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Mur des Fermiers généraux

Momcilo Markovic





Le 22 juin 1790, l’Assemblée nationale adopte le décret relatif à l’organisation municipale de Paris qui divise notamment la ville en quarante-huit sections, en détaillant les limites de chacune d’elles. L’article 3 précise que « la commune ou Municipalité de Paris sera renfermée dans l’enceinte des nouveaux murs, mais les boulevards que l’on construit en dehors de ces murs seront soumis à l’administration municipale ». Les législateurs n’innovent rien en la matière et ne font qu’entériner un projet qui a germé à la fin des années 1770 dans les arcanes du pouvoir : fixer définitivement une ligne de démarcation physique entre la capitale et la banlieue, espérant éviter ainsi une croissance considérable de la ville. Commencée à la fin de l’Ancien Régime, dès le début de l’année 1785, l’enceinte aurait dû être achevée dans le courant de 1789, mais les événements révolutionnaires de l’été ont retardé son achèvement de plus d’un an. Cette considérable entreprise de l’Etat royal ne peut s’apprécier que si l’on comprend que cette muraille n’a aucun but défensif, au contraire de celles du Moyen-Âge. L’objectif est, ici, tout autre et se présente sous deux aspects majeurs : donner à la ville des entrées somptueuses en l’inscrivant dans une histoire architecturale unique tout en percevant des impôts indirects, indispensables à la monarchie. La clôture de Paris, telle que la nomment de manière impersonnelle les documents officiels, n’est nullement un assemblage rudimentaire de planches ou de grilles. La mémoire collective a retenu, depuis, une appellation plus explicite qui attribue la paternité de l’édification à un groupe de financiers, les Fermiers généraux, d’où son nom de Mur des Fermiers généraux.

Les limites fiscales et les barrières au XVIIIe siècle: Les barrières et les bureaux de perception existent au moins depuis le début du XVIIIe et coïncident avec les limites de la ville. Les barrières sont des points de passage et de contrôle des marchandises qui pénètrent dans la ville. Ainsi, toute personne qui souhaite entrer dans la ville, chargée de denrées ou de matériaux, doit au préalable s’acquitter d’une taxe aux barrières que l’on appelle les droits d’entrée. Sans former une démarcation nette avec la banlieue, les barrières permettent du moins de circonscrire le territoire fiscal de Paris. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les boulevards du Midi ou Nouveau Cours servent à délimiter la ville et les barrières y sont fixées. Ainsi, sur la partie méridionale, la première barrière est disposée près du fleuve sur le quai de la Grenouillère (quai d’Orsay), à l’est de l’esplanade des Invalides ; les barrières sont ensuite positionnées sur le Nouveau Cours (actuel boulevard des Invalides) et sont implantées sur le boulevard planté (boulevard du Montparnasse) jusqu’à Port-Royal. Le Nouveau Cours bifurque ensuite vers le sud sur la route d’Orléans (avenue Denfert-Rochereau) où sont établies quelques barrières. A partir de la place d’Enfer (Denfert-Rochereau), en allant vers l’est, les barrières sont placées légèrement au nord du boulevard planté ainsi qu’au sud de l’hôpital de la Salpêtrière avant qu’une dernière barrière, disposée près de la Seine, vienne clore cette limite. Au total, plus d’une vingtaine de barrières constituent le bornage fiscal dans cette partie de la ville et aboutissent pour l’essentiel au niveau des grands axes routiers. Pour la partie septentrionale, le décompte est plus problématique, car de nombreuses barrières sont déplacées ou créées dans de nouveaux endroits en fonction de l’accroissement urbain. On peut ainsi trouver dans un rayon de quelques dizaines de mètres quatre barrières qui s’incrustent dans le tissu urbain afin d’éviter une fraude considérable. Les quartiers situés au nord, ceux de La Pologne et de la Nouvelle-France, particulièrement surveillés, sont réputés être des zones de fraude majeure malgré la présence de la caserne des Gardes-françaises au sud du clos Saint-Lazare. Une bonne trentaine de barrières sillonnent la partie septentrionale, débutant sur la rive droite, à l’extrémité ouest du Cours-La-Reine (actuel pont de l’Alma) avant de continuer sur la route de Saint-Germain (au niveau du métro Georges V) pour aboutir au sud du jardin du duc de Chartres (parc Monceau). Le tracé des barrières suit un parcours vers l’est en empruntant les actuelles rues de la Pépinière, Saint-Lazare, Lamartine. Ensuite, les barrières sont placées aux extrémités nord des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin et mènent au sud de l’hôpital Saint-Louis. A partir de là, le tracé fiscal borde l’actuelle rue Saint-Maur où il est interrompu par l’ancien hôpital de la Roquette avant de reprendre son parcours au niveau de la place du Trône (place de la Nation). Enfin, pour rejoindre la Seine, l’itinéraire longe le sud et s’achève par les barrières de Bercy et du quai de la Râpée. En comptabilisant les deux portions de l’espace parisien, c’est environ 55 barrières qui ponctuent le bornage fiscal.

Un chantier hors-norme aux multiples rebondissements. Si l’embellissement de la capitale est un enjeu de taille pour les autorités en place, cet aspect ne demeure pas prioritaire : c’est bien la fraude qui préoccupe avant tout la Ferme. Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, le produit des droits d’entrée à Paris atteint difficilement 36 millions de livres (les boissons représentant plus de 55% des taxes parisiennes), ce qui représente néanmoins 7% du total des recettes de l’Etat royal. Pour le gouvernement et la Ferme qui espéraient un revenu de 48 millions, le manque à gagner de 12 millions résulte de deux causes majeures. D’une part, la croissance urbaine des faubourgs à la frontière de la ville recoupe la limite fiscale et c’est précisément dans ce secteur extra-muros (territoire non taxable) que les cabarets et guinguettes s’installent, évitant ainsi d’acquitter les droits d’entrée. Ainsi, dans le nord de Paris, dans le secteur des rues des Martyrs et Sainte-Anne (rue du faubourg-Poissonnière) des dizaines de débits de boisson se fixent et offrent à leur clientèle du vin ou de l’eau-de-vie à des prix quatre fois moins élevés qu’à l’intérieur de la ville. Ces lieux de consommation donnent sur la rue, mais possèdent également à l’arrière des cours fermées par lesquelles il est aisé de transporter des boissons en les faisant pénétrer illicitement dans la ville. Ce sont ces doubles issues, des faux passages, souvent dénoncés par la Ferme, qui sont scrutés par l’administration. D’autre part, en élargissant les limites de la ville et en y intégrant certains faubourgs déjà peuplés, on augmente le nombre d’habitants qui seraient de fait assujettis aux droits d’entrée.

Bon nombre de responsables, dont Lavoisier, fermier général, cherchent ainsi une solution à la fraude en envisageant de construire une enceinte de murs sur le périmètre territorial, d’autant que les barrières sont loin d’être hermétiques et sont constituées « d’une grossière clôture en planches sur laquelle s’appuyait une guérite pour les commis des droits d’entrée et qui n’offrait, dans le jour, que le passage d’une seule voiture ». Dès la fin des années 1770, on se penche donc sur la construction d’un mur sur toute la circonférence de Paris en menant une réflexion sur la démarcation urbaine. Les officiels ne raisonnent plus sur des portions d’espace, mais sur la totalité de l’étendue parisienne. Mollien, en tant que premier commis au contrôle général des Finances, sous les ordres de Colonia, alors directeur des Fermes, avait remis un mémoire sur les limites de la capitale et sur le bail de la Ferme, mais aucune décision véritable ne fut prise à ce moment. Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Calonne pour exécuter ce plan d’envergure d’enclore entièrement la ville.

Les Fermiers généraux soumettent le projet en février 1784 à Calonne, le contrôleur général des finances, qui accepte immédiatement. Celui-ci sollicite Breteuil, ministre de la Maison du roi et responsable de la ville de Paris qui, à son tour, remet l’étude préparatoire au bureau de la Ville sur la construction d’une enceinte partielle qui enfermerait uniquement le sud de Paris, entre l’hôpital général de la Salpêtrière et le chemin de Fontainebleau (place d’Italie), l’idée de la Ferme étant de profiter de l’obstacle naturel du mur d’enceinte de l’hôpital. Puis, le projet devient plus ambitieux et, cette fois, on envisage d’enceindre la totalité de la ville. Sur la rive gauche, profitant de l’aménagement déjà existant du boulevard planté, on décide d’englober, en plus du faubourg Saint-Marcel, Vaugirard, le Champ-de-Mars et le Gros-Caillou. Sur la rive droite, le mur doit cerner Picpus et se diriger ensuite vers le nord en incluant une partie des quartiers de Ménilmontant, de la Villette et des Porcherons, puis se prolonge à l’ouest par la Petite Pologne et Chaillot avant d’aboutir sur le quai de la Seine, au niveau du couvent des Minimes (au sud de l’actuel pont d’Iéna). Lorsque l’opération prend véritablement forme quelques mois plus tard, ce plan, dans ces grandes lignes, sera respecté. Il ne manque que l’accord final du roi qui intervient le 23 janvier 1785 pour démarrer l’entreprise. Pour s’atteler à cette œuvre hors du commun, la Ferme fait appel à l’architecte Claude-Nicolas Ledoux. Les travaux commencent sur la rive gauche à partir de l’automne 1784 (avant même la décision royale) et débutent sur la rive droite en 1787.

Entre 1784 et 1787, Ledoux peut compter sur le soutien indéfectible de Calonne avec lequel il partage une même ambition, celle de laisser une marque durable dans l’Histoire. L’architecte, ayant l’aval du ministre, n’a aucune contrainte, et il peut aspirer à des rêves grandioses. Ledoux dépense alors sans compter. Initialement, l’architecte avait prévu un coût de 6 millions de livres pour la clôture ; en 1790, le Mur (achats de terrains, travaux de terrassement, édification de l’enceinte, création des boulevards, construction des édifices et guérites…) revient à plus de 20 millions de livres. Ledoux laisse libre cours à ses envies qui lui permettent de concrétiser un rêve qu’il avait commencé à mettre en œuvre une dizaine d’années plus tôt lors de la construction de la saline d’Arc-et-Senans. A Paris, comme en Franche-Comté, l’architecte fonde sa démarche à la recherche d’une ville idéale où les aspects politiques et économiques doivent être en symbiose avec les aspects sociaux et moraux. Les barrières sont ainsi des édifices majestueux et luxueux qui s’inspirent des Propylées d’Athènes. Les emprunts à l’Antiquité grecque ou romaine participent au souffle créateur de Ledoux. Les bâtiments se déclinent en rectangle, en carré, en triangle, en croix grecque avec une coupole. Les pavillons sont composés de péristyles aux colonnes doriques, toscanes, carrées, à bossage ou couplées. Les façades en arcades sont munies d’un fronton triangulaire. Pour de nombreux édifices, des bas-reliefs ornent l’entablement. En somme, une palette de formes qui montre l’étendue de la richesse architecturale et ornementale de l’œuvre de Ledoux.

Les crises financières et politiques de la France précipitent la chute de Calonne au printemps 1787 et, indirectement, celle de Ledoux. L’heure n’est plus aux dépenses dispendieuses et la clôture fiscale en est la première victime. Les dépenses engagées dépassent de loin les devis initiaux et inquiètent le pouvoir. Dès juillet 1787, Louis XVI reconnaît que « l’étalage fastueux ne correspond pas à des bureaux destinés à percevoir l’octroi, contraire à l’objet même d’une entreprise qui n’a été formée que dans des vues d’économie ». Une commission, comprenant Antoine et Raimond, architectes du roi, est nommée le 7 septembre 1787 pour visiter « les travaux de la clôture, dont les dépenses excédaient déjà la somme qui était annoncée ». Le 25 novembre, un arrêt du Conseil ordonne la suspension des travaux jusqu’à l’examen final des édifices. Ledoux se fait alors prier pour remettre les devis et plans à la commission. La fuite en avant commence pour l’architecte. Ce dernier sait pertinemment que ses somptueux bureaux sont menacés et les économies qu’il propose (un peu moins de 900 000 livres pour la totalité des bureaux) sont jugées insuffisantes. Il tente alors de sauver son œuvre, précipite les travaux, accumule les matériaux et fait tailler les chapiteaux des bâtiments, faisant en sorte que « façonnées pour leur destination, les pierres ne peuvent pas être employées à une autre chose ».

Au début de l’année 1788, les architectes remettent au nouveau ministre Loménie de Brienne un rapport accablant. Ceux-ci – pour ne citer que quelques exemples significatifs – notent que les deux pavillons de l’Etoile, chiffrés par Ledoux à 96 000 livres, devraient coûter plus de 500 000 livres. Les deux pavillons de la barrière de Fontainebleau (place d’Italie) furent estimés à 110 000 livres ; après inspection, la commission prévoit une dépense d’au moins 400 000 livres. Sur la rive gauche, les deux pavillons qui composent le bureau d’Orléans (place Denfert-Rochereau) voient leur prix être multiplié par trois, passant de 140 000 à 430 000 livres. Finalement, le 23 mai 1789, la disgrâce de Ledoux tombe et Necker, qui remplace Loménie de Brienne, lui annonce officiellement son renvoi.

La construction du Mur des Fermiers. A l’automne 1787, dans la partie méridionale, entre les barrières de la Gare (sur le quai, à l’est de la Salpêtrière) et de la Cunette (face au pont de Bir-Hakeim), les bâtiments et le mur sont globalement terminés. Seule une portion de l’enceinte, entre la rue de Sèvres et le sud des Invalides, n’est pas encore édifiée. En 1789, il reste deux bureaux inachevés (Vaugirard et Sèvres), mais les grilles en fer des barrières sont placées dans l’alignement du mur et abritent les employés et les chasseurs aux barrières (garde nationale soldée, spécialement affectée à la surveillance de l’octroi).

Dans la partie septentrionale, formant un arc de cercle entre la barrière de la Conférence et le quai de la Râpée, les pavillons et le mur sont à peine commencés en 1788 et les tronçons sont mis en service à des dates différentes. Comme sur la rive gauche, à défaut d’avoir terminé le mur, on dresse une palissade en bois en de nombreux endroits. Faute de s’entendre avec des propriétaires qui exigent, pour les parcelles, des sommes prohibitives ou qui ne souhaitent pas les vendre, l’administration localise la clôture sur une autre trajectoire, ce qui a des conséquences sur le circuit initial. En effet, le mur n’est pas rectiligne à l’est de la barrière de Clichy et l’enceinte forme un angle rentrant, contournant au nord l’immense propriété du château de La Bouëxière (actuel lycée Jules Ferry). Dans le prolongement de la barrière du Trône jusqu’à la Seine, les travaux ont pris du retard et aucun édifice n’est achevé. Pour pallier cet inconvénient, la Ferme a disposé des bureaux provisoires et a loué à des particuliers des maisons qui servent de logements de fonction et de surveillance.

Lorsque la totalité de la clôture fiscale est mise en service en 1790, 55 barrières sont prévues sur le pourtour parisien : 35 barrières sont implantées dans la partie septentrionale sur une longueur de 16 km alors que la partie méridionale compte 20 barrières sur 7 km. Sur les 55 barrières, 13 sont composées de deux bâtiments identiques et symétriques (Etoile, Belleville, Trône, Fontainebleau, Maine, d’Enfer, Ecole Militaire…) et les bureaux disposent à l’arrière des cours fermées dans lesquelles des bâtiments annexes sont construits pour le service des droits d’entrée. Toutes les barrières disposent de guérites en pierre (postes de surveillance et d’inspection) aux entrées de la ville. De nombreuses barrières ne sont pas équipées de bureaux de perception ; ce sont des postes d’observation ou de renvoi (barrières de la Fosse aux lions, de l’angle de Montparnasse, des Rats…) qui n’ont ni ouverture ni passage dans le mur, permettant une vigilance le long de la clôture tout en contraignant les marchands à se rendre au bureau de perception le plus proche. Sur la circonférence du mur, le réseau des barrières est extrêmement dense : les bureaux sont proches les uns des autres, une distance moyenne de 400 m les sépare. Associée au chemin de ronde à l’intérieur de la ville, la concentration des barrières rend les inspections et les patrouilles plus efficaces contre la fraude. Comme l’a souhaité Ledoux, les bâtiments de la clôture sont à la fois des lieux de perception des taxes et des lieux de vie pour les employés de la Ferme.

L’emplacement des barrières et les limites de la ville obéissent à une certaine logique. Les bureaux les plus majestueux et imposants sont fixés au débouché des grands axes routiers, privilégiant une orientation nord-ouest/sud-est où les deux barrières de l’Etoile et du Trône glorifient la monarchie. En édifiant au nord-est la barrière Saint-Martin (la rotonde de la Villette), Ledoux choisit d’établir l’immense bureau à égale distance des routes du Bourget et de Pantin qui conduisent respectivement vers la Flandre et l’Allemagne. Le bornage de la ville s’arrête là où les densités de bâti et de population sont plus lâches, là où un vide humain existe. La plaine de Grenelle, peu habitée, est, en cette fin du XVIIIe siècle, un vaste champ de culture, difficile à exploiter à cause des terres marécageuses aux abords de la Seine et l’enceinte exclut ce territoire. Au nord ou à l’est de la capitale, la formation du mur répond à d’autres critères topographiques en tenant compte du relief qui est un élément déterminant. L’enceinte se fixe dans des zones où les ruptures de pente deviennent fortes ou qui viennent buter sur des rebords de colline (Montmartre, Belleville, Ménilmontant), où la culture de la vigne sur les coteaux côtoie les carrières de gypse.

En vain, on chercherait à donner une date d’achèvement du Mur des Fermiers, tant les péripéties furent multiples. En 1860, date de l’annexion de nombreuses communes qui crée un nouveau Paris élargi, la clôture et les pavillons, devenus inutiles et encombrants, commencent à être démantelés. Pourtant jusqu’à ce moment fatidique qui marque la disparition du Mur des Fermiers généraux (mais non la fin de l’octroi), les autorités se soucient de la clôture fiscale. Alors que les lettres patentes du roi du 9 juin 1790 fixent définitivement le territoire fiscal de la ville, il reste des pavillons qui ne sont pas finalisés (barrières Poissonnière, Rochechouart, Villette, Pantin…) ; d’autres sont érigés en partie, mais rapidement détruits (Barrières des Amandiers, de la Râpée). Pour les barrières Vaugirard, Sèvres, Clichy, Saint-Denis ou Ménilmontant, Ledoux avait prévu deux pavillons semblables de part et d’autre des routes ; cependant, là encore, pour des raisons d’économie, un seul édifice sera bâti pour chaque barrière. En mai 1791, moins d’un an après l’installation officielle de la clôture, l’Assemblée vote la suppression des taxes aux entrées des villes. Si les grilles sont démontées et vendues par la municipalité, le mur n’est pas abattu ni les pavillons qui sont loués à des particuliers, mais faute d’entretien, les édifices dépérissent. Les appétits fiscaux poussent le Directoire à rétablir l’octroi en 1798. Sous la Restauration, la barrière de la Folie Renaud est détruite ; à la place, on installe deux guérites en pierre qui encadrent la rue de la Roquette. Les barrières proches de l’hôpital de la Salpêtrière (de la Gare, de la Voyerie, d’Ivry) sont rasées et remplacées par d’autres (qui conservent leur appellation initiale) le long du futur boulevard Vincent Auriol. Inversement, de nouveaux bureaux sont aménagés en 1836 et 1852 dans le mur à l’intérieur du jardin du Trocadéro (barrières de Franklin et des Batailles) ou dans la partie sud, vers 1840, entre les barrières de l’Ecole Militaire et de Grenelle (barrière de la Motte-Picquet).

La clôture fiscale mobilise pendant plus de six ans (1785-1790) des centaines d’ouvriers spécialisés qui s’affairent quotidiennement à la taille des pierres des édifices, des guérites, des colonnes, ou à la construction de la toiture, pendant que les manœuvres, plus nombreux, issus des ateliers de charité, s’occupent du terrassement et du pavage des nouveaux boulevards. La ville connaît alors une extension territoriale conséquente, passant de 1330 à plus de 3300 hectares sur un périmètre de 12 000 toises (un peu moins de 24 km). Ainsi, le premier boulevard périphérique est érigé – bien avant celui du XXe siècle – jalonné de 55 magnifiques portes d’entrée, avec ses quelque 70 pavillons, encadrés par les guérites en pierre et les grilles en fer forgé. Malgré son coût démesuré, le Mur des Fermiers généraux demeure, incontestablement, le chantier du siècle. Ledoux plante – suivant la pertinente formule de Daniel Rabreau – le décor des entrées avec une parure sans pareille où la représentation du pouvoir est symbolisée avec magnificence. Un faste déployé au service de l’impôt, devrait-on ajouter, ce qui ne fut guère accepté par l’opinion publique.

Nouveau plan routier de la Ville et Faubourgs de Paris, avec ses Principaux Edifices et Nouvelles barrières / par M. Pichon (extrait), BNF/Gallica. [Au début des années 1780, sur la rive gauche, à partir du quai, on distingue trois barrières implantées à l’est de l’esplanade des Invalides].

  

Q1 1101, Mémoire sur la clôture de Paris (extrait). [Le bureau de la route de Fontainebleau (place d’Italie), composé de deux bâtiments, a été proposé au ministre d’après le devis de l’architecte le 1er avril 1785, comme une dépense de 110 000 livres. Plus 7800 livres pour des changements accordés le 23 septembre 1786 et 38000 le 16 février, le tout montant à 155 800 livres. Cependant, cette dépense s’élèvera à environ 400 000 livres].

  

AN, N/III/Seine/826 (extrait). [La barrière du Roule est représentée en rouge. Les numéros 2, 9 et 18 correspondent à des terrains acquis afin de réaliser le « passage de circonvallation », c’est-à-dire la zone où se construit le mur avec les deux chemins. Le n°2 est un terrain de plus de 2 perches (près de 7000 m2)].

