Acquit de paiement
Cette procédure est précisée au
deuxième titre de l’ordonnance de février 1687 sur le
fait des Cinq grosses fermes. Le dédouanement des droits de sortie doit se tenir au
plus proche bureau du lieu de chargement des marchandises
et au premier bureau rencontré dans l’entendue des Cinq grosses fermes pour les
droits d’entrée. D’après les termes de l’article 4 dudit
titre, le marchand est tenu de déclarer sur un registre « la qualité, le
poids, le nombre la mesure des Marchandises, le nom du
Marchand ou du Facteur qui les envoye à celui à qui elles
sont adressées, le lieu du chargement celui de la
destination, les marques numéros des ballots en marge des
déclarations ». Le registre, après avoir été signé par le déclarant et les
commis, prend la valeur d’un acte authentique. Les
marchandises sont ensuite « visitées, pesées, mesurées et
nombrées ». Enfin, les droits sont calculés par le commis
aux recettes qui, après en
avoir reçu le paiement, délivrent l’acquit « sur le
champ ». Il faut souligner que les droits ne sont pas
calculés d’après la visite mais toujours suivant les
termes de la déclaration, ce qui assure au fermier, selon
Magnien, « une double sûreté » : la déclaration devient le
contrôle de la visite, la visite le contrôle de la
déclaration ». Si la quantité constatée est inférieure à
celle déclarée, le marchand paye suivant sa déclaration.
Dans le cas inverse, l’excédent est confisqué et le
contrevenant condamné à une amende de 300 livres. Si
la fraude porte sur la qualité de la marchandise,
par exemple si le marchand déclare du lin plutôt que
de la laine, la totalité de la cargaison est saisie
et le marchand condamné à 300 livres d’amende. La rigueur de cette procédure rencontre
l’hostilité des marchands à l’exemple de ceux de Rouen qui
s’y opposent au prétexte que la déclaration de quantité ne
peut être qu’approximative. Le juge des traites de Rouen donne
raison aux marchands et, sur l’appel du fermier, l’arrêt
du 4 août 1688 de la Cour des aides
confirme le premier jugement. Le Conseil casse les deux
sentences par l’arrêt du 23 novembre
1688 et ordonne l’exécution de l’ordonnance de 1687. Bien que celle-ci ne
porte initialement que sur l’étendue des Cinq grosses fermes, la procédure est
élargie à l’ensemble du royaume dès l’arrêt du Conseil du
2 septembre 1687. Les marchands
nantais contestent alors les formes de la déclaration et
obtiennent un jugement favorable auprès du siège présidial
de Nantes. Le Conseil intervient de nouveau, évoque
l’affaire et donne un règlement pour la prévôté de Nantes dans lequel est
rapporté, dans les mêmes termes, l’impératif de la
déclaration.L’ordonnance de février 1687 laisse
la possibilité au fermier de faire crédit au marchand.
L’acquit de paiement joue alors comme une reconnaissance
de dette et, à défaut de paiement, le receveur peut
décerner la contrainte sur le registre de la déclaration.
Cette contrainte, conformément à l’article 13 du titre
commun de l’ordonnance de 1681,
est exécutoire au même titre que celles décernées pour le
recouvrement des deniers royaux. Le débiteur ne peut pas
être reçu au bénéfice de cession, la prise par corps
est autorisée, le redevable peut être emprisonné et
la saisie des biens est exécutée par préférence à
tout autre créancier.D’après les mots de
Prost du Royer, l’acquit de paiement se rapporte au
« style des douanes », c’est-à-dire qu’il reproduit les
formes figurant sur la déclaration et le registre apposés, la
variété des marchandises contenues dans chaque ballot, le
poids total des balles qui ne renferment qu’une seule
espèce, ainsi que le montant des droits payés. L’acquit
doit aussi préciser le bureau de recette dans lequel il a
été délivré, le numéro du registre sur lequel est consigné la
déclaration, la destination des marchandises, l’itinéraire
emprunté et les bureaux traversés. Le temps de transport
doit également y figurer puisqu’il est aussi celui du
temps de validité de l’acte. L’acquit de paiement
doit être présenté à chaque bureau de la route à
peine d’une amende de 300 livres et de saisie. La cargaison n’a pas besoin d’être visitée en
détail, il suffit aux contrôleurs de vérifier « en gros »,
de viser l’acquit et d’y apposer leur « vu ». La descente
et l’examen approfondi des marchandises reste possible en
cas de suspicion de fraude. Le fermier est alors
responsable des dommages et intérêts en cas de retard de
livraison ainsi que des frais de décharge et de recharge.
