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Douane de Valence

Nicolas Soulas





En 1621, alors que le roi de France assiège la citadelle réformée du Pouzin, en Vivarais rhodanien, Lesdiguières, lieutenant général des armées royales, installe à Valence une douane destinée à financer la poursuite du siège. La création de la douane de Valence, géographiquement proche d’une autre douane, celle de Lyon, suscite la contestation des marchands et des échevins lyonnais qui envoient une députation à la cour pour obtenir sa dissolution en pointant la sévérité des droits perçus. Dans un premier temps, le pouvoir royal accorde en 1623 au monde du négoce lyonnais une exemption partielle des droits de douane sur plusieurs produits transitant jusqu’à Lyon (blé, avoines, pailles, foins, bois à brûler et à bâtir, volailles, œufs, beurre). Par un arrêt du conseil du 11 mai 1624, Louis XIII supprime purement et simplement la douane de Valence, moyennant une compensation financière supportée par les provinces du Dauphiné et du Lyonnais (notamment une augmentation du prix du sel). Cependant, face à la reprise du conflit contre les réformés du Midi en 1626, Lesdiguières rétablit la douane pour financer l’effort de guerre. Cette fois, les doléances des négociants dauphinois ou lyonnais, soutenus par le Parlement de Grenoble, ne changent rien. Le bureau des douanes perdure jusqu’à la Révolution française.

Les droits de douane, fixés à hauteur de 3 %, sont perçus sur les marchandises, denrées et bétail qui empruntent la voie fluviale pour se rendre à Lyon, plaque tournante commerciale majeure, ou qui traversent le Rhône. Par conséquent, la douane de Valence taxe les marchandises provenant d’horizons géographiques très lointains, du Levant en passant par l’Italie et l’Espagne ou de provinces françaises méridionales. La zone de compétence des fermiers du bureau de Valence est particulièrement étendue : des faubourgs de Lyon jusqu’à l’embouchure de l’Ardèche, au sud de Bourg-Saint-Andéol. Pour une plus grande efficacité, ils se répartissent la perception des droits : les voituriers qui descendent le cours du fleuve sont taxés au bureau d’Anthon tandis que ceux qui remontent le Rhône le sont à Valence même. Dans un premier temps, le bureau principal de la douane de Valence est installé sur la rive droite du Rhône, face à la ville, puis, à partir de 1699, les locaux de la douane sont déplacés sur la rive gauche, dans la basse ville de Valence. Combien d’hommes s’activent au sein de ce bureau ? Le manque de source ne permet pas d’apporter une réponse franche. Les indemnités versées au personnel de la Ferme générale lors de sa dissolution en 1791 révèlent qu’une brigade sédentaire de 10 hommes (un brigadier, un sous-brigadier et huit gardes) est affectée pour surveiller la perception des droits et traquer les contrevenants. Mais combien de commis trouve-t-on ? La documentation reste silencieuse à ce sujet.Au cours du XVIIe siècle, la douane se développe et devient, aux dires de Colbert, « la plus à charge au commerce par le grand nombre de ses bureaux de recette ou de conserve ». Selon Marcel Marion, des annexes du bureau des douanes se sont établies dans le Forez, en Auvergne, en Bresse, en Beaujolais et dans le Bugey. Rien que pour le Dauphiné, il y en aurait eu 110, vingt-huit autour de Lyon et six en Provence. Néanmoins, la quasi-absence de sources ne permet pas d’esquisser une géographie très fine de l’inscription territoriale de la douane de Valence. Les quelques lettres adressées aux administrateurs des douanes nationales par le département de la Drôme lors de la liquidation de la douane de Valence en 1790 fournissent de maigres informations. L’axe rhodanien est particulièrement bien quadrillé par les agents des douanes. Pour faciliter les contrôles, de nombreuses annexes de la douane sont disposées, tout autour du bureau principal de Valence : en amont du fleuve (la Roche de Glun, Tain, puis à Serves, au sud de Vienne), et en aval, au niveau de Loriol, au nord de Montélimar.

Comme de nombreuses autres structures fiscales d’Ancien Régime, la douane de Valence souffre d’une très mauvaise réputation. En effet, contrairement à la douane de Lyon, elle prélève un droit de passage susceptible de pouvoir frapper la même marchandise autant de fois qu’elle transite par l’axe rhodanien. Face aux critiques, quelques restrictions sont apportées aux droits de douane. Les grains, le bétail et denrées affranchies de tous droits à l’entrée et à la sortie du royaume de France sont exempts de la douane de Valence. Il en est de même pour le sel et les petites productions agricoles, destinées à alimenter les marchés locaux comme les œufs, le beurre ou les volailles. Certains marchands étrangers, notamment suisses ou impériaux, jouissent de privilèges qui exemptent les marchandises originaires de leur contrée des droits des douanes de Valence et de Lyon. Ce système de taxation, jugé extrêmement abusif par les contemporains, incitent certains négociants à emprunter des routes commerciales plus longues afin d’éviter l’axe rhodanien. Les échevins lyonnais se plaignent régulièrement de la douane, dépeinte comme un « fléau », et lui imputent un rôle essentiel dans le déclin commercial qui frappe la ville et paralyse le monde de la soie. La douane de Valence a-t-elle véritablement entravé le commerce intérieur ? C’est en particulier ce que soutient, en 1758, François de Forbonnais, dans le premier tome de ses Recherches et considérations sur les finances de la France depuis l’année 1595 jusqu’à l’année 1721, lorsqu’il dépeint la douane de Valence comme le système douanier interne le plus « destructif du commerce » car « il fatigue à la fois six à sept provinces, dont il anéantit les communications ». Les recherches conduites depuis une vingtaine d’années tendent à démontrer le contraire. Ainsi, 1628 voitures passent à Vienne en 1739 contre 7378 en 1759. Plus significatives sont les augmentations des péages terrestres : + 192% à Valence de 1753 à 1788, + 614, 9% à Vienne entre 1729 - 1789. Le grand commerce est sans doute davantage perturbé par les carences des voies de communications internes, plus particulièrement fluviales, que par les douanes intérieures. D’autres historiens, comme Charles Carrière dans son étude du négoce marseillais, nuancent également la pression fiscale exercée par la douane de Valence sur les marchandises et son impact sur le dynamisme du commerce rhodanien.Les contemporains accusent également les fermiers de se livrer à de nombreux abus. Toujours selon Forbonnais, le tarif de perception, fixé en 1659, ne serait pas respecté, les agents de la douane imprimant des pancartes qui affichent des montants d’une très grande variabilité. Il n’est guère possible, en l’état actuel des recherches, d’infirmer ou de confirmer les dires de Forbonnais. Dans l’optique de rationnaliser un système douanier contestable, la Ferme générale généralise l’emploi du poids de marc pour la perception des droits de traites. Ainsi, dès 1724, la douane de Valence, perçue auparavant au poids de table, est augmentée d’un septième pour être acquittée au poids du roi.

À la fin de l’Ancien Régime, la douane de Valence figure en bonne place parmi les objets de détestation qui émanent des cahiers de doléances dauphinois. C’est particulièrement le cas pour la ville de Valence. Le 3 mai 1789, le conseil politique approuve la rédaction des doléances entreprises, séparément, par les trois ordres. Les doléances sont divisées en deux parties distinctes : une première, intitulée « objets généraux », et la seconde, recensant les « objets particuliers à la ville de Valence ». Dans les deux cas, la douane est critiquée. Dans un premier temps, les députés chargés de la rédaction revendiquent la suppression des « droits du fiscs, nuisibles au commerce et à l’industrie ». Les exigences strictement valentinoises sont, quant à elles, encore plus claires : « La ville de Valence, située sur le Rhône, est dans le cas d’insister particulièrement sur la suppression des traites et de la foraine, comme lui étant plus préjudiciable qu’à toute autre ville de la province, en ce qu’elles gênent son industrie et sa subsistance. Ne serait-il pas possible de lui obtenir une exemption et franchise de tous droits pendant la tenue de ses foires ? ». Certains historiens locaux, reprenant les critiques exprimées dans les doléances de la ville, ont vu dans la douane de Valence la cause essentielle du retard commercial et du sous-développement du négoce et de l’artisanat valentinois à l’époque moderne. Une étude d’histoire économique locale très poussée permettrait certainement de nuancer ces affirmations qui ne reposent que sur les allégations des contemporains. Comme les autres douanes internes, la douane de Valence est supprimée par les décrets du 30 octobre et 5 novembre 1790.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Drôme, C 1076, L 988, AM Valence : BB 26, BB 53.
  • AN, G1 83, dossier 6 : « Tarif de la douane de Valence, au poids de marc, à Valence, chez Philippe Gilibert, 1755.


    Bibliographie scientifique:
  • François de Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de la France depuis l’année 1595 jusqu’à l’année 1721, 1758. .
  • Alain Balsan, Valence au grand siècle, Valence, Broché, 2000.
  • Fayard, « Douane de Lyon et de Valence », Bulletin de la société départementale d’archéologie et de statistique de la Drôme, Tome 2, 1867, p. 58-73.
  • Marcel Marion, « Douane de Valence », Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1923, p. 188-189.
  • L’administration des douanes en France sous l’ancien régime, Paris, Association Pour L’histoire De L’administration Des Douanes, 1976.
  • A. Pelletier, J. Rossiaud, F. Bayard, P. Cayez (dir.), Histoire de Lyon des origines à nos jours, Lyon, Editions d’Art et d’Histoire, 2007.




Citer cette notice:

Nicolas Soulas, « Douane de Valence » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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