Marie-Laure Legay
Les caves et celliers des couvents conservaient
des barils de vins tirés des
vendanges soumis aux inventaires, droits de gros, comme aux droits rétablis des inspecteurs
aux boissons. Les moines
brasseurs devaient faire leur déclaration aux commis des
fermes et accepter les visites. Les ecclésiastiques
firent naturellement valoir la dignité de leur état et
l’inviolabilité de la clôture des abbayes et couvents pour
lutter contre les nouvelles formes de l’inquisition
fiscale dans leurs établissements. Vincent Delarue,
sous-fermier des aides dans
la généralité
d’Amiens, en charge du doublement des
droits des inspecteurs aux boissons se plaignit à l’intendant de la
résistance des communautés religieuses en juillet 1713 et requit la possibilité
de visiter les enclos comme le rendait possible l’édit
d’octobre 1705 qui rétablit ces
droits. Plus tard, Martin Girard, régisseur des mêmes
droits des inspecteurs aux boissons depuis 1722 demanda expressément que
l’édit de 1705 fût respecté et
que ses commis puissent inspecter les communautés
religieuses, tant d’hommes que de femmes.
La Ferme générale
constatait non seulement la fraude de ses droits, mais aussi la contrebande de
marchandises prohibées comme le tabac, de sorte qu’elle n’eut de cesse
d’obtenir du roi les moyens d’amplifier les visites. En
décembre 1707, une déclaration
royale interdit toute plantation de tabac dans l’enceinte
des communautés religieuses et les contraignit d’accepter
les inspections. Les plaintes redoublèrent. En 1721, l’évêque de Chalon se
plaignit de la visite des employés du tabac chez les
Jacobines de la ville. D’après l’arrêt du 25
janvier 1724, les capitaines des Fermes
étaient autorisés à faire des inspections chez les
privilégiés
sans permission du juge. Les Jacobins de la
ville du Mans refusèrent néanmoins la perquisition
« declarans qu’ils n’estoient point sujets à aucuns
droits, qu’ils n’en avoient jamais payé n’y n’en vouloient
payer ». Le prieur sonna la cloche du réfectoire en criant
« à moy toute la communauté, venez nous aider à assommer
les maltôtiers qui sont ici » ; les religieux s’armèrent
de bâtons et les commis des aides durent fuir (1725). Cet acte de rébellion leur valut
l’amende de 500 livres, en sus de celle ordonnée pour
refus d’ouverture des caves et celliers. Les cas de rébellion de couvents de
femmes sont également
avérés comme celle des religieuses de Saint-François de La
Flèche (1724). En 1734, le Conseil d’Etat
prescrivit la forme que devaient prendre les visites dans
les abbayes et couvents de filles : les commis devaient avoir l’autorisation
préalable de l’évêque diocésain ou d’un Grand-Vicaire et
être accompagnés soit d’un officier du grenier, soit d’un
juge des traites… selon la nature de la contrebande
soupçonnée. D’autres cas furent signalés : le couvent des
Capucins de Rethel-Mazarin fut condamné à 1 000 livres d’amende et à la saisie de 60 livres-poids
et dix onces de faux-tabac en 1747; pour avoir
refusé l’ouverture des armoires et coffres de leur église,
les doyens et chanoines de l’Eglise collégiale de
Saint-Evroult furent condamnés à 500 livres d’amende en
1755 ; de même, le curé
de Saint-Vaast en Normandie fut
condamné en 1768 après la
découverte de 492 livres de faux-tabac dans son
presbytère… etc. Ces cas, et bien d’autres listés de son
côté par Jean Nicolas, témoignaient de la volonté du
législateur de faire porter les droits des Fermes sur les
sujets du roi indistinctement. A l’échelle du royaume, les
relations du clergé avec la Ferme générale, outre les
liens familiaux qui unissaient les élites traditionnelles
et nouvelles, prenaient la forme de versements financiers
pour le compte du roi. L’édit du mois d’août 1780 aliéna un million par an
pendant quatorze ans sur le produit annuel du bail de la
Ferme générale au profit du clergé. Ce « contre-don »
s’expliquait: outre le don gratuit de 30 millions fourni
au roi cette année-là, le clergé de France lançait des
emprunts pour le compte du souverain. La Ferme générale
était alors mobilisée pour rembourser les sommes dues au
clergé. Un double du bail des Fermiers généraux fut donné
aux agents du clergé et la somme fut inscrite dans les
états de dépense de la Ferme. Cette somme fut portée
à 1, 2 million en 1782
(édit de novembre).
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Clergé » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :