Thomas Boullu
En matière d’eau-de-vie, l’expression de porte-à-col est
reprise dans plusieurs arrêts du Conseil du roi rendus
successivement le 12 octobre 1675, le 26 juin 1676, le
19 juin ainsi que le 4 décembre 1677. Ces arrêts procèdent à une réforme de la
fiscalité en accordant aux porte‑à‑col une exemption sur
les droits de détails. Le porte-à-col est ainsi placé dans
une situation privilégiée par rapport aux autres
revendeurs. L’ordonnance de juin 1680 sur les
aides reprend ces
arrêts au titre 15 relatif aux droits sur les eaux-de-vie. Aux
termes de l’article 6, le porte-à-col n’est plus frappé
des droits de 15 livres qui se paient sur chaque muid
d’eau-de-vie vendu en détail. La législation royale
encadre cet avantage qui ne peut bénéficier qu’à ceux qui
achètent l’eau-de-vie « à pot ou à pinte » pour la
revendre « quatre ou six deniers, ou un sol au plus ». Le
porte-à-col ne disposant pas de stock important,
l’ordonnance le dispense également de l’obligation de
présenter des tonneaux susceptibles de recevoir le
contrôle et la marque des commis. Ce régime dérogatoire est répété à l’identique
dans l’ordonnance de
Normandie de 1680 concernant
le droit de quatrième
réduit au cinquième. Il s’étend ensuite au paiement du
droit annuel dans le ressort
de la Cour des aides de Paris qui, aux
termes de l’article 11 de l’édit de décembre 1686, ne peut plus être exigé
auprès des porte‑à-col.
Cette disposition relative à l’annuel est postérieurement répétée par
l’arrêt du 8 mars 1689 puis par
la Déclaration du 30 janvier 1717. Dans la généralité
d’Orléans, l’arrêt du 8 février 1687 confirme que « ceux qui
achettent de l’Eau-de-Vie à pot ou à assiette, qui la
revendent à porte-col […] jusqu’à un sol seulement, ne
doivent aucun droit ». Enfin, les lettres patentes du 24
août 1728 enregistrées à la
Cour des aides de Paris ainsi qu’à la
Cour des aides de Normandie répètent l’exemption du droit de détail et de
l’annuel pour les porte‑à-col. Au total, le
porte-à-col ne déclare ni l’achat qu’il fait de son eau-de-vie ni la
revente à laquelle il procède.L’explication de ces
avantages fiscaux semble résider en deux points. Pour
Jacquin, il est « juste » que les porte-à-col ne paient
pas les contributions sur l’eau-de-vie car ces dernières ont déjà été
réglées par les vendeurs auprès de qui ils se sont
fournis. Rousselot de Surgy partage cette analyse
soutenant que les porte-à-col « sont censés acheter cette
eau-de-vie par pintes, de marchands sujets aux droits de
détail à l’annuel ». Les porte-à-col échappent donc ce qui
s’assimilerait, selon ces auteurs, à une double
imposition. L’exemption dont bénéficient les porte‑à‑col
semble également être en lien avec le modique débit d’eau-de-vie qu’ils
débitent et les faibles conséquences qu’entraîne cette
activité. L’avantage fiscal dont bénéficient ces
« revendeurs à la petite mesure » ne grève pas lourdement
les finances du Royaume et ne pénalise pas le commerce des
autres débitants. La quantité négligeable d’eau-de-vie
vendue par un porte-à-col explique que ce dernier ne
puisse espérer d’importants revenus. Les porte-à-col sont
vraisemblablement le plus souvent des miséreux fréquemment
qualifiés de « pauvres gens » dans les sources. Hommes ou
femmes, ils peuvent être ambulants ou préférer se poster
« au coin des rües » afin de proposer des boissons aux
passants.
Au-delà de l’usage spécifique du terme
porte-à-col en matière d’eau-de-vie, l’expression est également
fréquemment rencontrée en matière de gabelles. Comme pour l’eau-de-vie, le
porte‑à‑col de sel transporte sa marchandise sans moyen de
transport particulier, sur lui, le plus fréquemment à
l’aide de sac « ordinairement pendus au col ». La quantité
qu’il véhicule est indifférente puisque le terme de
porte-à-col qualifie tant l’individu surpris avec son sel
d’usage que le revendeur qui, selon Callery, peut
transporter « entre 50 et 80 livres de sel ». À l’instar
du revendeur d’eau-de-vie, c’est un « pauvre bougre », un
« gagne petit » qui opère dans l’espoir d’« un misérable
gain ». Le sel étant une marchandise de monopole, le
porte-à-col en matière de gabelles est nécessairement hors la loi.
Incapable de payer le sel des greniers pour sa consommation ou acceptant
d’entrer dans le commerce illicite et de s’exposer aux
peines exemplaires de la législation royale, le
porte-à-col est « une forme de criminalité économique du
pauvre » pour Anne Montenach. Comme en matière d’eau-de-vie, l’histoire
du porte-à-col en matière de gabelle semble ainsi
susceptible de renseigner l’étude des « vies minuscules »
dont l’activité économique s’inscrit en réaction à
l’appareil fiscal. L’usage particulier du terme de
porte-à-col en matière de gabelle semble, comme pour
l’eau‑de‑vie, être la conséquence de la législation
royale. Supposé transporter de petites quantités et, dans
une certaine mesure, ne pas attenter de manière trop
importante au commerce du sel monopolisé par l’État royal,
le porte-à-col en matière de gabelle est puni moins
sévèrement que le contrebandier d’envergure. En conséquence, le
porte-à-col échappe aux châtiments exemplaires qui
frappent le faux-saunier « à port d’armes [ou] avec
chevaux, équipage ». L’édit de juin 1660 enregistré à la Cour des aides
de Paris et de Rouen reconnaît que le faux-saunage « se
fait en diverses manières qu’il nous est plus ou moins
dommageable ». En conséquence, il est « juste de régler
les peines selon la qualité du crime » pour le
législateur. Le porte-à-col s’expose donc à une amende de 100 livres
susceptible d’être convertie à la peine de trois ans de
galères en cas de non-paiement et aux galères à perpétuité
en cas de récidive. À l’inverse, le faux-saunier « avec
Chevaux, Harnois ou Batteaux, sans armes » encourt dès la
première arrestation une condamnation aux galères à
perpétuité et 1000 livres d’amende. L’édit de
février 1664 enregistré à la
Cour des aides de Provence et du Dauphiné confirme que c’est l’ampleur et les
conséquences de la fraude sur l’état du Trésor qui
justifient une modulation de la réponse pénale. Selon les
termes de la loi, les différentes fraudes « ne sont pas
toutes également dommageables, sont plus ou moins hardies
de consequence, qu’elles sont faites avec plus ou moins
d’appareils ». En conséquence, le porte-à-col ne s’expose
qu’à une amende de 300
livres ramenée à 200 livres par la déclaration du 22
février 1667, au lieu de cinq
années de galère s’il use d’un moyen de transport. Dans
l’hypothèse de la récidive, le porte-à-col encourt trois
ans de galères et échappe ainsi à la peine de mort
susceptible de frapper le faux-saunier à dos d’âne, de
mule ou de cheval. À la fin du règne de Louis XIV, cet
aménagement dont bénéficient les porte-à-col se rencontre
de plus en plus fréquemment. L’ordonnance de mai 1680
sur les gabelles,
la déclaration du 5 juillet 1704, la déclaration du 18 mai 1706, la déclaration du 3 mars 1711
ou encore la déclaration du 3 mars 1771 s’appuient toutes sur la
manière dont les faux-sauniers transportent leur
marchandise pour adapter l’arsenal répressif et moduler
les peines encourues. Le statut de porte-à-col emporte
également des conséquences sur le montant des récompenses
versées aux individus participant à une arrestation. Aux
termes de l’arrêt du 16 février 1723, la gratification s’élève à 20 livres pour un
faux-saunier à col et à 40 livres lorsqu’il se déplace à
cheval. À nouveau, la question du lien entre la gravité de
la fraude et le type de transport utilisé semble
déterminante pour déterminer la juste récompense.De
manière ponctuelle au cours du XVIIIe siècle, le terme de
porte-à-col se rencontre pour qualifier le transport
d’autres marchandises prohibées. Il est rencontré en matière de tabac dans la délibération
de la Ferme générale pour le partage des saisies et des amendes du 3 décembre
1721. Il permet
également au législateur de distinguer les peines
auxquelles s’exposent les contrebandiers en matière de
tissus étrangers dans l’édit de 1726. Au XIXe siècle, le terme se rencontre encore
dans les archives de la douane avant de sortir
progressivement de l’usage de la langue française.
Sources et références bibliographiques:
Thomas Boullu, « Porte-à-col » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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