Marie-Laure Legay
La prohibition
avait soit une portée générale, soit une portée relative; dans ce dernier cas, les conditions d’entrée dans le royaume par certains ports ou certains bureaux étaient strictement définies. Pour les draps, étoffes, ouvrages de bonneterie
de laine par exemple, Calais et Saint-Valéry dans la Somme
étaient seuls autorisés comme ports d’entrée. Les droits
sur ces étoffes étaient dissuasifs. Le Conseil
considérait que ces dispositions devaient suffire à
protéger l’ensemble de la production lainière nationale, y
compris jusqu’à Marseille. Pour ce port situé à l’opposé de Calais, il fallut donc
confirmer l’interdiction d’entrée des lainages (1703 et 1767).
Parmi les prohibitions strictes: celle des toiles de coton indiennes entre 1686 et 1759, tant leur fabrication que leur commerce. Les toiles de lin et de chanvre, puis les toiles de fil teint, et finalement les toiles de coton blanches et mousselines (1691) et les siamoises (1701) furent également interdites, mais la législation ne parvint pas à endiguer le trafic illicite. Une intense activité de contrebande se développa depuis la Suisse en particulier : camelots, porte-à-col, plus tard Mandrin, en tirèrent des toiles imprimées façon indienne pour les introduire en France. Cette contrebande fut combattue par un arsenal répressif sévère, rappelé notamment dans l’édit de juillet 1717 (des amendes de 3 000 livres furent prévues pour tous les acteurs de ce commerce illégal), dans celui d’octobre 1726 (peines de mort pour les contrebandiers armés et les commis de la Ferme impliqué dans le trafic) et dans la déclaration du 2 août 1729.
Les saisies de marchandises prohibées destinées au grand commerce et dont la valeur était importante ne donnaient pas lieu aux mêmes procédures que les saisies de denrées fraudées comme le sel, le tabac, le vin. Celles-ci étaient traitées à l’échelle locale et les marchandises étaient acheminées au grenier à sel ou au dépôt des tabacs du roi. Les prohibées en revanche nécessitaient un traitement spécial à Paris. La délibération du 7 octobre 1752 pour le partage des captures indiquait en particulier dans son article 6 : « Les marchandises prohibées, telles que toiles de coton blanches ou peintes, les mousselines, écorces d’arbres, satins, gazes et taffetas, pièces de damas et étoffes d’argent ou d’or seront déposées au bureau du stipulant pour être envoyées au magasin général de Paris sur les ordres de la Compagnie ». Pour les toiles peintes, la fabrication fut autorisée en 1759, mais les tarifs à l’importation demeurèrent prohibitifs. Des consignes strictes furent encore données en 1764 : obligation de rédiger des procès-verbaux précis, de les accompagner d’une copie certifiée et d’échantillons numérotés et enliassés à transmettre à Paris. Trois mois après la signification du jugement rendu, s’il n’était intervenu ni appel aux cours souveraines, ni réclamation au Conseil, les marchandises elles-mêmes étaient envoyées au bureau du dépôt à l’adresse de M. Desseaux. Dans le cas d’un procès en cours, l’envoi était différé jusqu’au jugement définitif. Les marchandises prohibées étaient soigneusement emballées et envoyées par la première voiture publique qui partait après la date de l’expiration des trois mois. Ce transport était lui-même accompagné d’une copie des procès-verbaux de saisie, d’une copie des jugements de confiscation et d’un état de frais et avances que les receveurs du bureau des traites concerné faisaient valoir à l’administration centrale. En même temps que l’envoi au bureau du dépôt, les receveurs devaient donner avis à M. Bouillac, chargé de la correspondance du prohibé par lettre, du jour du départ et de l’arrivée à Paris en dénommant la voiture chargée des marchandises. La valeur des marchandises justifiait ces précautions. Cette manne expliquait aussi les raisons pour lesquelles des conflits éclatèrent entre les employés des bureaux des traites et les capitaines généraux chargés de l’acheminement des marchandises jusqu’aux douanes pour savoir comment répartir les bénéfices liés aux captures.
A Paris, d’après Lavoisier, le bureau général de la correspondance des traites prohibées et passeports comprenait un directeur, un chef, 3 sous-chefs, 1 inspecteur, 2 premiers commis et 4 commis aux écritures. A ce bureau s’ajoutait donc le magasin du prohibé, tenu par un garde-magasin et un commis. Dans tous les cas, des accommodements étaient possibles. Thomas Boullu identifia 48 propositions d’accommodements en matière de marchandises prohibées dans la seule décennie 1780.
Malgré de nombreuses hésitations concernant les règles de droit pour certaines marchandises, le gouvernement assouplit progressivement sa politique restrictive sous l’effet du développement des idées libérales. En 1755, Forbonnais publia son Examen des avantages et désavantages de la prohibition des toiles peintes. Vincent Gournay et l’abbé Morellet discutèrent publiquement de la question. Toutefois, l’évolution fut lente. L’emblématique traité d’Eden-Rayneval (septembre 1786) fut précédé d’un durcissement des relations commerciales entre la France et l’Angleterre. Durant la guerre d’Indépendance d’Amérique (1778-1783), la contrebande atteignit un point culminant. A Bordeaux, « les navires étrangers qui viennent en très grand nombre depuis la guerre ont presque tous des marchandises prohibées de toute espèce. Telle exactitude qu’apportent les employés, il s’en introduit une très grande quantité. Un objet aussi important a fait la matière d’un mémoire de la Ferme générale et le Conseil a reconnu la nécessité où l’on est de maintenir l’exécution des règlements en fait de prohibitions. C’est le seul moyen que l’on puisse employer pour s’opposer à l’introduction dans le royaume de marchandises de contrebande » (Mémoire du 22 octobre 1782). Dans la direction des traites de Lyon, les saisies effectuées par les commis de la Ferme en un an (octobre 1780-octobre 1781) portèrent quasi toutes sur des marchandises prohibées : au bureau de Lyon : 20 saisies, dont 15 sur les toiles teintées en coton venant non de France mais de l’étranger, 3 sur les glaces prohibées, 1 sur la soie, et 1 sur la laine ; au bureau de Seyssel : 5 cas dont 3 sur des mouchoirs arrivant frauduleusement de Savoie ; au bureau de Longeray : 18 cas portant sur les soies venant de Genève, les mousselines et indiennes venant du pays de Gex, les toiles de coton arrivant de Savoie. Par exemple, la saisie faite le 21 mai 1781 concerna 3 coupons d’indienne, 6 coupons de mousseline, 6 coupons de toile de coton unie, et 13 livres de sel de Peccais, le tout en un ballot que le contrebandier colportait sur son dos du pays de Gex dans le Bugey.
L’arrêt du 17 juillet 1785 confirma toutes les prohibitions générales prononcées par les ordonnances et règlements rendus depuis 1687 (article 1) ; l’article 2 prohiba les marchandises anglaises autres que celles annexées qui pouvaient entrer en payant les droits fixés par l’arrêt du 6 septembre 1701 et suivants. L’attribution aux intendants de la compétence juridictionnelle en matière de prohibitions fut confirmée. Une décision du 28 avril 1786 défendit à tous les employés de la Ferme générale de transiger sur les saisies de prohibé. Les propositions d’accommodement devaient être transmises au directeur et le directeur en donnait connaissance à la compagnie.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Prohibition » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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