Bail
Tableau des principaux baux de la Ferme générale et du tabac
Le préambule
Symbole du consentement des parties, le prix du bail est formé au terme d’une licitation dont le préambule du résultat du Conseil offre le procès-verbal. Jusque dans la première moitié du XVIIIe siècle, les baux sont conclus au terme d’une enchère publique qui trouve son règlement dans l’arrêt du Conseil du 25 juillet 1681. Retranscrit dès le jour suivant au sein du bail Fauconnet, ce règlement devient un titre à part entière de l’ordonnance générale sur les droits des fermes de juillet 1681. Six mois avant l’expiration du bail, les affiches contenant les conditions de son renouvellement sont expédiées dans les principales villes du royaume pour y être publiées. Ainsi, pour l’adjudication du bail Carlier en 1726, des affiches sont apposées par un huissier du Conseil aux portes des châteaux du Louvre et des Tuileries, à celles du grand Conseil, sur les escaliers de la Chambre des comptes et de la Cour des aides, aux portes de la Cour des monnaies, au bureau des finances et du Châtelet, à l’Hôtel du Garde des Sceaux, devant les bureaux de l’Hôtel des Fermes, enfin, aux portes, « carrefours et endroits publics » de toutes les paroisses de Paris. Ces mêmes affiches sont expédiées dans les provinces, dans les principales villes de chaque généralité, du royaume de Navarre et du Béarn, des provinces de Bretagne et de Franche-Comté, du département de Dunkerque ainsi que dans celles des pays de Flandre et du Hainaut. Par exemple dans la généralité d’Amiens, les affiches sont adressées aux commissaires départis et aux présidents des bureaux des finances qui en assurent la publicité au bureau des finances du chef-lieu ainsi qu’aux « places publiques et lieux ordinaires » de Doullens, Péronne, Saint-Quentin, Mondidier, Abbeville, Calais et Boulogne-sur-Mer. Expédiées dans les jours suivants, d’autres affiches précisent la date à laquelle le Conseil procédera « à la réception des enchères, baux, adjudications et délivrances ». Le jour-dit, dans le lieu renseigné par les affiches, qui peut être l’hôtel particulier d’un ministre ou au Conseil, l’huissier lie l’affiche « à haute et intelligible voix ». L’enchère courante est réglée à une certaine somme, par exemple 30 000 livres pour le bail Legendre, puis trois chandelles sont allumées successivement. Après qu’elles se soient consumées, l’adjudication est faite « au plus offrant et dernier enchérisseur ». Participer à l’enchère, et donc potentiellement devenir le futur adjudicataire des fermes du roi, ne supposait, dans un premier temps, que d’apporter de solides cautions de solvabilité. Anticipant de quatre années la révocation de l’édit de Nantes, la clause d’après laquelle « les seules Catholiques, Apostoliques et Romains sont admis dans les Fermes et les sous-Fermes des Droits » apparaît de manière concomitante, en juillet 1681, dans le bail Fauconnet et le règlement général sur les droits des fermes. Le processus de publication des affiches, des enchères et de l’adjudication se répète à trois jours différents. L’absence de surenchérisseur étant fréquente, l’avocat de l’adjudicataire supplie l’huissier du Conseil de procéder à l’adjudication afin que le bail soit « confirmé, expédié et délivré dans la huitaine suivante ». L’avocat est alors tenu de déclarer au greffe du Conseil, dans les vingt-quatre heures, le nom de l’adjudicataire qui, selon Guyot, est « collectif pour désigner le corps de la Ferme générale ou la compagnie des fermiers généraux ». En effet, le preneur et ses cautions disposent de trois jours pour remettre au greffe du Conseil un acte de cautionnement dans lequel le premier indique n’être que le « prête-nom » des seconds qui, à leur tour, s’obligent « solidairement d’un d’eux seul pour le tout » d’assumer les frais d’exploitation et le loyer du bail. À défaut, la ferme est de nouveau publiée « à la folle enchère » dans la mesure où l’adjudicataire est incapable d’en garantir le paiement. Au terme de cette première adjudication dite « simple », les enchères sont encore reçues dans les vingt-quatre heures par « tiercement ». Par exemple, si l’enchère courante pour le bail Legendre est de 30 000 livres, le tiercement correspond à la somme de 90 000 livres. Les enchères ne sont plus autorisées qu’entre l’adjudicataire simple et celui qui a fait le tiercement. Huit jours après cette nouvelle adjudication, toute personne est encore autorisée à surenchérir par « triplement » qui représente « neuf fois l’enchère simple ». Si dans le cas du bail Legendre celle-ci est de 30 000 livres et le « tiercement » de 90 000 livres, le « triplement » est donc de 270 000 livres. L’adjudicataire et celui qui propose le triplement sont ensuite les seuls à pouvoir surenchérir « par simple enchère ». Les préambules des « résultats du Conseil portant bail » sont d’autant plus volumineux que la licitation détermine le prix des baux. Si tel est encore le cas jusqu’au tournant du XVIIIe siècle, l’enchère publique perd ensuite de sa substance pour ne devenir que de pure forme. Le préambule du bail Legendre de 1668 couvre 43 pages, contre 17 pour le bail Fauconnet en 1681, puis 4 pour le bail Forceville en 1738 et 2 seulement pour le bail Mager en 1786. Cet abandon progressif de la licitation témoigne de la rationalisation des instruments avec lesquels estimer le prix des baux.
L’introduction du système en comptabilité double, lors de l’administration du bail Pillavoine par la compagnie des Indes, est à cet égard décisif. Une délibération du 15 juin 1720, très certainement inspirée par les frères Paris, établit des bureaux des comptes à l’Hôtel des Fermes dans lesquels les receveurs particuliers doivent adresser chaque année les tableaux des recettes et des dépenses pour chacune des parties des droits. Centralisés par un bureau général, ces tableaux, ou « cartes », sont retranscrits dans un tableau général à partir duquel, et depuis lors d’après Lavoisier, sont « déterminés les prix des baux des fermes. » Si les baux entretiennent encore la fiction de l’adjudication jusqu’au bail Salzard, celui-ci et le bail Mager s’abstiennent des « anciennes formalités des publications et enchères ». Mollien, qui prit activement part à la rédaction de ce dernier bail, a présenté la méthode qui en détermina le prix. Le raisonnement de Mollien, qui était déjà celui de Necker pour la confection du bail Salzard, était que le volume des impôts augmente de manière mécanique sous l’effet conjoint du développement des échanges manufacturiers et de l’enchérissement des denrées. Estimé plusieurs années à l’avance, le bail était donc systématiquement sous-évalué. C’est pourquoi il a été décidé que les deux derniers baux auraient deux prix, l’un rigoureux et l’autre espéré : le premier est établi d’après la moyenne des produits annuels du précédent bail, le second suivant l’évolution de leurs taux marginaux ; suivant Mollien en effet, « c’est uniquement sur la comparaison des progressions acquises qu’il faut établir les calculs de l’avenir et non sur des moyennes proportionnelles qui ne font que niveler le passé et semblent ne représenter, dans une série d’années, qu’une masse inerte et stationnaire ». Le prix rigoureux du bail Mager fut ainsi fixé à 144 millions annuels et le produit au-delà duquel les fermiers pouvaient espérer tirer profits s’élevait à 150 millions. Dans la mesure où les baux Salzard et Mager assuraient aux fermiers-généraux un revenu fixe, Mollien considérait qu’il s’agissait moins d’un affermage que d’une régie intéressée. La différence entre les deux systèmes relevait davantage de la « grammaire » que de la réalité.
La consistance du bail
Le corps du bail énonce les droits et les devoirs de chacun des contractants. Couvrant l’ensemble des droits concédés, les obligations du bailleur représentent la très grande majorité des articles qui sont structurés suivant les « parties » des gabelles, traites, aides, domaines et tabac. La concentration de ces droits ne suit pas une progression linéaire ni même continue. Les diverses phases de réunion et de démembrement des parties balancent entre la volonté de rationaliser les prélèvements et la nécessité de répondre aux impératifs financiers du moment. Il existait au bas Moyen Âge et jusque dans les dernières années du XVIe siècle une quantité infinie de baux concédés par élection sinon à l’échelon des paroisses. L’émiettement excessif des fermes avait pour incidence la multiplication des frais de gestion et de contrôle qui entamaient leur rendement. D’après une circulaire des fermiers généraux datée du 14 mars 1763, « l’un des objets d’utilité les plus essentiels qui aient déterminé la réunion en une seule et même Compagnie de tous les droits des fermes du Roy a été d’en rendre la régie solide et animée par le concours de principes, de travaux et de volontés de tous ceux qui en seraient chargés ». En d’autres termes, il s’agissait de réaliser des économies dans l’exercice des contrôles et des prélèvements à travers, notamment, la fusion des bureaux et le regroupement des brigades. Le processus de concentration est amorcé en 1584 par l’unification douanière des provinces des Cinq grosses fermes. L’effort de centralisation est maintenu par Sully qui, en outre, structure les trois fermes générales des aides, des gabelles de France et celles du Languedoc. Si une quarantaine de baux locaux subsistent encore à la mort d’Henri IV, Colbert parvient en 1668 à rassembler en deux baux l’universalité des droits, à l’exception des domaines et du tabac, sous le nom de François Le Gendre. Cette première ferme générale est de nouveau disloquée en trois baux dès 1674 et si Jean Fauconnet « en jouit conjointement par un seul et même bail » en 1681, l’universalité des droits est démembrée en 1687 au profit de deux adjudicataires, Pierre Domergue et Christophe Charrière. De même, si la ferme du Tabac est absorbée par le bail Fauconnet en 1681, elle est confiée à des compagnies particulières dès 1697 avant d’être aliénée à la Compagnie des Indes de 1721 à 1730, date à laquelle la Ferme générale retrouve l’exploitation de ce monopole lucratif. Si des conjonctures financières font obstacle à la concentration des baux jusqu’aux années 1720, c’est au contraire l’esprit de rationalisation qui encourage Necker à entreprendre le démantèlement de la Ferme générale en 1780. Il s’agissait, selon ses mots, « de séparer les administrations qui n’ont ensemble aucune connexion, en réunissant celles d’un genre analogue ».
La concentration des droits de la Ferme générale atteint son optimum avec le bail Jacques Forceville. Renfermant 602 articles, le corps de ce bail est structuré en 37 parties : gabelles de France ; gabelles des Évêchés ; gabelles de Franche-Comté ; domaines de Franche-Comté ; gabelles de Lyonnais, Dauphiné, Provence, Languedoc et Roussillon ; une partie renfermant les articles communs pour toutes les gabelles ; droits de sortie et d’entrée « et autres y joints » ; sorties et entrées de Flandres ; douane de Lyon ; douane de Valence ; denier Saint-André ; droits des ports de Provence ; foraine et domaniale de Provence ; patente de Languedoc ; droits d’entrée et sortie du Roussillon ; foraine d’Arzac ; coutume de Bayonne ; convoi, comptablie, courtage de Bordeaux « et autres droits y joints » ; traite de Charente « et droits y joints » ; prévôté de Nantes ; ports et havres et brieux de Bretagne ; droits de vingt pour cent ; droits sur l’étain ; droit de fret ; droits sur les huiles et savons ; quatre sols pour livre ; une partie regroupant les articles communs pour tous les droits de sortie et d’entrée ; aides « et autres droits y joints » ; aides de Normandie ; une partie regroupant les articles communs pour les aides ; ferme générale du tabac ; ferme générale des domaines ; ferme générale des greffes ; ferme générale des amortissements ; ferme générale du contrôle des actes, petits-sceaux, insinuations et centième denier ; droits du domaine d’Occident ; la dernière partie du bail regroupe enfin « les articles généraux pour tous les droits ». Les baux de la seconde moitié du XVIIIe siècle sont nettement moins volumineux que les précédents. À titre de comparaison, les baux Salzard et Mager ne contiennent que 22 articles. Cette perte significative de substance démontre non pas une perte de consistance mais plutôt que le bail Forceville, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, est un véritable « code » des droits des Fermes qu’il devient inutile de renouveler tous les six ans. En effet, l’article 9 du bail Salzard stipule que l’adjudicataire jouit des droits « quoique non exprimés suivant qu’ils sont énoncés dans le bail Forceville […] et de la même manière qu’en ont dû jouir ledit Forceville ». Rousselot de Surgit considère ce bail comme « une source majeure » des droits des fermes dans la mesure où, en 1784, ses « conditions subsistent encore dans toute leur force, attendu qu’il n’y en a point eu d’autre fait avec les mêmes détails ». De même, lors du procès des fermiers généraux, Lavoisier confirme que ce bail « a toujours fait loi pour les objets non prévus ».
La multiplication des spécificités locales rend difficile, sinon inutile, la synthèse des parties fiscales. Cet exercice est plus intéressant au regard des articles qui visent à assurer l’exploitation de ces droits dans la mesure où les attributions administratives de la Ferme générale sont exorbitantes au droit commun. Toujours rappelés par les baux, les fondements légaux de ces privilèges sont l’ordonnance des gabelles de mai 1680, les deux ordonnances sur les aides de Paris et de Rouen de juin 1680, l’ordonnance générale sur les droits des fermes de juillet 1681, l’ordonnance des Cinq grosses fermes de juillet 1687 et le règlement général sur le tabac d’août 1721. Encore peu étudiée, cette législation contient de nombreuses dispositions inspirées par les baux eux-mêmes. Par exemple, si la rédaction de l’ordonnance des fermes de juillet 1681 est concomitante avec celle du bail Fauconnet, ces deux textes reprennent l’essentiel des dispositions du bail Le Gendre de 1668 qui, lui-même, reprend celles du bail Martinant de 1663 à travers lequel Colbert renouvela en profondeur la direction de la ferme générale des gabelles. Pour ne se rapporter ici qu’au bail Forceville, le caractère exorbitant des droits de la Ferme générale apparaît dans les titres communs à chaque partie, et plus encore dans le titre final qui, étant commun à l’ensemble des parties, donne à voir les traits les plus saillants de la Ferme générale. Les fermiers sont ainsi autorisés à armer leurs embarcations et disposent du droit d’expropriation pour construire « telles barrières, clôtures, bureaux et fossés ». Pour les mêmes raisons, ils peuvent déloger un locataire, sans même le dédommager, pour prendre à loyer « telles maisons qu’il jugera nécessaires ». Les commis des fermes étant sous la « protection et sauvegarde royale », tout officier, maire, échevin, jurat, capitoul, consul, syndic « et principaux habitants des villes et lieux où les bureaux sont établis » sont dans l’obligation de leur prêter mainforte à peine d’en répondre de leur propre et privé nom. Le titre commun du bail Forceville renseigne également sur les privilèges personnels des commis : droit de porter l’épée « et autres armes », exemption de tutelle, curatelle, collecte, solidité, logement des gens de guerre, guet, milice et « de toutes autres charges publiques ». Les employés ne peuvent être inscrits sur aucun rôle des tailles et des gabelles en raison de leur commission. S’ils acquièrent un immeuble pendant leur fonction, celui-ci est exempté de toute imposition. Les « ouvriers et hommes de peine » des manufactures, magasins et bureaux de tabac sont également exempts des guets, gardes, corvées « et autres services publics ». Un trait spectaculaire du droit des Fermes, du moins l’un des plus décriés par les partisans de la justice réglée, est le pouvoir de perquisitionner les propriétés, et particulièrement celles des privilégiés, dans le but de lutter contre la fraude et la contrebande. L’article 562 autorise ainsi les commis à « faire telles visites que bon leur semblera » chez tous les marchands. Si la porte reste close, les commis peuvent procéder à son ouverture par un serrurier en présence de deux voisins qui sont dans l’obligation de signer le procès-verbal. À défaut de flagrant délit, l’article 563 n’autorise les capitaines, archers et gardent d’engager des recherches dans les maisons des ecclésiastiques, nobles et bourgeois notables « qu’en vertu de la permission par écrit de l’un des officiers du droit des Fermes ». Néanmoins, tous les autres commis, y compris les capitaines généraux des brigades, peuvent « faire lesdites visites sans permission du juge en se faisant accompagner seulement d’un autre commis ou garde » conformément à l’article 2 du titre 10 de l’ordonnance des gabelles de juin 1680 et aux arrêts et lettres patentes des 13 octobre et 10 novembre 1722, du 25 janvier 1724 et du 24 mars 1727. Au regard des couvents, l’article 564 stipule qu’en « cas de soupçons de fraude apparents et bien fondés » portant sur les boissons, les commis doivent s’en remettre aux « déclarations affirmatives des religieuses ». Si les soupçons portent sur le faux-sel, faux tabac, étoffes de contrebande ou prohibées, ils sont autorisés à visiter le couvent, après en avoir obtenu la permission de l’évêque ou du grand vicaire. Les commis doivent alors être accompagnés d’un prêtre et d’un officier des droits des fermes si les bureaux de ces juridictions sont présents à moins de trois lieux, ou de tout autre juge ordinaire dans le cas contraire. Cependant, ces précautions n’ont que peu de réalité puisque la permission préalable n’est pas nécessaire dans les « cas urgents dans lesquels la preuve de la fraude pourrait échapper ». Dans les pays de petites gabelles, les commis doivent être accompagnés dans leurs recherches par un consul du lieu, ou en son absence par un notable, qui ne peut se dispenser d’y assister moyennant un salaire « raisonnable », à peine de 50 livres d’amende. Les commis sont également autorisés à perquisitionner les vaisseaux de guerre et les galères. En cas de fraude ou de contrebande, ils peuvent de leur propre autorité procéder à la « saisie et capture » du sel, vins et boissons, marchandises et denrées, bateaux, charrettes, chevaux, mulets « et équipages ». Jusqu’à inscription de faux, leurs procès-verbaux font foi en justice en dehors même de la juridiction dans laquelle ils ont prêté serment. En outre, l’article 568 autorise les commis à assigner les justiciables devant la juridiction compétente. Davantage, l’article 570 signale que les commis peuvent dresser les exploits « et autres actes de justice ordinairement faits par les huissiers et sergents » et ce, d’après l’article suivant, en dehors même de la juridiction dans laquelle ils sont immatriculés. Au versant pénal, « aucuns juges autres que ceux des fermes ne peuvent décréter contre les commis, gardes et autres ayants serment en justice » à peine de nullité, cassation de procédure, dépens, dommages et intérêts, ainsi que d’une amende de 1000 livres contre les parties et d’interdiction contre les juges ordinaires trop entreprenants. Les conflits de compétences entre ces derniers et les juges des fermes doivent être réglés au greffe du Conseil. Par provision, les seconds sont autorisés à poursuivre la procédure. Dans le cas où il n’écherra pas de peine afflictive, le fermier est libre de procéder par accommodement. Il peut en effet traiter ou modérer les amendes « comme bon luy semblera, sans attendre les jugements sur les saisies et contraventions, ni qu’il soit tenu de demander le consentement des procureurs généraux ou de leurs substituts ». Les articles 578 jusqu’à 583 font état du statut privilégié des deniers royaux qui ne peuvent être saisis en aucun cas, de même que « ceux dus par les redevables, ni les appointements des commis, capitaines, gardes et autres employés ». Les baux rappellent toujours la hiérarchie et les compétences au civil comme au criminel des « juges des fermes ». Il s’agit en première instance des élus, grenetiers, juges des traites et maîtres des ports. L’appel des décisions relatives aux droits domaniaux relève du Parlement et de la Cour des aides pour toutes les autres. Les privilèges accordés par le roi sous formes d’octrois, francs-salés et passeports doivent être indemnisés aux fermiers de même que les pertes encourues par les mutations du cours des monnaies. Les communautés ne peuvent accorder aucun privilège, aliénation, péage ou octroi qui n’ait été consenti au préalable par l’adjudicataire. Enfin le fermier ne peut être dépossédé pendant les six années de son bail. Cette clause précise également, à la manière des baux emphytéotiques, que les pertes subies en cas de « force majeure », c’est-à-dire en cas de guerres, stérilité, peste et « autres évènements imprévus », sont à la charge du bailleur. Si les remontrances de la Cour des aides ont dénoncé les « droits exorbitants » de la Ferme générale, la formule avec laquelle le bailleur, c’est-à-dire le roi, clôturait le contrat de bail annonçait déjà l’économie générale de ce système : « Aux dérogatoires nous avons dérogé et dérogeons ».
Les obligations du preneur occupent un volume très réduit au regard de celui des concessions. Ces obligations portent sur le cautionnement, le prix du loyer et les fonds d’avance. Les baux obligent en outre les fermiers-cautions à « continuer » leur société en cas de prédécès d’un associé. Ils prescrivent également la forme avec lesquelles les employés doivent tenir les registres comptables. Comme tout locataire de droit privé, l’article 551 du bail Forceville stipule la responsabilité des fermiers quant à l’entretient des « menues réparations » des immeubles mis à leur disposition ainsi que de celles des « effets mobilières » (navires, barques, pataches…).
La disgrâce de l’abbé Terray a donné lieu à une intéressante controverse doctrinale quant à la nature juridique des baux. Après que le bail David ait été conclu, le contrôleur général avait grevé les places de 54 des 60 fermiers d’un nombre considérable de croupes, pensions et autres « adjoints ». D’après Coquereau, ces charges représentaient le tiers des bénéfices des fermiers titulaires. Pour obtenir l’annulation de croupes, les fermiers ont donc « consulté » les « plus célèbres jurisconsultes » : Cellier, Babille, Aubry, Gouvet et Tronchet, futur rédacteur du Code civil. Daté du 29 mars 1775, la consultation affirme que « le bail est un contrat synallagmatique. Tout contrat a pour base le consentement mutuel des parties qui en a été la source. C’est de ce consentement qu’il tire toute sa force et son autorité. » Ces avocats en Parlement confortent leur exposé avec l’autorité du droit romain en se référant au Digeste (50, 17, 23) et au Code Justinien (4, 10, 5). Si le consentement a pour principe la bonne foi des parties, « les contrats qui interviennent entre le prince et les sujets ne peuvent être affranchis de ces règles qui appartiennent à l’essence des contrats. » Le nœud de l’argumentation tient à ce que le bail David est consumé par le résultat du conseil du 2 janvier 1774. Or la lettre avec laquelle l’abbé Terray impose aux fermiers les croupes et pensions est datée du 7 janvier. Pour les juristes consultés, ces charges sont contraires au droit des contrats. D’abord parce que cette augmentation au prix du bail n’est pas « universelle pour tous les associés ». Ensuite, parce qu’un fragment du Digeste (17, 2, 29, 2) interdit toute clause « léonine » d’après laquelle un « associé souffrirait toute la perte et que l’autre aurait seulement sa part dans les profits ». Cet argument sera repris par Necker, alors directeur du Trésor royal, dans l’arrêt du Conseil du 3 avril 1777 ordonnant la réunion, « en une seule régie générale », de l’administration des droits réunis, des greffes, des hypothèques, des droits réservés, et des papiers et cartons. Faisant écho aux remontrances de Malesherbes à la Cour des aides, les avocats relèvent que l’excès de croupes et de pensions est le fruit d’un acte arbitraire qui ne porte qu’extérieurement « l’empreinte de l’autorité du Roi ». Leur conclusion est qu’il « faudra toujours convenir qu’en termes de droit les pensions ont été illégalement établies dans leur principe et qu’elles sont dans la forme et au fond contraires au droit de propriété que donne à chacun d’eux un contrat synallagmatique solennellement et légalement consommé ». Le mémoire adressé à Turgot par les fermiers reprend l’ensemble de ces arguments : « Les loix ne reconnaissent d’engagements valables que ceux qui sont l’ouvrage de la volonté libre, de sorte que celui qui s’engage soit le maître d’accepter ou de refuser. » Les fermiers concluent à leur tour que la lettre de l’abbé Terray du 7 janvier 1774 est un « abus de l’autorité du ministre plutôt qu’un acte de la volonté du Roi ». La réponse de Turgot est surprenante puisque, après avoir apporté des réponses favorables à diverses doléances des fermiers au sujet des excès du ministère Terray, il répond que « Sa Majesté n’a point changé d’avis et voit avec surprise que quelques-uns de vous, malgré connaissance que vous avez de ses volontés, se soient refusés à remplir les engagements auxquels ils se sont soumis par l’ordre du feu Roy. » Le ministre ne saurait être plus clair : les arguments du droit civil n’ont aucune autorité sur les baux de la Ferme générale. Cette doctrine s’inscrit dans la droite ligne de la tradition publiciste nationale. En effet, fils de grenetier et « père » du droit français, Guy Coquille écrivait déjà, dans les dernières années du XVIe siècle, que « le privilège du fisc est tel qu’il n’est sujet aux règles étroites du droit civil : qui est ce qu’on dit, Princeps legibus solutus est. »
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- AN 129AP 1 : Bail général de la Ferme des gabelles de Lionnois, de celles de Dauphiné, Avignon, Comté de Venise, Principauté d’Orange, Grigan, Montdragon et Allan, de celles de Provence, Arles et Greniers en dépendans ; Ligues des Suisses, Vellay, Duché de Savoye, et ville de Genève, et de toutes les traites et ventes de sel à l’Estranger tant par mer que par terre : fait par le Roy en son Conseil à Me François le Gendre, Bourgeois de Paris, Adjudicataire desdites Fermes, pour dix années, commencées le premier avril 1667 et qui finiront le dernier Mars 1677. Donné à S. Germain en Laye le 28 avril 1667. Paris, Chez Thomas Charpentier, 1669.
- AN 129AP 5 : Consultation sur les pensions dont les places des fermiers généraux ont été grevées ; Mémoire adressé à Turgot sur les pensions dans les places des fermiers ; Lettre de Turgot au sujet des pensions.
- AN 129AP 13 : Bail Prévost. Régie des aides, circulaires adressées aux bureaux de la Rochelle, Poitiers et Tours.
- AN AD XI, dossier 17 : Résultat du Conseil du 30 novembre 1674 portant bail à Jean Breton de la ferme du tabac.
- AN G1 7, dossier 9 : Bail Mager, 1786. Circulaires relatives à la tradition du bail, résultat du Conseil et arrêt de prise de possession, frais d’enregistrement du bail.
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Sources imprimées:
- « Arrêt de règlement concernant les Fermes et les Régies du Roi du 9 janvier 1780 », dans François-André Isambert et al., Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1826, t. 27, p. 242-248.
- Bail des gabelles de France, Entrées et Sorties du Royaume, Doaüne de Lyon et Valence, Patente de Languedoc, Convoy et Comptablie de Bordeaux, Entrées de Paris et Roüen, Aydes de France, Fret et autres Fermes Royales Unies ; fait à Maistre François le Gendre, Bourgeois de Paris, pour six années, commencées au premier octobre 1668 moyennant la somme de Trente neuf millions cent mil livres, pour la première année et pour chacune des suivantes Quarante millions cent mil livres. Paris, Chez Frédéric Léonard, 1670.
- Bail des gabelles de France et droits y joints ; des gabelles des Evêchés de Metz, Toul et Verdun ; des Salines et Domaines de Lorraine ; des Salines et Domaines du Comté de Bourgogne ; de la Ferme générale des Aydes de France, et des Entrées de Paris et Rouen, et des Droits joints ausdites Fermes ; des Entrées et Sorties du Royaume ; des Douanes de Lyon et de Valence ; de la Patente de Languedoc ; de la Foraine et Boüille de Roussillon ; du Convoy et Comptablie de Bordeaux ; des Traites de Charente et d’Arzac et Droits y joints ; Coûtume de Bayonne ; du Droit du Fret, du Commerce du Tabac ; des Sorties et Entrées des Païs Conquis et cédés ; des Domaines de France et autres Fermes et Droits unis. Fait à M.e Jean Fauconnet, le 26 Juillet 1681. Paris, Chez la Veuve Saugran et Pierre Prault, 1726 ; reproduit dans le Supplément au Recueil des édits, ordonnances, déclaration, lettres patentes, arrests et reglemens concernant les Domaines du Roy et Droits Domaniaux, Seigneuriaux, etc. Tome premier. 1200 et 1681.Paris, Chez Pierre Prault, 1736.
- Bail des Fermes royales-unies, fait à M.e Jacques Forceville le 16 septembre 1738. Pour six années à commencer pour les Gabelles, Cinq Grosses Fermes, Aydes, Entrées, Tabac, Papier et Parchemin timbrez des provinces où les Aydes ont cours, et autres droits y joints, le premier octobre 1738. Et pour les domaines de France et d’Occident, Controlle des Actes des Notaires, Greffes, Amortissemens, Droits réservez dans les Cours et juridictions, et droits y joints, le premier Janvier 1739. Paris, Imprimerie royale, 1739.
- Bail des Fermes royales-unies fait à M.e Pierre Carlier le 19 Aoust 1726. Pour six années, à commencer pour les Gabelles, Cinq grosses Fermes, Aydes, Entrées, Papier et Parchemin timbrez des Provinces où les Aydes ont cours, et autres Droits y joints, le premier Octobre 1726. Et pour les Domaines de France et d’Occident, Controlle des Actes des Notaires, Greffes, Amortissemens, Droits reservez dans les Cours et Juridictions, et Droits y joints le premier Janvier 1727. Paris, Imprimerie Royale, 1728.
- Bosquet et Hébert, Dictionnaire raisonné des domaines et droits domaniaux, Rennes, Chez La Veuve de François Vatar, 2nde éd., 1782, t. 1, v° « Fermes du Roi », p. 422-462.
- Jean-Baptiste Coquereau, Mémoires concernant l’administration des finances sous le ministère de M. l’abbé Terray, contrôleur général, Londres, Chez John Adamson, 1776.
- Joseph Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Chez Visse, 1784, t. 7, v° « Ferme générale du Roi », p. 333-342, et 1785, t. 16, v° « Tabac », p. 635-659.
- Antoine-Laurent Lavoisier, « Calculs des produits de différents baux de la Ferme générale avec des détails particuliers sur les frais de régie du bail Laurent David », in Œuvres, Paris, Éditions Grimaux, t. 6, p. 125-185.
- Antoine-Laurent Lavoisier, « Réponses aux inculpations faites contre les ci-devant fermiers généraux », in Œuvres, Paris, Éditions Grimaux, t. 6, p. 572-608.
- Marie-Joseph-Désiré Martin, Étrennes financières, ou recueil des matières les plus importantes en Finance. 1789. Paris, Imprimerie de Seguy-Thiboust, 1789, p. 37-45.
- Nicolas-François Mollien, Mémoires d’un ministre du Trésor public. 1780-1815. Paris, H. Fournier et Cie, 1845, t. 1, p. 67-70, 87-93, 99-110 et 200-207.
- Jacques Necker, Compte rendu au Roi. Au mois de janvier 1781, Paris, Imprimerie du cabinet du Roi, 1781, p. 39-42.
- Ordonnance portant Règlement sur plusieurs Droits des Fermes et sur tous en général donnée à Versailles en juillet 1681, Paris, Chez les Libraires Associez pour l’impression des ordonnances des Fermes, 1703, p. 403-53.
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Bail » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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