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Rébellion

Thomas Boullu





La compréhension de la rébellion en matière d’impositions indirectes se heurte à la pluralité des termes permettant de la désigner. Les archives évoquent des empêchements, des excès, des injures, des outrages, des violences, voire des insurrections ou des révoltes sans rattacher nécessairement la notion à la gravité des faits ou à l’impôt éludé. Également qualifié de « rébellion à justice », le délit est principalement constitué par le statut particulier du commis des fermes. À l’instar des officiers de justice, les employés sont assermentés et bénéficient d’un régime juridique protecteur. La rébellion est une « méconnaissance de la puissance souveraine » pour Buterne et, en raison de sa dimension politique, revêt un intérêt spécifique pour la monarchie. Assimilée à un cas royal voire, pour certains auteurs, à un crime de lèse-majesté, la rébellion en matière d’impôt se démarque donc de la fraude ou du simple fait de violence et mérite à cet égard un traitement particulier.

L’histoire des rébellions fiscales a souvent été entreprise en opposant le XVIIe au XVIIIe siècle. Avant le règne personnel de Louis XIV, le Royaume est traversé par de nombreuses révoltes dont la dimension politique, populaire, voire symbolique, a longtemps été interrogée. Ces épisodes collectifs violents mobilisent les foules et renvoient l’image d’un XVIIe siècle plongé dans un état de quasi-guerre civile. Dans le Poitou, les séditions sont quasi-permanentes entre 1636 et 1660. De 1637 à 1641, la révolte des « croquants » dans le Périgord conduit à l’éclosion d’armées entières d’insurgés que la royauté peine à réprimer. En 1639, 4000 individus se soulèvent en opposition à la gabelle à Caen et à Bayeux. À compter de 1661 dans le Roussillon, la « révolte des angelets » dure près de dix années avant que la monarchie ne réussisse à faire cesser les violences. Ces épisodes séditieux d’ampleur qui se multiplient freinent assurément l’avancement de l’État royal absolutiste. Les cris de « vive le Roy sans gabelle ! » des insurgés entrent en contradiction avec les formules de Cardin Le Bret affirmant que l’impôt est un acte souverain « légitimement deue » permettant de « procurer le bien public ».

Au lendemain de la publication des grandes ordonnances et de l’avènement de la Ferme générale en 1681, les révoltes dirigées contre l’impôt indirect se font plus rares. La résistance à la loi fiscale semble emprunter une voie moins spectaculaire et la multiplication des réseaux de contrebande tend à se substituer aux épisodes violents collectifs. La lutte contre la fiscalité devient une affaire de fraude, de circuits parallèles et de chemins de traverse. Dans ce contexte, le criminel avance dans l’ombre et privilégie la discrétion qui s’associe mal avec les grandes manifestations populaires. Cette évolution ne conduit toutefois pas à une diminution des cas de rébellions perpétrés à l’encontre des employés des fermes. À l’inverse, la vaste enquête de Jean Nicolas révèle une nette augmentation des rébellions dans le dernier quart du XVIIIe siècle dont la grande majorité a lieu en matière de gabelles et d’aides à l’ouest d’une ligne tracée entre l’Aquitaine et le Hainaut. Les territoires périphériques et propices à la fraude comme la Savoie, le Dauphiné ou la Franche-Comté où sévissent de nombreuses bandes de contrebandiers semblent – de manière contre-intuitive - être moins concernés. Les terres de rébellion paraissent davantage correspondre aux généralités économiquement dynamiques dotées de réseaux routiers développés ou de grands ports de commerce qu’aux lieux traditionnellement identifiés comme des espaces de violence. L’approche sociale, culturelle, voire identitaire qui a longtemps prévalu à l’étude de la rébellion semble ainsi remplacée par une approche économique qui correspond mieux aux orientations actuelles de l’historiographie.

La rébellion fiscale à l’époque moderne peut aussi être questionnée au regard des réactions de la Couronne. À l’intersection entre la sauvegarde de l’ordre public et la collecte de l’impôt, la rébellion est sévèrement réprimée. Au-delà du régime pénal de droit commun susceptible de s’appliquer, la législation royale met progressivement en place un ensemble de normes spécifiques en matière d’impôts. Au XVIIe siècle, plusieurs dispositions visent à lutter contre le soutien armé des soldats aux fraudeurs dans le domaine des aides. Les ordonnances du 7 janvier 1661, du 13 mai 1666 et du 12 mars 1675 interdisent aux gens de guerre de troubler les visites des commis « sous peine de punition corporelle » pouvant atteindre « peine de vie » aux termes de l’ordonnance du 5 février 1676. Au cours du XVIIIe siècle, la législation associe fréquemment la rébellion à une circonstance aggravante à l’instar de l’attroupement ou du port d’armes créant ainsi un régime spécifique composé d’infractions connexes. La déclaration du 12 juillet 1723 sur la fraude aux entrées de Paris qui reprend celle du 30 janvier 1717 dispose que les « soldats, vagabons et gens sans aveu » réunis par groupe de cinq, armés, et opposant rébellion aux commis, doivent être punis de mort. Dans l’hypothèse où les individus seraient moins de cinq, la déclaration prévoit la peine des galères pour trois années et la peine capitale en cas de récidive. Progressivement, la monarchie adopte des normes portant sur plusieurs impositions voire ne considérant pas la nature de l’impôt éludé et participe ainsi à la genèse d’un régime commun. Aux termes de la déclaration du 2 août 1729, le fait de forcer le passage d’un poste de garde est susceptible d’être puni de mort même si les individus sont moins de cinq et qu’ils ne transportent aucune marchandise de contrebande. La déclaration du 15 février 1744 confirme que toute activité de contrebande associée à un fait de rébellion, d’attroupement ou de port d’armes peut conduire à une condamnation aux galères à temps ou à perpétuité. Afin de faciliter la mise en œuvre des poursuites et conformément à l’arrêt du Conseil du 30 septembre 1719 revêtu de lettres patentes du 4 mai 1723, les accusés de rébellion dont les commis ont procédé à l’enfermement ne pourront être libérés par les juges avant le prononcé de la sentence définitive. Au total, l’étude de ces dispositions reflète la volonté politique affichée de l’État de punir lourdement les auteurs de rébellion qui, en s’opposant à l’impôt, s’opposent indirectement à la monarchie.

Indépendamment de ce régime répressif qui s’inscrit vraisemblablement dans une perspective foucaldienne, la législation royale prévoit une alternative. Aux termes de la déclaration du 27 juin 1716 confirmée par la déclaration du 2 septembre 1776, le fait de « médire [ou] troubler » les visites des commis est passible d’une amende 500 livres. Cette disposition ouvre une seconde voie plus modérée en permettant à la compagnie d’initier une action « purement civile » en lieu et place de la procédure extraordinaire. Elle suppose pour le fermier de faire un choix contentieux en fonction du contexte et de la nature des faits. Le Dictionnaire des Aydes de Brunet de Grandmaison insiste sur la nécessité de distinguer les rébellions graves des excès plus légers « qui ne méritent point d’approfondir une affaire criminelle ». En pratique, le simple refus de souffrir une visite, les injures voire les altercations, ne conduisent donc pas le délinquant devant la haute justice. La plupart des condamnations en matière de rébellion présentées dans l’ouvrage sur les domaines de Bosquet se bornent au prononcé d’amendes traduisant la dimension principalement civile de l’infraction. L’étude des arrêts du Conseil du roi confirme cet aspect : le plus souvent, les procès pour rébellion ne conduisent à des peines afflictives. Au-delà des juridictions assignées à une fonction répressive particulière comme les commissions, et lorsque les faits ne dépassent pas certaines bornes, le traitement judiciaire de la rébellion se fait principalement par la voie de l’amende. Cette procédure civile présente plusieurs avantages dont celui de faciliter la conclusion des accommodements. Conformément à l’ordonnance de 1670, l’accord au petit criminel lie les procureurs qui ne peuvent plus initier de poursuites contre les auteurs de la rébellion.

Cette modération raconte une histoire de la rébellion qui s’éloigne des récits de brutalité qui sont légion dans les archives et les monographies. Elle montre la capacité de la Ferme générale à privilégier le compromis et à composer avec les redevables des droits. Cette circonspection semble entrer en écho avec les consignes de vigilance adressées par la compagnie à ses employés. Dans l’une de ses nombreuses instructions sur les procès-verbaux, la Ferme invite les commis à se méfier de « leurs imprudences » qui occasionnent des rébellions et à ne faire usage des armes « que lorsqu’ils s’y trouvent absolument forcés ». Elle attire également l’attention sur la nécessité d’avancer régulièrement et de manière précise dans la procédure. Les procès-verbaux doivent être signés, affirmés, mentionner les noms des blessés, voire des morts, et proposer une identification des auteurs en précisant « leur taille, leur figure, leur habillement [et] leur demeure ». La collecte effective de l’impôt, à l’évidence, nécessite du calme, de la rigueur et de l’organisation.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • An G1 76, Arrêt du Conseil du roi du 30 septembre 1719 portant deffenses à tous juges qui connoissent des droits des fermes de mettre en liberté les coupables et complices de rébellion et voyes de fait qui seront arrêtés dans l'instant d'icelles, qu'après l'instruction et jugement définitif.
  • Bnf F-21093 (89), Déclaration du roi au sujet des fraudes qui se font aux entrées de Paris, avec violences, attroupemens et ports d'armes du 12 juillet 1723.
  • Bnf F-21136 (81), Déclaration du roi concernant les faux-sauniers et les faux-tabatiers du 15 février 1744.
  • Bnf F-21528, Recueil abrégé des règlemens concernant les fermes royales-unies, Paris, Chez Pierre Prault, t. 3, 1737.
  • An K 87, Instruction sur les procès-verbaux, n° 8, [s. d.].

    Sources imprimées:
  • Bosquet, Dictionnaire raisonné des domaines et droits domaniaux des Droits d’Échanges, et de ceux de Contrôle des Actes des Notaires et sous signatures privées, Insinuations-Laïques, Centième Denier, Petit-Scel, Contrôle des Exploits, Formule, Gréfes, Droits-réservés, Francs-Fiefs, Amortissement, et Nouvel-Acquêt, Rouen, Impr. de Jacques-Joseph Boullenger, 1762, t. 3.
  • Pierre Brunet de Granmaison, Dictionnaire des Aydes, Paris, Chez Prault, 1750.
  • Buterne, Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur les gabelles de France, Avignon, Chambault, 1764.
  • Edits, déclarations et arrests concernant la juridiction et la jurisprudence de la cour des aides et finances de Montauban, Montauban, Chez François Teulieres, 1752.
  • Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Chez Debure, t. 3, 1771.
  • Lerasle, Encyclopédie méthodique. Jurisprudence, Paris, Chez Panckoucke, t. 7, 1787, p. 206-207, v° « Rébellion à justice ».
  • Cardin Le Bret, Les œuvres de messire Cardin Le Bret conseiller ordinaire du Roy en son conseil d’estat et privé revues et augmentées par luy, Paris, Chez la Veuve Toussaint du Bray, 1643.
  • Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, Donnée à Saint Germain en Laye au mois d’Aoust 1670 pour les matieres criminelles, Paris, Chez les Associez choisis par sa Majesté, 1670.
  • Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, Du mois de may 1680, Portant Règlement sur le fait des gabelles, Paris, chez les Libraires associés pour l’impression des Ordonnances des Fermes, 1748.
  • Recueil des édits et déclarations du roi, lettres-patentes et ordonnances de sa majesté, arrêts et règlemens de ses conseils et du Parlement de Dauphiné, Grenoble, De l’imprimerie de la Veuve Giroud et fils, t. 26, 1783.
  • Table chronologique des édits, déclarations, ordonnances, arrests et règlemens rendus depuis 1629 jusqu’à présent concernant la Ferme générale du tabac, Paris, Chez la Veuve Saugrain et Pierre Prault, 1730.


    Bibliographie scientifique:
  • Yves-Marie Bercé, Histoire des croquants, étude des soulèvements populaires au XVIIIe siècle dans le sud-ouest de la France, Genève, Droz, 1974.
  • Dominique Borne, « Vive le roi sans gabelle. Les révoltes contre l’impôt en France du XVIIe au XXe siècle », Revue Française de Finances Publiques, 1984, n° 5, p. 10-20.
  • Thomas Boullu, La transaction en matière d'impositions indirectes (1661-1791). Contribution à l'émergence d'un droit de l'administration monarchique, Thèse de droit, Strasbourg, 2019.
  • Madeleine Foisil, La révolte des nu-pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, Puf, 1970.
  • Cédric Glineur, « La désobéissance à la loi fiscale sous l’ancien régime : de la rébellion à l’insurrection », D. Salles (dir.), La désobéissance à la loi à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Poitiers, Pup, 2023, p. 191-212.
  • Jean-Claude Hocquet, Le sel et le pouvoir de l’An mil à la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1985.
  • Marie-Laure Legay, « Contester les impôts : de la rébellion à la crise politique constitutionnelle », M. Figeac (dir.), États, pouvoirs et contestations dans les monarchies française et britannique et dans leurs colonies américaines, vers 1640-vers 1780, Paris, Armand Colin, 2018, p. 173-193.
  • Roland Mousnier, « Recherches sur les soulèvements populaires en France avant la Fronde », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 5, n°2, Avril-juin 1958, p. 81-113.
  • Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Le Seuil, 2002.
  • Boris Porchnev, Les soulèvements en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1978.




Citer cette notice:

Thomas Boullu, « Rébellion » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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