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Languedoc

Marie-Laure Legay





Dotée d’une prestigieuse assemblée, la province de Languedoc constitua un interlocuteur politique de poids face aux administrateurs de la Ferme générale. Elle s’illustrait non seulement par la qualité des lignages représentés au sein des Etats provinciaux, mais aussi par la puissance de ses finances et de son crédit mis au service de la monarchie. Elle demeurait en mesure de défendre ses privilèges et de limiter l’immixtion fiscale de l’Etat. Ses habitants disposaient des avantages de la consommation libre du sel ; ils n’étaient pas moins inquiétés par les agents de la ferme de l’Equivalent que leurs compatriotes en pays d’aides ; les marchandises en circulation étaient soumises à la patente du Languedoc ou à la Foraine, mais les tarifs n’étaient guère comparables à ceux de 1664. Les traites portaient surtout sur les vins, les draps destinés au Levant, les huiles et savons…. L’on doit considérer dans l’ensemble que la fiscalité indirecte royale demeurait de faible rendement en cette province, privilège que la finance officière du pays, liée à la finance parisienne comme le montrèrent Guy Chaussinand-Nogaret et William Beik, achetait de son crédit.

Pays de petites gabelles, le Bas-Languedoc était approvisionné par les salins de Peccais près d’Aigues-mortes, tandis que le Haut-Languedoc faisait venir le sel de Peyriac et Sigean. L’investissement dans les salins, mais aussi le voiturage du sel pour approvisionner les greniers de la plaine ou du haut-pays, constituait une activité lucrative dans laquelle les financiers du Languedoc s’engagèrent au XVIIe siècle. La « ferme générale des gabelles du Languedoc » donna également l’occasion aux hommes d’affaires locaux d’accroître les profits. Elle fut affermée en 1646 pour 1 730 000 livres au lyonnais Jacques Jannon qui sous-afferma à son tour les greniers du Haut-Languedoc à Pierre-Paul Riquet, originaire de Béziers. En 1661, Pierre-Paul devint le fermier général des gabelles du Languedoc jusqu’en 1673, tandis que les Crozat et les Reich dirigeaient les finances provinciales. Adjugée à 3 millions de livres par an lors du bail Desboves de la Ferme générale (1732-1738), la Ferme des gabelles du Languedoc rapportait brut à peu près le double. Au cours du bail Laurent David (1774-1780), le produit s’éleva respectivement à 2 274 160 livres (recette de Montpellier), 316 851 livres (recette de Narbonne) et 3 484 630 livres (recette de Toulouse).

Comme tout pays de gabelles, le Languedoc connut les affres de la fraude. Le prix principal du sel y était de 20 livres le minot, avec néanmoins des variations selon les greniers, comme nous le montrons dans la notice sur les petites gabelles.

Prix du minot de sel dans les pays de petites gabelles en 1763 (tableau de l’auteur)

   Pour lutter contre la fraude, les juges de la province s’appuyaient sur la déclaration du 25 octobre 1685, calquée sur l’ordonnance de 1680. Le gouvernement unifia la législation pénale, mais aussi les juridictions en supprimant les offices de visiteurs des gabelles du Languedoc que la Cour des aides de Montpellier avait mis en place et en confiant leurs attributions à un conseiller-visiteur, doublé d’un conseiller procureur du roi, dans chaque grenier (édit de décembre 1704). L’activité juridictionnelle de ces greniers fut soutenue. Selon Marie-Anne Durand, le grenier à sel de Toulouse jugea en moyenne 29, 3 affaires par an dans les années 1770 - 1789, le plus souvent pour s’être procuré du sel gris de Poitou, moins cher que le sel blanc languedocien.

  Outre la fraude ordinaire sur le sel, la contrebande du tabac sévissait en Languedoc. A la fin de l’Ancien régime, le monopole rapportait brut près d’un million deux cent mille livres par an à la Ferme (soit près de 700 000 livres pour la recette de Montpellier, 300 000 livres pour la recette de Toulouse et encore 200 à 250 000 livres pour celle de Sète (voir notice Tabac). La compagnie dut cependant renforcer ses brigades pour combattre le trafic clandestin des marchands qui venaient soit du Roussillon, soit des ports méditerranéens. En 1760, la surveillance des plages fut encore consolidée et la chaîne de bureaux qui, depuis Sète, s’étendait vers Agde, Vias, Portiragues, Sérignan, complétée pour faire face à l’afflux de bateaux lors de la foire de Bordeaux.

  Le Languedoc était assimilé à un pays d’aides. Sur le commerce des denrées comme le vin, la viande ou le poisson, les Etats provinciaux levaient des taxes par affermage. La ferme de l’équivalent demeura dans les mains de l’assemblée, mais à partir de 1754, date de renouvellement du bail, les financiers de Paris, parmi lesquels on pouvait compter des directeurs des Fermes du roi comme Pierre Symphorien Gigot, Claude Genty ou Jacques de La Haute, prirent le contrôle du cautionnement de cette Ferme particulière. Le changement de régie qui s’ensuivit mécontenta les administrateurs locaux : les commis de bureaux du nouveau bail méconnaissaient les usages et, de ce fait, furent agressés. Le bail de 1754 fut résilié en 1757 et la finance languedocienne reprit la main sur la Ferme de l’équivalent. En 1782, elle fut baillée à hauteur de 1, 4 million de livres.

   Concernant les traites, le Languedoc connaissait divers droits dont la Patente du Languedoc (traite domaniale), la Foraine, le Denier Saint-André, les 4 % des drogueries, les droits de la douane de Lyon et de la douane de Valence. Les lignes de bureaux d’entrée et de sortie s’établissaient face au Dauphiné et à la Provence, depuis La Voulte jusqu’à Beaucaire, le long de la mer Méditerranée depuis Aigues-Mortes jusqu’à Leucate, puis face au Roussillon. En 1781, la ligne de bureaux établie depuis Saint-Antonin jusqu’à Toulouse, en suivant la ligne limitrophe du pays franc, tant du Quercy que de la Guyenne, fut modifiée. Il s’agissait de lutter contre la fraude qui sévissait de part et d’autre de l’Aveyron : « Il y a plusieurs ports sur la rivière de l’Aveyron où passent les faux-sauniers qui viennent de Septfonds et Caylus pour entrer dans le Haut Albigeois, à savoir le Pont-de-Cirou, Le Carrelien, Les Infournats, Lagarde-Viaur, La Rigaudié, Laguépie, Pénignon, Saint-Projet, l’Exance, Milhars, Montrosier et Féneyrols: si ces passages ne sont pas bien gardés par les brigades du Rouergue, la ligne depuis Saint-Antonin jusqu’à Saint-Urcisse deviendra presqu’inutile pour le haut Albigeois », écrivit Mical, employé des traites à Toulouse. La ligne fut donc renforcée de lieue en lieue suivant sa proposition, avec les postes de Cazals, Penne, Périllac, Larroque, Sainte-Catherine, Saint-Urcisse, Beauvais, Villebrumier, Le Fau, Bressols, Montech, Fignan, Dieupentalle, Ondes et Seilh.

Carte : AN, G1 73, postes de brigades ensuivant la ligne du pays franc, 1781

   Comme la Foraine, à laquelle elle était rattachée, la Patente du Languedoc se levait sur les marchandises destinées pour l’étranger ou pour les pays où les droits d’aides n’avaient pas cours. D’après le tableau du produit des traites de la direction de Montpellier pendant le bail Mager, les traites rapportèrent pour l’année 1787 : 979 278 livres tournois ; les droits du Domaine d’Occident (bureau unique de Sète) produisirent quant à eux une recette de 13 248 livres ; les droits sur les huiles et savons : 261 969 livres. Les droits de traites dans la direction de Toulouse s’élevaient à bien moins, mais ils existaient: ils se levaient au port de l’Embouchure, près de Toulouse, et à la commutation. Les droits sur les huiles et savons rapportaient également peu : 11 249 livres (1788). La Ferme générale avait d’ailleurs fixé le produit des droits à 10 000 livres en1760. Pour cette recette, elle avait néanmoins établi dans cette direction comme dans celle de Montpellier un maillage assez dense de bureaux.

Recettes des droits sur les huiles et savons par bureau, direction de Toulouse, 1788 (AN, G1 80, dossier 26):



Contrôle général de Castelnaudary :
-Bureau général : 2 851 l. 2 s.
-Bazus : 156 l. 1 s.
-Château : 39 l. 16 s.
-Matabiau : 15 l. 14 s.
-Muret : 645 l. 9 s.
-Saint-Cyprien : 973 l. 5 s.
-Saint-Etienne : 57 l. 16 s.
-Villeneuve : 320 l. 2 s.
-Blagnac : -
-Belpech : 9 l. 10 s.
-Mazères : 6 l. 6 s.
-Castres : -
-Chalabre : -
-Colomiers : -
-Commutation : 1 172 l. 12 s.
-Embouchure : 951 l. 15 s.
-Mirepoix : 1 135 l. 11 s.
-Molandier : 212 l. 7 s.
-Moulinage : -
-Montegut la Baraque : 555 l. 17 s.
-Ondes : 13 l. 13 s.
-Portet : 12 l. 18 s.
-Saint-Gervais : 260 l. 11 s.
-Rieucros : 49 l. 16 s.
-Tournefeuille : -


Contrôle général de Montauban
-Albi : 582 l. 11 s.
-Bressols : 714 l. 13 s.
-Castelsarrasin : 15 l. 15 s.
-Cordes : 111 l. 15 s.
-Gaillac : -
-Grisolles : 213 l. 14 s.
-Montech : 157 l. 7 s.
-Penne : -
-Rabastens :-
-Saint-Portier : 12 l. 13 s.
-Tonnac :-


  Tous ces droits étaient jugés en première instance par les Maîtrises des ports. Nathalie Bruzat a compté 379 procès-verbaux assignés devant la Maîtrise de Toulouse entre 1753 et 1789. Le tabac représentait à lui seul 37, 7 % des saisies, suivi par les cuirs (18, 7 %), les tissus divers (17, 7 %), les huiles et les savons (16, 9 %), le poisson et les objets en or et en argent.

  In fine, on mesure la capacité de la Ferme générale à lever sur les terres languedociennes près d’une dizaine de millions de livres pour le compte du roi. Aux produits des gabelles, du tabac, des traites diverses, Domaine d’Occident, des droits sur les huiles et savons, s’ajoutaient les abonnements pour les impôts nouveaux (droits rétablis, cuirs, cartes…) et surtout les sols pour livre qui formaient autant d’augmentations sur ces droits. Cependant, dans la mesure où les rapports commerciaux avec le Levant ou avec les Amériques ne passaient pas prioritairement par les ports de cette province, la recette des traites demeura somme toute assez modeste.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 15, Délibérations des Fermiers généraux, 28 juillet 1760 et 30 décembre 1760.
  • AN, G1 73, Brigades, Lettre de Mical à M. Rougeot, 5 septembre 1781.
  • AN, G1 79, dossier 9 : Ordres et instructions donnés par Monsieur Le juge intéressé au bail de Me Pierre Domergue, Fermier général des Gabelles Cinq grosses Fermes de France  concernant la régie perception des droits qui se lèvent au département de Languedoc, premier septembre 1691.
  • AN, G1 80, dossier 25 (recettes des traites, direction de Montpellier, 1787) dossier 26 (recettes des droits sur les huiles et savons par bureau, direction de Toulouse, 1788).
  • AN, G1 88, dossier 15 : état du produit brut des gabelles, année commune des trois premières années du bail Laurent David.

    Sources imprimées:
  • Déclaration du roi concernant les gabelles du Languedoc et d’Auvergne, donnée à Paris le 2 avril 1722.
  • Arrêt du Conseil d’Etat ordonnant la levée de 5 sols par minot de sel dans les greniers et chambres de Languedoc, Auvergne et Rouergue, pour rembourser les sommes avancées pour la réparation de chemins du Languedoc et principalement de celui de Toulouse à Saint-Sulpice-de-la-Pointe, 24 septembre 1726.
  • Arrêt du Conseil d’Etat servant de règlement pour la régie et perception des droits de traite foraine et domaniale sur les marchandises du crû ou fabrique de Languedoc, ou qui empruntent le passage de ladite province et sur celles du crû de la Haute Guyenne conduites dans la ville d'Agen et autres de la basse Guyenne, 31 juillet 1745.
  • Jean Albisson, Loix municipales et économiques du Languedoc, 7 tomes, Montpellier, 1780-1787.
  • Arrêt du Conseil d'Etat du roi, portant décision sur l'exportation importation du commerce du Levant, 15 janvier 1759 (à propos des draps du Languedoc surtout).
  • Buterne, Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies de France, Avignon, 1763, p. 245-46 (officiers des gabelles), 379 (déclaration du 25 octobre 1685), 438 (sur les revendeurs à la petite mesure).
  • Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 148-194.
  • Jacques-Philibert Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, vol. 1, Paris, 1784, p. 381-385.


    Bibliographie scientifique:
  • Pierre Boissonnade, « Production et commerce des céréales, des vins et eaux-de-vie en Languedoc, dans la seconde moitié du xviiie siècle », Annales du Midi, 1905, p. 329-360.
  • G. Géraud-Parracha, Le commerce des vins et des eaux-de-vie en Languedoc sous l’Ancien Régime, Montpellier, 1957.
  • Jacques Vidal, L’équivalent des aides en Languedoc, Montpellier, thèse d’Histoire du droit, 1960.
  • Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du Languedoc, Paris, 1962.
  • Charles Carrière et Michel Morineau, « Draps du Languedoc et commerce du Levant au xviiie siècle », Revue d’histoire économique et sociale, 1968, p.108-121.
  • Guy Chaussinand-Nogaret, Les financiers de Languedoc au xviiie siècle, Paris, EHESS, 1970.
  • Louis Dermigny, « Le prix du vin en Languedoc au xviiie siècle », Annales du Midi, 1964, p. 505 sq. : Georges Frèche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières, (vers 1670-1789), Paris, 1974.
  • Lamoignon de Basville, Mémoires sur la province du Languedoc. L’intendance de Languedoc à la fin du xviie siècle, éd. critique par François Moreil, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1985.
  • William Beik, Absolutism and Society in XVIIth Century France. State, Power and Provincial Aristocracy in Languedoc, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
  • Nathalie Bruzat, L’Activité de la maîtrise des ports de Toulouse, 1753-1789, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse, 1993, p. 56-69.
  • Marie-Anne Durand, La Fraude à la gabelle dans la sénéchaussée de Toulouse à la fin de l’Ancien Régime, 1770-1789, mémoire de DEA en histoire du droit, Université de sciences sociales, Toulouse, 1994, 91 p.
  • Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc. Narbonne et Narbonnais 1300-1789, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1996.
  • Caroline Javanaud, « La juridiction des gabelles du Languedoc sous l’Ancien régime », thèse dirigée par Philippe Nelinoff et soutenue à l’université de Toulouse 1, 2010.
  • S. Durand, A. Jouanna, E. Pélaquier, Des Etats dans l’Etat. Les Etats du Languedoc de la Fronde à la Révolution, Paris-Genève, Droz, 2014.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Languedoc » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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