Bureau des Finances
Les trésoriers de France tiennent leur compétence en cette matière des généraux des finances, qui administraient les aides avec le concours des élus. Dès 1374, les aides sont affermées, ce qui réduit le rôle des administrateurs à la conclusion des baux et à l’encaissement de leur produit. Encore faut-il noter que les choses peuvent être différentes selon les généralités. Ainsi, et pour exemple, si à Lyon, le Bureau des finances s’acharne à réclamer l’enregistrement des baux des fermiers dans tous les anciens impôts indirects dont ils s’occupent, ce n’est pas le cas à Montauban où ne leur reste plus que l’enregistrement des baux du domaine. Il faut donc garder à l’esprit que si les textes sont souvent communs à l’ensemble des institutions, les particularités locales contribuent à complexifier encore une matière qui l’est déjà par essence. Mais cela est vrai de tout ou presque sous l’Ancien régime.
Au temps des Bureaux des finances, après 1577, cette compétence se perpétue et l’adjudication se fait au moment des chevauchées, en présence du trésorier, des élus, et du procureur du Roi en l’Élection, selon la procédure établie par le règlement du 8 juillet 1578. Après 1629 et l’ordonnance de janvier ou Code Michau, c’est le Conseil du Roi qui choisit l’adjudicataire et les trésoriers de France ne font plus qu’enregistrer les baux que doivent leur présenter les fermiers locaux. Le dédain de ces derniers envers les trésoriers les conduit souvent à négliger de se soumettre à cette obligation, malgré les réclamations qui leur sont adressées. Il faut dire également qu’ils doivent payer pour chaque enregistrement de bail, une somme qui varie en fonction des généralités. Ceci explique aussi cela… C’est la même chose dans toute la France, même à Paris où, pourtant, les trésoriers de France ont gardé une autorité plus importante qu’ailleurs. Enfin, à la fin de leur bail, les fermiers comptent par état devant les trésoriers de France, c’est-à-dire que ces derniers vérifient l’état au vrai, définitif, de l’exactitude de leurs recettes et dépenses, ce qui est parfois vraiment difficile, car les comptes sont disparates.
Sous l’Ancien régime, dès qu’une administration existe, même réduite à peau de chagrin, elle a connaissance des litiges qui en découlent. En matière d’aides, outre l’enregistrement des baux, les trésoriers de France sont compétents en matière de contestations portant sur l’exécution des baux, ainsi que pour les contestations entre commis, selon un arrêt du Conseil d’État de 1660. Ils ont également l’obligation, imposée par l’édit de mars 1637, de recueillir pendant leurs chevauchées les plaintes des habitants, et de s’informer des exactions et malversations commises par les fermiers dans la levée des impositions. Cette compétence les met en conflit avec les Élections et les Cours des aides, auxquelles sont réservées les difficultés nées de la perception de ces droits, et qui défendent jalousement leurs prérogatives. En raison de ce conflit institutionnel, dans leur ensemble, les Bureaux des finances connaissent peu d’affaires en matière d’aides même si, parfois, ils n’hésitent pas à s’emparer de tels dossiers au détriment des juridictions concernées.
La compétence des trésoriers est plus importante en matière de gabelle, impôt dont la multiplicité des régimes exacerbe les inégalités. Elle est encore un héritage reçu des généraux des finances : lorsque la gabelle est instaurée, au XIVe siècle, sa gestion leur en est confiée, avec le concours des grenetiers. En 1581, les généraux des finances reçoivent le droit d’établir des chambres à sel là où elles leur paraissent nécessaires, pouvant même pendant quelques années fixer le prix du sel selon sa qualité – celui-ci sera vite déterminé par des arrêts du Conseil du Roi. En réalité, à l’intérieur de leur généralité, les trésoriers restent compétents pour adapter le prix du sel en fonction des frais de déchargement et de voiturage, par rapport à un prix de base fixé pour le grenier le plus important, le tout dans une préoccupation d’égalité proportionnelle des prix entre les différents greniers de la province. Ainsi, si l’inégalité est inhérente au système de la gabelle entre les divers régimes, celle-ci est au moins relativement corrigée à l’échelle d’une province. Il s’agit donc, pour les Bureaux des finances, d’une activité parallèle à celle des agents de la Ferme générale, puisque l’affermage de la gabelle se généralise dès le XVIe siècle. Les trésoriers de France s’attachent toujours cependant, dans certaines généralités comme à Lyon, de veiller, jusqu’à la fin de l’Ancien régime, sur le fonctionnement des greniers, par exemple en chaperonnant les travaux de construction d’un nouveau grenier, ou en s’assurant du bon déroulement d’un déménagement éventuel des locaux. Parfois, ils dressent même des états des sels vendus, mais pas dans tout le royaume.
Les occasions de friction des trésoriers avec les fermiers restent fréquentes, ces derniers étant toujours censés, comme pour les aides, faire enregistrer leurs baux aux Bureaux – ce qu’ils font là également avec réticence (et encore une fois, cela dépend des généralités). Du point de vue de la juridiction, au XVIe siècle, les généraux des finances avaient pour mission de réprimer le faux-saunage. Les trésoriers de France récupèrent cette compétence et l’exercent pendant un siècle avant que le Conseil du Roi ne les en prive, dans le cadre de la grande ordonnance de 1680 qui organise le régime des gabelles dans ses grandes lignes jusqu’à la Révolution. La seule qui leur reste en matière de gabelles est, comme pour les aides, la connaissance des problèmes liés à l’exécution des baux : ils vérifient le respect des éventuels privilèges des particuliers dans la délivrance du sel auquel ils ont droit ou veillent à repérer les inexécutions de leur bail par les fermiers, voire leurs possibles malversations. Cette compétence disparaît ensuite. Au XVIIIe siècle, les Bureaux des finances n’ont plus rien à faire avec la gabelle, qui relève du juge vérificateur des gabelles.
Les Bureaux des finances gardent également quelque compétence en matière de traites foraines, perçues sur les marchandises importées ou exportées aux frontières du royaume ou des provinces intérieures, assimilées ou distinguées selon les provinces aux droits de rêve et de haut passage, dont la nature est plutôt domaniale, mais qui sont semblables aux traites. Les unes et les autres fonctionnent avec la même assiette, les seconds étant rattachés au domaine ainsi que le contentieux qui en découle, mais leur nature est sensiblement identique. Les droits de traite sont très divers, comme leur montant. Entre 1542 et 1594, année de la création des trésoriers généraux des traites, les généraux des finances puis trésoriers de France organisent le service avec les maîtres des ports, lieutenants, gardes, peseurs, etc. Les maîtres des ports, selon un édit de 1549, doivent leur envoyer tous les trois mois, les états du produit des douanes d’après les écritures tenues dans les bureaux. Après 1594, les Bureaux des finances ne s’occupent plus, comme pour les aides et la gabelle, que de l’enregistrement des baux. Seuls deux trésoriers de France dans chaque Bureau, par le biais de commissions, exercent les fonctions de juges de la Douane, comme à Lyon, ou des affaires relatives aux traites, comme à Amiens. Pour terminer, les trésoriers doivent, en tant qu’officiers du roi compétents dans les matières domaniales, préserver l’argent du roi. Ainsi, en cas d’émeute, les trésoriers s’assurent en premier lieu des sommes qui ont été perçues, du montant déclaré lors du dernier compte et de sa date, puis ils pourvoient à la sécurité du numéraire, souvent entreposé dans des coffres en lieu sûr, jusqu’à son enlèvement par les autorités compétentes. En l’occurrence, les trésoriers de France agissent ici en qualité de gardiens des deniers du roi, quelle que soit leur provenance, impôts directs ou indirects. Mais comme le reste, cette compétence échappe peu à peu aux trésoriers de France, pour se retrouver entre les mains de l’intendant.
Dernier secteur où les trésoriers généraux de France interagissent avec les fermiers, celui des droits domaniaux, dont les Bureaux des finances connaissent dès leur création. Ils en ont initialement la direction, avec pour objectif d’en augmenter le revenu. Les trésoriers reçoivent le serment des comptables ainsi que leur caution, ils surveillent leurs activités et leurs comptes, et cette surveillance s’étend aux fermiers lorsque les droits sont affermés. Jusqu’en 1681, ils s’occupent de renouveler les baux, compétence qu’ils perdent ensuite lorsque le Conseil du Roi se la réserve. Encore une fois, les Bureaux se contentent d’enregistrer les baux, qui leur parviennent régulièrement au début, puis par à-coups après le premier tiers du XVIIIe siècle. Une fois l’argent perçu, les trésoriers ordonnancent les dépenses, charges locales et rentes. Enfin, les trésoriers connaissent aussi des droits domaniaux en juridiction, examinant les requêtes des fermiers des droits affermés, qui agissent en leur propre nom, comme de simples particuliers. Ainsi, certains particuliers ont reçu à titre de gage ou privilège la jouissance de certains droits domaniaux (l’usage d’un moulin, par exemple), et les fermiers viennent demander la preuve de leur bon droit. Il s’agit parfois d’affaires vraiment sérieuses. Ainsi dans la généralité de Lyon, l’histoire de cette épouse d’un fermier de la rêve qui, retenue au Bureau par son activité, la dépêche pour vérifier son intuition de quelque fraude commise