Comtat-Venaissin
Le Bas-Comtat
confinait au Dauphiné, tandis que le Haut-Comtat (Valréas, Visan,
village de
Bouchet, Saint-Raphaël, Grillon,
Richerenches, Rousset, Saint-Pantaléon, les Pilles,
Eyroles, Valouse et Aubres) se trouvait tout entier
enclavé dans cette province. A défaut d’une intégration,
la Ferme générale obtint plusieurs concessions, notamment
par les lettres patentes de mars 1716
qui accordaient aux comtadins l’entrée de leurs
étoffes dans le royaume de France moyennant le paiement
des droits, mais surtout par le concordat du 11 mars 1734. Par cet accord, elle
prit en charge la vente du sel dans tout le pays, au prix
de 6 livres 12 sous le minot
sous le prête-nom d’un bourgeois d’Avignon. En 1744, le bail fut fixé à 4 500
livres par an pendant six ans. La distribution du sel
s’organisait à partir du grenier d’Avignon ; les mesures utilisées tant au grenier que par les regrattiers étaient
établies selon les matrices du Dauphiné. A plusieurs reprises, le vice-légat dut
réglementer les modalités d’achat du sel des particuliers
auprès du grenier et du regrattier car la distribution
était assez mal suivie dans le pays. La Ferme générale
obtint en second lieu l’arrêt de la fabrication des toiles peintes dans le
Comtat. En revanche, les habitants purent continuer à
fabriquer des soieries reçues à l’entrée du royaume contre
une taxe fixée à moitié moindre du prix précédent. Les
plantations de tabac furent
interdites et la Ferme générale obtint le bail de vente
exclusive pour neuf années à hauteur de 30 000 livres par
an.
Le concordat, ratifié en mars 1734
par le roi de France et le pape, fit l’objet de
négociations. Il fut convenu que les Fermiers généraux
versassent au pays une indemnité à partager entre la
ville d’Avignon
et l’arrière-pays. Pour le tabac, le
dédommagement fut porté à 80 000 livres ; pour l’arrêt des
toiles, les députés
du Comtat réclamèrent également 80 000 livres, tandis que
la Ferme générale ne proposa que 26 000 livres.
Finalement, les parties s’accordèrent sur la somme de
230 000 livres par an. La question du contentieux fut
soulevée. Les Fermiers généraux développèrent une
argumentation intéressante quant à l’esprit des lois
répressives : « A quelque titre que les fermiers généraux
exploitent le tabac dans le Comtat, il paroist necessaire
d’exiger que les contraventions y soient punies de la même
manière qu’en France et que les mêmes règles y soient
observées. Si cependant la
cour de Rome
trouvoit nos loix trop rigoureuses, on
pourroit se contenter de simples amendes à la charge
que faute de paiement dans deux mois par les
contrevenants, elles seraient retenues sur le prix
de la Ferme, par là elles retomberaient sur Sa
Sainteté ou sur le pays et par conséquent, le Comtat
auroit autant d’intérêt d’empêcher la fraude qu’il a
intérêt aujourd’hui de la favoriser ». Un
projet de procédure fut établi en 26 articles. D’une
manière générale, la Ferme générale travailla main dans la
main avec le bureau de la Secrétairie d’Etat de la
légation durant tout le dix-huitième siècle. Elle eut
moins à se plaindre du vice-légat, représentant du pape,
que des magistrats et députés du pays. A plusieurs
reprises en effet, le « Fermier général des
gabelles à sel d’Avignon, de la ferme du Tabac et
prohibition des toiles peintes », rendit
compte au vice-légat Pascal Acquaviva d’Aragon de la
mauvaise volonté des magistrats et consuls pour
accompagner les employés et gardes de la Ferme au moment
des visites usuelles des domiciles.
Notons qu’en dehors de la convention de 1734, d’autres accords
fiscaux furent établis comme celui adopté sur les
cartes à jouer. D’après l’accord signé
le 29 août 1758, moyennant le prix annuel de 5 000 livres versées dans la
caisse apostologique, la Ferme générale des droits sur les
cartes du Comtat fut confiée à l’Ecole royale militaire.
La convention fut
renouvellée en faveur de la régie générale à partir de
1780.
En dehors de tous ces droits, la Ferme générale
levait des taxes douanières. Les droits de la douane de
Lyon étaient dus en
effet sur les marchandises venant de l’étranger entrant et
sortant dans le Comtat Venaissin. Pour les marchandises
venant du cru du Comtat, les habitants devaient
demander la permission de sortie au bureau de
contrôle de la Ferme générale situé à
Villeneuve-lès-Avignon, où se trouvait la maîtrise des ports. La plupart, toutefois, omettait cette obligation
jugeant que la demande faite au bureau d’Avignon
suffisait. Vis-à-vis de Lyon
et des pays étrangers, les marchandises comtadines
réglaient sur la base du tarif ordinaire de 1632 ; vis-à-vis du Languedoc, de la Provence et du Dauphiné, les marchandises payaient un tarif dit
« tarif d’usage d’Avignon » pour entrer dans ces
provinces. Ce tarif de la Douane de Lyon était un peu moins élevé que les droits
définis en 1632. Il fut
négocié en 1612 et confirmé par
l’arrêt du 16 septembre 1643.
Vis-à-vis du Dauphiné, les droits de la douane de Valence étaient également
dus. Presque toutes les communautés du Bas-Dauphiné étaient d’ailleurs dotées de
bureaux et brigades face à
la Provence et au Comtat. Ces droits étaient toutefois
largement fraudés. Voici comment
: les habitants du Haut-Comtat disposaient depuis
1727 d’un abonnement
pour tenir lieu des droits de foraines et de la
Douane de Valence pour les marchandises qu’ils
produisaient et envoyaient dans le Dauphiné ou celles qu’ils recevaient de cette
province pour leur consommation.
Mais par ailleurs,
les relations commerciales entre le Haut et le
Bas-Comtat faisaient l’objet de dispositions
particulières par le concordat de 1734 : pour permettre les
échanges sans payer les droits d’entrée en
Dauphiné, l’article VIII de cet accord
prévoyait un transit respectif entre les deux parties du Comtat
pour toutes denrées et marchandises des habitants
(sauf les soies et laines qui restaient soumises
aux droits des fermes). Par l’article IX, les
habitants de l’enclave du Haut comtat étaient
autorisés à commercer dans le
Dauphiné avec la clause expresse qu’ils
y fussent traités comme les naturels de cette
province, à la charge de payer au profit de l’adjudicataire des
fermes générales les sommes portées par les
abonnements convenus. S’établit dès lors un
trafic frauduleux dont une lettre du 14 février 1773 et un mémoire de la même
époque rendent parfaitement compte : «
les Dauphinois, pour profiter d’un privilège qui
n’est accordé qu’aux Comtadins, s’arrangent avec eux
pour tirer du Comtat toutes les marchandises qu’il
leur plait et cela leur est fort facile :
arrivés sur la frontière, ils s’arrêtent dans un village
du bas Comtat, y trouvent un particulier qui prête le nom,
celui-ci se fait expédier un certificat aux consuls ou
secrétaire greffier et les fait passer en transit dans le
haut Comtat ». Le préjudice fut estimé à hauteur de 100
000 livres car les
marchands faisaient transiter aisément des denrées
de la foire de Beaucaire, de Villeneuve-lès-Avignon
ou de tout autre endroit de Provence en fraude de la douane de Valence ou de la douane
de Lyon vers l’étranger. La Ferme générale
sollicita donc la suppression de l’abonnement de
1727 qui ne rapportait
guère que 1852 livres par
an. Le commerce des laines du bas vers le
haut Comtat en particulier faisait un manque à gagner pour
la Ferme générale qui dénonça la fraude dès 1741 au
vice-légat. Les autorités du pays tentèrent de limiter le
problème en exigeant des acquits à caution au
bureau de Suze et un visa desdits
acquits au bureau de
Bouchet pour les marchandises à
destination de l’enclave de Valréas, et des acquits au
bureau de Tulette
pour les destinations des Pilles, Eyroles,
Valouse et Aubres. Ce fut en vain.
Au demeurant, lorsqu’il
s’agit d’envisager plus sérieusement l’intégration du pays
en 1768, les tenants de la
liberté du commerce soutinrent le projet avec force : « On
a déjà fait voir que la multiplicité des bureaux établis
sur les différentes frontières du
Dauphiné avec les communautés du Comtat
et les terres adjacentes de Provence,
portent un coup mortel au commerce de tout le canton : la
liberté est l’âme du commerce. Cependant, il est peu de
villages dans le Bas-Dauphiné et les
Terres adjacentes où il n’y ait un bureau des fermes ; les
formalités multipliées auxquelles on est assujetti et que
la plupart des habitants ignorent, les craintes
perpétuelles sur les peines auxquelles ils sont exposés,
ne leur permettent pas de se livrer au commerce. Il est
peu de pays qui en ayent plus de différentes branches. Le
Haut
Dauphiné et la partie de montagne peuvent
fournir au Bas-Dauphiné, au
Comtat ou à la Provence des
chanvres, toiles, bois, fers, bestiaux, fourrages, huiles,
noix ». Pourtant, on discutait encore en 1785 de la carte des penthières, en
distinguant l’intérieur et l’extérieur du Comtat. On jugea
que 30 hommes devaient suffire pour l’intérieur, 14 à
Avignon, huit à Carpentras et huit à Mondragon. Pour la
ligne de défense extérieure, chargée d’empêcher l’arrivée
des tabacs, des
marchandises prohibées,
des soieries échappées, le directeur des fermes envisagea
de former « trois fortes brigades» sous les ordres d’un
Lieutenant à Apt : une de dix hommes à Apt (bureaux
subordonnés de Gordes, Lumières et Goult), l’une de huit
hommes à Sault et l’une
également de huit hommes à Lourmarin pour faire la
jonction avec les
bureaux La Roque sur la Durance, avec
deux sous-brigades de quatre hommes pour l’exercice des
débits, à Manosque et à Sisteron.
Notons enfin que les
concordats du 4 février 1756 et
du 29 août
1758 autorisèrent la Ferme générale à
lever un denier par carte sur tous les jeux fabriqués à Avignon, et à
établir son bureau pour l’enregistrement des
autorisations de fabrication, marques et le contrôle. Levé au profit de l’Ecole royale militaire de
France, ce droit taxait les cartiers selon les mêmes
procédures que dans le royaume voisin. Le
vice-légat Grégoire Salviati reconnut dans un
règlement de 1761 que « le paiement de ce droit modique qui ne regarde que
les personnes aisées, assure un avantage à la
noblesse de la
ville d’Avignon et de la province du
Comtat-Venaissin
par son admission à l’Ecole royale
militaire ». Le pays obtenait en outre la
possibilité d’écouler ses cartes plus facilement dans le royaume et à l’étranger.
Au
total, on mesure donc comment la Ferme générale parvenait
à infiltrer et administrer le fisc non seulement des pays
intégrés à la Couronne, mais aussi des pays demeurés sous
la souveraineté d’un autre prince que le roi de France.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 83, dossier 5, « Mémoire sur la régie intérieure du port de Marseille pour les traites, les gabelles et le tabac », 5 juillet 1785.
- AD Drôme, C 296 : « Mémoire concernant la limitation entre le Dauphiné et la Provence ».
- AD Vaucluse, 9J 2 et 9J 3 Légation d’Avignon (en ligne), notamment 9J 2-26 : Articles convenus et accordés entre Mess. Reinier d’Elci, archevêque de Rhodes, nonce apostolique près de S. M. T. C., commissaire député de Sa Sainteté, et le sieur Antoine-Louis Rouillé… pour le rétablissement du commerce entre les habitants de la ville d'Avignon et du Comtat Venaissin, et les sujets de Sa Majesté conclus le 11 mars 1734, Avignon, Jean-François Domergue Imprimeur, 1756, 24 p. Ce registre comprend : "Extrait du bail de la ferme générale du tabac dans la ville d'Avignon et État Venaissin qu'on renouvelle tous les neuf ans, et dans lequel lesdits articles sont toujours insérés", Paris, 11 mars 1734.
-
Sources imprimées:
- Lettre des Fermiers généraux du 14 février 1773 « Mémoire relatif au transit du bas et haut Comtat », vers 1773 C 1031.
- Lettre du cardinal Firrao à Mgr le vice-légat d'Avignon, 20 février 1734.
- Arrêts du Conseil d'État du Roy pour faire jouir les habitants de la ville d'Avignon et du Comtat Venaissin des avantages que S. M. T. C. a bien voulu leur accorder, 16 mars 1734.
- Ordonnance du vice-légat Bondelmonte pour la publication de l'arrêt du Conseil d'État du Roi, 31 mars 1734.
- Instruction et ordre de M. Dufort, fermier général, aux receveurs des bureaux des fermes établi à Avignon et sur la frontière du Comtat… sur l’exécution de l’arrêt du Conseil d'État du Roi du 16 mars 1734", 30 mars 1734 et "Extrait du tarif général de la douane de Lyon pour ce qui concerne la partie des soyries du royaume, arrêté au conseil le 27 octobre 1632.
- Arrest du Conseil d’Estat du Roy qui ordonne que les marchands Habitans d’Avignon qui feront charger des soyes et autres marchandises sur le Rhône seront tenus d’en demander la permission au bureau de Villeneuve, d’y faire conduire les marchandises pour y être visitées, et d’y passer Obligation pour la Foraine, et à Avignon pour la douane de Lyon, 12 avril 1723.
- Arrêt du Conseil d’Etat du Roy qui deffend l’introduction dans le royaume des étoffes de soye ou autres marchandises de la fabrique du commerce de la ville et Comtat d’Avignon, 10 juin 1731.
- Philippe Bondelmonte, vice-légat, Avis au sujet de droits indûments perçus par les fermiers généraux sur les habitants d'Avignon et du Comtat, 7 août 1733, Avignon, C. Giroud, s. d.
- Ordonnance portant exécution d’un décret de la Sainte Congrégation d’Avignon du 4 février concernant la répartition des 230 000 livres que payent les fermiers généraux à la ville d'Avignon et au Comtat Venaissin, 27 février 1736.
- Règlement sur le commerce des laines du Comtat vers le haut Comtat, Avignon, chez Charles Giroud, 22 août 1741.
- Bail des gabelles et du sel d'Avignon et du Comtat, Avignon, Charles et Alexandre Giroud, 2 janvier 1744.
- Affiche : Ordonnance prescrivant l’assistance des consuls, magistrats et officiers de Sa Sainteté, aux employés et gardes des fermes, des gabelles à sel, du tabac, dans les visites, Avignon, chez Charles et Alexandre Giroud, 5 mai 1745.
- Règlement concernant l’établissement du droit sur les cartes à jouer, Avignon, Alexandre Giroud, 9 septembre 1756.
- Règlement pour l'exécution de la nouvelle ferme du droit sur les cartes à jouer, Avignon, chez Alexandre Giroud, 1er mai 1761.
-
Bibliographie scientifique:
- Sophie Bentin, Les enclaves du haut Comtat à l’époque moderne (1560-1791), 2 vol., Université d’Aix-Marseille I, 2007.
- René Moulinas, « Avignon, le Comtat-Venaissin et la contrebande de sel », Etudes héraultaises, n° 4, 1983, p.15-22.
- René Moulinas, « Industrie, conjoncture et fiscalité, La fabrique de soieries d’Avignon et les privilèges de régnicoles des habitants de cette ville à la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle », dans Études d’histoire provençales, Faculté des lettres et sciences humaines, Aix-en Provence, 1971, p. 55-136.
- René Moulinas, « Problèmes d’une enclave dans la France d’Ancien régime : culture, commerce et contrebande du tabac dans le Comtat Venaissin et à Avignon au début du XVIIIe siècle » , Provence historique, 1967, p. 3-31.
- Olivier Rouchon, « Entre le roi et le pape : les réunions d’Avignon au royaume de France (XVIIe-XVIIIe siècle) », dans Se donner à la France ? Les rattachements pacifiques de territoires à la France (XIVe-XIXe siècles), Paris, Publications de l’Ecole nationale des chartes, 2013, p.55-81 .
Comtat-Venaissin » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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