Bayonne
Quelques
initiatives furent conduites néanmoins pour dynamiser
l’économie du pays. Pour développer l’exportation des cuirs vers l’Espagne par exemple, le
gouvernement encouragea la création d’une manufacture dans
la ville en 1757. Une telle
création avait été suggérée déjà au temps de l’intendant d’Etigny,
attaché au développement d’établissements utiles à la
province. L’entreprise fut
néanmoins contrariée par les conflits d’intérêts qui
opposèrent la Ferme générale, considérant Bayonne
comme à l’instar de l’étranger, et la régie des cuirs, considérant la
ville comme « nationale » selon l’esprit de la loi
de 1759. En 1775, Turgot dégagea la
tannerie des droits de la régie en la considérant donc
comme étrangère. Cette décision donna à la Ferme générale
une légitimité nouvelle à réclamer les droits de traite, de coutume de
Bayonne, du tarif de 1667 sur
les cuirs qui venaient de l’intérieur du royaume pour la
tannerie, le gros de 20 %
établi par les arrêts de 1689
et du 28 mai 1768. Le Contrôle
général des finances dut de nouveau clarifier le partage
des droits et l’esprit de la loi de 1759.
Les négociants de la ville, appuyés
par l’intendant Dupré de
Saint Maur, sollicitèrent un statut semblable à celui de
Saint-Sébastien à partir des années 1770 et l’obtinrent. En février 1778, au début de la guerre
d’Indépendance d’Amérique, la France signa un traité
d’amitié et de commerce avec les Etats-Unis auxquels elle
accorda « un ou plusieurs ports francs, dans lesquels ils
pourront amener et débiter toutes les denrées et
marchandises provenant des treize Etats unis ». L’arrêt du
14 mai 1784, Portant
confirmation et établissements de Ports-francs dans le
Royaume énonçait la nouvelle liste des franchises : outre
Dunkerque et Marseille, Lorient, à compter du
1er juillet et Bayonne, à compter du 1er septembre, en
devinrent bénéficiaires. Comme dans le cas de Marseille, la
franchise, en décrétant le port « étranger » au royaume,
provoqua des tumultes dans les rapports commerciaux de
Bayonne avec son hinterland. Le bourg de Saint Esprit, non
compris dans ce statut, devint un point d’entrée pour les
marchandises ; les droits d’entrée dans le royaume des
marchandises comme les poissons secs et salés, les huiles
de poisson, les cuirs et les
productions de fer provenant du Labourd furent supprimés,
ou du moins ramenés au tarif des droits intérieurs et non
à celui des provinces considérées à l’instar de l’étranger effectif. Les
marchandises venant d’Espagne pouvaient passer en transit sur la route de Saint-Jean-Pied-de-Port jusqu’à
Bayonne munies des acquits-à-caution qui devaient être vérifiés
à la porte de Mousserolles. Bayonne put s’adonner au
commerce colonial en respectant les dispositions d’avril
1717. Quatre
ans plus tard, Vernand constatait néanmoins dans sa
lettre du 27 septembre 1788, que les employés de Saint-Esprit
laissaient décharger et n’accompagnaient point à la
douane les marchandises qui traversaient la rivière,
que celles-ci sortaient la plupart du temps de la
douane avant la signature de l’acquit, qu’il n’y avait
au demeurant qu’un seul visiteur, que les
déclarations étaient faites après le débarquement,
que le registre des déclarations n’était jamais
chargé des excédents trouvés à la visite, qu’il n’y
avait pas de registre de dépôts, que le registre de
poids n’était certifié que par un seul…etc.
L’un des principaux inconvénients de la nouvelle franchise
était que la morue de pêche étrangère s’y trouvait
confondue avec celle de la pêche nationale. Le bureau de Saint-Esprit
distribuait en effet des coupons, sortes de
permissions octroyées en raison du nombre de quintaux de
poissons aux armateurs de Bayonne. Mais ces coupons
n’étaient signés que d’un seul visiteur et les passavants des morues
qui y étaient enlevées n’étaient pas visés. Il résulta de
la facilité de ces coupons répandus dans le public des
versements dans le royaume des quantités considérables de
la morue étrangère au préjudice de la pêche nationale. Les
spéculations sur les importations des morues des
Etats-Unis introduites ainsi en fraude provoquèrent la
colère des négociants de Bayonne qui se plaignirent de la
situation dans un mémoire du 30 septembre 1788. Au-delà, plusieurs ports de France en appelèrent au ministre Calonne pour agir
contre cette concurrence déloyale. Calonne décida de
donner une forme nouvelle aux coupons, mais celle-ci ne
connut pas de réalisation. Au sein de la Chambre de
commerce, un esprit de parti se forma d’autant que,
d’après Vernand, la « collusion des employés des fermes »
dans la fraude qui se faisait sur les pêches envoyées en
Espagne était
également criante (lettre du 6 octobre 1788). En outre, les négociants de Bayonne
se plaignirent de la perception de la traite d’Arzac sur la pêche nationale
envoyée à l’étranger. Le problème était le suivant :
l’arrêt du 2 avril 1754
n’accordait l’exécution des droits de traites que pour le retour
des pêches et les droits locaux se payaient à cette époque
à la sortie du royaume. L’arrêt du 17 juin 1763 qui imposa le poinçon
étranger à l’entrée du royaume n’existait pas pour les
droits locaux à la sortie, de sorte que ces droits de la
traite d’Arzac continuèrent
à être perçus. Par ailleurs, le statut de 1784 privant la ville et le
pays de Labourd des marchandises prohibées, le bois (dont le bois de
construction, bois de chauffage) vint à manquer. On
rétablit la circulation pour la ville, mais les droits
continuèrent à être perçus comme venant de l’intérieur.
En 1794, la Convention supprima la franchise
de Bayonne en même temps que celles des ports de Marseille
et de Dunkerque.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 80, dossier 13, Mémoire concernant la tannerie royale de Bayonne.
- AN, G1 83, dossier 11, « Correspondance de M. de Vernan (Vernand), fermier général, pendant sa tournée à Bayonne, 1788 ».
- AN, H1 1686, 1775 : « Etat des denrées portées en 1775 des colonies françaises de l’Amérique dans les ports de la Métropole, leur valeur déterminée sur le prix commun, produit des droits qu’elles ont payés à leur sortie des isles et à leur entrée en France, quantités de celles qui ont passé à l’étranger et de celles qui ont été consommées dans le Royaume, avec les droits de consommation qui ont été perçus, argent venu des isles, valeur arbitrée des production peu importantes qui ne sont pas détaillées dans ce tableau ».
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d’Etat qui déclare soumis au privilège de la vente exclusive du tabac, la ville de Bayonne et tout le pays de Labour et ordonne l'établissement de bureaux et entrepôts pour la distribution, aux prix fixés par les règlements, 4 mai 1773.
- Lettres patentes du Roy, portant confirmation interprétation des privilèges de la ville de Bayonne de ceux du pays de Labourt, et Règlement relatif à la franchise accordée au port de ladite ville, Données à Versailles le 4 juillet 1784, Registrées en la Cour des Aides et Finances de Guyenne le 5 mars 1785.
-
Bibliographie scientifique:
- Maurice Bordes, D’Etigny et l’administration de l’intendance d’Auch (1751-1767), Auch, 1957.
- Laurier Turgeon, Les échanges franco-canadiens de 1713 à 1758: Bayonne, les ports basques et Louisbourg, Île Royale, Pau, 1977.
- Josette Pontet, Bayonne, un destin de ville moyenne à l’époque moderne, Bayonne, JD éditions, 1990.
- Gérard Le Bouëdec, Jean-René Couliou, Les ports du Ponant : L'Atlantique de Brest à Bayonne, Palantines, Quimper, 2004.
Bayonne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :