Pays-Bas (espagnols puis autrichiens)
Sous le régime autrichien,
ce département forma l’un des quatre départements du
Conseil des finances. Celui-ci afferma d’abord les droits,
mais après l’expérience malhonnête de la gestion du baron
de Sotelet, il opta pour une régie directe en 1737. Cette régie fut
rigoureusement organisée sous l’influence notamment du
français Benoît-Marie Dupuy qui y travailla comme premier
commis pendant l’occupation française des Pays-Bas de
1746-
1747. A la fin de la guerre de Succession
d’Autriche, Dupuy demeura dans l’administration
bruxelloise et restructura la régie en introduisant le
savoir-faire comptable français observé dans les bureaux
de la Ferme générale, en orientant aussi la régie vers la
mise en valeur de la statistique douanière et commerciale.
Il fit dresser des cartes douanières assez complètes
aujourd’hui conservées aux Archives royales de Belgique. A
la fin du XVIIIe siècle, on comptait sur l’espace des
Pays-Bas méridionaux 257 bureaux de recettes, 114 brigades et un total de
1 641 agents. Georges Bigwood estima que la recette totale
des droits de douane formait alors 30 % des revenus
ordinaires du gouvernement belge, soit plus de 4 millions
de florins, argent courant du Brabant : 2, 806 millions de
droits d’entrée, 274 113 florins de droits de sortie,
392 965 florins de droits de transit et 40 389 florins de
confiscations d’après ses calculs pour
1786-1787. Par
rapport à l’année 1750 (2, 063
millions de recette totale), le montant fut doublé grâce
aux importations en très nette augmentation, mais aussi
aux droits de transit
(fixés à 2, 5 % de la valeur des marchandises par
l’ordonnance du 29 mai 1700,
puis 1 % en 1751 et 0, 5 % en
1755). Les ordonnances
du 2 décembre 1755 et du 27
août 1766 fixèrent les peines
pécuniaires et afflictives sanctionnant les délits de fraude et allant de la mort
pour la résistance armée et l’attroupement ou la contrebande
professionnelle au service des marchands, à la
confiscation des marchandises ou à la simple amende. Les cas
d’emprisonnement ou écrou pour fraude étaient plus rares qu’en France. En revanche,
la transaction amiable était très fréquemment utilisée.
Dans le département
de Courtrai par exemple, la part des
interpellations qui finirent par un accommodement
atteignait plus de 70 % des procès-verbaux chaque année au cours du
XVIIIe siècle, d’après V. Samaillie.
Vis-à-vis de la
France, les relations douanières se définirent plus
précisément au milieu du XVIIe siècle dans un contexte
politique hostile. Les prétentions de Louis XIV engagèrent
les deux royaumes dans une guerre d’argent. D’une part,
Colbert imposa les deux grands tarifs de 1664 et 1667,
tandis que les « pays conquis » après
1659 et qui n’entraient pas dans les Cinq
grosses fermes, comme les
Flandres, conservèrent des tarifs
particuliers. Les marchandises des Pays-Bas, les textiles
notamment, furent plus lourdement taxées. L’Espagne riposta au
colbertisme avec le tarif provisoire du 12 novembre 1667 augmentant à son tour les
droits sur les marchandises de France. Dans le même temps,
une chambre générale de commerce dépendant directement du
Conseil des finances fut installée à Bruges en avril 1667 pour contrôler la
régularité des convois de marchandises destinés à l’Angleterre, la France,
l’Espagne ou les Provinces-Unies.
Cette chambre se composait d’un chef et de sept négociants
(2 à Bruges, un à Bruxelles, Anvers, Gand, Lille et
Ypres). Dans le contexte de la guerre de Dévolution (1667-1668), les tarifs douaniers évoluèrent
encore. La France prit des mesures de rétorsion (surtaxe à
30 % de la valeur, puis du double des droits perçus par l’Espagne). Madrid
ordonna un nouveau tarif le 18 juillet
1670. Ce dernier servit de référence
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle pour la douane avec la
France. Versailles adopta de son côté l’ordonnance du 13
juin 1671 pour les provinces
réputées étrangères. La
guerre douanière ne prit pas fin avec la paix d’Utrecht (1713) et la souveraineté
autrichienne. En 1722, lorsque
le Conseil des finances de Bruxelles augmenta les droits
d’entrée de son côté, notamment contre les draps et la
draperie française, Versailles réagit en doublant les
droits établis selon le tarif de 1671
pour toutes les denrées et marchandises venant des
Pays-Bas. Toutefois, Marie-Thérèse, sur les conseils des
ministres plénipotentiaires de Bruxelles, orienta la
politique douanière en vue de protéger les fabriques
belges. Un nouveau tarif fut publié le 27 janvier 1749. Il renforça les droits
d’entrée imposés aux marchandises d’Angleterre et des Provinces-Unies
depuis 1680, mais aussi les
droits sur les textiles français.
Les effets de cette
législation fut variable le long de la
frontière franco-belge, mais globalement, les variations
des tarifs et les évolutions fréquentes de la frontière
perturbaient fortement le contrôle. Le tarif de 1670 fut peu ou prou appliqué
au gré des évolutions territoriales. Il fut souvent
critiqué pour son caractère forfaitaire, les droits se
calculant généralement à l’unité plutôt qu’à la valeur, ce
qui ne correspondait pas à la réalité économique, par
exemple pour le bétail. Dès l’été suivant, le
trafic par la Sambre et la Meuse fut l’objet d’un
tarif particulier (ordonnances des 27 juin et 8 ao
ût 1671).
Aux portes du comté de Namur, des bureaux furent installés dans les
localités devenues françaises de
l’Entre-Sambre-et-Meuse (Philippeville, Mariembourg,
Chimay et Charlemont). Les Français
établirent même des recettes à Fumay et Revin, ce qui
pouvait paraître abusif, car il s’agissait là de terres
libres. Toutefois, la
frontière fut encore remaniée en
1678 (la châtellenie de Courtrai fut
rattachée aux Pays-Bas), en 1697
-1699 (cession
de Menin, Tournai et Ypres aux Français), 1713 (récupération de la
West-Flandre et du
Tournaisis). Dans le département douanier
de Courtrai, le nombre de bureaux passa de 11 en 1701, à 10 en 1711, 8 en
1741, 9 en 1761, 11 en 1771 et 10 en 1781. La régie des douanes
renforça les brigades le
long de l’Escaut. Le
bureau de Menin, desservi par la Lys
et la chaussée qui menait à Lille, devint l’un des plus
importants après Courtrai. Le département
de Tournai connut quant à lui une
douzaine de bureaux, mais les enclaves françaises dans ce
secteur rendaient très difficile la lutte contre la fraude. Dans le département
de Mons, le bureau principal (Mons)
était étayé des bureaux secondaires d’Ath et Quiévrain. En
tout, une douzaine de recettes s’établirent également le
long de la frontière avec la France. De même, les départements
de Charleroi ou de Namur firent varier à
l’infini leurs lignes de contrôle.
Toutefois, les traités entre Etats finirent par
réguler le commerce transfrontalier. En
1727 par exemple,
l’archiduchesse Marie-Elisabeth interdit enfin au fermier
des droits d’entrée et de sortie de lever les taxes sur
les marchandises en circulation entre territoires sous
domination française enclavés en Belgique.
Le duché du Luxembourg, quant à lui encastré entre
le pays de Liège, la Lorraine, la France, l’électorat de Trèves, le
duché de Bar et le pays de Juliers,
était couvert par trois départements douaniers
: Luxembourg, Marche et Saint-Vith. En tout, ce
département compta jusqu’à 17 bureaux et huit brigades en
1793.
Pour surveiller le
trafic frontalier avec les Pays-Bas, la Ferme générale mit
également en œuvre ses lignes de bureaux en Flandre, dans le Hainaut et en Lorraine. Son efficacité fut remarquée : « quant aux
postes qui sont sur la Lys, depuis le port d’Etaize
jusqu’à Menin, les fraudes y sont continuelles, parce que
le service est négligé pendant la nuit sur cette rivière,
au lieu que les Français enchaînent tous les soirs les
bateaux et lèvent les ponts de leurs côtés après le soleil
couché » (1757). La
surveillance visait non seulement le commerce des
marchandises de fabrication des Pays-Bas, mais aussi des
marchandises prohibées du cru de l’Angleterre ou des
entrepôts hollandais qui
passaient en fraude par les
Pays-Bas. Celle-ci relevait aussi bien de trafics
ordinaires de proximité que de trafics professionnels liés
à la mondialisation. Dans le Borinage par exemple, à
l’extrémité ouest du sillon Sambre-Meuse, une vingtaine de
femmes faisaient quotidiennement le trajet pour
Valenciennes, chargées de hottes de charbon de terre. La
contrebande du tabac en
revanche relevait d’une organisation plus professionnelle.
Non seulement la fabrique de Tournai alimentait les
consommateurs du nord de la France, mais de grands
négociants, comme le luxembourgeois Pescatore,
trafiquaient le tabac de Hollande vers la France. De même,
les matières premières utilisées par l’industrie textile
françaises entraient souvent en fraude des droits de
sortie des Pays-Bas : la laine non lavée ou le lin vert
cultivé dans le département
de Courtrai, alimentaient les fabriques
du marquisat de Roubaix et de la châtellenie de Lille.
Situé juste à la limite des quatre lieues limitrophes de
la frontière, le village belge de Waregem voyait passer
les contrebandiers
chaque année. Dans les années 1750, ces bandes composées de centaines d’individus
circulaient le long de la Lys. Le trafic frauduleux des
fils de lin s’atténua lorsque le commerce fut libéralisé
en 1759, suite à de bonnes
récoltes, mais reprit après 1766. La faïencerie fine du Tournaisis fut également
passée en fraude. Dans le sens inverse, les vins, le café, les habits neufs, et d’une manière
générale toutes les marchandises « forcées par le tarif de
1670 » faisaient l’objet
d’une contrebande professionnelle.
A Muno, dans le
département de Luxembourg, ou bien à
proximité des
bureaux de Rekkem et de Mouscron,
dans le
département de Courtrai, de véritables
entrepôts recevaient les marchandises en fraude des
droits d’entrée. Les trafiquants
disposaient de correspondants et rémunéraient jusqu’à 6 %
de bénéfice les passeurs. Au total, malgré la qualité de la
régie des douanes dirigée depuis Bruxelles par des
administrateurs éclairés, le renforcement des brigades aux
frontières tortueuses avec la France, les Pays-Bas, pays
naturels de transit enserré
entre de puissances nations commerçantes, durent composer
avec les trafics frauduleux. Ces derniers constituaient
certes un manque à gagner pour la régie, dont les recettes
toutefois formaient un réel apport, mais dynamisaient les
fabriques locales de part et d’autre de la frontière.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G2 24, dossier 2 : « Droits qui se lèvent es Pays-Bas 1672-1728 ».
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d'Etat qui commet le sieur Trudaine conseiller d'Etat et intendant des finances, pour procéder à l'adjudication du bail à ferme des domaines et droits domaniaux dans l'étendue de la West-Flandre rentrée sous la domination de Sa Majesté en 1744, 19 juin 1745.
- Instruction sur les droits des fermes générales du roi, dans les provinces de Flandre et du Haynaut, relativement au tarif du 13 juin 1671, arrêts règlemens postérieurs, septembre 1753.
- E. Veydt, Essai sur les douanes et sur l’intérêt national du commerce des Pays-Bas autrichiens, Bruxelles, 1788.
-
Bibliographie scientifique:
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- Hervé Hasquin, Sur l'administration du commerce dans les Pays-Bas méridionaux aux XVIIe et XVIIIe siècles, Revue d’histoire moderne et contemporaine, t.20, n°3, 1973, p. 430-443.
- Philippe Moureaux, La statistique industrielle dans les Pays-Bas autrichiens à l’époque de Marie-Thérèse. Documents et cartes, 2 t., Bruxelles, 1974-1981.
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Pays-Bas (espagnols puis autrichiens) » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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