Marque d'or et d'argent (droits)
Produits bruts et produit net de la régie des droits de marque d’or et d’argent (1779-1788)
D’abord fondues
et affinées sous forme de lingots chez les affineurs de
Paris et Lyon, érigés à titre
d’offices en 1694, les
matières précieuses étaient livrées aux tireurs d’or et
d’argent qui, après les opérations d’étirement, en
faisaient eux-mêmes commerce auprès des orfèvres. Il s’en
fallait de beaucoup néanmoins que le Fermier fût en mesure
de contrôler le trafic des tireurs soumis aux droits de
contrôle. A Lyon, les tireurs
s’approvisionnaient dans les pays voisins des Dombes et du Genevois et
faisaient entrer clandestinement les matières déjà
forgées, dégrossies dans le royaume. Sous le bail Charles
Ysembert (1708-1714), le sous-fermier de la
marque d’or et d’argent, Florent Sollier, suggéra donc de
faire numéroter les lingots par les affineurs et de suivre
leurs livraisons de mois en mois, comme aussi de suivre
les achats et ventes des tireurs pour limiter la fraude
fiscale. Les opérations de tréfilerie elles-mêmes se
faisaient à l’Argue royale, c’est-à-dire au bureau où se
situait la machine à dégrossir et étirer le métal. Il
existait deux argues officielles, une à Paris et une à
Lyon (plus tard, en 1766, une
troisième fut constituée à Trévoux). A Paris, les tireurs
y venaient avec leurs lingots et leurs propres filières
(pièces calibrées où passe le fil) qu’ils avaient le droit
de conserver chez eux. Ils réglaient les droits de
contrôle sur leurs productions, soit 40 sous par lingot.
Les fraudes n’étaient pas négligeables : les tireurs
avaient tendance à travailler chez eux clandestinement
sans passer par l’Argue royale. A Lyon, les tireurs n’avaient pas le droit de
conserver les filières chez eux (1687), la fraude était donc moins étendue. A partir du
bail Charles Cordier (1720 -
1726), le gouvernement
unifia les pratiques : les tireurs d’or et d’argent de
Paris se virent interdire les filières privées comme à
Lyon ; ils devaient donc
recourir à celles du Fermier de l’Argue. Ce dernier reçut
une indemnité de trente sous par lingot, et par
compensation, on réduisit les droits de contrôle sur les
productions à vingt sous.
Sauf en Alsace, Franche-Comté et pays conquis, les objets fabriqués et
exposés à la vente par les marchands orfèvres, bijoutiers,
joaillers, fourbisseurs, batteurs, horlogers… étaient
soumis à un droit de contrôle fixé en mars 1672 à vingt sols par marc
d’argent et trente sols par once d’or. Ces droits furent
doublés en 1674 et encore
augmentés de droits de contrôleurs et essayeurs de sorte
qu’ils se montaient à deux livres 16 sous sur le marc
d'argent et quatre livres 4 sous sur l’once d’or à la fin
du XVIIe siècle. Tant les ouvrages neufs que vieux
détaillés dans le règlement général de l’orfèvrerie du 30
décembre 1679 étaient
concernés. Ce règlement faisait « défense aux orfèvres
d’avoir dans leur maison aucun ouvrage monté et assemblé
même d'exposer à la vente ceux qui ont été ci-devant
fabriqués qu'ils n’aient été préalablement marqués et
contremarqués à peine de confiscation et de 3 000 livres
d’amende ». Outre le poinçon de la Maison des orfèvres qui
garantissait le titre du métal, les marchands devaient
donc faire marquer leurs objets par le Fermier : le
poinçon de charge était frappé d’abord sur l’objet à
l’état d’ébauche ; par ce premier poinçon, l’orfèvre
déclarait sa production et faisait sa soumission au
Fermier ; une fois l’ouvrage achevé, le poinçon de
décharge était frappé. Il attestait le paiement des
droits. Les visites de contrôle indisposaient
naturellement les orfèvres, particulièrement dans les
provinces dotées d’une tradition de privilèges comme le
Dauphiné. Joachim Dufrançon-Duvillard, régisseur à
Grenoble, se plaignit, « que les orfèvres mettaient tout
en usage pour frustrer les fermiers de leurs droits ». Les
Fermiers accordèrent finalement un abonnement aux orfèvres
de la province (1726).
Ailleurs, les contrôles étaient plus stricts. Comme
l’apprit à ses dépens Eloi Brichard, sous-fermier des
droits de marque en 1760, le
poinçon de décharge ne pouvait être frappé avant le
poinçon de garantie de la Maison commune. Si l’ouvrage ne
pouvait supporter de marques, déclaration en était faite
au bureau de la Ferme. Ce bureau était composé d’un
receveur général, d’un
contrôleur à la
recette, d’un marqueur, d’un peseur, d’un défalqueur, d’un
vérificateur, et de deux commis aux déclarations. Si les
orfèvres étaient établis dans une ville dépourvue de
Maison commune et de bureau de marque, ils pouvaient
bénéficier d’un abonnement aux droits pour éviter le
déplacement. A Troyes par exemple, les orfèvres signèrent
un abonnement pour six ans à compter du 1er octobre 1680 à la suite du transfert de
la Monnaie de Troyes à Reims en 1679
: ils disposaient donc du droit de Ferme en
sous-bail pour eux-mêmes.
Les droits de marque d’or et
d’argent furent inclus dans le bail de la Ferme générale
jusqu’en 1774. Jusqu’en 1768, indique un Sommaire
conservé aux archives nationales, « les Fermiers généraux
ont toujours été dans l’usage de ne régir que Paris, Lyon,
Versailles, Saint-Germain et Rouen, les autres villes et
provinces du royaume ont été sous-fermées ou abonnées ».
En fait, la Ferme sous-traita l’ensemble des droits de
marque et contrôle à diverses sociétés de circonstance
comme celle établie sous le nom d’Etienne Debouges pour
prendre les droits en sous-ferme au cours du bail Paul
Manis moyennant 200 000 livres par an. L’adjudicataire
Pierre Carlier (1726-1732) traita avec Jacques
Cottin pour 260 000 livres par an, Forceville (1738-1744) pour 400 000 livres par an avec Louis Robin,
Thibault de la Rue pour la même somme entre 1744 et 1750, mais Jean Girardin (1750-1756) négocia avec
le sous-fermier Julien
Berthe pour 496 000 livres par an… Les cautions des sous-fermiers qui
formaient société pour l’exploitation des droits se
trouvaient être très souvent des orfèvres. Ils
sous-traitaient à leur tour une partie des droits en
sous-bail, en procédaient par abonnements. Ces abonnements
donnaient lieu toutefois à de multiples contestations lors
du renouvellement du bail des droits : les orfèvres
espéraient à cette occasion renouveler leurs conventions
sur la base de prix réduits et contestaient le paiement
des droits au nouveau Fermier. De même, en certaines
villes comme Paris ou Orléans, la communauté des orfèvres
se divisait entre les maîtres qui prenaient en sous-ferme les droits
de marque pour leurs comptes personnels et ceux qui
préféraient négocier un abonnement pour le compte de toute
la communauté et mettaient tout en usage « pour faire de
la peine et fatiguer leurs collègues » (1734). Les dix-huit cautions de la sous-ferme confiée à
Julien Berthe en 1750 étaient
tous orfèvres de la Communauté de Paris. Celle-ci
sollicita donc d’être subroger au bail de la Ferme pour
l’ensemble du corps.
En 1774,
les droits furent confiés à une régie particulière sous le
nom de Jean-Baptiste Fouache, puis à la Régie générale des
aides. A cette époque,
les droits rapportaient net plus de 800 000 livres.
Néanmoins, une décrue importante des recettes s’amorça à
partir de 1786. Un avocat
dénommé Colas jugea opportun dès lors de critiquer auprès
du ministre des finances la gestion de la Régie des aides dès
1787 et proposa un plan de réforme assez
médiocre. En fait, la décrue, comme on le voit sur ce
tableau, ne devait pas être liée à un quelconque défaut de
gestion, la Régie générale des aides étant particulièrement performante, mais plutôt au
contexte de défiance générale des possédants qui
limitaient drastiquement leurs achats et leurs
investissements.
Les faussaires furent assimilés aux
faux-monnayeurs et condamnés à la peine de mort à partir
de 1724. Toutefois, en
pratique, il ne semble pas que cette déclaration fût
suivie d’effets quant à la peine de mort. Le procès des
orfèvres parisiens Charles Despot, Jacqueline Genu sa
femme, et Alexandre Lenoir, intenté par le sous-fermier
des droits de marques d’or et d’argent Jacques Cottin,
révèle la difficulté d’évaluer l’ampleur de la fraude.
L’instruction nécessita expertises et contre-expertises
sur les poinçons de décharge jugés faux des 47 cuillères
et fourchettes en argent. Les accusés furent condamnés à
l’amende seulement. D’autres encore, souvent issus du
métier de l’orfèvrerie, vendaient clandestinement des
ouvrages de leur fabrication avec le poinçon d’or et
d’argent des objets importés de l’étranger, ces derniers
ayant l’avantage de ne pas être essayés, ce qui permettait
également de vendre des objets peu titrés au prix fort.
Les autorités remédièrent néanmoins en
1768 à cette fraude en réclamant l’essai et
l’acquit de paiement des
droits d’entrée dans le royaume.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G2 196 sur les recettes et dépenses des droits de marque, 1779-1788.
- AN, G2 196, « Sommaire sur la discipline et police à observer sur l’établissement de la régie de marque d’or et d’argent », s.l. s.d., après 1768.
- AN, G2 196, « Mémoire » du sieur Colas, avocat en Parlement sur la marque d’or et d’argent, novembre 1787.
- AD Somme, 1C 2453, procès-verbaux des 2 juin et 6 août 1772, du 25 avril 1775 contre Claude Vaast.
-
Sources imprimées:
- Arrêts du Conseil d’Etat du roi du 10 février 1711 et du 30 mars 1722 portant règlement pour les affineurs et tireurs d’or des villes de Paris et Lyon.
- Déclaration du Roy concernant la marque d’or d’argent, Versailles, 4 juin 1724.
- Lettres patentes portant modération des droits de marque et controlle sur les ouvrages d'or et d'argent qui passent à l'argue de Paris, données à Versailles, le 7 mai 1725.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que le fermier de la marque d’or et d’argent aura des filières propres à tirer et dégrossir les lingots qui seront portés au bureau de l’Argue par les maîtres tireurs d'or qui n’auront point de filières à eux, 7 mai 1726.
- Sentence de l'Election de Paris et arrêt de la Cour des aides qui confisquent au profit du fermier de la marque d'or et d'argent des ouvrages d'argent marqués de faux poinçons, saisis sur Charles Despot … du 23 décembre 1729 et 23 mai 1730.
- Déclaration, en interprétation des règlements faits sur la perception des Droits de Marque de Controlle sur les Ouvrages d’or d’argent fabriqués débités dans le Royaume, en 32 articles, Versailles, 16 janvier 1749.
- Arrêts du Conseil d'État, portant un nouveau règlement pour la marque d'or et d'argent, des 22 février et 17 mars 1751.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que les arrières-baux et abonnements faits par Julien Berthe, fermier actuel des droits de marque et contrôle sur les ouvrages d'or et d'argent ou par les prédécesseurs et qui n'ont pas été renouvelés par Eloi Brichard, seront continués à son profit pendant les 6 années de son bail, 3 août 1756.
- Déclaration du Roy concernant le commerce des ouvrages d’Or d’argent venant de l’étranger, Versailles, 9 septembre 1768.
- Arrêt de la Cour des aides qui condamne Henri Clavel, régisseur des droits de la marque d’or et d’argent, à rendre au sieur J. Soldat les marchandises sur lui saisies, 20 juillet 1781.
- Jean-Louis Lefebvre de Bellande, Traité général des droits d’aides, 2 vol., Paris, chez Pierre Prault, 1760, vol. 2, p. 107-127.
- Rapport sur la marque d’or et d’argent, au nom du Comité de finances, par Thibault Anne-Alexandre-Marie, du Cantal, imprimé par ordre de la Convention nationale, 1794.
-
Bibliographie scientifique:
- Gisèle Godefroy et Raymond Girard, Les orfèvres du Dauphiné du Moyen Âge au XIXe siècle, Genève, Droz, 1985, p. 136.
- Jean et Jacques Clarke de Dromantin, Les orfèvres de Bordeaux et la marque du Roy, Suresnes, Editions de Puygiron, 1987.
Marque d'or et d'argent (droits) » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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