Domaine
Comprendre les
rapports de la Ferme générale avec le domaine n’est pas
chose aisée. Le Conseil du roi lui confia non seulement la
perception de droits de type régalien et seigneuriaux
(amortissement, franc-fief, lods et ventes ou aubaine,
bâtardise, déshérence, amendes, confiscations, droits de
greffe…), mais lui attribua un rôle majeur dans le
désengagement du domaine corporel (voir ci-dessous). La
fiscalité domaniale se développa ensuite avec les droits
d’enregistrement (contrôle des actes créé en 1693, centième
denier créé en 1703) ou les
droits des hypothèques (1771). Dès le bail Fauconnet (1681
-1687), la Ferme générale
régit des droits domaniaux, le plus souvent en sous-fermes, les
sous-fermiers fractionnant également leurs baux au sein
d’une généralité. Après diverses péripéties, elle recouvra
l’ensemble de ces droits en 1726
et jusqu’en 1780.
L’« Administration générale des domaines » créée par
Jacques Necker en 1780
déchargea la Ferme générale de toute gestion des domaines.
A cette époque, le domaine incorporel l’emportait de
beaucoup dans les recettes domaniales : la gestion du
domaine corporel, outre qu’elle était souvent grevée
d’engagements, se révéla très peu efficiente, nécessitant
une administration coûteuse qui réduisait les produits à
presque rien. En 1781, Necker
évalua à 1, 5 million la recette du domaine corporel dans
son Compte-rendu au roi. Les profits tirés du domaine
incorporel étaient plus importants. La nouvelle
administration de Necker gérait tous les droits ainsi que
les abonnements des provinces où il n’était pas perçu de
contrôle (Artois, Cambrésis, Flandre, Hainaut). La rigueur de la gestion, assimilable à
celle dont fit preuve la régie générale des aides, permit le versement
annuel d’environ 50 millions net par an au Trésor, ce qui,
par rapport au prix annuel avancé par les cautions du bail
Carlier (1726-1732) pour les domaines de
France (11, 5 millions) représentait une augmentation
conséquente, plus du quadruple. Pour ces mêmes droits, la
Ferme régla 13,5 millions par an entre 1732 et 1738,
14, 5 millions entre 1738 et
1744 (incluant cependant
le Domaine d’Occident).
La Ferme générale se trouvait partie prenante soit comme
agent fiscal et de contrôle chargée de faire valoir le
prélèvement des droits domaniaux, soit comme acteur du
domaine, chargée aussi de la préservation de ce dernier.
Sa
fonction fiscale est assez simple à présenter, encore que
la diversité des droits domaniaux qu’elle prélevait doit
être soulignée : outre les droits d’insinuations laïques,
petit-scel, amortissement, franc-fief et nouvel acquêt,
les droits d’enregistrement pour lesquels elle disposait
depuis 1699 d’un pouvoir de
contrôle général des registres des notaires, même dans les
lieux exemptés de ces droits, elle était amenée à lever
des droits de consommation ou de circulation qui, tout en
étant assimilés aux aides ou
aux traites, relevaient
par nature du domaine, comme les traites domaniales. Les
dernières impositions domaniales firent cependant l’objet
de régies particulières, tant pour le droit du centième
des immeubles fictifs établis par la déclaration des 20 et
27 mars 1748 que pour les
droits sur les hypothèques (1771) dont la Ferme générale n’eut donc pas
connaissance. A l’hôtel des Fermes à Paris, neuf bureaux
de correspondance des domaines, comprenant chacun un
directeur, un sous-chef, deux vérificateurs, un commis
principal et quatre commis aux écritures, suivaient les
affaires domaniales avec les généralités. La Ferme
générale requérait souvent pour faire valoir ses droits.
En novembre 1773 par exemple,
l’adjudicataire
Alaterre présenta une requête pour faire cesser la
résistance des habitants de Noirmoutier à payer les droits
du centième denier, sous couvert de privilège.
Sa fonction
domaniale est plus ambiguë. Comme dans le cas du Domaine
d’Occident, la compagnie
financière régissait une part du domaine corporel comme
les salines, rattachées au domaine par arrêt du 11 octobre
1663 faisant valoir la
propriété du Roi sur tous les salins et minéraux de
France. Il faut surtout noter que le Conseil du roi
utilisait la Ferme générale pour désengager le domaine
corporel. La compagnie en prenait possession au nom du
roi, entrait dans la jouissance des terres louées et en
percevait les produits pour le compte du souverain. Dans
ce cas, la recette faite par la Ferme générale au titre
des domaines engagés apparaissait dans les comptes des
receveurs généraux des domaines et bois. Etablis dans
chaque généralité depuis 1685,
ces derniers présentaient deux états au vrai distincts au
bureau des finances, l’un portant sur la gestion des bois,
l’autre portant sur la gestion des domaines réels. Ce
dernier état faisait apparaître en recette les versements
des sous-fermiers des droits des domaines engagés baillés
à la Ferme générale. Le receveur général des domaines de
Touraine fit par
exemple recette en 1767 de
frais de justice pour un montant de 5 512 livres, d’une
imposition directe pour 15 608 livres, et des fonds de la
Ferme générale comptés pour la généralité de
Tours à hauteur de 55 179 livres, soit 72
% de la recette. Terray intensifia la recherche des
domaines aliénés et leur désengagement. En 1773, il en confia la gestion
dans toutes les généralités aux cautions de Nicolas
Sausseret pour trente ans moyennant un prix annuel de
1 564 000 livres, payables d’avance. Il s’agissait d’une
opération d’envergure qui effraya nombre de grands et
petits propriétaires dans tout le royaume. Turgot revint
sur cette cession néanmoins et confia la gestion de ces
droits pour neuf ans à une autre régie, celle de Jean
Berthaux. Le cas de la Bretagne demeura à part : en 1759, en pleine guerre de Sept-Ans, le Contrôleur
général Boullongne et Choiseul avaient aliéné aux états
provinciaux de
Bretagne l’ensemble des droits compris dans la ferme du
domaine de la province, ainsi que des droits annexes de
billot, de timbre…, le tout pour quarante millions. Les
états en tirèrent un profit certain car les revenus des
droits aliénés dépassaient le montant des intérêts de
l’emprunt de quarante millions fait pour le roi. Terray
utilisa le bail Alaterre pour reprendre possession des
droits domaniaux de Bretagne. De
même, Turgot confia la gestion de ces droits bretons au
bail Laurent David.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, D VI carton 15, dossier 154 : Mémoires et états relatifs aux produits des droits perçus par l’administration des Domaines entre 1787 et 1790).
- AN, G2, 167 à 169 : régie des domaines et droits domaniaux.
- AN, H1 85 : « Droits domaniaux de la Couronne et impositions diverses en Béarn, Navarre, Quatre-Vallées, Nébouzan, Bigorre et comté de Foix : 1523-1789 ».
- AN H1 338-339 : « affaire des domaniaux cédés par le roi à la Bretagne », XVIIIe.
- AN H1 1457 : « Revenus de la Couronne en Picardie, 1709-1778 ».
- AN H1 158847 : Statistique financière pour toutes les généralités, reprenant tous les droits, dont les droits domaniaux, XVIIIe siècle (vers 1776), 199 f°.
- AN, K 887, Monuments historiques – Finances, dont 25: Etat de tous les domaines du roi dans le bail Fauconnet, 1686 27 et 28: Etat nouveaux des sous-fermes des Domaines.
- AN, Q3 cartons 1 à 186.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil du roi concernant les droits du centième denier à Noirmoutier, 13 novembre 1770.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui ordonne qu'il sera passé bail à Nicolas Sausseret, pour trente années, à compter du 1er janvier 1775, des domaines et droits domaniaux appartenant à S. M. dans les généralités de Toulouse, Montpellier, Auch, Montauban et Bordeaux, ensemble dans les provinces de Béarn, Navarre et pays de Foix et de Roussillon…, 30 octobre 1773.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui ordonne que Jean Berthaux sera mis en possession de la régie des domaines et droits domaniaux appartenant à Sa M. pour le temps et espace de neuf années entières et consécutives, à commencer du 1er janvier 1775, 22 décembre 1774.
- Bosquet, Dictionnaire raisonné des domaines et droits domaniaux, ou Traité du domaine, 2e éd., 4 vol., Rennes, veuve Vatar, 1782-1784.
- Necker, Compte-rendu au Roi par M. Necker, directeur général des Finances, au mois de janvier 1781, Imprimerie royale, 1781.
- Necker, Nouveaux éclaircissements sur le compte rendu au Roi en 1781, Panckoucke, 1788.
- De l’administration des finances de la France, 3 vol., s.l., 1784 ou 1785 selon les tirages.
- Correspondance de M. Necker avec M. de Calonne (29 janvier-28 février 1787), 1787 (BNF, Lb39 347 C).
-
Bibliographie scientifique:
- Pierre-François Boncerf, Les inconvénients des droits féodaux, 1776.
- Victor Flour de Saint-Genis, Histoire documentaire et philosophique de l'administration des domaines des origines à 1900, 2 vol., Le Havre, 1901-1903.
- Alain Guéry, « Les finances de la monarchie française sous l’Ancien régime », Annales E.S.C., vol. 2, 1978, p. 219-235.
- John.-F. Bosher, French Finances. From business to bureaucracy 1770-1795, Londres, Cambridge university Press, 1970.
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- Jean-Paul Massaloux, La régie de l’enregistrement et des domaines au XVIIIe siècle, Genève, éditions Droz, 1989.
- Xavier Godin, Réformer le domaine de la Couronne en Bretagne sous le règne de Louis XIV, 2004.
- François Caillou, Une administration royale d’ancien régime : le bureau des finances de Tours, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2005, p. 302.
- Marie-Laure, La banqueroute de l’Etat royal : la gestion des finances publiques de Colbert à la Révolution, Paris, EHESS, 2011.
- Thierry Claeys, Les institutions financières en France au XVIIIe siècle, Paris, SPM, 2011, tome 1, p. 251-257 p. 292- 296.
Domaine » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :