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Bayonne

Marie-Laure Legay





L’étude de la correspondance que tint l’un des derniers Fermiers généraux, Denis Henri Fabus de Vernand, lors de son inspection à Bayonne permet de comprendre les enjeux fiscaux dans cette ville du Labourd situé à proximité de la frontière espagnole à la fin de l’Ancien régime. Peu fiscalisé jusqu’à la fin du XVIIe siècle, hormis le droit dit de « coutumat de Bayonne », le commerce du port bénéficiait d’une complémentarité avec celui de Saint-Sébastien. Là, vins et eaux-de-vie y étaient débarqués ; fer, piastres et laines y embarquaient en retour, d’autant plus aisément que la ligne de douane, côté espagnol, était fixée à l’Ebre et plaçait donc la Guipuscoa, tout le pays basque et la Navarre en franchise de droits d’entrée. L’implantation des bureaux de traites de la Ferme générale d’une part, la législation protectionniste espagnole et la franchise accordée à Saint-Sébastien en 1745 d’autre part, déclassèrent Bayonne qui devint un simple port de redistribution d’importance régionale. Les vaisseaux chargés de sucres, cacaos et tabacs prirent prioritairement le chemin de Saint-Sébastien; Bayonne se contenta de fournir son arrière-pays en sel, morues, huiles, indigo et bois de teinture. Les armateurs pratiquaient le cabotage sur la côte basque et cantabrique. En 1790, d’après Josette Pontet, Saint-Sébastien restait au premier rang pour la valeur de ce commerce bayonnais avec 28 % des importations et 45 % des exportations. Toutefois, exclu du trafic avec les colonies françaises, concurrencé par le port de Saint-Sébastien dont la rivalité s’affirma au XVIIIe siècle, le port ne connut pas le remarquable développement de celui de Bordeaux. En 1775, la Ferme générale ne fit qu’une recette de 43 308 livres sur les denrées issues des îles d’Amérique (contre 3, 6 millions pour Bordeaux).

Quelques initiatives furent conduites néanmoins pour dynamiser l’économie du pays. Pour développer l’exportation des cuirs vers l’Espagne par exemple, le gouvernement encouragea la création d’une manufacture dans la ville en 1757. Une telle création avait été suggérée déjà au temps de l’intendant d’Etigny, attaché au développement d’établissements utiles à la province. L’entreprise fut néanmoins contrariée par les conflits d’intérêts qui opposèrent la Ferme générale, considérant Bayonne comme à l’instar de l’étranger, et la régie des cuirs, considérant la ville comme « nationale » selon l’esprit de la loi de 1759. En 1775, Turgot dégagea la tannerie des droits de la régie en la considérant donc comme étrangère. Cette décision donna à la Ferme générale une légitimité nouvelle à réclamer les droits de traite, de coutume de Bayonne, du tarif de 1667 sur les cuirs qui venaient de l’intérieur du royaume pour la tannerie, le gros de 20 % établi par les arrêts de 1689 et du 28 mai 1768. Le Contrôle général des finances dut de nouveau clarifier le partage des droits et l’esprit de la loi de 1759.

Les négociants de la ville, appuyés par l’intendant Dupré de Saint Maur, sollicitèrent un statut semblable à celui de Saint-Sébastien à partir des années 1770 et l’obtinrent. En février 1778, au début de la guerre d’Indépendance d’Amérique, la France signa un traité d’amitié et de commerce avec les Etats-Unis auxquels elle accorda « un ou plusieurs ports francs, dans lesquels ils pourront amener et débiter toutes les denrées et marchandises provenant des treize Etats unis ». L’arrêt du 14 mai 1784, Portant confirmation et établissements de Ports-francs dans le Royaume énonçait la nouvelle liste des franchises : outre Dunkerque et Marseille, Lorient, à compter du 1er juillet et Bayonne, à compter du 1er septembre, en devinrent bénéficiaires. Comme dans le cas de Marseille, la franchise, en décrétant le port « étranger » au royaume, provoqua des tumultes dans les rapports commerciaux de Bayonne avec son hinterland. Le bourg de Saint Esprit, non compris dans ce statut, devint un point d’entrée pour les marchandises ; les droits d’entrée dans le royaume des marchandises comme les poissons secs et salés, les huiles de poisson, les cuirs et les productions de fer provenant du Labourd furent supprimés, ou du moins ramenés au tarif des droits intérieurs et non à celui des provinces considérées à l’instar de l’étranger effectif. Les marchandises venant d’Espagne pouvaient passer en transit sur la route de Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’à Bayonne munies des acquits-à-caution qui devaient être vérifiés à la porte de Mousserolles. Bayonne put s’adonner au commerce colonial en respectant les dispositions d’avril 1717. Quatre ans plus tard, Vernand constatait néanmoins dans sa lettre du 27 septembre 1788, que les employés de Saint-Esprit laissaient décharger et n’accompagnaient point à la douane les marchandises qui traversaient la rivière, que celles-ci sortaient la plupart du temps de la douane avant la signature de l’acquit, qu’il n’y avait au demeurant qu’un seul visiteur, que les déclarations étaient faites après le débarquement, que le registre des déclarations n’était jamais chargé des excédents trouvés à la visite, qu’il n’y avait pas de registre de dépôts, que le registre de poids n’était certifié que par un seul…etc.

L’un des principaux inconvénients de la nouvelle franchise était que la morue de pêche étrangère s’y trouvait confondue avec celle de la pêche nationale. Le bureau de Saint-Esprit distribuait en effet des coupons, sortes de permissions octroyées en raison du nombre de quintaux de poissons aux armateurs de Bayonne. Mais ces coupons n’étaient signés que d’un seul visiteur et les passavants des morues qui y étaient enlevées n’étaient pas visés. Il résulta de la facilité de ces coupons répandus dans le public des versements dans le royaume des quantités considérables de la morue étrangère au préjudice de la pêche nationale. Les spéculations sur les importations des morues des Etats-Unis introduites ainsi en fraude provoquèrent la colère des négociants de Bayonne qui se plaignirent de la situation dans un mémoire du 30 septembre 1788. Au-delà, plusieurs ports de France en appelèrent au ministre Calonne pour agir contre cette concurrence déloyale. Calonne décida de donner une forme nouvelle aux coupons, mais celle-ci ne connut pas de réalisation. Au sein de la Chambre de commerce, un esprit de parti se forma d’autant que, d’après Vernand, la « collusion des employés des fermes » dans la fraude qui se faisait sur les pêches envoyées en Espagne était également criante (lettre du 6 octobre 1788). En outre, les négociants de Bayonne se plaignirent de la perception de la traite d’Arzac sur la pêche nationale envoyée à l’étranger. Le problème était le suivant : l’arrêt du 2 avril 1754 n’accordait l’exécution des droits de traites que pour le retour des pêches et les droits locaux se payaient à cette époque à la sortie du royaume. L’arrêt du 17 juin 1763 qui imposa le poinçon étranger à l’entrée du royaume n’existait pas pour les droits locaux à la sortie, de sorte que ces droits de la traite d’Arzac continuèrent à être perçus. Par ailleurs, le statut de 1784 privant la ville et le pays de Labourd des marchandises prohibées, le bois (dont le bois de construction, bois de chauffage) vint à manquer. On rétablit la circulation pour la ville, mais les droits continuèrent à être perçus comme venant de l’intérieur. En 1794, la Convention supprima la franchise de Bayonne en même temps que celles des ports de Marseille et de Dunkerque.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 80, dossier 13, Mémoire concernant la tannerie royale de Bayonne.
  • AN, G1 83, dossier 11, « Correspondance de M. de Vernan (Vernand), fermier général, pendant sa tournée à Bayonne, 1788 ».
  • AN, H1 1686, 1775 : « Etat des denrées portées en 1775 des colonies françaises de l’Amérique dans les ports de la Métropole, leur valeur déterminée sur le prix commun, produit des droits qu’elles ont payés à leur sortie des isles et à leur entrée en France, quantités de celles qui ont passé à l’étranger et de celles qui ont été consommées dans le Royaume, avec les droits de consommation qui ont été perçus, argent venu des isles, valeur arbitrée des production peu importantes qui ne sont pas détaillées dans ce tableau ».

    Sources imprimées:
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui déclare soumis au privilège de la vente exclusive du tabac, la ville de Bayonne et tout le pays de Labour et ordonne l'établissement de bureaux et entrepôts pour la distribution, aux prix fixés par les règlements, 4 mai 1773.
  • Lettres patentes du Roy, portant confirmation interprétation des privilèges de la ville de Bayonne de ceux du pays de Labourt, et Règlement relatif à la franchise accordée au port de ladite ville, Données à Versailles le 4 juillet 1784, Registrées en la Cour des Aides et Finances de Guyenne le 5 mars 1785.


    Bibliographie scientifique:
  • Maurice Bordes, D’Etigny et l’administration de l’intendance d’Auch (1751-1767), Auch, 1957.
  • Laurier Turgeon, Les échanges franco-canadiens de 1713 à 1758: Bayonne, les ports basques et Louisbourg, Île Royale, Pau, 1977.
  • Josette Pontet, Bayonne, un destin de ville moyenne à l’époque moderne, Bayonne, JD éditions, 1990.
  • Gérard Le Bouëdec, Jean-René Couliou, Les ports du Ponant : L'Atlantique de Brest à Bayonne, Palantines, Quimper, 2004.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Bayonne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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