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Rouen

Marie-Laure Legay





La situation de cette ville sur la Seine, entre le port du Havre auquel elle était connectée par son propre port fluvial, et Paris, en faisait tout à la fois un centre de redistribution du sel et du tabac, un port d’entrée pour de très nombreuses denrées et marchandises, y compris coloniales, et un centre fiscal majeur à l’entrée des Cinq grosses fermes. On y trouvait une direction de la Ferme générale avec un directeur et un receveur de première classe. Capitale de la Normandie, elle abritait en outre une Cour des aides qui veillait aux privilèges de la province, notamment vis-à-vis des droits sur les boissons, particulièrement nombreux en ces contrées.

Le port fut reconnu comme principal porte d’entrée dans le royaume pour de nombreuses marchandises. Bien qu’il disposât d’un magasin de réexportation à partir de 1687, il fut surtout considéré comme un centre de distribution vers l’intérieur du pays. Y entraient prioritairement par rapport aux autres ports : les épices dès 1549, le sucre (12 février 1665), le tabac étranger (1681), les castors (1685), les toiles étrangères (1692), les cuirs étrangers (1718), le café (à partir de 1736). Vis-à-vis des drogueries et épiceries, la Chambre de commerce de la ville participait à l’évaluation des tarifs car elle était considérée comme « la plus à portée d’en connaître la juste valeur » (AN, G1 79, dossier 4). En revanche, si Rouen fut admise comme port d’entrée pour les marchandises du Levant (arrêt du 15 août 1685 pour le paiement des droits de vingt pour cent ad valorem), ses négociants durent se plier aux évaluations tarifaires de la Chambre de commerce de Marseille. Au XVIIIe siècle toutefois, la vocation coloniale de son port s’affirma. Rouen obtint le privilège d’armement pour les îles américaines (patentes d’avril 1717) et celui d’armement pour l’Afrique (patentes de 1719) ; il devint entrepôt pour le cacao. A la fin de l’Ancien régime, le complexe portuaire Le Havre-Rouen captait 20 % du trafic colonial à l’entrée du royaume.

Le centre rouannais distribuait le sel vers plus d’une centaine de greniers à partir du dépôt de Dieppedalle qui recevait les sels de Marennes, de la Tremblade et du Seudres. Huit à neuf mille muids de sel y étaient redistribués vers l’Ile-de-France, la Champagne, la Bourgogne, le Soissonnais, par la Seine, l’Oise et l’Aisne, la Marne et l’Yonne. Pour surveiller la manutention et lutter contre les versements frauduleux, vingt employés, dont onze gardes, deux patachiers et deux matelots, surveillaient le dépôt. La direction des gabelles faisait état en 1787, en dehors du directeur général de la Ferme et de son receveur général, de deux avocats et un procureur de la Ferme près de la Cour des aides, d’un clerc procureur, d’un procureur près de l’Election de Rouen, et d’un agent général pour toutes les parties. Le grenier de la ville, dressé sur de nouveaux plans en 1725, comptait quant à lui un receveur, quatre gardes, un porteur de sel, un briseur, un contrôleur des salines et un tonnelier.

Grenier à sel de Rouen : projet d’élévation de nouveaux pavillons, 1725 (BNF, département Estampes et photographie, RESERVE HA-18 (45)-FOL ; Gallica)

   Complexe fiscal majeur, la direction de Rouen comprenait également les bureaux d’enregistrement et de paiement pour le tabac, les huiles et savons, les droits d’abord et de consommation sur les poissons et aloses, les marques de fers, les aides (notamment le Gros et pied fourché, les droits de Jauge et courtage, octrois et eaux-de-vie, droits dits « Pont de Rouen », Quatrième, Subvention, Formule de la ville), le Domaine d’Occident, les traites en général. Le bureau d’entrée du port comprenait 19 employés (un receveur, un contrôleur, un inspecteur, deux visiteurs, un receveur aux déclarations, un commis aux acquits à caution, un peseur au poids principal, un contrôleur au poids principal, un peseur au grand poids, un contrôleur au grand poids, un commis aux enregistrements des visites et pesées, un commis aux expéditions, un peseur au poids de la chèvre, un contrôleur au poids de la chèvre, un commis aux déclarations, un concierge, un tonnelier emballeur et un deuxième tonnelier). Le bureau de sortie rassemblait douze employés (un receveur, un inspecteur au transit, un contrôleur, deux visiteurs, un peseur, un commis aux acquits à caution, un receveur aux déclarations, un commis aux expéditions, un concierge, un tonnelier, un emballeur). Ce dernier bureau traitait notamment la sortie de la production du cru de la ville comme les toiles de coton, le sucre raffiné. Les raffineurs de Rouen étaient fiscalement encouragés : la Ferme générale restituait les droits d’entrée sur les sucres bruts dès lors que le raffiné était destiné à l’exportation. La ville de Rouen bénéficiait depuis l’arrêt du 17 mars 1637 d’ un premier droit de six deniers par livre sur les sucres et cires. Ce droit fut augmenté et intégré au bail des Cinq grosses fermes, confié à la régie de la compagnie des Indes occidentales en 1665 avant la suppression de celle-ci. Le profit en était partagé entre le roi et les rentiers de l’hôtel de ville de Rouen .

  Cette impressionnante administration ne mit pas la ville à l’abri des fraudes. La plus commune concernait les alcools, le sel et le tabac. Comme le reste de la Normandie, Rouen cumulait toutes les taxes sur les boissons : droits d’entrée (cinq sous anciens et nouveaux), de quatrième, de gros (à Rouen seulement), de subvention, courtiers-jaugeurs et inspecteurs aux boissons. Cette accumulation explique l’étendue de la fraude rapportée dans un mémoire du fonds Monbret de la bibliothèque de Rouen : « Les espèces de fraudes qui sont les plus communes sont, les ventes au détail sans déclaration, appellées vulgairement vente à muchepot, les entrepôts que les cabaretiers font chez leurs voisins et chez ceux qui ont communication avec leurs cabarets, l’entrée en fraude des boissons dans les lieux qui sont sujets aux droits de subvention qui ne se trouvent point fermés de portes ny de barrières, le transport des eaux-de-vie, cidre et poiré de la fabrication de la province sans congé ny soumission pris au lieu d’enlèvement d’où elles sont ainsy conduittes chez des vendans en détail qui les cachent et les débitent en fraude desdits droits de détail ou sont voiturées aux environs de Roüen ou Caen, dans lesquelles villes on les fait entrer nuitamment en fraude des droits de gros et de détail ». Vis-à-vis du sel, le faux-saunage provenait surtout des marchands de poissons : le débit de la pêche devenait si important que le contrôleur des salines ne pouvait visiter tous les barils sans compromettre le commerce. Le 13 mai 1718, trente faux-sauniers entrèrent en lutte avec les archers (arrêt de la Cour des Aides, 2 juin 1718).

  Pour empêcher ce trafic de faux-sel par le commerce des poissons, le directeur des gabelles de Rouen réunit en 1727 les principaux négociants de la ville, avec l’avocat, le procureur de la ferme et le contrôleur du bureau de Pecq, près de Paris. Cette concertation visait à engager les négociants à prendre leurs acquits à caution pour toutes les salines destinées au port du Pecq. La Direction des gabelles entretenait à la fin de l’Ancien régime cinq brigades à Rouen, une sur la rive droite de la Seine (six employés), une brigade fluviale appelée « biscayenne », du nom d’une petite embarcation à rames (sept employés dont le pilote), et trois autres brigades de six personnes. Une autre fraude massive fut repérée tardivement : les détaillants du tabac dans la ville de Rouen, au nombre de onze, coupaient le tabac du monopole en le mélangeant. Un plan de réforme des détaillants fut donc arrêté par la délibération du 25 janvier 1788, mais le directeur de la Ferme s’y opposa, « oppositions fondées, d’après les Fermiers, plutôt sur les préjugés d’une routine ancienne et vicieuse ». En réalité, le directeur relayait l’opposition politique des Magistrats de la Cour des aides et du Parlement vis-à-vis de la Ferme générale.

  De même, la ville n’était pas à l’abri de la contrebande. Le 30 septembre 1728 par exemple, treize contrebandiers de tabac et d’indiennes entrèrent dans la ville. La direction de la Ferme fit évoluer ses brigades, mais ce ne fut guère suffisant. En 1767, la ville entra, comme le reste de la Normandie, dans le ressort de la commission de Reims chargée de juger les contrebandiers. En 1787, la brigade des traites de Rouen comptait 12 employés, 61 gardes et trois matelots.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 73, pièce 17 ter : Direction des traites de Rouen : tableau des receveurs et employés existants dans les bureaux des fermes du département de Rouen au 1er octobre 1785.
  • AN, G1 79, dossier 4.
  • AN, G1 91, dossier 26 : « Salines du département de Rouen ».
  • AN, G1 114 dossier 4, Rapport sur la réforme des débitants de tabac à Rouen, 31 octobre 1788.
  • Bibliothèque de Rouen, Ms Montbret Y 15 : « Aides de Normandie, Manuscrit appartenant à M. Monteil », XVIIIe siècle.

    Sources imprimées:
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que toutes les manufactures de toiles et étoffes de fil et de coton de toutes couleurs mêlées de soie et autres matières qui sont établies dans la Normandie, à l'exception de celles de Rouen et bourg de Dernetal, cesseront tout travail à commencer au 1er juillet de chaque année jusqu'au 15 septembre, 26 juin 1723.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui prescrit les formalités à observer par les raffineurs de Bordeaux, La Rochelle, Rouen et Dieppe pour jouir de la restitution des droits d'entrée sur les sucres par eux raffinés provenant des sucres bruts des îles et colonies françaises de l'Amérique et qu'ils enverront à l'étranger, 17 novembre 1733.
  • Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui déclare n'avoir entendu exempter du droit de consommation le poisson de mer pêché dans la Seine et porté à Rouen ordonne que les aloses et autres poissons de mer, quoique pêchés dans ladite rivière, acquitteront le droit à raison de 13 sols 5 denier par panier de quatre aloses et ainsi à proportion, 12 avril 1740.
  • Lettres patentes du roi qui ordonnent que les généralités de Rouen, Caen et Alençon seront ajoutées, pour deux ans seulement, au ressort de la commission établie à Reims pour juger les contrebandiers, données à Versailles le 8 janvier 1767.


    Bibliographie scientifique:
  • Pierre Dardel, Navires et marchandises dans les ports de Rouen et du Havre au XVIIIe siècle, Paris, Sevpen, 1963.
  • Jean-Pierre Bardet, Rouen au XVIIe et XVIIIe siècles : les mutations d’un espace social, Paris, SEDES, 1983.
  • Vida Azimi, Un modèle administratif de l’ancien régime. Les commis de la Ferme générale et de la régie générale des aides, Paris, éditions du CNRS, 1987 p. 28-29.
  • Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien régime, Paris, Fayard, 2002.
  • Jacques Bottin, « De la toile au change : l’entrepôt rouennais et le commerce de Séville au début de l’époque moderne », Annales du Midi, t. 117, n°251, 2005, p. 323-345.
  • Jérôme Pigeon, L’intendant de Rouen, juge du contentieux fiscal au XVIIIe siècle, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2011.
  • Qingyuan LIU, « La fiscalité coloniale du royaume de France 1600-1732 », thèse soutenue le 26 janvier 2024 sous la direction de François-Joseph Ruggiu à Sorbonne – Université, p. 181.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Rouen » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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