lors d’une « dévotion » organisée en Dauphiné. Le transport se fait alors par bateau sur le Rhône, du Lyonnais au Dauphiné. Plutôt que d’observer discrètement les activités des personnes soupçonnées, la dame les interpelle et leur demande s’ils ne passent rien en fraude des droits du roi. Une bousculade s’ensuit et elle est précipitée dans le Rhône, heureusement secourue par un passant, mais ensuite molestée par la foule ainsi que son sauveteur. Son mari, le fermier de la rêve, averti, dresse un procès-verbal constituant plainte. L’enquête est conduite par les trésoriers de France, de nombreux témoins confirment les faits et des confrontations sont réalisées. Le fermier demande qu’un exemple soit fait. Invoquant l’article 8 de l’ordonnance criminelle de 1670, il demande, pour rébellion, l’emprisonnement des coupables, l’engagement de la responsabilité de la communauté entière et la condamnation des fraudeurs à 3000 euros d’amende. Le Bureau des finances de Lyon juge l’affaire et condamne l’un des accusés à la somme de dix livres d’amende envers le roi et au bannissement pour un an de la généralité. Solidairement, deux autres accusés sont condamnés à cent livres de dommages et intérêts et aux dépens de la procédure. Beaucoup a été demandé, et peu a été obtenu. C’est une démarche pragmatique de la part du Bureau : mieux vaut condamner à une somme dont on sait qu’elle peut être réellement payée qu’à une autre dont le règlement est totalement illusoire.
Enfin, les trésoriers de France peuvent également contraindre les fermiers à respecter leurs engagements, comme le fait de remettre aux receveurs des domaines les sommes qu’ils prélèvent. Quant aux nouveaux droits domaniaux, ils sont en général réservés à la connaissance des commissaires départis selon des modalités et un calendrier variable.
Les Bureaux des finances n’exercent donc plus, très vite, qu’une activité connexe à celle de la Ferme générale lorsqu’il s’agit des impôts indirects, activité un peu plus importante sur les fermiers du domaine en raison de leur compétence toujours reconnue en cette matière. La rationalisation des procédures, tendance qui s’accentue tout au long de l’Ancien régime, a donc été permise par la diminution des acteurs et leur encadrement législatif. Cette situation pourrait amener à penser que les pistes de recherche ont pu être épuisées en ce qui concerne les liens entre Bureaux des finances et Ferme générale. Ce serait une erreur.
En effet, divers aspects restent encore à explorer, sur le rôle que peuvent jouer les Bureaux des finances dans leurs interactions avec la Ferme générale, aspects qui ne sont pas toujours connexes pendant une partie de l’Ancien régime. Remédier à cet état de fait nécessiterait des études locales en raison des particularismes légaux ou coutumiers, qu’il faudrait ensuite synthétiser pour arriver à établir un tableau général.
La première piste de recherche qu’il serait possible de dessiner concerne les aspects administratifs et financiers proprement dits.
Si les Bureaux des finances perdent progressivement un certain nombre de compétences en relation avec la Ferme générale, qui leur sont enlevées pour être transmises à d’autres institutions (Juridictions – Cours des Aides notamment -, intendants…), ils conservent néanmoins plusieurs activités dont certaines mériteraient d’être approfondies pour mieux cerner la répartition des compétences, les relations entretenues entre les acteurs et donc le fonctionnement général de la Ferme générale, du point de vue des techniques de gestion, du contrôle comptable dans le processus bureaucratique, du fonctionnement général des trésoreries. Cela permet aussi une approche des relations entre l’État, ses administrateurs, et les sujets.
On peut ainsi relever des questionnements toujours valables dans les quelques pistes suivantes :
- Organisation de la perception des traites (Jusqu’en 1594) et études des activités des trésoriers de France en tant que commissaires juges des douanes et des traites.
- Adjudication des aides (jusqu’en 1629)
- Sur la gabelle : en général, la gabelle reste méconnue sur certains points. Quel peut être le rôle des trésoriers de France en matière économique ? Au-delà de la question de la répartition des muids de sel entre les greniers ou de la géographie mouvante des greniers (Il faut rappeler que les généraux des finances participent à l’établissement des chambres à sel jusqu’au début du XVIe siècle), quid de la mission de péréquation en matière de prix du sel (eu égard aux frais de déchargement et voiturage par rapport au prix de base fixé pour le grenier le plus important, dans une volonté d’égalité proportionnelle des prix entre les différents greniers de la province) ?
- Enregistrement des baux des fermiers (jusqu’à la fin de l’Ancien régime)
- Contrôle des comptes des comptables, notamment et surtout en matière domaniale (anciens droits domaniaux particulièrement, qui peuvent être parfois très importants selon les généralités). Cette remarque fait écho à ce qui avait été proposé comme pistes de recherche dans les travaux de janvier 2022 d’ores et déjà initiés sur la Ferme générale. Il s’agit ici simplement d’y ajouter ces acteurs nouveaux que constituent les trésoriers généraux de France, avec toutes les particularités locales devant être mises en exergue.
Ce dernier point permet d’enchaîner avec le second aspect.
La seconde piste de recherche à mettre en lumière a trait à l’aspect pénal, déjà révélé par Cédric Glineur et Jérôme Pigeon au sujet des intendants, comme par Thomas Boullu pour les transactions ou Sébastien Évrard pour la responsabilité des agents du fisc. Des liens doivent être tissés entre les différents acteurs. Les pistes qui avaient été soulevées en 2022 peuvent être ouvertes également au sujet des trésoriers de France :
- Malversations des comptables proprement dits
- Actions criminelles dans les relations avec les sujets (comme dans le cas de l’affaire évoquée précédemment dans laquelle la femme du fermier a été jetée à l’eau).
- Question du faux saunage (jusqu’en 1680)
La dernière piste de recherche tient quant à elle à l’aspect prosopographique.
Cette démarche a été initiée dès 2012 par Daniel Dessert dans son ouvrage sur l’argent du sel à l’époque de Richelieu, Mazarin et Colbert. Il estime en effet et avec raison qu’il est important d’étudier les réseaux familiaux et sociaux des fermiers.
Dans plusieurs Bureaux des finances, il est notable que l’on peut relever plusieurs cas de liens entre trésoriers de France et Ferme générale, soit des liens familiaux, soit des liens qui concernent leur évolution professionnelle - de fermiers, ils deviennent officiers. Il serait intéressant d’approfondir l’étude de ces réseaux pour identifier si possible la diffusion des cultures financières au sein de ces diverses institutions (si existent par exemple des liens entre les modèles de gestion, définir si ces connexions sont explicables par le réseau familial…), identifier la détention de positions stratégiques économiques, politiques ou intellectuelles d’un groupe à l’autre selon les régions…
Une telle étude permettrait également de déterminer si les réseaux familiaux et sociaux élaborent des stratégies professionnelles d’appropriation de milieux professionnels, à conduire sur le long terme, la constitution de « fronts de parentalité » pour mettre en place des espaces de pouvoir (pour contrer les pressions d’autres groupes sociaux : conflits avec les juridictions judiciaires, notamment…).
Ainsi, il semble évident que l’étude des Bureaux des finances offre encore bien des hypothèses à explorer.
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- Archives Départementales du Rhône, 8C301, Procédures concernant le domaine : 1616 – 1781, Ordonnance du Bureau des finances de Lyon du 1er juillet 1675.
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Sources imprimées:
- Fournival S., Recueil général concernant les fonctions, rangs, dignités et privilèges des charges de présidents, trésoriers de France, généraux des finances, grands voyers des généralités du royaume, Paris, 1655.
- Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Visse, 1785.
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Bibliographie scientifique:
- Léon Bouchard, Le système financier de l’ancienne monarchie, Paris, Guillaumin, 1891.
- Valérie Brousselles-Basques, « Le Bureau des finances de Montauban et ses officiers (1635 - 1790) », in Études et Documents, Paris, C.H.E.F.F., 1995, pp. 53 – 81.
- Jean-Paul Charmeil, Les trésoriers de France à l’époque de la Fronde, Paris, Picard et Cie, 1964.
- Guillaume Delaume, Le Bureau des finances de la généralité de Paris, Paris, Cujas, 1966.
- Daniel Dessert, L’argent du sel. Le sel de l’argent, Paris, Fayard, 2012.
- Roger Doucet, Les institutions de la France au XVIe siècle, Paris, Picard, 1948.
- François Dumont, Le Bureau des finances de la généralité de Moulins, Moulins, Imprimerie du Progrès de l’Allier, 1923.
- Hugues Neveux, « Pouvoirs informels et réseaux familiaux dans les campagnes européennes au XVIe siècle », in ctes de la recherche en Sciences sociales, année 1993, 96-97, pp. 67 – 79.
- Jean Pasquier, L’impôt des gabelles en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Genève, Slatkine Reprints, 1978.
- Anette Smedley-Weill, Correspondance des intendants avec le contrôleur général des finances, 1677 – 1689. Naissance d’une administration, Sous-série G7, Inventaire analytique, Paris, Archives nationales.
- Philippe Sueur, Histoire du droit public français, XVe-XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1989.
Bureau des Finances » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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