  

BHVP, Ms 3160 et Ms 3161, Collections de plans des différents bureaux des barrières de Paris, Plan général du bureau des Bonshommes sur la route de Versailles. [Il s’agit de la fameuse « barrière de la Conférence incendiée », dessinée par Jean-Louis Prieur. Le bureau longe le quai de Seine (à l’extrémité gauche sur le plan). Le bâtiment présente une façade surmontée d’un fronton, décorée de sculptures. Au rez-de-chaussée, un portique ouvre sur six colonnes doriques. A gauche et à droite du bâtiment, dans le prolongement des grilles, deux guérites en pierre supportent les figures de la Bretagne et de la Normandie. La barrière possède une immense cour clôturée dans laquelle de nombreux bâtiments sont construits].

  

Plan de la Ville de Paris avec sa nouvelle enceinte levé géométriquement sur la Méridienne de l’Observatoire… parachevé en 1791, par le citoyen Verniquet (extrait), BNF/Gallica. [La clôture avec son boulevard planté contourne au nord le château de La Bouëxière ; à gauche, la barrière Clichy ; à droite, la barrière Blanche].

  

BHVP, Ms 3160 et Ms 3161, Collections de plans des différents bureaux des barrières de Paris, Plan du bureau des Amandiers. [Ledoux avait conçu un bâtiment sur un plan circulaire d’un diamètre de 60 pieds, élevé sur un stylobate carré de 75 pieds de base. Les devis élevés décidèrent les architectes à construire un petit bâtiment en forme de parallélogramme, mais la fin de l’octroi décidée en 1791 interrompit tous les travaux et le bâtiment resta à l’état de ruine, avant qu’il soit totalement rasé. Seules deux guérites furent édifiées].

  

Plan de la Ville et Faubourg de Paris divisé en ses 48 sections, décrété par l’Assemblée Nationale le 22 juin 1790, BNF/Gallica. [Les numéros renvoient au nom des sections qui sont délimitées par des traits de couleur. La nouvelle enceinte enveloppe la ville. Les barrières sont représentées par un simple petit carré noir. Notons que les limites nord de Paris ainsi que les barrières rattachées apparaissent à peine sur le plan].

  

[L’emplacement de sept anciennes barrières est indiqué dans la partie Est de la ville. Elles sont en activité en 1789 alors que le mur et les nouvelles barrières ne sont que partiellement achevés. Cinq des sept barrières sont implantées le long de l’actuelle rue Saint-Maur. Cette voirie existe déjà à la fin du XVIIIe siècle. Les nouvelles barrières seront officiellement opérationnelles à partir de juin 1790. Celles-ci sont établies sur les boulevards de la Villette et de Belleville. Entre les anciennes et nouvelles barrières, une distance de près de 400 mètres les sépare].

  





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, F7 477411, Papiers de Ledoux.
  • AN, T 705, Papiers de Colonia.
  • AN, Q1 1100, Clôture de Paris (1542-1790).
  • AN, Q1 1101, Clôture de Paris (1731-1789) : -Décisions générales sur l’ordre et la marche des travaux de la clôture de Paris  -Mémoire sur la clôture de Paris -Chronologie des lois et opérations sur les limites -Projet de loi pour la clôture de Paris -Etat de la situation de la clôture de Paris en janvier 1790 -Terrains à acquérir pour la nouvelle enceinte de Paris.
  • BHVP, Ms 3160 et Ms 3161, Collections de plans des différents bureaux des barrières de Paris.

    Sources imprimées:
  • Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), Ms 3159, Ensemble de documents relatifs à la clôture de Paris.
  • Comte Mollien, Mémoires d’un ministre du trésor public, 1780-1815. Avec une notice par M. Ch. Gomel, tome 1, 1898.


    Bibliographie scientifique:
  • Momcilo Markovic, Paris brûle ! L’incendie des barrières de l’octroi en juillet 1789, L’Harmattan, 2019.
  • Daniel Rabreau, Claude-Nicolas Ledoux, Editions du Patrimoine/Centre des monuments nationaux, 2005.
  • Jean-Marc Peysson, Le mur d’enceinte des Fermiers généraux (1784-1791) : politique, économie, urbanisme, 2 volumes, thèse de 3ème cycle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1983.




Citer cette notice:

Momcilo Markovic, « Mur des Fermiers généraux » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :



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