Traite des noirs
Après l’échec des premières compagnies
à monopole (Compagnie du Cap Vert et du Sénégal en
activité entre 1658 et 1664, Compagnie des Indes
occidentales entre 1664 et
1672), la traite fut
confiée à une nouvelle compagnie du Sénégal qui s’engagea
à transporter 2 000 noirs par an pendant huit ans aux
Antilles moyennant une prime de 13 livres par tête. A
cette époque, Colbert souhaitait encourager la traite
nationale qui ne couvrait pas suffisamment les besoins des
plantations antillaises. Un premier traité
avait été conclu pour la Guinée entre Oudiette,
fermier des droits du Domaine d’Occident et les
directeurs de cette administration pour faire passer
800 noirs (16 octobre 1675), mais cet accord ne fut pas exécuté. La prime de 13 livres fut conservée en faveur des
compagnies suivantes, celle de Guinée (création en janvier
1685) et celle du
Sénégal (refondation en 1684 et
1694, lettres patentes
de 1696), puis la compagnie
des Indes reconstituée par
John Law (arrêt du 27 septembre 1720). D’après les certificats délivrés par
l’intendant à Cap-Français (Saint-Domingue), 2 635 têtes
furent débarquées entre le 17 avril 1714 et le 27 août 1716 (le montant de la prime s’éleva à 34 374 livres et
sept sols), et 1 151 têtes entre le 2 février 1717 et le 22 février 1718 (14 963 livres de prime
réglée par le Trésor royal), et ainsi durant le XVIIIe
siècle. La compagnie des Indes se déchargea par la suite du commerce des noirs sur
les négociants. En 1767, la
traite devint libre, à charge pour les maisons de commerce
de verser 10 livres par tête directement dans les caisses
du roi. Cette prime ne concernait pas la Ferme générale.
En revanche, la Ferme générale fut impliquée dans les
choix de politique fiscale en faveur de la traite. Les
compagnies de commerce bénéficiaient de l’exemption des
droits de sortie sur les vivres et munitions destinées aux
voyages vers les côtes africaines (arrêt des 18 septembre
et 25 novembre 1671), et d’une
manière générale de l’exemption des droits (octrois,
péages, passages, traites domaniales) qui entravaient la circulation des marchandises à l'intérieur du royaume. Elles devaient présenter à la Ferme générale les soumissions certifiant que les marchandises étaient destinées au commerce avec l'Afrique. Le ministre
Chamillart ordonna le 17 juillet 1704 aux Fermiers de respecter les privilèges de la
compagnie royale du Sénégal. Desmaretz agit de même le 14
janvier 1714, exhortant les
commis des droits de Convoi et Comptablie de Bordeaux de laisser sortir les vins destinés au Havre et à Honfleur pour
être transborder dans les navires affrétés pour l’Afrique.
Lorsque le commerce
avec la Guinée devint libre (de mars 1716 à janvier 1720), l’exemption des
droits de sortie fut également acquise pour les
marchandises du cru du royaume (toiles, quincaillerie,
mercerie, verroterie, fusils …). De même, les
compagnies de commerce, et plus tard les négociants,
furent exemptés de la moitié des droits d’entrée sur les
marchandises rapportées soit des côtes d’Afrique soit des
îles d’Amérique. Cet avantage fut rappelé pour la
compagnie de Guinée en 1688
(arrêt du 20 mars) et pour la compagnie du Sénégal en
1690 (arrêt du 16
décembre). Dès lors, la Ferme générale dut mettre en œuvre
les contrôles nécessaires à la jouissance de ce privilège.
En 1702 par exemple, le
fermier général Thomas Templier s’opposa aux
marchands de Nantes et
d’Angers, Goujon et Henriot, qui réclamaient la
restitution de 548 livres payés au bureau d’Ingrandes
pour neuf barriques de sucre qu’ils avaient
achetées à la compagnie de Guinée, au titre de
l’exemption des droits. Pour Templier
toutefois, le privilège
accordé à la compagnie de Guinée était personnel et ne
pouvait s’étendre à ceux qui achetaient les marchandises.
Pour bénéficier de
cette exemption à l’entrée, les capitaines de
vaisseaux devaient se munir des factures issues de
la vente des noirs dans les colonies car de la valeur de cette vente
dépendait le montant de l’exemption (la déduction se
faisait jusqu’à concurrence du montant de la
facture). Sur place, ces factures faisaient
l’objet d’un visa des employés du Domaine d’Occident et d’un
certificat de l’administration de l’intendant. Ces
certificats étaient présentés à l’arrivée en métropole. La
Ferme générale tenait les comptes de tous les certificats
à Paris.
Notons que seuls les droits de traites pouvaient être
réduits au retour ; ceux du Domaine d’Occident (3% de la valeur
des marchandises acquittés à l’entrée dans les ports de France, quarante sols sur les sucres) restaient dus. Les armateurs de
Bordeaux tentèrent
sans succès d’échapper à ces droits de nature domaniale.
La Ferme d’Occident fit régulièrement les représentations
nécessaires pour défendre ses intérêts, au temps
d’Oudiette, de Jean Fauconnet et pendant tout le XVIIIe
siècle. La question fut
âprement discutée devant la Cour des aides
car initialement, le privilège des compagnies à monopole
reconnaissait la réduction de moitié des droits du
Domaine d’Occident, lorsque celui-ci se prélevait sur place en
Amérique. Puis la Ferme d’Occident organisa
la levée au retour en métropole, ce qui incita les
négociants à les confondre avec les droits de traites.
Le conflit portait également sur le privilège d’entrepôt,
privilège qui entrait en contradiction avec l’esprit
de la loi de 1717, mais
qui, s’il était accordé (comme ce fut le cas pour la
compagnie du Sénégal pendant dix ans par les lettres
patentes de 1696),
privait en effet la Ferme d’Occident des droits en
question. Les arrêts des 26 mars 1722 et 14 août 1725 conclurent en faveur de
cette dernière : les 3% d’imposition sur les marchandises
(et quarante sols sur les sucres) provenant de la traite des noirs devaient être
réglés intégralement. Les négociants cherchèrent à tirer
profit du privilège commercial en fraudant de diverses
manières sur les formalités. « Les fermiers généraux ont
exposé plusieurs fois au Conseil la fraude qui se faisait
de moitié des droits d’entrée imposés sur les marchandises
venant des îles et colonies françaises dans les ports du
royaume à la faveur de l’exemption accordée aux
marchandises provenant du troc des nègres introduits aux
îles ». Le roi ordonna donc, par la déclaration du 6
juillet 1734, de suivre
un modèle de certificat contenant d’abord la facture
qui devait être certifiée par l’agent de la
cargaison, ensuite un bordereau contenant le prix
des nègres et les notes par extrait des marchandises
expédiées pour la France à compte de ce prix et
enfin le certificat de l’intendant. Le
certificat ne devait être livré qu’aux seuls armateurs qui
géraient la cargaison et les commis du Domaine d’Occident certifiaient par
leur « vu » l’embarquement aux îles des marchandises
énoncées en la facture qui devait être mise en tête du
certificat. Les négociants continuèrent à frauder
néanmoins. Un mémoire de 1741
en donne un exemple : Deluynes, négociant à Nantes introduisit à
Léogâne le 19 août 1739 265
nègres dont la vente avait produit 251 925 livres. Il
associa à cette vente plusieurs bordereaux, ce qui lui
permit de faire passer davantage de marchandises en
exemption des droits à Nantes. Au pied de ces bordereaux, il se faisait donner le
certificat par les commis de l’intendant ordonnateur qui
n’était pas à portée de les vérifier. La Ferme générale
donna des ordres au Directeur de Nantes pour poursuivre la confiscation des
marchandises et mettre Deluynes à l’amende. Lorsqu’il fut
décréter en 1741 (permission du
Conseil en date du 30 septembre) que le commerce de Guinée
pouvait se faire dans tous les ports qui armaient pour les
îles, la Ferme générale craignit une fraude plus grande
encore et sollicita un règlement pour que les capitaines
de vaisseaux fissent à l’arrivée dans les îles déclaration
du nombre de noirs au greffe de l’intendant et que les
agents fissent de leurs côtés une déclaration exacte du
prix total des esclaves vendus, lesquelles déclarations
seraient portées sur une même feuille. Les agents seraient
obligés, lorsqu’ils voudraient faire un envoi de
marchandises, d’apporter au greffe une facture des
marchandises avec le montant des précédents envois dans la
forme des modèles prescrits en 1734. Par ailleurs, les fermiers généraux souhaitaient
astreindre les armateurs de vaisseaux qui allaient à la
traite des noirs de faire faire le retour des marchandises
dans le port de départ, suivant l’esprit des lettres
patentes d’avril 1717 rendues
pour les colonies.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 31, Traites, direction de Bordeaux, Mémoire n°6034 : 1773.
- AN, G1 80, dossier 15, Mémoire sur le commerce de Guinée, 14 décembre 1741.
- AN, G7 1147, requête de Thomas Templier, fermier général, 11 mars 1702.
-
Sources imprimées:
- Mémoire n° 386, 25 janvier 1775 concernant M. Lafon de La Debat, armateur à Bordeaux.
- Lettres patentes du Roy portant règlement pour le commerce des colonies françoises, avril 1717.
- Arrêt du Conseil d’Etat pour le paiement de la gratification de 13 livres par tête de nègre et de 20 liv. par chaque marc on matière de poudre d'or que la Compagnie du Sénégal ferait entrer en France venant des pays de sa concession, 22 aout 1724.
- Recueil des édits, déclarations, arrêts et lettres patentes, concernant les compagnies de Guinée du Sénégal, Paris, Imprimerie Antoine Boudet, 1754.
- Arrêt du Conseil d'Etat concernant le commerce des noirs au Sénégal, 31 juillet 1767.
- Joseph Dufresne de Francheville, Histoire de la Compagnie des Indes, avec les titres de ses concessions et privilèges dressée sur les pièces authentiques, Paris, De Bure, 2 t., 1746, dont tome 2, p. 477-480 : Mémoire du Fermier du Domaine d’Occident sur les privilèges de la compagnie du Sénégal, 1er juillet 1715.
-
Bibliographie scientifique:
- Henry A. Gemery et Jan S. Hogendorn (éd.), The Uncommon Market : Essays in the Economic History of the Atlantic Slave Trade, New York, Academic Press, 1979.
- Philip P. Boucher, Les Nouvelles Frances, France in America, 1500-1815, An Imperial Perspective, Providence, The John Carter Brown Library, 1989.
- Philip D. Curtin, The Atlantic slave trade. A census, Madison, Wisconsin University Press, 1969.
- id., The rise and fall of the plantation complex. Essays in Atlantic history, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 (1re éd. 1990), p. 26.
- Qingyuan Liu, « La fiscalité coloniale du royaume de France (1600-1732) », thèse dirigée par François-Joseph Ruggiu et soutenue le 26 janvier 2024 à Sorbonne-Université.
- Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 .
Traite des noirs » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :