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Contrainte

Mathieu Perrin





Du latin cogere ou constringere, contraindre consiste généralement à forcer une personne, à l’obliger avec violence, de sorte qu’elle souffre ou fasse quelque chose contre son gré, avec gêne et incommodité. Les lexiques convergent alors en un point : la violence, celle même dépeinte en introduction du subversif conte philosophique de Voltaire L’homme aux quarante écus (1767), est indissociable de la notion. Pour preuve, elle peut également s’entendre des violences légitimes qui se font sur ordres de la justice. La contrainte est donc un terme de palais ou de jurisprudence, polysémique de surcroît. Tout d’abord, elle inclut les différentes voies d’exécution ouvertes en vue de forcer quelqu’un à faire ce à quoi il est obligé ou condamné. De plus, elle renvoie à l’acte qui, une fois signifié par un huissier ou un sergent, justifie sa dette au destinataire, tout comme elle exprime le titre même, un jugement ou une ordonnance, qui autorise à saisir, à vendre, ou à emprisonner l’obligé. Pour les juristes, la contrainte englobe ainsi l’acte, le titre qui le fonde, et la mesure en découle.

La notion a évolué à mesure que se perfectionne la lexicographie, au point qu’elle a acquis une acception en matière de finances. En ce sens, la contrainte s’emploie pour désigner un pouvoir – celui de décerner et d’expédier des contraintes contre les redevables – dont jouissent les fermiers contre les redevables de l’impôt. Encore rare au XVIIe siècle – « on a délivré des contraintes pour le paiement de ces taxes », illustre notamment le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière en 1690 – cette définition se consolide au siècle suivant. À cet égard, l’exemple des Ferrière est saisissant : alors que Claude ne consacre aucune entrée dans l’édition de 1689 de son Introduction à la pratique, son fils, Claude-Joseph, précise dans le Dictionnaire des termes de pratique de 1734 que « l’on appelle particulièrement contrainte les ordres des Fermiers, Receveurs et autres personnes, qui perçoivent les droits du Roi ».

Cette plurivocité est saisissante chez Lefebvre de La Bellande, Brunet ou encore Guyot, qui proposent une description détaillée de la notion en matière d’aides. En préambule, ces auteurs fournissent une précision importante : la contrainte est entendue en tant qu’acte décerné par le fermier ou ses procureurs, sur le relevé des registres des déclarations et congés. Plus précisément même, elle est le produit de plusieurs formalités qui sont, à peine de nullité, portées en tête de tous les futurs exploits et procès-verbaux d’exécution.

D’abord, les commis dressent un état de contrainte : cet écrit libellé contient le nom du redevable, la quantité et la nature des boissons, les sommes dues pour chaque droit et le total de chaque article indiqué en toutes lettres et hors ligne. Ensuite, cet état est certifié par le directeur des aides qui, par ce biais, affirme la véracité des informations. Dans le même temps, une requête est adressée à un officier de l’élection ou au juge des fermes1, afin qu’il approuve la mise à exécution de l’acte en apposant son visa « sur l’instant », avant de parapher et de sceller chaque page de la contrainte. Ce faisant, la contrainte est exécutoire « par provision », sauf le recours dont le redevable pourrait se pourvoir pour former opposition. Le débiteur se voit quant à lui signifier l’ensemble de ces extraits, avec un commandement de payer, dont la fonction est double : il l’informe et le met en demeure, tout en constituant un point de départ. En effet, si le débiteur s’acquitte de la somme réclamée sous huitaine, la déclaration du 17 février 1688 l’exempte des frais de contrôle et du papier timbré pour le commandement.

À travers ces développements, la contrainte s’affirme en tant que notion polysémique. Elle est à la fois un acte, qui est décerné en vertu du pouvoir de contraindre procuré au fermier, tout comme elle constitue un titre exécutoire, qui sanctionne l’inexécution de son obligation par le débiteur. Cependant, qu’en est-il de la contrainte comprise en tant que synonyme de « saisie », ce terme générique qui signifie une voie d’exécution ? Or, un constat s’impose : en général, les sources n’apportent que très peu de précisions concernant ces voies légales de recouvrement utilisées par la compagnie. Si ce mutisme relatif est tangible, il n’est pas pour autant inexplicable. D’abord, parce qu’un truisme est de rigueur en la matière : une saisie « et ses éclats fâcheux », comme le dit Pigeau, sont en principe évitables, par le paiement du débiteur, ou par la conclusion d’un accommodement avec la ferme sa créancière ; ensuite, parce que comprise comme telle, la contrainte recouvre un modus operandi précis, régi par la procédure civile.

Spécialement accordées dans les baux et exercées en vertu d’un serment en justice, ces voies d’exécution concernent tant les biens immeubles ou meubles du débiteur: dans le premier cas, la procédure se nomme saisie-réelle ; dans le second, elle prend l’appellation de saisie-exécution, qui occupera la majorité des développements à venir. L’objectif est limpide : il s’agit de geler le patrimoine du redevable, jusqu’à une vente, dont le produit payera le fermier.

L’article 572 du bail Carlier, reconduit dans le bail Forceville, dispose que dans le Dauphiné, le Languedoc, le Roussillon, en Auvergne, mais aussi Franche-Comté, en Alsace, dans le Lyonnais, puis dans les Flandres ou encore le Hainaut, toutes les fonctions d’Huissier peuvent être exercées par un commis, depuis les exploits jusqu’à la saisie, en passant par leurs significations. Ceci, à l’exception des ventes, qui ne peuvent avoir lieu qu’en la présence d’un officier des lieux, ou de sa permission. Du reste, la compagnie est « libre de se servir de tel huissier que bon lui semblera ». Cette faculté a notamment été rappelée par un arrêt du Conseil du 1er décembre 1731.

À l’exception des dimanches et jours de fête, l’instrumentaire, accompagné de ses « records » qui lui serviront de témoins, se rendent au domicile du débiteur qui, dans le meilleur des cas, est présent et lui ouvre sa porte. L’huissier dresse un procès-verbal, dans lequel il inventorie et décrit les meubles présents sur place, avant d’en signifier copie. Ici, une seule question doit l’animer : quels biens peut-il saisir ? En effet, la loi, pour des raisons d’intérêt public, déclare certains biens insaisissables : il en va ainsi des animaux et des ustensiles indispensables au commerce ou à la culture de la terre. De même, et pour des raisons d’équité et d’humanité, il est d’usage de laisser sur place tout ce qui est nécessaire pour le coucher, pour se vêtir et quelques menues denrées pour se nourrir.

Une fois le procès-verbal dressé, s’ouvre un délai de huit jours francs, ultime main tendue au débiteur afin qu’il paie. Si tel n’est pas le cas, la vente a lieu avec l’autorisation d’un juge. La date et l’heure de la vente sont signifiées au saisi, en général un jour de marché public. Les meubles sont vendus aux enchérisseurs les plus offrants, qui paient sur le champ. Le produit de la vente est enfin remis au saisissant, jusqu’à concurrence de ce qui lui est dû. Deux arrêts du Conseil, l’un daté du 27 juillet 1706, l’autre le confirmant le 8 novembre 1712, exemptent les fermiers généraux de payer les droits attribués aux commissaires aux prisées et ventes sur les meubles, marchandises et autres effets provenant de saisies ou de confiscation et qui seront vendus à leur requête.

Deux éléments restent à noter : d’une part, les gages des commis et autres employés de la ferme sont insaisissables ; d’autre part, lorsque le saisi est une personne préposée au maniement des deniers royaux, la couronne jouit d’une préférence de payement sur tous les créanciers antérieurs, à l’exception des dettes de loyer, des frais funéraires ou de justice.

Si la célérité est un gage d’efficacité de la saisie-exécution, plusieurs éléments en constituent de véritables « assurances », dans un souci de rationalité. La première est que l’huissier peut se rendre dans n’importe quel lieu où les meubles sont susceptibles d’être. Cela signifie qu’il peut se rendre chez un tiers, lui-même débiteur du débiteur poursuivi. On parle alors de saisie-arrêt à la différence que, contrairement aux règles de la procédure civile, nul besoin pour le fermier saisissant de requérir la permission d’un juge ordinaire. La deuxième assurance concerne le procès-verbal de saisie. Avec cet acte, l’huissier interpelle une personne et la constitue gardienne des meubles. Il peut s’agir du débiteur lui-même ou de toute autre personne, tant que celle-ci est solvable, capable en droit, et qu’elle n’a pas de lien de parenté avec l’huissier. Cette formalité qualifiée « d’immémoriale » est indispensable puisque, sans elle, le débiteur pourrait détourner ces meubles et en substituer d’autres, de moindre valeur. D’ailleurs, les gardiens sont, dans le cadre de leur commission, contraignables par corps.

Dans les sources, les développements ayant trait à la contrainte par corps ont la part belle. La plupart des lexiques lui consacre d’ailleurs une entrée spécifique avec, en guise d’introduction, quelques propos retraçant l’historique pluriséculaire de la pratique, depuis la Loi des XII Tables jusqu’au droit romain, en passant par le règne de Bakenranef en Égypte et les réformes de Solon à Athènes. En 2008, Pierre-Cyrille Hautcœur recensait 486 références du catalogue de la BNF comportant l’expression « contrainte par corps » dans le titre. Depuis l’Antiquité à son abolition finale en France en 1867, l’emprisonnement pour dettes est un objet d’étude dont se sont amplement saisis les juristes, les historiens et les politistes.

En pratique pourtant, la contrainte par corps n’est que le préalable d’une saisie mobilière, qui en est la suite logique. Dès lors, la prise par corps ne donne pas le droit de s’emparer des meubles, jusqu’à concurrence de ce qui est dû : elle doit être suivie d’un jugement qui liquide la somme due, et qui l’adjuge. Pour le fermier, la contrainte par corps est avant tout un moyen efficient de prévention : « s’assurer de la personne » du débiteur, en requérant son arrestation, signifie assurer le gel de ses effets, et même d’empêcher toute intelligence et communication avec d’éventuels complices, prompts à dissimuler le divertissement des deniers.

Présentée comme une « épreuve de solvabilité », cette voie d’exécution doit, selon plusieurs juristes d’Ancien Régime, être accordée par un juge avec circonspection et être requise par un créancier avec commisération. Outre l’importance de la qualité des personnes qui la subissent, elle met en évidence la nature spécifique de la dette qu’elle contribue à recouvrer.

À cet égard, impossible d’ignorer le « Toutes debtes du Roy sont payables par corps ». Notamment diffusé dans les célèbres Institutes coutumières d’Antoine Loisel, ce brocard traduit un principe fort ancien : Louis IX le consacrait déjà à l’article 17 de son ordonnance pour l’utilité du royaume de 1256, en prohibant l’emprisonnement de ses sujets pour dette, à l’exception de celles contractées envers la couronne. Dans l’ordonnance civile du mois d’avril 1667, le rappel est non équivoque : les dispositions de l’article V insérées dans le titre XXXIV précisent que, malgré l’abrogation notable de l’usage de la contrainte par corps « après les quatre mois » pour les dettes purement civiles, le souverain n’entend pas déroger « au privilege des deniers royaux ».

Si le précepte semble constant et intangible, tous les redevables de l’impôt sont-ils contraignables par corps ? L’ordonnance du 22 juillet 1681 opère, à l’article XLII de son titre commun à toutes les fermes, un renvoi aux dispositions de l’ordonnance de mai 1680. Bien que les particuliers soient, en principe, non soumis à la contrainte par corps, quelques cas font office d’exceptions : il en va ainsi des hôteliers, taverniers et cabaretiers redevables de droits de détail sur le vin, les eaux-de-vie, la bière et le cidre, ou encore des redevables des droits de gros et d’augmentation pour les dépens et confiscations, si la condamnation est supérieure à 200 livres. De plus, un arrêt du Conseil du Roi, daté du 24 août 1728, retient que les condamnés pour rébellion, fraudes et contraventions aux droits des fermes peuvent être contraints par corps pour le paiement de leur amende.

Sur le fondement de l’article XII de l’ordonnance de 1681, le fermier est autorisé à décerner des contraintes à l’encontre de ses procureurs et commis, mis en demeure de « compter et payer ». Cette délégation n’est pas qu’une manifestation directe du privilège des deniers royaux. Elle en constitue une extension significative, à la fois fondée sur la qualité des personnes, mais aussi des deniers. Les procureurs et commis des fermes, leurs véritables dépositaires, ne peuvent ainsi s’en servir au préjudice de celui qui les leur confie. Aussi doivent-ils pourvoir à leur tâche avec probité et « ne pas s’exposer non seulement à la perte de leur honneur, mais à finir leurs jours de la manière la plus triste, et la plus malheureuse », comme le souligne Buterne, administrateur et auteur du Dictionnaire de législation, de jurisprudence et de finances sur toutes les fermes unies de France. Par suite, une déclaration royale du 13 juin 1705 autorise les fermiers à exercer la contrainte par corps contre leurs associés, pour le recours des sommes qu’ils auront payées pour eux.

Deux conséquences notables en résultent. Premièrement, les procureurs et commis des fermes, mais aussi tous les débiteurs contraignables par corps au payement des droits royaux, se voient refuser le bénéfice de la cession de biens. En principe, cette grâce – qui d’ordinaire consiste à se mettre « à couvert » de toutes poursuites, en abandonnant tous les biens aux créanciers – leur est déniée à titre de dissuasion. Il s’agit de les détourner du divertissement de deniers ou péculat, crime qui, en intéressant l’ordre public, est puni de sévères peines afflictives.

Secondement, le privilège des deniers royaux l’emporte sur un autre. Il déroge en effet au « privilège des septuagénaires », selon lequel prohibition est faite d’emprisonner les personnes âgées de 70 ans accomplis pour dettes civiles. En mars 1716 et sur le fondement du « privilège singulier » des deniers royaux, le Parlement de Paris confirme une sentence du Châtelet, qui rejetait la demande d’élargissement du dénommé Mazens, débiteur d’une somme de 49000 livres envers la Ferme générale. Un demi-siècle plus tard, l’arrêt de la Cour des aides de Paris du 23 mai 1783 déboute un débiteur octogénaire demandant à être déchargé de la contrainte par corps. Cette solution prétorienne sous-entend notamment une crainte ou plutôt, une appréhension : celle de voir la malice et les fraudes croître à mesure que les comptables gagnent en âge, étant certains de l’impunité en la matière.

À ce titre, quelques règles particulières sont applicables lorsque la contrainte concerne le fermier ou ses préposés. Tout d’abord, l’ensemble des titres et exploits doivent être signifiés à l’hôtel des Fermes, considéré par fiction comme le domicile du débiteur. De plus, aucune contrainte ne saurait être mise à exécution avant l’expiration d’un délai de huit jours, suivant la communication des pièces au receveur général des fermes à Paris contre récépissé, à peine pour l’huissier de s’exposer à une amende de 3000 livres. En 1778, des lettres patentes règlent la manière dont les arrêts, sentences, jugements et contraintes doivent être mis à exécution contre l’adjudicataire des fermes générales, ou ses cautions.

La contrainte par corps impose de procéder au préalable à la capture du débiteur. Celle-ci consiste en l’appréhension d’une personne par un officier commis à cet effet, et en vertu d’un titre exécutoire. Plusieurs formalités sont à satisfaire en vue de prévenir le débiteur, à commencer par la signification du titre et d’un commandement. Alors que la compagnie supporte les frais de transport depuis le lieu de la capture jusqu’à celui du dépôt, la besogne est effectuée par les gardes du commerce à Paris et dans sa banlieue, ou un huissier, assisté de témoins dénommés « records », qui prêtent main-forte pour éviter toute rébellion. En matière de contrebande, elle peut même être assurée par les commis et gardes des fermes.

À peine de nullité, l’officier « écroue sur le registre de la prison », c’est-à-dire qu’il annote la date, l’identité du redevable, ainsi que le jugement et le motif en vertu desquels celui-ci est emprisonné. Il dresse également un procès-verbal, signifié au prisonnier. L’ensemble des frais est à la charge du fermier créancier. Parmi eux, figurent toutefois une importante exemption, rappelée par deux arrêts du Conseil, datés de 1690 et 1727 : le « gîte et au geôlage », notion dont les contours demeurent parfois difficiles à cerner.

Les recherches de Jean Clinquart menées dans les archives valenciennoises brossent le portrait de ces fraudeurs qui, incapables de s’accommoder avec la Ferme, ne peuvent éviter la prison : dépourvus de ressources, ces indigents n’ont bien souvent rien à perdre, à tel point que certains d’entre eux préfèrent être nourris en cellule, plutôt que d’être libres, mais en mourant de faim. De plus, un état établi par la direction de la Ferme en 1787 informe de la durée des mises en détention d’individus, consécutives à des contraintes par corps exécutées en vertu d’un jugement de l’intendant : celles-ci varient entre un mois au plus, jusqu’à deux ans et six mois. Pour la compagnie, une détention prolongée ne constitue guère une opération viable : les frais de geôlage apparaissent dès lors comme une dépense inutile, de sorte que certains sont élargis sans contrepartie, en raison de leur insolvabilité.

En 1790, David livre au public ses idées sur la prochaine organisation du régime fiscal français. En conclusion, cet ancien préposé de la Ferme générale expose des notes, ou plutôt des doutes, concernant la proposition de conserver les fermiers généraux et de les réduire au nombre de douze. L’auteur questionne notamment leur capacité à prendre « ce nouvel esprit public qui doit diriger toutes les parties de l’administration », eux qui, caractérisés par « une longue habitude de dureté », ne semblent jamais avoir été prompts à « accorder des facilités », réduire le nombre de contraintes décernées, exécuter « moins de violence », et quitter « cette verge de fer, avec laquelle ils gouvernent le commerce ». Selon lui, la prise de corps est une arme, une « magistrature terrible » dont il est « si difficile de ne pas abuser » : est-il encore tenable de la confier « aveuglément » entre les mains des fermiers, s’interroge-t-il.

Ce questionnement trouve un écho en mars 1793, lorsque la Convention nationale abroge la contrainte par corps, après que Danton l’ait qualifiée d’« honte pour l’humanité », sous les vifs applaudissements de ses pairs. Seul Mallarmé ose néanmoins ce bémol : une exception, consistant à ne pas rendre la liberté aux receveurs des deniers publics. Si sa requête n’a attisé que les murmures de l’assemblée, toujours est-il qu’elle était prémonitoire. Retardée dans son exécution et source d’abus manifestes, la loi du 9 mars 1793, qui abolit la contrainte par corps, sera rapidement assortie du décret du 30 mars 1793, portant que les comptables des deniers publics seront poursuivis, même par cette voie, pour l’exécution de leurs engagements.

Cette illustration traduit parfaitement les caractéristiques de la contrainte par corps. Parfois assimilée à une peine en raison de son ignominie dans les discours politiques, souvent prééminente par rapport au terme générique de contrainte dans les lexiques, la notion heurte, à la fois en tant que voie d’exécution, mais aussi en tant que mécanisme d’exceptions. Aussi est-elle indissociable du fonctionnement de la Ferme générale. Mise en œuvre par la compagnie pour rappeler ses obligés à leurs engagements, elle répond à un impératif de rationalité, tout en s’inscrivant pleinement dans la culture du privilège inhérente à cette institution d’Ancien Régime.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • An G1 1 – 2, Répertoire alphabétique d’édits, déclarations et arrêts du Conseil concernant les droits perçus par les fermes (lettres de A à S).
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  • An E722, Arrêt du Conseil, 18 juillet 1702.
  • An E1177B, Arrêt du Conseil, 31 janvier 1741.
  • An E813B, Arrêt du Conseil, 22 février 1710.
  • An E1133A, Arrêt du Conseil, 5 février 1737.
  • An E821A, Arrêt du Conseil, 7 octobre 1710.
  • An E858B, Arrêt du Conseil, 12 décembre 1713.
  • An E1074B, Arrêt du Conseil, 30 octobre 1731.
  • An E1642B, Arrêt du Conseil, 18 avril 1786.
  • An E591B, Arrêt du Conseil, 23 août 1690.

    Sources imprimées:
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  • Antoine Loisel, Institutes coustumieres ou manuel de plusieurs et diverses reigles, sentences, et proverbes tant anciens que modernes du Droict Coustumier et plus ordinaire de France, Paris, Abel L’Angelier, 1607.
  • Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première série (1787-1799), Paris, Paul Dupont, 1901.
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  • Daniel Jousse, Nouveau commentaire sur l’Ordonnance civile du mois d’avril 1667, Paris, Debure, 1757.
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  • François-André Isambert et Alphonse-Honoré Taillandier, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur, 1821-1833.
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  • Jean-Louis Lefebvre de La Bellande, Traité des droits d’Aides, Paris, Chez Pierre Prault, 1760.
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  • Pierre-Jacques Brillon, Nouveau dictionnaire civil et canonique de droit et de pratique, Paris, Chez Augustin Besoigne, 1697.
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    Bibliographie scientifique:
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  • Jean Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, CHEFF, 1995.
  • David Deroussin, Histoire du droit des obligations, Paris (2e édition), Éditions Économica, 2012.
  • Pierre-Cyrille Hautcœur, « La statistique et la lutte contre la contrainte par corps », Histoire et Mesure, XXIII-1, 2008, p. 167-189.
  • Marie-Laure Legay, « 1775 : l’abolition de la contrainte solidaire en France », in Benoît Garnot (dir.), Justice et argent. Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIe siècle, Coll. Sociétés, Éditions Universitaires de Dijon, 2005, p.
  • Nadine Levratto, « Abolition de la contrainte par corps et évolution du capitalisme au XIXe siècle », Économie et institutions, 10-11, 2007, p. 221-249.




Citer cette notice:

Mathieu Perrin, « Contrainte » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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