des fraudes sur les vins enlevés de l'étendue des cinq grosses fermes, pour aller dans les quatre lieues des limites des provinces de Picardie et de Champagne, 5 mai 1750.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui contient différentes dispositions au sujet des déclarations, soumissions et cautionnements pour assurer le payement des droits de subvention, inspecteurs aux boissons, anciens et nouveaux cinq sous et de Neuf livres dix-huit sous par tonneau sur les vins et autres boissons destinés pour la généralité d'Amiens, 3 décembre 1771.
- Lettres patentes portant règlement pour la fabrication des toiles dans la généralité de Picardie, données à Versailles, 30 septembre 1780.
- Jacques Necker, De l’administration des finances de la France, t. I, 1785.
-
Bibliographie scientifique:
- Charles Engrand, « Vision administrative et réalités : une province au temps de Louis XIV », thèse de doctorat d’Etat sous la direction de Pierre Deyon, Université Charles-de-Gaulle Lille III, 2 t., 1995.
- Sophie Sédillot, De la province de Picardie au département de la Somme : l'administration territoriale sous le règne de Louis XVI, 1787-1792 : ruptures et continuités. Thèse soutenue en 2007 à Amiens, sous la direction de Édith Géraud-Llorca.
- Jacques Bottin et Nicole Pellegrin (éd.), « Echanges et cultures textiles dans l’Europe préindustrielle », Revue du Nord, hors-série Histoire 12, 1996.
- Jean Gallet, « La contrebande du sel en Picardie », dans A. Duménil et P. Nivet (dir.), Picardie, terre de frontière, Amiens, 1998, p. 97-108.
Picardie » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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