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Artois

Marie-Laure Legay





Les relations de cette province dotée d’Etats assez puissants avec la Ferme générale furent globalement mauvaises : « L’Artois est un pays gouverné par les Etats où les loix des Fermes générales ont toujours été inconnues, où tout commerce est libre, où nulle imposition n’a lieu moyennant une somme fixe à laquelle le pays a toujours été pour ainsi dire abonné avec son souverain », lit-on encore dans un mémoire de 1740. Cependant, ces rapports évoluèrent et s’adoucir comme dans le Cambrésis où l’assemblée des Etats devint « capitulations de 1660, demeura exemptée de gabelle et du monopole de vente du tabac. Furent donc définies dès 1664 trois lieues limitrophes aux confins de la Picardie, lieues dans lesquelles la consommation de sel fut scrupuleusement réglementée et contrôlée et la culture du tabac prohibée.

Vis-à-vis du tabac, le gouvernement royal espérait interdire la culture dans toute la province, suivi en cela par le clergé et le tiers-état du pays. Toutefois, la résolution de l’assemblée des Etats provinciaux limita cette interdiction aux trois lieues limitrophes (1678). Vis-à-vis du sel gris, l’interdiction de faire des magasins fut considérée comme un « commencement de gabelle » par les Artésiens et Jean-Baptiste Colbert eut du mal à imposer à la province le principe d’un contrôle aux confins avec la Picardie. L’ordonnance de mai 1680 confirma le droit des habitants d’utiliser le sel blanc et le sel gris dans ces paroisses limitrophes à condition de limiter leur consommation à un minot par an pour sept personnes. Le droit de visite des commis de la Ferme fut établi dans cette zone. Toutefois, la Ferme générale chercha à étendre le contrôle au-delà, car la province était considérée comme « la source la plus dangereuse du faux-saunage de Picardie ». En 1690, les confins avec le Boulonnais furent également définis (arrêt du 21 février). L’intendant vint en appui en ordonnant que les déclarations de familles dans ces paroisses limitrophes fussent fournies tous les six mois. Cette exigence provoqua les Etats d’Artois soucieux de maintenir leur autorité face au commissaire départi. Pris entre deux feux, le Conseil d’Etat transigea : les déclarations de feux devaient être fournies pour une fois seulement par année, en octobre, et les visites des commis de la Ferme seraient levées (arrêt du 2 ao ût 1707). La contre-attaque de la Ferme générale, privée de moyens de contrôle ne se fit pas attendre. Elle fit valoir que l’arrêt de 1707 ne pouvait comprendre les visites domiciliaires autorisées par l’ordonnance de 1680 pour lutter contre le faux-saunage et qu’il devait s’entendre comme ne concernant que les visites de contrôle des familles, ce qui fut acté par l’arrêt du 27 février 1717.

L’assemblée d’Artois finit par admettre le régime particulier des lieues limitrophes, mais à l’égard du sel gris, les tensions ne cessèrent pas car des mesures drastiques de contrôle furent adoptées au temps de John Law. En 1719 (28 juillet), le gouvernement taxa ce sel à 10 livres la rasière à l’entrée des ports septentrionaux (Boulogne, Calais, Dunkerque, Etaples) d’où l’Artois tirait sa consommation, en quantité bien trop grande, jugeait-on. Law avait réuni les Fermes à la compagnie des Indes et entendait bien renforcer la solvabilité de son système. Les Artésiens réagirent mal contre cette nouvelle « gabelle » mais, sommés de choisir entre l’établissement de cette taxe ou l’interdiction définitive de tout usage de sel gris dans le ressort de leur province, ils finirent par se soumettre. En accord avec les Etats provinciaux, l’usage du sel gris fut interdit en Artois (1720), comme il le fut en Hainaut en 1679 ou dans le Cambrésis en 1685. Le conflit suivant opposa les Etats provinciaux à la Ferme générale lorsque celle-ci acquit le droit de visite à Saint-Pol-sur Ternoise, bien que cette ville fût située à plus de trois lieues limitrophes de la frontière picarde (arrêt du 21 juin 1723). Les commis installés dans la ville procédèrent par « vexations », ce dont se plaignirent les Etats, mais aussi le directeur général des Fermes établi à Amiens. L’arrêt de 1723 fut aboli en 1742 (arrêt du 13 février). Enfin, l’assemblée dut accepter la déclaration du 9 avril 1743 qui instaura des règles plus strictes de déclarations dans les trois lieues limitrophes. « Les Fermiers généraux sont parvenu à soutenir aujourd’hui qu’ils sont en droit de faire résider des commis indéfiniment dans les paroisses d’Artois ». Malgré la députation envoyée à Paris, le roi confirma les dispositions nouvelles par la déclaration du 13 mai 1746, jugeant que la police des Etats dans ces confins manquait de rigueur.

In fine, un certain équilibre s’établit dans les relations de la province avec la Ferme générale. Celle-ci reconnaissait les privilèges de l’Artois et son action, cohérente, visait essentiellement à réduire le faux-saunage. Lorsque les Etats se prêtaient à ses vues, elle exprimait sa satisfaction. Lorsque l’assemblée provinciale porta défense aux habitants des trois lieues de favoriser le faux-saunage sous peine d’une amende de 300 livres et de confiscation de sel, des chevaux et des voitures, les Fermiers généraux « ont paru content de ce règlement, lequel a été exécuté exactement par des courses d’archers dans les endroits indiquez par l’inspecteur de Saint-Pol » (1740).

Vis-à-vis des traites, l’Artois fut également reconnue exempte en 1663. La Ferme générale tenta à plusieurs reprises d’ouvrir des bureaux, à Saint-Omer et à Aire-sur-la-Lys notamment après le traité d’Aix-la-Chapelle (1668), mais elle échoua à faire reconnaître ses droits. Les lettres patentes du 5 août 1715 confirmèrent les privilèges de l’Artois :« Toutes denrées, vins, manufactures et marchandises de quelque nature que ce soit, sortant du pays d’Artois pour la Flandre et autres pays étrangers, ou venant de Flandre et autres pays en Artois pour y être consommées ne (devaient) aucuns droits de traites foraines ni autres». Destinées au Hainaut, les marchandises étaient également réputées franches de tout droit à condition que leur origine artésienne fût attestée par certificat. Sur cette base juridique, un type classique de fraude s’instaura : l’introduction de marchandises étrangères en Artois, puis leur voiturage en pays sous domination française (Flandre wallonne, Hainaut…) en les faisant passer pour marchandises du cru. Pour le tabac, le gouvernement prit le parti de taxer le tabac étranger (déclaration du 4 mai 1749) qui entrait pour une autre destination que pour les magasins de la Ferme générale. Il s’agissait, là aussi, de lutter contre les trafics illégaux.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Nord, Mémoire pour les Etats d’Artois contre les Fermiers généraux, Paris, 1740, 41 p..
  • AD Pas-de-Calais, 2C 168, assemblée à la main du 21 juillet 1678.
  • AD Pas-de-Calais, 2C 189.
  • AD Pas-de-Calais, 2C 190.
  • AD Pas-de-Calais, 2C 192.
  • AN, H1 84, pièce 49, lettre de Le Tonnelier de Breteuil, 20 juin 1678.

    Sources imprimées:
  • Édit du Roy portant règlement, tant pour la Ferme générale des gabelles de France que pour les peines des faux-sauniers, impost du sel, usage de la tremuye, cheptelliers, regratiers, salaisons en mer, sel blanc de Normandie et d'Artois, etc., Bordeaux, juin 1660, à Paris, chez Thomas Charpentier, 1696.
  • Ordonnances sur le fait des gabelles des aides…, mai et juin 1680, chapitre XVI, article 25.
  • Lettres patentes du Roy par lesquelles S. M. ordonne l'exécution des arrests et traitez y mentionnez, concernans l'ancienne composition d'Artois, et en conséquence maintient et confirme les habitans de la même province dans leurs. anciens privilèges et exemptions, et notamment en celles de tous bureaux, droits de traites foraines et du payement des droits établis sur les huiles par les édits des mois d’octobre 1710 et aoust 1714, données à Marly, 5 août 1715.
  • Arrest du Conseil du roi qui révoque l'arrest du 28 juillet 1719, ordonne qu'il sera levé 30 sols par chaque rasière de tout le sel qui entrera dans les ports de Dunkerque, Calais, Boulogne et Estaples interdit l'usage du sel gris dans la Flandre françoise, confirme les habitans de ladite province dans leurs privilèges et règle ce qui doit être observé pour empescher le faux-saunage dans ladite province, 23 mars 1720.
  • Arrêt du Conseil d'État du 13 avril 1743, concernant les enclaves de Picardie et d’Artois.
  • Déclaration du 13 mai 1746 qui ordonne qu’i sera arrêté des rôles du nombre des habitants de chacune des paroisses de l’Artois, du Cambrésis et du Hainault, situées dans les trois lieues limitrophes aux provinces de l’Etendue des Fermes générales unies, Paris, 1746, 7 p.
  • Arrêt de la cour des Aides, concernant la provision ordinaire et annuelle du sel des habitans des trois lieues de l’Artois limitrophes au pays des gabelles, 7 septembre 1782.
  • Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoire concernant les droits et impositions en Europe, t. 3, 1769, p.226-252.


    Bibliographie scientifique:
  • Marie-Laure Legay, Les Etats provinciaux dans la construction de l’Etat moderne, XVII-XVIIIe siècles, Paris-Genève, Droz, 2001, p. 208-216.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Artois » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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