Outre les commis des bureaux de contrôle, l’acquit de
paiement peut être vérifié, comme toute expédition des
Fermes, par les brigadiers dans l’étendue des quatre lieues limitrophes.
Tout défaut entre les informations rapportées sur l’acquit
et la réalité constatée entraine la nullité de l’acte, une
mise à l’amende et la saisie de la cargaison. Par
exemple, suivant l’article 16 au titre 2 de l’ordonnance de 1687, les marchandises
présentées dans un autre bureau que celui renseigné sur
l’acquit sont confisquées et le marchand condamné à 100
livres d’amende. De même d’après l’article 23, emprunter
un chemin « oblique » dans l’étendue de « quatre lieues
aux environs des Bureaux » expose le contrevenant à une
amende de 300 livres avec saisie. Au terme du voyage, les
marchandises sont une dernière fois contrôlées et,
conservant l’acquit de paiement, les commis délivrent
« sans frais » un brevet de contrôle qui se présente comme
une « copie sommaire de l’acquit » avec mention que
l’original est retenu au bureau des traites. L’acquit de
paiement est un outil de gestion bureaucratique à travers
lequel l’administration contrôle ses agents. Gigault,
commentant l’article 18 du titre 2 de l’ordonnance de 1687, précise que la retenue
de l’acquit de paiement par l’administration « contient
beaucoup les Receveurs à cause de la vérification que le
Fermier est toujours en état de faire de ces acquits sur
leurs Registres ».
L’acquit de paiement revêt également un
double intérêt financier. Comme toute expédition, il est
sujet au droit de timbre au
terme de l’article 12 au titre des droits sur le papier et
parchemin timbré de l’ordonnance de juin 1680. D’abord fixé à 6 deniers par
l’article 14 au titre premier de l’ordonnance de 1687, le droit de timbre
s’élève dans les années 1780 à
1 sou 3 deniers. Outre le droit de timbre, le « droit
d’acquit » est proportionné à la somme principale prélevée
sur les marchandises et se révèle donc beaucoup plus
rémunérateur. Pour les Cinq grosses fermes, ce droit est
réglé par les articles 11, 12 et 13 au titre premier de
l’ordonnance de février 1687.
Il équivaut à 5 sols par acquit dont les droits sur les
marchandises sont supérieurs à 3 livres, 2 sols 6
deniers pour les droits s’élevant de 20 sols à 3 livres.
Lorsque les droits sont en dessous de 20 sols, sans
préjudice du droit de timbre, la quittance doit être
délivrée gratuitement et prend le nom de « billet de
minutie ». Le droit de timbre est à la charge du fermier
lorsque les droits principaux sont inférieurs à 5 sous.
Pour prévenir la prévarication de certains receveurs,
l’article 15 du même titre premier stipule qu’il « ne sera
donné qu’un acquit de paiement, ou à caution, pour tous
les ballots marchandises appartenant à un même marchand,
conduits par un même voiturier adressés aussi à un même
marchand ; en ce cas il ne sera pris qu’un droit d’acquit,
à peine de concussion ». Uniforme pour les Cinq grosses fermes, le droit
d’acquit est diversement perçu dans les autres provinces.
Par exemple, celui de la douane de Lyon, établi par les édits des mois de
novembre 1633 et 1639, est de 6 sous dès lors
que le principal s’élève au-dessus de 4 livres 10 sous,
en-dessous de laquelle somme et jusqu’à 20 sous, le prix
de l’acquit est d’un sou seulement. L’arrêt du Conseil du
2 septembre 1687, dont les
termes sont repris par l’article 389 du bail Domergue,
tente d’élargir et d’uniformiser la perception de ce droit
aux convois et comptablie de Bordeaux, traite de Charente et d’Arzac, patente du Languedoc, foraine de Provence, douane de Lyon et
douane de Valence, prévôté
de Nantes et de la Rochelle. En vain, les
négociants de Bordeaux et
de Saintes se plaignent au Conseil de ce qu’ils
considèrent comme des « usurpations des commis ». À
compter de décembre 1694
jusqu’au 1er juillet 1717, les
receveurs des traites ont un statut d’officier et
perçoivent pour leur propre compte le droit d’acquit. Les
négociants de Bretagne s’insurgent et obtiennent du Conseil, le 13
octobre 1705, un arrêt qui
fait défense à tout receveur de
Bretagne d’exiger aucun droit d’acquit.
Le bail de Forceville, aux articles 224 et 371,
tente en
1738 d’élargir de nouveau la
perception de ce droit. Mais la Bretagne, la Franche-Comté, le Roussillon et le Dauphiné refusent toujours de s’y résoudre.
L’arrêt du Conseil du 29 mai
1773 semble venir à bout des
particularités provinciales à l’exception du Languedoc et du Lyonnais. Enfin, la décision du Conseil du 31 juillet 1781 stipule que ce droit est
exigible pour toute expédition des fermes. Si l’ordonnance
de février 1687 ambitionnait
d’uniformiser les procédures douanières sur l’ensemble du
royaume, l’histoire de l’acquit de paiement suffit à
mesurer les difficultés rencontrées.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 63 (14) : Le guide des employés, ou Instructions pour apprendre à verbaliser sur différentes matières concernant les Fermes Générales-Unies du Roy, Traites, Gabelles Tabac. Amiens, Chez la Veuve Charles Caron-Hubault, Imprimeur des Fermes du Roy, 1751, p. 16-17.
- AN, G1 73 : Ordonnance commentée sur le fait des cinq grosses fermes du mois de février 1687 par M. Gigault en 1756.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil du 2 septembre 1687, dans Recueil abrégé des règlemens concernant les fermes royales-unies, Paris, Chez Pierre Prault, 1737, t. 1, f° 556.
- Titre 2 de l’ordonnance de février 1687 sur le fait des Cinq Grosse Fermes, dans Tarif des droits d’entrée et de sortie des cinq grosses fermes ordonnés à être perçus par l’édit de 1664, sur toutes les marchandises, augmenté de notes observations, Rouen, Chez Jacques Nicolas Besongne, 1758, t. 1, partie 2, p. 203-221.
- J. Jacquin, Conférences de l’ordonnance de Louis XIV sur le fait des Entrées, Aydes autres Droits, pour le ressort de la Cour des Aydes de Paris, Paris, Chez Nicolas Pepie, 1703, p. 44.
- V. Magnien, Recueil alphabétique des droits de traites uniformes, de ceux d’entrée et de sortie des cinq grosses fermes, de douane de Lyon et de Valence, Lyon, s. n., 1786, t. 4, p. 74-108.
- A.-F. Prost de Royer, Dictionnaire de jurisprudence et des arrêts, ou Nouvelle édition du Dictionnaire de Brillon, Lyon, de l’Imprimerie d’Aimé de La Roche, 1782, t. 2, « acquit », p. 617-622.
- J.-P. Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, Paris, Chez Panckouke, 1787, t. 1, « acquit », p. 6-12.
- Jacques Savary Des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Copenhague, Chez les Frères Philibert, 1759, t. 1, « acquit », col. 22-24.
-
Bibliographie scientifique:
- Jean Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, CHEFF, 1995, p. 124-128 et 150-155.
- id., « Le dédouanement des marchandises sous l’Ancien Régime », La circulation des marchandises dans la France de l’Ancien Régime, dir. D. Woronoff, Paris, CHEFF, 1998, p. 103-144.
- Sophie Evan-Delbrel, Une histoire de la justice douanière. L’exemple de Bordeaux sous l’Ancien Régime, Limoges, PULIM, 2012, p. 195-206.
Acquit de paiement » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :