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Marque d'or et d'argent (droits)

Marie-Laure Legay





Dans l’ordre d’une économie mercantiliste, le roi demeurait toujours soucieux de limiter l’usage privé de métaux précieux, de contrôler la production des ouvrages d’or et d’argent et d’en vérifier le titre. Dans l’ordre des finances, les autorités eurent d’autant moins de scrupules à taxer la production d’objets précieux que ceux-ci relevaient de la consommation de luxe. La justification de l’impôt était aisée auprès du peuple. Tant les opérations des tireurs d’or et d’argent que la fabrication et la vente des objets d’orfèvrerie furent donc soumises à la marque et au contrôle.

D’abord fondues et affinées sous forme de lingots chez les affineurs de Paris et Lyon, érigés à titre d’offices en 1694, les matières précieuses étaient livrées aux tireurs d’or et d’argent qui, après les opérations d’étirement, en faisaient eux-mêmes commerce auprès des orfèvres. Il s’en fallait de beaucoup néanmoins que le Fermier fût en mesure de contrôler le trafic des tireurs soumis aux droits de contrôle. A Lyon, les tireurs s’approvisionnaient dans les pays voisins des Dombes et du Genevois et faisaient entrer clandestinement les matières déjà forgées, dégrossies dans le royaume. Sous le bail Charles Ysembert (1708-1714), le sous-fermier de la marque d’or et d’argent, Florent Sollier, suggéra donc de faire numéroter les lingots par les affineurs et de suivre leurs livraisons de mois en mois, comme aussi de suivre les achats et ventes des tireurs pour limiter la fraude fiscale. Les opérations de tréfilerie elles-mêmes se faisaient à l’Argue royale, c’est-à-dire au bureau où se situait la machine à dégrossir et étirer le métal. Il existait deux argues officielles, une à Paris et une à Lyon (plus tard, en 1766, une troisième fut constituée à Trévoux). A Paris, les tireurs y venaient avec leurs lingots et leurs propres filières (pièces calibrées où passe le fil) qu’ils avaient le droit de conserver chez eux. Ils réglaient les droits de contrôle sur leurs productions, soit 40 sous par lingot. Les fraudes n’étaient pas négligeables : les tireurs avaient tendance à travailler chez eux clandestinement sans passer par l’Argue royale. A Lyon, les tireurs n’avaient pas le droit de conserver les filières chez eux (1687), la fraude était donc moins étendue. A partir du bail Charles Cordier (1720 - 1726), le gouvernement unifia les pratiques : les tireurs d’or et d’argent de Paris se virent interdire les filières privées comme à Lyon ; ils devaient donc recourir à celles du Fermier de l’Argue. Ce dernier reçut une indemnité de trente sous par lingot, et par compensation, on réduisit les droits de contrôle sur les productions à vingt sous.

Sauf en Alsace, Franche-Comté et pays conquis, les objets fabriqués et exposés à la vente par les marchands orfèvres, bijoutiers, joaillers, fourbisseurs, batteurs, horlogers… étaient soumis à un droit de contrôle fixé en mars 1672 à vingt sols par marc d’argent et trente sols par once d’or. Ces droits furent doublés en 1674 et encore augmentés de droits de contrôleurs et essayeurs de sorte qu’ils se montaient à deux livres 16 sous sur le marc d'argent et quatre livres 4 sous sur l’once d’or à la fin du XVIIe siècle. Tant les ouvrages neufs que vieux détaillés dans le règlement général de l’orfèvrerie du 30 décembre 1679 étaient concernés. Ce règlement faisait « défense aux orfèvres d’avoir dans leur maison aucun ouvrage monté et assemblé même d'exposer à la vente ceux qui ont été ci-devant fabriqués qu'ils n’aient été préalablement marqués et contremarqués à peine de confiscation et de 3 000 livres d’amende ». Outre le poinçon de la Maison des orfèvres qui garantissait le titre du métal, les marchands devaient donc faire marquer leurs objets par le Fermier : le poinçon de charge était frappé d’abord sur l’objet à l’état d’ébauche ; par ce premier poinçon, l’orfèvre déclarait sa production et faisait sa soumission au Fermier ; une fois l’ouvrage achevé, le poinçon de décharge était frappé. Il attestait le paiement des droits. Les visites de contrôle indisposaient naturellement les orfèvres, particulièrement dans les provinces dotées d’une tradition de privilèges comme le Dauphiné. Joachim Dufrançon-Duvillard, régisseur à Grenoble, se plaignit, « que les orfèvres mettaient tout en usage pour frustrer les fermiers de leurs droits ». Les Fermiers accordèrent finalement un abonnement aux orfèvres de la province (1726). Ailleurs, les contrôles étaient plus stricts. Comme l’apprit à ses dépens Eloi Brichard, sous-fermier des droits de marque en 1760, le poinçon de décharge ne pouvait être frappé avant le poinçon de garantie de la Maison commune. Si l’ouvrage ne pouvait supporter de marques, déclaration en était faite au bureau de la Ferme. Ce bureau était composé d’un receveur général, d’un contrôleur à la recette, d’un marqueur, d’un peseur, d’un défalqueur, d’un vérificateur, et de deux commis aux déclarations. Si les orfèvres étaient établis dans une ville dépourvue de Maison commune et de bureau de marque, ils pouvaient bénéficier d’un abonnement aux droits pour éviter le déplacement. A Troyes par exemple, les orfèvres signèrent un abonnement pour six ans à compter du 1er octobre 1680 à la suite du transfert de la Monnaie de Troyes à Reims en 1679 : ils disposaient donc du droit de Ferme en sous-bail pour eux-mêmes.

Les droits de marque d’or et d’argent furent inclus dans le bail de la Ferme générale jusqu’en 1774. Jusqu’en 1768, indique un Sommaire conservé aux archives nationales, « les Fermiers généraux ont toujours été dans l’usage de ne régir que Paris, Lyon, Versailles, Saint-Germain et Rouen, les autres villes et provinces du royaume ont été sous-fermées ou abonnées ». En fait, la Ferme sous-traita l’ensemble des droits de marque et contrôle à diverses sociétés de circonstance comme celle établie sous le nom d’Etienne Debouges pour prendre les droits en sous-ferme au cours du bail Paul Manis moyennant 200 000 livres par an. L’adjudicataire Pierre Carlier (1726-1732) traita avec Jacques Cottin pour 260 000 livres par an, Forceville (1738-1744) pour 400 000 livres par an avec Louis Robin, Thibault de la Rue pour la même somme entre 1744 et 1750, mais Jean Girardin (1750-1756) négocia avec le sous-fermier Julien Berthe pour 496 000 livres par an… Les cautions des sous-fermiers qui formaient société pour l’exploitation des droits se trouvaient être très souvent des orfèvres. Ils sous-traitaient à leur tour une partie des droits en sous-bail, en procédaient par abonnements. Ces abonnements donnaient lieu toutefois à de multiples contestations lors du renouvellement du bail des droits : les orfèvres espéraient à cette occasion renouveler leurs conventions sur la base de prix réduits et contestaient le paiement des droits au nouveau Fermier. De même, en certaines villes comme Paris ou Orléans, la communauté des orfèvres se divisait entre les maîtres qui prenaient en sous-ferme les droits de marque pour leurs comptes personnels et ceux qui préféraient négocier un abonnement pour le compte de toute la communauté et mettaient tout en usage « pour faire de la peine et fatiguer leurs collègues » (1734). Les dix-huit cautions de la sous-ferme confiée à Julien Berthe en 1750 étaient tous orfèvres de la Communauté de Paris. Celle-ci sollicita donc d’être subroger au bail de la Ferme pour l’ensemble du corps.

En 1774, les droits furent confiés à une régie particulière sous le nom de Jean-Baptiste Fouache, puis à la Régie générale des aides. A cette époque, les droits rapportaient net plus de 800 000 livres. Néanmoins, une décrue importante des recettes s’amorça à partir de 1786. Un avocat dénommé Colas jugea opportun dès lors de critiquer auprès du ministre des finances la gestion de la Régie des aides dès 1787 et proposa un plan de réforme assez médiocre. En fait, la décrue, comme on le voit sur ce tableau, ne devait pas être liée à un quelconque défaut de gestion, la Régie générale des aides étant particulièrement performante, mais plutôt au contexte de défiance générale des possédants qui limitaient drastiquement leurs achats et leurs investissements.

Produits bruts et produit net de la régie des droits de marque d’or et d’argent (1779-1788)

   Comme toutes les taxes, la marque d’or et d’argent faisait l’objet d’une fraude relativement fréquente. L’augmentation des droits pratiquée par la régie Fouache, sur ordre du ministre Terray, semble avoir accrue cette fraude. Circulaient alors beaucoup d’objets non frappés ou bien frappés de fausses marques. Claude Vaast, par exemple, marchand libraire à Amiens, achetait et revendait journellement des bijoux et pièces d’orfèvrerie de toutes espèces en fraude des droits de contrôle. Dans les années 1770, il fut visité plusieurs fois par les commis ambulants de la régie. Le 25 avril 1775, ils lui firent ouvrir ses armoires contenant des montres neuves, anciennes, des boucles d’oreilles, tabatières… sans aucune marque ni poinçon, le tout d’une valeur de 600 livres. A la même époque, Claude Bénigne Oudot, orfèvre à Châlons-sur-Saône, frappaient ses fourchettes de faux poinçons de garantie, de charge et de décharge. On contrefaisait les poinçons, tant ceux des maisons communes des jurandes d’orfèvres des villes, ce qui permettait d’éviter les essais et de vendre des objets faiblement titrés en or et en argent au prix fort, que les poinçons des Fermiers, ce qui permettait d’économiser les droits de marque. A chaque changement de bail, les empreintes des poinçons du fermier étaient pourtant modifiées pour éviter ces fraudes. Si, lors d’une visite, les commis constataient l’absence des pièces déclarées à la charge, ils suspectaient une vente en fraude des droits de marque. Ainsi, David André, marchand-orfèvre à Paris, incapable de présenter 14 sucriers d’argent qu’il avait faits marqués du poinçon de charge le 10 décembre 1717 et dont il avait fait sa soumission sur le registre tenu à cet effet au bureau de la Ferme, fut condamné à l’amende.

   Les faussaires furent assimilés aux faux-monnayeurs et condamnés à la peine de mort à partir de 1724. Toutefois, en pratique, il ne semble pas que cette déclaration fût suivie d’effets quant à la peine de mort. Le procès des orfèvres parisiens Charles Despot, Jacqueline Genu sa femme, et Alexandre Lenoir, intenté par le sous-fermier des droits de marques d’or et d’argent Jacques Cottin, révèle la difficulté d’évaluer l’ampleur de la fraude. L’instruction nécessita expertises et contre-expertises sur les poinçons de décharge jugés faux des 47 cuillères et fourchettes en argent. Les accusés furent condamnés à l’amende seulement. D’autres encore, souvent issus du métier de l’orfèvrerie, vendaient clandestinement des ouvrages de leur fabrication avec le poinçon d’or et d’argent des objets importés de l’étranger, ces derniers ayant l’avantage de ne pas être essayés, ce qui permettait également de vendre des objets peu titrés au prix fort. Les autorités remédièrent néanmoins en 1768 à cette fraude en réclamant l’essai et l’acquit de paiement des droits d’entrée dans le royaume.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G2 196 sur les recettes et dépenses des droits de marque, 1779-1788.
  • AN, G2 196, « Sommaire sur la discipline et police à observer sur l’établissement de la régie de marque d’or et d’argent », s.l. s.d., après 1768.
  • AN, G2 196, « Mémoire » du sieur Colas, avocat en Parlement sur la marque d’or et d’argent, novembre 1787.
  • AD Somme, 1C 2453, procès-verbaux des 2 juin et 6 août 1772, du 25 avril 1775 contre Claude Vaast.

    Sources imprimées:
  • Arrêts du Conseil d’Etat du roi du 10 février 1711 et du 30 mars 1722 portant règlement pour les affineurs et tireurs d’or des villes de Paris et Lyon.
  • Déclaration du Roy concernant la marque d’or d’argent, Versailles, 4 juin 1724.
  • Lettres patentes portant modération des droits de marque et controlle sur les ouvrages d'or et d'argent qui passent à l'argue de Paris, données à Versailles, le 7 mai 1725.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que le fermier de la marque d’or et d’argent aura des filières propres à tirer et dégrossir les lingots qui seront portés au bureau de l’Argue par les maîtres tireurs d'or qui n’auront point de filières à eux, 7 mai 1726.
  • Sentence de l'Election de Paris et arrêt de la Cour des aides qui confisquent au profit du fermier de la marque d'or et d'argent des ouvrages d'argent marqués de faux poinçons, saisis sur Charles Despot … du 23 décembre 1729 et 23 mai 1730.
  • Déclaration, en interprétation des règlements faits sur la perception des Droits de Marque de Controlle sur les Ouvrages d’or d’argent fabriqués débités dans le Royaume, en 32 articles, Versailles, 16 janvier 1749.
  • Arrêts du Conseil d'État, portant un nouveau règlement pour la marque d'or et d'argent, des 22 février et 17 mars 1751.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que les arrières-baux et abonnements faits par Julien Berthe, fermier actuel des droits de marque et contrôle sur les ouvrages d'or et d'argent ou par les prédécesseurs et qui n'ont pas été renouvelés par Eloi Brichard, seront continués à son profit pendant les 6 années de son bail, 3 août 1756.
  • Déclaration du Roy concernant le commerce des ouvrages d’Or d’argent venant de l’étranger, Versailles, 9 septembre 1768.
  • Arrêt de la Cour des aides qui condamne Henri Clavel, régisseur des droits de la marque d’or et d’argent, à rendre au sieur J. Soldat les marchandises sur lui saisies, 20 juillet 1781.
  • Jean-Louis Lefebvre de Bellande, Traité général des droits d’aides, 2 vol., Paris, chez Pierre Prault, 1760, vol. 2, p. 107-127.
  • Rapport sur la marque d’or et d’argent, au nom du Comité de finances, par Thibault Anne-Alexandre-Marie, du Cantal, imprimé par ordre de la Convention nationale, 1794.


    Bibliographie scientifique:
  • Gisèle Godefroy et Raymond Girard, Les orfèvres du Dauphiné du Moyen Âge au XIXe siècle, Genève, Droz, 1985, p. 136.
  • Jean et Jacques Clarke de Dromantin, Les orfèvres de Bordeaux et la marque du Roy, Suresnes, Editions de Puygiron, 1987.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Marque d'or et d'argent (droits) » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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