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Traite des noirs

Marie-Laure Legay





La fiscalité royale favorisa le commerce des noirs de trois façons : en exemptant de la moitié des droits du Domaine d’Occident les marchandises « de toutes sortes » apportées des concessions africaines vers les colonies américaines, en exemptant de droits de sortie du royaume les vivres et munitions embarquées pour l’Afrique et en exemptant de la moitié des droits de traites les marchandises des îles issues du commerce triangulaire à l’entrée du royaume (arrêt du 30 mai 1664). Pour les commerçants, ces avantages fiscaux s’ajoutaient à la prime de 13 livres par esclave transporté dans les colonies, prime concédée par le Trésor royal.

Après l’échec des premières compagnies à monopole (Compagnie du Cap Vert et du Sénégal en activité entre 1658 et 1664, Compagnie des Indes occidentales entre 1664 et 1672), la traite fut confiée à une nouvelle compagnie du Sénégal qui s’engagea à transporter 2 000 noirs par an pendant huit ans aux Antilles moyennant une prime de 13 livres par tête. A cette époque, Colbert souhaitait encourager la traite nationale qui ne couvrait pas suffisamment les besoins des plantations antillaises. Un premier traité avait été conclu pour la Guinée entre Oudiette, fermier des droits du Domaine d’Occident et les directeurs de cette administration pour faire passer 800 noirs (16 octobre 1675), mais cet accord ne fut pas exécuté. La prime de 13 livres fut conservée en faveur des compagnies suivantes, celle de Guinée (création en janvier 1685) et celle du Sénégal (refondation en 1684 et 1694, lettres patentes de 1696), puis la compagnie des Indes reconstituée par John Law (arrêt du 27 septembre 1720). D’après les certificats délivrés par l’intendant à Cap-Français (Saint-Domingue), 2 635 têtes furent débarquées entre le 17 avril 1714 et le 27 août 1716 (le montant de la prime s’éleva à 34 374 livres et sept sols), et 1 151 têtes entre le 2 février 1717 et le 22 février 1718 (14 963 livres de prime réglée par le Trésor royal), et ainsi durant le XVIIIe siècle. La compagnie des Indes se déchargea par la suite du commerce des noirs sur les négociants. En 1767, la traite devint libre, à charge pour les maisons de commerce de verser 10 livres par tête directement dans les caisses du roi. Cette prime ne concernait pas la Ferme générale.

En revanche, la Ferme générale fut impliquée dans les choix de politique fiscale en faveur de la traite. Les compagnies de commerce bénéficiaient de l’exemption des droits de sortie sur les vivres et munitions destinées aux voyages vers les côtes africaines (arrêt des 18 septembre et 25 novembre 1671), et d’une manière générale de l’exemption des droits (octrois, péages, passages, traites domaniales) qui entravaient la circulation des marchandises à l'intérieur du royaume. Elles devaient présenter à la Ferme générale les soumissions certifiant que les marchandises étaient destinées au commerce avec l'Afrique. Le ministre Chamillart ordonna le 17 juillet 1704 aux Fermiers de respecter les privilèges de la compagnie royale du Sénégal. Desmaretz agit de même le 14 janvier 1714, exhortant les commis des droits de Convoi et Comptablie de Bordeaux de laisser sortir les vins destinés au Havre et à Honfleur pour être transborder dans les navires affrétés pour l’Afrique. Lorsque le commerce avec la Guinée devint libre (de mars 1716 à janvier 1720), l’exemption des droits de sortie fut également acquise pour les marchandises du cru du royaume (toiles, quincaillerie, mercerie, verroterie, fusils …). De même, les compagnies de commerce, et plus tard les négociants, furent exemptés de la moitié des droits d’entrée sur les marchandises rapportées soit des côtes d’Afrique soit des îles d’Amérique. Cet avantage fut rappelé pour la compagnie de Guinée en 1688 (arrêt du 20 mars) et pour la compagnie du Sénégal en 1690 (arrêt du 16 décembre). Dès lors, la Ferme générale dut mettre en œuvre les contrôles nécessaires à la jouissance de ce privilège. En 1702 par exemple, le fermier général Thomas Templier s’opposa aux marchands de Nantes et d’Angers, Goujon et Henriot, qui réclamaient la restitution de 548 livres payés au bureau d’Ingrandes pour neuf barriques de sucre qu’ils avaient achetées à la compagnie de Guinée, au titre de l’exemption des droits. Pour Templier toutefois, le privilège accordé à la compagnie de Guinée était personnel et ne pouvait s’étendre à ceux qui achetaient les marchandises. Pour bénéficier de cette exemption à l’entrée, les capitaines de vaisseaux devaient se munir des factures issues de la vente des noirs dans les colonies car de la valeur de cette vente dépendait le montant de l’exemption (la déduction se faisait jusqu’à concurrence du montant de la facture). Sur place, ces factures faisaient l’objet d’un visa des employés du Domaine d’Occident et d’un certificat de l’administration de l’intendant. Ces certificats étaient présentés à l’arrivée en métropole. La Ferme générale tenait les comptes de tous les certificats à Paris.

Notons que seuls les droits de traites pouvaient être réduits au retour ; ceux du Domaine d’Occident (3% de la valeur des marchandises acquittés à l’entrée dans les ports de France, quarante sols sur les sucres) restaient dus. Les armateurs de Bordeaux tentèrent sans succès d’échapper à ces droits de nature domaniale. La Ferme d’Occident fit régulièrement les représentations nécessaires pour défendre ses intérêts, au temps d’Oudiette, de Jean Fauconnet et pendant tout le XVIIIe siècle. La question fut âprement discutée devant la Cour des aides car initialement, le privilège des compagnies à monopole reconnaissait la réduction de moitié des droits du Domaine d’Occident, lorsque celui-ci se prélevait sur place en Amérique. Puis la Ferme d’Occident organisa la levée au retour en métropole, ce qui incita les négociants à les confondre avec les droits de traites.

Le conflit portait également sur le privilège d’entrepôt, privilège qui entrait en contradiction avec l’esprit de la loi de 1717, mais qui, s’il était accordé (comme ce fut le cas pour la compagnie du Sénégal pendant dix ans par les lettres patentes de 1696), privait en effet la Ferme d’Occident des droits en question. Les arrêts des 26 mars 1722 et 14 août 1725 conclurent en faveur de cette dernière : les 3% d’imposition sur les marchandises (et quarante sols sur les sucres) provenant de la traite des noirs devaient être réglés intégralement. Les négociants cherchèrent à tirer profit du privilège commercial en fraudant de diverses manières sur les formalités. « Les fermiers généraux ont exposé plusieurs fois au Conseil la fraude qui se faisait de moitié des droits d’entrée imposés sur les marchandises venant des îles et colonies françaises dans les ports du royaume à la faveur de l’exemption accordée aux marchandises provenant du troc des nègres introduits aux îles ». Le roi ordonna donc, par la déclaration du 6 juillet 1734, de suivre un modèle de certificat contenant d’abord la facture qui devait être certifiée par l’agent de la cargaison, ensuite un bordereau contenant le prix des nègres et les notes par extrait des marchandises expédiées pour la France à compte de ce prix et enfin le certificat de l’intendant. Le certificat ne devait être livré qu’aux seuls armateurs qui géraient la cargaison et les commis du Domaine d’Occident certifiaient par leur « vu » l’embarquement aux îles des marchandises énoncées en la facture qui devait être mise en tête du certificat. Les négociants continuèrent à frauder néanmoins. Un mémoire de 1741 en donne un exemple : Deluynes, négociant à Nantes introduisit à Léogâne le 19 août 1739 265 nègres dont la vente avait produit 251 925 livres. Il associa à cette vente plusieurs bordereaux, ce qui lui permit de faire passer davantage de marchandises en exemption des droits à Nantes. Au pied de ces bordereaux, il se faisait donner le certificat par les commis de l’intendant ordonnateur qui n’était pas à portée de les vérifier. La Ferme générale donna des ordres au Directeur de Nantes pour poursuivre la confiscation des marchandises et mettre Deluynes à l’amende. Lorsqu’il fut décréter en 1741 (permission du Conseil en date du 30 septembre) que le commerce de Guinée pouvait se faire dans tous les ports qui armaient pour les îles, la Ferme générale craignit une fraude plus grande encore et sollicita un règlement pour que les capitaines de vaisseaux fissent à l’arrivée dans les îles déclaration du nombre de noirs au greffe de l’intendant et que les agents fissent de leurs côtés une déclaration exacte du prix total des esclaves vendus, lesquelles déclarations seraient portées sur une même feuille. Les agents seraient obligés, lorsqu’ils voudraient faire un envoi de marchandises, d’apporter au greffe une facture des marchandises avec le montant des précédents envois dans la forme des modèles prescrits en 1734. Par ailleurs, les fermiers généraux souhaitaient astreindre les armateurs de vaisseaux qui allaient à la traite des noirs de faire faire le retour des marchandises dans le port de départ, suivant l’esprit des lettres patentes d’avril 1717 rendues pour les colonies.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 31, Traites, direction de Bordeaux, Mémoire n°6034 : 1773.
  • AN, G1 80, dossier 15, Mémoire sur le commerce de Guinée, 14 décembre 1741.
  • AN, G7 1147, requête de Thomas Templier, fermier général, 11 mars 1702.

    Sources imprimées:
  • Mémoire n° 386, 25 janvier 1775 concernant M. Lafon de La Debat, armateur à Bordeaux.
  • Lettres patentes du Roy portant règlement pour le commerce des colonies françoises, avril 1717.
  • Arrêt du Conseil d’Etat pour le paiement de la gratification de 13 livres par tête de nègre et de 20 liv. par chaque marc on matière de poudre d'or que la Compagnie du Sénégal ferait entrer en France venant des pays de sa concession, 22 aout 1724.
  • Recueil des édits, déclarations, arrêts et lettres patentes, concernant les compagnies de Guinée du Sénégal, Paris, Imprimerie Antoine Boudet, 1754.
  • Arrêt du Conseil d'Etat concernant le commerce des noirs au Sénégal, 31 juillet 1767.
  • Joseph Dufresne de Francheville, Histoire de la Compagnie des Indes, avec les titres de ses concessions et privilèges dressée sur les pièces authentiques, Paris, De Bure, 2 t., 1746, dont tome 2, p. 477-480 : Mémoire du Fermier du Domaine d’Occident sur les privilèges de la compagnie du Sénégal, 1er juillet 1715.


    Bibliographie scientifique:
  • Henry A. Gemery et Jan S. Hogendorn (éd.), The Uncommon Market : Essays in the Economic History of the Atlantic Slave Trade, New York, Academic Press, 1979.
  • Philip P. Boucher, Les Nouvelles Frances, France in America, 1500-1815, An Imperial Perspective, Providence, The John Carter Brown Library, 1989.
  • Philip D. Curtin, The Atlantic slave trade. A census, Madison, Wisconsin University Press, 1969.
  • id., The rise and fall of the plantation complex. Essays in Atlantic history, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 (1re éd. 1990), p. 26.
  • Qingyuan Liu, « La fiscalité coloniale du royaume de France (1600-1732) », thèse dirigée par François-Joseph Ruggiu et soutenue le 26 janvier 2024 à Sorbonne-Université.
  • Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 .




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Traite des noirs » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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