Allemagne
Concernant le sel, le commerce avec la Lorraine était le plus actif. Entre
1774 et 1777,
d’après Pierre Boyé, 810 000 quintaux de sel passèrent de
Lorraine en Allemagne. Le produit de la vente
du sel de cette province au seul Palatinat
rapportait 1, 4 million de livres, mais le sel
lorrain approvisionnait aussi le duché des
Deux-Ponts, l’évêché de Spire, le Luxembourg ou
l’électorat de Trèves. La Ferme générale
entretenait des agents
diplomatiques pour négocier avec ces Etats. Contrairement
aux cantons suisses, la
vente n’était pas encadrée par des conventions et
demeurait libre. Certes, certains princes établirent un
monopole de la vente sur leur territoire, comme le
margrave de Baden-Baden ou le prince des Deux-Ponts ; ils
traitaient alors directement avec des compagnies
financières pour aller chercher le sel à Dieuze et levaient sur ce
sel des droits d’accise. Mais là où la vente était libre
en revanche, la Ferme générale, gestionnaire des salines
de Dieuze et de
Château-Salins, agissait pour rendre ses prix attractifs.
Depuis 1738, le prix du sel du
fermier au marchand était fixé comme pour les gabelles d’Alsace à 10 livres, 16 sous et 8 deniers de France le
quintal, soit 2 sous et 8 deniers la livre. Les marchands,
souvent modestes, lui achetaient à crédit. Elle préférait
donc sous-traiter la vente à forfait à des distributeurs,
comme ce Laurent Wolff qui servit d’intermédiaire dans les
années 1770-1780.
Les entrepreneurs contractants
venaient chercher les sels aux salines, en formaient des
magasins aux endroits stratégiques pour vendre au mieux
dans les états allemands. Ils étaient en concurrence avec
d’autres marchands qui exploitaient ce marché, les
Hollandais notamment. On distinguait les sels destinés aux
états situés au-delà du Rhin, depuis les environs de la
ville de Bâle
jusqu’à l’évêché de Spire, soit sur le
Bas-Rhin : le marquisat de Durlach (Karlsruhe), le
marquisat de Baden-Baden, le baillage d’Oberkirch
dépendant de l’évêché de Strasbourg, les deux baillages de
Willstätt et Biesheim, la maison d’Armstatt ; et sur le
Haut-Rhin : le Brisgau, le bas marquisat de Durlach, les
villes impériales d’Offenbourg, Harmersbach, Biberach, la
seigneurie de Lohr, Pforzheim, la vallée
de Kenzingen et Gerolseck. Pour ces secteurs, la Ferme
générale sous-traitait la distribution du sel. Cinq
magasins étaient installés sur le territoire « allemand »:
Strasbourg, Kehl, Emmendingen, Müllheim et Bâle.
Relevaient également de l’« étranger » les sels vendus dans
les lieux libres enclavés en Alsace en deçà du Rhin : les villes de Strasbourg, Saverne et ses dépendances en deçà du Rhin,
la
principauté de Murbach, la vallée de
Saint-Amarin, la république de Mulhouse, l’abbaye de
Neubourg, le Neuf-Brisach et la ville de Landau. Pour ces lieux, le sous-traitant de la
Ferme, Laurent Wolff, établit quatre magasins à
Strasbourg, Saverne, Colmar et Buschwiller dans les années
1770. Au-delà vers le
Nord, la compagnie Laurent Wolff vendait dans l’électorat
de Trèves et le duché de Luxembourg
par la voie mosellane, mais elle n’entretenait
pas de magasin particulier : elle vendait à crédit
directement aux marchands de détail qui venaient
s’approvisionner dans l’entrepôt du modeste port du
Crosne sur la Meurthe, à côté de Nancy, pour les
marchands luxembourgeois et dans celui de
Saint-Avold pour les marchands de Trèves.
Les profits tirés de ces deux derniers marchés étaient
faibles car les entrepôts « français » se trouvaient
décentrés par rapport aux axes commerciaux allemands et
les sels de Lorraine subissaient la concurrence du prix de ceux de
Cologne. Toutefois, comme le sel de
Lorraine restait cher, ce sel
d’exportation refluait, faisant l’objet d’une forte contrebande. Entre
Landau et la ville
d’Haguenau, la vente du sel était
régie par d’autres sous-traitants comme Philippe Gobert et
Jacques Durant.
Lorsque les cautions de Laurent Wolff
abandonnèrent ce commerce du sel, la Ferme générale
envisagea de prendre la vente en régie directe et compara
les avantages d’une gestion classique par sous-traitance,
en obligeant toujours le sous-traitant à venir chercher le
sel à Dieuze, et d’une
gestion par marché particulier pour une certaine quantité
de sel ; dans ce dernier cas,
elle devait envisager des entrepôts bien placés pour
une meilleure distribution au-delà du Rhin,
notamment dans le duché du Luxembourg et l’électorat
de Trèves. A la fin de l’Ancien régime,
lors de la deuxième année du bail Mager (1788), la vente du sel à
l’étranger rapporta dans la Direction de Strasbourg :
En dehors du sel,
les relations commerciales concernaient toutes sortes de
produits comme les étoffes de luxe qui se rendaient
également en Allemagne par les Pays-Bas, en passant en transit par le bureau de Ruremonde. En retour, les négociants importaient du
fer ou des plombs assujettis à un droit de 40 sols le
quintal. Ce droit avantageait les forgerons allemands par
rapport à la fabrication anglaise : les plombs anglais
étaient taxés à 3 livres le quintal.
Toutefois, une fraude
conséquence s’organisait par le biais de la refonte
des plombs anglais dans les forges allemandes, ce
qui fit réagir le Conseil en 1722 : il demanda le contrôle plus strict des
certificats d’origine. Au demeurant,
l’absence de régime douanier entre l’Alsace et la Lorraine, provinces à l’instar de l’étranger effectif, et les Etats
allemands reportait à l’entrée des Cinq grosses fermes les opérations de
contrôle. L’imbrication étroite des territoires dans le
Nord-Est du royaume rendait vaine toute tentative
douanière. Les traités de limites furent établis
tardivement. En suivant les frontières de l'Empire du
Nord-Ouest au Sud-Est, les accords intéressèrent
successivement : les Pays-Bas (16 mai 1769 et 18
novembre 1779), l’Evêché de
Liège (24 mai 1772 et 9
décembre 1773), l’électorat de
Trèves (1er juillet 1778), les
principautés de Nassau-Sarrebruck (15
février 1766 et 26 octobre
1770) et de
Nassau-Weilbourg (24 janvier 1776), le comté de la Leyen (22 septembre 1781), le duché de
Deux-Ponts (10 mai 1766, 3 avril 1783 et 15
novembre 1786), la principauté
de Salm (21 décembre 1751), le comté de Montbéliard-Würtemberg (21 mai 1786) et enfin l’Evêché de Bâle (20 juin 1780). A ces divers traités,
il convient d’ajouter celui du 7 décembre 1779 intéressant le ressort
ecclésiastique des évêchés de Bâle et de Besançon, ces
sièges échangeant leurs enclaves respectives situées en
Alsace et dans le Bâlois.
La présence de la Ferme
générale sur ces territoires frontaliers se limitait donc
à peu de chose. En revanche, son réseau de financiers
s’engagea au service des petits états allemands.
Le privilège exclusif du tabac fabriqué à Mannheim (Palatinat) fut confié en
1752 à une société fortement
liée à la Ferme générale. On y trouvait des cadres comme
Pierre Joseph de la Rivière de Montreuil, receveur général des tabacs à Paris, ou François
de la Fontaine, directeur des aides. Dans la formation
de la régie des accises de Prusse, on retrouve parmi les cautions des hommes comme
Claude Genty, directeur
de la Ferme générale, Nicolas Geuffrin, directeur des aides au département
d’Argenteuil, Etienne Jacques Rouillé de
Marigny, receveur des gabelles à Sancerre, ou
Jean Etienne Grison de la Ville-aux-Clercs, receveur des fermes
également. De même, les financiers intéressés dans les
salines de Lorraine prirent part, sous le nom de Nicolas Leclerc
résidant à Dieuze, dans la
ferme générale à laquelle le prince de Nassau-Saarbrück bailla
ses gabelles, banvin,
aides, droits
domaniaux et seigneuriaux, forges… tant pour sa
principauté que pour les comtés d’Ottweiler
et de Saverne (1776). Charles II, duc des Deux-Ponts, confia à bail ses
fermes des gabelles, tabac, droits de douane, aides dans l’étendue du
duché de Garetenberg au même réseau (1777).
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Meurthe et Moselle, C 311, Mémoire et lettres relatives au projet d’établir un tarif sur la frontière qui sépare la Lorraine de l’Allemagne en supprimant la foraine.
- AN, G1 88, dossier 19, recette de la deuxième année du bail Mager (janvier -décembre 1788).
- AN, G1 131, Mémoire sur la Lorraine.
- AN, G1 132, dossier 1 : Projet de régie de la vente étrangère des sels de Lorraine.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d'Etat concernant le commerce des plombs d'Allemagne et du Nord, 3 mars 1722.
- Georg Friedrich Martens, Recueil des principaux traités d’alliance, de paix, de trêves, de neutralité, de commerce, de limites, d’échange, etc., conclu par les puissances de l’Europe tant entre elles qu’avec les puissances et Etats dans d’autres parties du monde depuis 1761 jusqu’à présent, Göttingen, 1791 (tomes 1 et 2) et 1795 (tomes 3 et 4).
-
Bibliographie scientifique:
- Pierre Boyé, Les salines et le sel en Lorraine au XVIIIe siècle, Nancy, 1904.
- Jean-François Noël, « Les problèmes de frontières entre la France et l’Empire », Revue historique, t. CCXXXV, 1966, p. 333-346.
- Guillaume Garner, « La question douanière dans le discours économique en Allemagne (seconde moitié du XVIIIe siècle), Revue Histoire, Economique et Société, n° 23, Les espaces du Saint-Empire à l’époque moderne, 2004, p. 39-53.
- Thierry Claeys, Les institutions financières en France au XVIIIe siècle, tome 2, Paris, éditions SPM, 2011, p. 513-517.
Allemagne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :