Artois
Vis-à-vis du tabac, le
gouvernement royal espérait interdire la culture
dans toute la province, suivi en cela par le clergé
et le tiers-état du pays. Toutefois, la résolution
de l’assemblée des Etats provinciaux limita cette
interdiction aux trois lieues limitrophes (1678). Vis-à-vis du sel
gris, l’interdiction de faire des magasins fut
considérée comme un « commencement de gabelle » par
les Artésiens et Jean-Baptiste Colbert eut du mal à
imposer à la province le principe d’un contrôle aux
confins avec la Picardie. L’ordonnance de mai
1680 confirma le droit des
habitants d’utiliser le sel blanc et le sel gris dans ces
paroisses limitrophes à condition de limiter leur
consommation à un minot par an pour sept personnes. Le
droit de visite des commis
de la Ferme fut établi dans cette zone.
Toutefois, la Ferme générale chercha à étendre le
contrôle au-delà, car la province était considérée
comme « la source la plus dangereuse du faux-saunage
de Picardie
». En 1690, les
confins avec le Boulonnais furent également définis (arrêt
du 21 février). L’intendant vint en appui en ordonnant que
les déclarations de familles dans ces paroisses limitrophes fussent fournies tous les six mois. Cette exigence
provoqua les Etats d’Artois
soucieux de maintenir leur autorité face au
commissaire départi. Pris entre deux feux, le
Conseil d’Etat transigea : les déclarations de
feux devaient être fournies pour une fois
seulement par année, en octobre, et les visites
des commis de la Ferme seraient levées (arrêt du 2
ao ût 1707). La contre-attaque de la Ferme générale,
privée de moyens de contrôle ne se fit pas attendre. Elle
fit valoir que l’arrêt de 1707
ne pouvait comprendre les visites domiciliaires autorisées
par l’ordonnance de 1680 pour
lutter contre le faux-saunage et qu’il devait s’entendre
comme ne concernant que les visites de contrôle des
familles, ce qui fut acté par l’arrêt du 27 février 1717.
L’assemblée d’Artois finit par admettre le régime
particulier des lieues limitrophes, mais à l’égard du sel gris, les tensions ne
cessèrent pas car des mesures drastiques de contrôle
furent adoptées au temps de John Law. En 1719 (28 juillet),
le gouvernement taxa ce sel à 10 livres la rasière à
l’entrée des ports septentrionaux (Boulogne, Calais, Dunkerque, Etaples)
d’où l’Artois tirait
sa consommation, en quantité bien trop grande, jugeait-on.
Law avait réuni les Fermes à la compagnie des Indes et
entendait bien renforcer la solvabilité de son système.
Les Artésiens réagirent mal contre cette nouvelle
« gabelle » mais, sommés de choisir entre l’établissement
de cette taxe ou l’interdiction définitive de tout usage
de sel gris dans le ressort de leur province, ils finirent
par se soumettre. En accord avec les Etats provinciaux,
l’usage du sel gris fut interdit en Artois
(1720), comme il
le fut en Hainaut en 1679 ou dans le
Cambrésis en 1685. Le
conflit suivant opposa les Etats provinciaux à la
Ferme générale lorsque celle-ci acquit le droit de
visite à Saint-Pol-sur Ternoise, bien que cette
ville fût située à plus de trois lieues limitrophes
de la frontière picarde (arrêt du 21 juin 1723). Les commis
installés dans la ville procédèrent par « vexations », ce
dont se plaignirent les Etats, mais aussi le directeur
général des Fermes établi à Amiens. L’arrêt de 1723 fut aboli en 1742 (arrêt du 13 février).
Enfin, l’assemblée dut accepter la déclaration du 9 avril
1743 qui instaura des
règles plus strictes de déclarations dans les trois lieues
limitrophes. « Les Fermiers généraux sont parvenu à
soutenir aujourd’hui qu’ils sont en droit de faire résider
des commis indéfiniment dans les paroisses d’Artois
». Malgré la députation
envoyée à Paris, le roi confirma les dispositions
nouvelles par la déclaration du 13 mai 1746, jugeant que la police
des Etats dans ces confins manquait de rigueur.
In fine, un certain équilibre s’établit dans les
relations de la province avec la Ferme
générale. Celle-ci reconnaissait les
privilèges de l’Artois et son
action, cohérente, visait essentiellement à réduire le
faux-saunage. Lorsque les Etats se
prêtaient à ses vues, elle exprimait sa satisfaction. Lorsque l’assemblée
provinciale porta défense aux habitants des trois
lieues de favoriser le faux-saunage sous peine d’une
amende de 300 livres et de confiscation de sel, des
chevaux et des voitures, les Fermiers généraux « ont
paru content de ce règlement, lequel a été exécuté
exactement par des courses d’archers dans les
endroits indiquez par l’inspecteur de Saint-Pol » (1740).
Vis-à-vis
des traites, l’Artois
fut également reconnue exempte en 1663. La Ferme générale tenta à
plusieurs reprises d’ouvrir des bureaux, à Saint-Omer et à
Aire-sur-la-Lys notamment après le traité
d’Aix-la-Chapelle (1668),
mais elle échoua à faire reconnaître ses droits. Les
lettres patentes du 5 août 1715
confirmèrent les privilèges de l’Artois :« Toutes denrées, vins, manufactures et
marchandises de quelque nature que ce soit, sortant du
pays d’Artois pour la
Flandre et autres pays étrangers, ou
venant de Flandre et
autres pays en Artois pour y
être consommées ne (devaient) aucuns droits de traites
foraines ni autres». Destinées au Hainaut, les marchandises étaient également réputées
franches de tout droit à condition que leur origine
artésienne fût attestée par certificat. Sur cette base
juridique, un type classique de fraude s’instaura :
l’introduction de marchandises étrangères en Artois, puis leur voiturage en pays sous domination
française (Flandre wallonne, Hainaut…) en les faisant passer pour marchandises du
cru.
Pour le tabac, le gouvernement prit le parti de
taxer le tabac étranger (déclaration du 4 mai
1749) qui entrait pour une
autre destination que pour les magasins de la Ferme
générale. Il s’agissait, là aussi, de lutter contre les
trafics illégaux.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Nord, Mémoire pour les Etats d’Artois contre les Fermiers généraux, Paris, 1740, 41 p..
- AD Pas-de-Calais, 2C 168, assemblée à la main du 21 juillet 1678.
- AD Pas-de-Calais, 2C 189.
- AD Pas-de-Calais, 2C 190.
- AD Pas-de-Calais, 2C 192.
- AN, H1 84, pièce 49, lettre de Le Tonnelier de Breteuil, 20 juin 1678.
-
Sources imprimées:
- Édit du Roy portant règlement, tant pour la Ferme générale des gabelles de France que pour les peines des faux-sauniers, impost du sel, usage de la tremuye, cheptelliers, regratiers, salaisons en mer, sel blanc de Normandie et d'Artois, etc., Bordeaux, juin 1660, à Paris, chez Thomas Charpentier, 1696.
- Ordonnances sur le fait des gabelles des aides…, mai et juin 1680, chapitre XVI, article 25.
- Lettres patentes du Roy par lesquelles S. M. ordonne l'exécution des arrests et traitez y mentionnez, concernans l'ancienne composition d'Artois, et en conséquence maintient et confirme les habitans de la même province dans leurs. anciens privilèges et exemptions, et notamment en celles de tous bureaux, droits de traites foraines et du payement des droits établis sur les huiles par les édits des mois d’octobre 1710 et aoust 1714, données à Marly, 5 août 1715.
- Arrest du Conseil du roi qui révoque l'arrest du 28 juillet 1719, ordonne qu'il sera levé 30 sols par chaque rasière de tout le sel qui entrera dans les ports de Dunkerque, Calais, Boulogne et Estaples interdit l'usage du sel gris dans la Flandre françoise, confirme les habitans de ladite province dans leurs privilèges et règle ce qui doit être observé pour empescher le faux-saunage dans ladite province, 23 mars 1720.
- Arrêt du Conseil d'État du 13 avril 1743, concernant les enclaves de Picardie et d’Artois.
- Déclaration du 13 mai 1746 qui ordonne qu’i sera arrêté des rôles du nombre des habitants de chacune des paroisses de l’Artois, du Cambrésis et du Hainault, situées dans les trois lieues limitrophes aux provinces de l’Etendue des Fermes générales unies, Paris, 1746, 7 p.
- Arrêt de la cour des Aides, concernant la provision ordinaire et annuelle du sel des habitans des trois lieues de l’Artois limitrophes au pays des gabelles, 7 septembre 1782.
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoire concernant les droits et impositions en Europe, t. 3, 1769, p.226-252.
-
Bibliographie scientifique:
- Marie-Laure Legay, Les Etats provinciaux dans la construction de l’Etat moderne, XVII-XVIIIe siècles, Paris-Genève, Droz, 2001, p. 208-216.
Artois » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :