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Passeport

Arnaud Le Gonidec





Les passeports sont délivrés pour autoriser la circulation de certaines personnes ou de certains biens. Une instruction rédigée en 1747 à l’Hôtel des Fermes assure que ces derniers « font le même effet pour le Fermier que le payement des droits ». Au sens strict, un passeport est un « passeport du roi » signé par un secrétaire d’État puis visé par le contrôleur général (bail Legendre, art. 57 ; ord. fév. 1687, tit. 8, art. 5 et 8 ; bail Forceville, art. 393). Cet acte de souveraineté est décliné par la Ferme en divers documents : « ordres de la Compagnie » s’ils émanent des services centraux ou « passavants » s’ils sont expédiés par les bureaux particuliers. Véritables privilèges libérant les marchandises des barrières douanières, les passeports pouvaient être porteurs de deux ordres distincts dont le cumul, le cas échéant, devait toujours être précisé.

Tout d’abord, les passeports peuvent autoriser la circulation des marchandises dites « défendues », à l’exportation ou à l’importation, ainsi que celles dites « prohibées ». Ces autorisations de circulation, qui ne portent pas exemption des droits (ord. février 1687, tit. 8, art. 4), profitent directement aux fermiers puisque, à défaut, lesdites marchandises ne pourraient pas circuler et donc, par voie de conséquence, elles ne seraient pas sujettes aux droits de douane. Ces passeports permettent d’accorder des faveurs à certains marchands qui peinent à écouler leur marchandise. C’est le cas pour un marchand quimpérois qui en 1712, ne trouvant pas preneur de sa marchandise en Bretagne, adresse une lettre au Contrôleur général pour obtenir l’autorisation d’exporter 60 tonneaux de blé vers l’Espagne (AN, G7 1171). Le blé étant une marchandise défendue à l’exportation, le défaut de passeport expose le marchand à une amende de 500 livres et à la confiscation de sa cargaison (bail Forceville, art. 390). De même, certaines marchandises sont réputées de contrebande si elles ne sont pas accompagnées de passeport, exposant ainsi le criminel à des peines exemplaires. Les passeports peuvent également porter exemption des droits. De tels types de passeport sont souvent accordés pour les marchandises destinées « au service du roi » (bail Forceville, art. 394), pour le bon fonctionnement de la régie des fermes (bail. Fauconnet, art. 34), ou encore pour l’usage domestique des ambassadeurs et des princes étrangers (bail Forceville, art. 400). L’exemption portait sur la totalité des droits locaux prélevés par les villes, communautés et seigneuries tels que les octrois, péages et pontonnages. En matière de traites, la délivrance de ces passeports par la royauté suppose une indemnisation des pertes supportées par la Ferme générale. Le Trésor royal compense ainsi le montant des droits non perçus lors du passage des marchandises (bail Legendre, art. 136 ; bail Forceville, art. 589). Ces exemptions sont nombreuses et constituent un volume financier considérable. À titre d’exemple, l’arrêt du Conseil du 24 avril 1742 accorde une indemnité de 502 020 livres « pour le montant des Droits sur les Marchandises autres effets mentionnés aux Passeports expédiés par ordre du Roi pendant la seconde année du Bail dudit Forceville ». L’indemnisation est calculée grâce aux passeports qui sont collectés au sein du « bureau des passeports » de l’Hôtel des Fermes avant d’être soumis au Conseil du roi.

La vérification du Conseil du roi porte essentiellement sur le formalisme des passeports usagés. Outre les signatures des ministres, les passeports indiquent toujours la qualité et la quantité des marchandises pour lesquelles ils sont délivrés, les lieux de prélèvement et de destination, avec parfois prescription d’emprunter un certain itinéraire, enfin, ils doivent indiquer un délai de validité qui, par défaut, est d’une année. Les passeports sont présentés par les conducteurs, marchands ou voituriers, au bureau du lieu d’enlèvement des marchandises, ou au premier bureau de la route. Le commis au contrôle, ou visiteur, vérifie les marchandises et en cas de conformité, conjointement avec le receveur, il « liquide » les droits au dos du document qui prend dès lors l’effet d’un titre de créance. La liquidation, réalisée à chaque bureau traversé, doit mentionner la quotité des droits de chaque espèce de marchandise ainsi que le tarif qui les frappe. Après avoir calculé le montant total des droits, les commis datent et signent le document. À la suite de ce premier certificat, toujours sur le même passeport, les commis reçoivent le certificat de non-paiement du conducteur qu’il date et signe à son tour. Si ce dernier ne sait pas signer, les commis ajoutent au premier certificat : « Et sous le serment que nous avons en Justice, certifions en outre que ledit conducteur n’a payé aucuns des droits cy-dessus, n’a pû en donner sa reconnoissance ne sçachant signer » (instruction, 1747). Le passeport est ensuite retenu par les commis qui délivrent au conducteur un « passavant en exemption des droits ». Ce passavant, qui « tient lieu de passeport », est présenté au second bureau de la route et, après avoir répété les procédures de vérification, de liquidation et de certification, les commis le retiennent pour en délivrer un nouveau. Ce schéma se répète dans tous les bureaux où les droits sont dus. Si la cargaison traverse un bureau dans lequel elle n’est redevable d’aucun droit, il suffit au commis, « après avoir vérifié en gros », de viser le document. Arrivée à destination, la cargaison est une dernière fois vérifiée, les droits liquidés et l’exonération certifiée par le voiturier. Tous ces « passeports », depuis le passeport du roi original jusqu’au dernier passavant d’exemption, sont affiliés les uns aux autres par un même numéro, facilitant ainsi leur regroupement mensuel au bureau des passeports de l’Hôtel des Fermes.

Il existe des procédures particulières pour les passeports délivrés pour les marchandises destinées à la Marine royale ainsi que pour les passeports accompagnant les effets des ambassadeurs et des princes étrangers. Les premiers exigent une soumission afin de s’assurer du paiement des droits dans l’hypothèse où le soumissionnaire ne présenterait pas le certificat de livraison délivré par l’intendant de la marine du port de destination. Cette clause de soumission, propre aux passeports des marchandises de marine, est supprimée par l’article 4 du règlement du 21 février 1770. Les passeports pour les biens des ambassadeurs s’inscrivent dans une procédure encore différente. Si les biens sont importés de l’étranger, ou des provinces réputées étrangères, l’expédition est faite par acquit-à-caution pour la douane de Paris. Ce n’est qu’au terme du transport des marchandises que les droits sont liquidés et l’exonération certifiée. À l’inverse, si les biens sont exportés, la douane de Paris délivre un passavant sur lequel les droits sont liquidés au premier bureau de la route qui retient alors le document pour en délivrer un nouveau, et ainsi de suite jusqu’à la sortie du territoire. Pour le Contrôleur général, les termes du passeport « font loi » (instruction, septembre 1763). En principe, les commis sont de simples exécutants qui ne peuvent en aucun cas interpréter la législation royale. Par exemple, si l’échéance du passeport est périmée ne serait-ce « que d’un jour », le document perd son effet et les droits, jusqu’ici exemptés, doivent être payés. Toute infraction doit être justifiée. Si les marchandises sont transportées par mer et qu’il arrive un accident, le conducteur doit rapporter les causes du retard de livraison sur un procès-verbal qui, après avoir été enregistré par l’amirauté du port d’arrivée, est déposé au bureau des fermes pour prolonger la validité du passeport (règlement du 21 février 1770, art.1). La quantité et la qualité des marchandises doivent être scrupuleusement respectées. Si un passeport est délivré pour une certaine quantité, tout surplus serait redevable des droits et mentionné sur le nouveau passavant. Si le commis découvre une qualité dont la valeur est supérieure à celle énoncée, il peut dresser un procès-verbal de saisie. Les conséquences sont identiques si la marchandise ne suit pas l’itinéraire prescrit.

Modèle de passavant d’exemption délivré en conséquence d’un passeport. AN, G179, dossier 18

  

  





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 79, dossier 18 : « Instruction de ce qui doit être observé dans les Bureaux par rapport aux Marchandises qui y passent en exemption des Droits, en vertu de Passeports pour le Service du Roy », mars 1747  id. :« Instruction concernant la Régie qui doit être suivie pour les marchandises effets, qui sont expédiés par Passeports du Roi, Ordres du Ministre, ou de la Compagnie en conséquence », septembre 1763.
  • AN, G7 1171 : Passeports.

    Sources imprimées:
  • Arrêt du Conseil du 24 avril 1742, in Table des edicts, declarations, arrests et reglemens, rendus pendant la quatrième année du Bail de Me Jacques Forceville, t. 10, Chez Pierre Prault, 1768, p. 41-42.
  • Bail des gabelles de France, entrées sorties du Royaume, Doüane de Lyon Valence, Patente de Languedoc, Convoy Comptablie de Bourdeaux, Entrées de Paris Roüen, Aydes de France, Fret, autres Fermes Royales unies.
  • Fait à Maistre François le Gendre, Bourgeois de Paris, pour six années, commencées au premier Octobre 1668. Chez Frederic Leonard, 1680.
  • Édit de décembre 1781 fixant les privilèges des sujets des états du corps Helvétique dans le royaume, in Magnien (V.), Recueil alphabétique des droits de traites uniformes, de ceux d’entrées et de sortie des cinq grosses fermes, de douane de Lyon et de Valence, c., t. 3, s.l., 1786, p. 340.
  • Guyoy (J.-N.), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, t. 44, Chez Panckoucke et Dupuis, 1781, v° « Passe-port », p. 481-485.
  • Rousselot de Surgy (J.-P.), Encyclopédie méthodique. Finances. T. 3, Chez Panckouke, 1787, v° « passeport », p. 300-304.


    Bibliographie scientifique:
  • A. Sée, Le passeport en France, Chartres, Edmond Garnier, 1907, p. 23-33.
  • Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Fayard, 1990, p. 610-653.
  • Jean Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, CHEFF, 1995, p. 80 et 155.
  • Daniel Nordman, « Sauf-conduits et Passeports », Dictionnaire de l’Ancien Régime : Royaume de France XVIe – XVIIIe siècle, dir. L. Bély, Paris, PUF, 1996, p. 1122-1124.
  • Jean Clinquart, « Le dédouanement des marchandises sous l’Ancien Régime », La circulation des marchandises dans la France de l’Ancien Régime, dir. Woronoff (D.), CHEFF, 1998, p. 103-144.
  • Gérard Noiriel, « Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la Ière à la IIIème République », in Genèses, 1998/30, Émigrés, vagabonds, passeports, dir. Leroy (J.), p. 77-100.
  • Corinne Thépaut-Cabasset, « Garde-robe de souverain et réseau international : l’exemple de la Bavière dans les années 1680 », Se vêtir à la cour en Europe 1400-1815 : Cultures matérielles, cultures visuelles du costume dans les cours européennes, dir. I. Paresys et N. Coquery, Villeneuve d’Ascq, Publications de l’Irhis, 2011, p. 177-193.
  • Cédric Glineur, « Le régime juridique des passeports sous l’Ancien Régime, L’exemple des provinces du Nord », dans Guerre, frontière, barrière et paix en Flandre, dir. Rickebusch (O) et R. Opsommer (R.), Ypres, 2014, p. 59-73.




Citer cette notice:

Arnaud Le Gonidec, « Passeport » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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