Rouen
Grenier à sel de Rouen : projet d’élévation de nouveaux pavillons, 1725
(BNF, département Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (45)-FOL ; Gallica)
Le port fut
reconnu comme principal porte d’entrée dans le royaume
pour de nombreuses marchandises. Bien qu’il disposât d’un
magasin de réexportation à partir de 1687, il fut surtout considéré comme un
centre de distribution vers l’intérieur du pays. Y
entraient prioritairement par rapport aux autres ports :
les épices dès 1549, le sucre (12 février 1665), le tabac étranger (1681), les castors (1685), les toiles
étrangères (1692), les cuirs étrangers (1718), le café (à partir de 1736). Vis-à-vis des drogueries et épiceries, la Chambre
de commerce de la ville participait à l’évaluation des
tarifs car elle était considérée comme « la plus à portée
d’en connaître la juste valeur » (AN, G1 79, dossier 4).
En revanche, si Rouen fut admise comme port d’entrée pour
les marchandises du Levant
(arrêt du 15 août 1685 pour le
paiement des droits de vingt pour cent ad valorem), ses
négociants durent se plier aux évaluations tarifaires de
la Chambre de commerce de Marseille. Au XVIIIe siècle toutefois, la
vocation coloniale de son port s’affirma. Rouen obtint le
privilège d’armement pour les îles américaines (patentes
d’avril 1717) et celui
d’armement pour l’Afrique (patentes de 1719) ; il devint entrepôt pour le cacao. A
la fin de l’Ancien régime, le complexe portuaire Le
Havre-Rouen captait 20 % du trafic colonial à l’entrée du
royaume.
Le centre rouannais distribuait le sel vers plus
d’une centaine de greniers
à partir du dépôt de Dieppedalle qui
recevait les sels de Marennes, de la Tremblade et du Seudres. Huit à neuf mille
muids de sel y étaient redistribués vers l’Ile-de-France,
la Champagne, la Bourgogne, le Soissonnais, par la Seine, l’Oise et l’Aisne, la Marne et
l’Yonne. Pour surveiller la manutention et lutter contre
les versements frauduleux, vingt employés, dont onze
gardes, deux patachiers
et deux matelots, surveillaient le dépôt. La direction des gabelles faisait état en
1787, en dehors du directeur général de la
Ferme et de son receveur général, de deux avocats et un procureur de la Ferme près
de la Cour des aides, d’un clerc
procureur, d’un procureur près de l’Election de Rouen, et
d’un agent général pour
toutes les parties. Le grenier de la ville, dressé sur de nouveaux plans en 1725, comptait quant à lui un
receveur, quatre gardes, un porteur de sel, un briseur, un
contrôleur des salines et un tonnelier.
Cette impressionnante
administration ne mit pas la ville à l’abri des fraudes. La plus commune
concernait les alcools, le sel et le tabac. Comme le reste
de la Normandie, Rouen cumulait toutes les taxes sur les boissons : droits
d’entrée (cinq sous anciens et
nouveaux), de quatrième,
de gros (à Rouen seulement),
de subvention, courtiers-jaugeurs et inspecteurs aux boissons. Cette accumulation explique
l’étendue de la fraude
rapportée dans un mémoire du fonds Monbret de la
bibliothèque de Rouen : « Les espèces de fraudes qui sont
les plus communes sont, les ventes au détail sans
déclaration, appellées vulgairement vente à muchepot, les
entrepôts que les cabaretiers font chez leurs voisins et
chez ceux qui ont communication avec leurs cabarets,
l’entrée en fraude des boissons dans les lieux qui sont
sujets aux droits de subvention qui ne se trouvent point
fermés de portes ny de barrières, le transport des
eaux-de-vie, cidre et poiré de la fabrication de la
province sans congé ny soumission pris au lieu
d’enlèvement d’où elles sont ainsy conduittes chez des
vendans en détail qui les cachent et les débitent en
fraude desdits droits de détail ou sont voiturées aux
environs de Roüen ou Caen, dans lesquelles villes on les
fait entrer nuitamment en fraude des droits de gros et de
détail ». Vis-à-vis du sel, le faux-saunage provenait
surtout des marchands de poissons : le débit de la pêche
devenait si important que le contrôleur des salines ne pouvait visiter
tous les barils sans compromettre le commerce. Le 13 mai
1718, trente
faux-sauniers entrèrent en lutte avec les archers (arrêt
de la Cour des Aides, 2 juin 1718).
Pour empêcher ce trafic de faux-sel par le
commerce des poissons, le directeur des gabelles de Rouen réunit
en 1727 les principaux
négociants de la ville, avec l’avocat, le procureur de la
ferme et le contrôleur du bureau de Pecq, près de Paris. Cette
concertation visait à engager les négociants à prendre
leurs acquits à caution
pour toutes les salines
destinées au port du Pecq. La Direction des gabelles entretenait à la fin de l’Ancien
régime cinq brigades à
Rouen, une sur la rive droite de la Seine (six employés), une brigade fluviale
appelée « biscayenne », du nom d’une petite embarcation à
rames (sept employés dont le pilote), et trois autres brigades de six
personnes. Une autre fraude massive fut repérée
tardivement : les détaillants du tabac dans la ville de Rouen, au nombre de onze, coupaient le tabac du
monopole en le mélangeant. Un plan de réforme des
détaillants fut donc arrêté par la délibération du 25
janvier 1788, mais le directeur de la Ferme
s’y opposa, « oppositions fondées, d’après les Fermiers,
plutôt sur les préjugés d’une routine ancienne et
vicieuse ». En réalité, le directeur relayait l’opposition
politique des Magistrats de la Cour des aides et du
Parlement vis-à-vis de la Ferme générale.
De même, la ville
n’était pas à l’abri de la contrebande. Le 30 septembre 1728 par exemple, treize
contrebandiers de tabac et d’indiennes entrèrent dans la
ville. La direction de la
Ferme fit évoluer ses brigades, mais ce ne fut guère suffisant. En 1767, la ville entra, comme le
reste de la Normandie, dans le ressort de la commission de Reims
chargée de juger les contrebandiers. En 1787, la brigade des traites de Rouen comptait 12 employés, 61 gardes et trois
matelots.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 73, pièce 17 ter : Direction des traites de Rouen : tableau des receveurs et employés existants dans les bureaux des fermes du département de Rouen au 1er octobre 1785.
- AN, G1 79, dossier 4.
- AN, G1 91, dossier 26 : « Salines du département de Rouen ».
- AN, G1 114 dossier 4, Rapport sur la réforme des débitants de tabac à Rouen, 31 octobre 1788.
- Bibliothèque de Rouen, Ms Montbret Y 15 : « Aides de Normandie, Manuscrit appartenant à M. Monteil », XVIIIe siècle.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que toutes les manufactures de toiles et étoffes de fil et de coton de toutes couleurs mêlées de soie et autres matières qui sont établies dans la Normandie, à l'exception de celles de Rouen et bourg de Dernetal, cesseront tout travail à commencer au 1er juillet de chaque année jusqu'au 15 septembre, 26 juin 1723.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui prescrit les formalités à observer par les raffineurs de Bordeaux, La Rochelle, Rouen et Dieppe pour jouir de la restitution des droits d'entrée sur les sucres par eux raffinés provenant des sucres bruts des îles et colonies françaises de l'Amérique et qu'ils enverront à l'étranger, 17 novembre 1733.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui déclare n'avoir entendu exempter du droit de consommation le poisson de mer pêché dans la Seine et porté à Rouen ordonne que les aloses et autres poissons de mer, quoique pêchés dans ladite rivière, acquitteront le droit à raison de 13 sols 5 denier par panier de quatre aloses et ainsi à proportion, 12 avril 1740.
- Lettres patentes du roi qui ordonnent que les généralités de Rouen, Caen et Alençon seront ajoutées, pour deux ans seulement, au ressort de la commission établie à Reims pour juger les contrebandiers, données à Versailles le 8 janvier 1767.
-
Bibliographie scientifique:
- Pierre Dardel, Navires et marchandises dans les ports de Rouen et du Havre au XVIIIe siècle, Paris, Sevpen, 1963.
- Jean-Pierre Bardet, Rouen au XVIIe et XVIIIe siècles : les mutations d’un espace social, Paris, SEDES, 1983.
- Vida Azimi, Un modèle administratif de l’ancien régime. Les commis de la Ferme générale et de la régie générale des aides, Paris, éditions du CNRS, 1987 p. 28-29.
- Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien régime, Paris, Fayard, 2002.
- Jacques Bottin, « De la toile au change : l’entrepôt rouennais et le commerce de Séville au début de l’époque moderne », Annales du Midi, t. 117, n°251, 2005, p. 323-345.
- Jérôme Pigeon, L’intendant de Rouen, juge du contentieux fiscal au XVIIIe siècle, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2011.
- Qingyuan LIU, « La fiscalité coloniale du royaume de France 1600-1732 », thèse soutenue le 26 janvier 2024 sous la direction de François-Joseph Ruggiu à Sorbonne – Université, p. 181.
Rouen » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :