Arnaud Le Gonidec
Modèle de passavant d’exemption délivré en conséquence
d’un passeport. AN, G179, dossier 18
Tout d’abord, les passeports peuvent
autoriser la circulation des marchandises dites
« défendues », à l’exportation ou à l’importation, ainsi
que celles dites « prohibées ». Ces autorisations de
circulation, qui ne portent pas exemption des droits (ord.
février 1687, tit. 8, art. 4),
profitent directement aux fermiers puisque, à défaut,
lesdites marchandises ne pourraient pas circuler et donc,
par voie de conséquence, elles ne seraient pas sujettes
aux droits de douane. Ces passeports permettent d’accorder
des faveurs à certains marchands qui peinent à écouler
leur marchandise. C’est le cas pour un marchand quimpérois
qui en 1712, ne trouvant pas
preneur de sa marchandise en Bretagne, adresse une lettre au Contrôleur général pour
obtenir l’autorisation d’exporter 60 tonneaux de blé vers
l’Espagne (AN, G7 1171). Le blé étant une
marchandise défendue à l’exportation, le défaut de
passeport expose le marchand à une amende de 500 livres et
à la confiscation de sa cargaison (bail Forceville, art.
390). De même, certaines marchandises sont réputées de
contrebande si
elles ne sont pas accompagnées de passeport, exposant
ainsi le criminel à des peines exemplaires. Les passeports
peuvent également porter exemption des droits. De tels
types de passeport sont souvent accordés pour les
marchandises destinées « au service du roi » (bail
Forceville, art. 394), pour le bon fonctionnement de la
régie des fermes (bail. Fauconnet, art. 34), ou encore
pour l’usage domestique des ambassadeurs et des princes
étrangers (bail Forceville, art. 400). L’exemption portait
sur la totalité des droits locaux prélevés par les villes,
communautés et seigneuries tels que les octrois, péages et
pontonnages. En matière de traites, la délivrance de ces passeports par la royauté
suppose une indemnisation des pertes supportées par la
Ferme générale. Le Trésor royal compense ainsi le montant
des droits non perçus lors du passage des marchandises
(bail Legendre, art. 136 ; bail Forceville, art. 589). Ces
exemptions sont nombreuses et constituent un volume
financier considérable. À titre d’exemple, l’arrêt du
Conseil du 24 avril 1742
accorde une indemnité de 502 020 livres « pour
le montant des Droits sur les Marchandises autres
effets mentionnés aux Passeports expédiés par ordre
du Roi pendant la seconde année du Bail dudit
Forceville ». L’indemnisation est calculée
grâce aux passeports qui sont collectés au sein du
« bureau des passeports » de l’Hôtel des Fermes avant d’être soumis
au Conseil du roi.
La vérification du Conseil du roi porte
essentiellement sur le formalisme des passeports usagés.
Outre les signatures des ministres, les passeports
indiquent toujours la qualité et la quantité des
marchandises pour lesquelles ils sont délivrés, les lieux
de prélèvement et de destination, avec parfois
prescription d’emprunter un certain itinéraire, enfin, ils
doivent indiquer un délai de validité qui, par défaut, est
d’une année. Les passeports sont présentés par les
conducteurs, marchands ou voituriers, au bureau du lieu
d’enlèvement des marchandises, ou au premier bureau de la
route. Le commis au contrôle, ou visiteur,
vérifie les marchandises et en cas de conformité,
conjointement avec le receveur, il « liquide » les droits au dos du document qui
prend dès lors l’effet d’un titre de créance. La
liquidation, réalisée à chaque bureau traversé, doit
mentionner la quotité des droits de chaque espèce de
marchandise ainsi que le tarif qui les frappe. Après avoir
calculé le montant total des droits, les commis datent et
signent le document. À la suite de ce premier certificat,
toujours sur le même passeport, les commis reçoivent le
certificat de non-paiement du conducteur qu’il date et
signe à son tour. Si ce dernier ne sait pas signer, les
commis ajoutent au premier certificat : « Et sous le
serment que nous avons en Justice, certifions en outre que
ledit conducteur n’a payé aucuns des droits cy-dessus, n’a
pû en donner sa reconnoissance ne sçachant signer »
(instruction, 1747). Le
passeport est ensuite retenu par les commis qui délivrent
au conducteur un « passavant en exemption des droits ». Ce
passavant, qui
« tient lieu de passeport », est présenté au second bureau
de la route et, après avoir répété les procédures de
vérification, de liquidation et de certification, les
commis le retiennent pour en délivrer un nouveau. Ce
schéma se répète dans tous les bureaux où les droits sont
dus. Si la cargaison traverse un bureau dans lequel elle
n’est redevable d’aucun droit, il suffit au commis,
« après avoir vérifié en gros », de viser le document.
Arrivée à destination, la cargaison est une dernière fois
vérifiée, les droits liquidés et l’exonération certifiée
par le voiturier. Tous ces « passeports », depuis le
passeport du roi original jusqu’au dernier passavant
d’exemption, sont affiliés les uns aux autres par un même
numéro, facilitant ainsi leur regroupement mensuel au
bureau des passeports de l’Hôtel des Fermes.
Il existe des procédures
particulières pour les passeports délivrés pour les
marchandises destinées à la Marine royale ainsi que pour
les passeports accompagnant les effets des ambassadeurs et
des princes étrangers. Les premiers exigent une soumission
afin de s’assurer du paiement des droits dans l’hypothèse
où le soumissionnaire ne présenterait pas le certificat de
livraison délivré par l’intendant de la marine du port de
destination. Cette clause de
soumission, propre aux passeports des marchandises
de marine, est supprimée par l’article 4 du
règlement du 21 février 1770. Les passeports pour les biens des ambassadeurs
s’inscrivent dans une procédure encore différente. Si les
biens sont importés de l’étranger, ou des provinces
réputées étrangères,
l’expédition est faite par acquit-à-caution pour la douane de Paris.
Ce n’est qu’au terme du transport des marchandises que les
droits sont liquidés et l’exonération certifiée. À
l’inverse, si les biens sont exportés, la douane de Paris
délivre un passavant sur lequel les droits sont liquidés
au premier bureau de la route qui retient alors le
document pour en délivrer un nouveau, et ainsi de suite
jusqu’à la sortie du territoire. Pour le Contrôleur
général, les termes du passeport « font loi »
(instruction, septembre 1763).
En principe, les commis sont de simples exécutants qui ne
peuvent en aucun cas interpréter la législation royale.
Par exemple, si l’échéance du passeport est périmée ne
serait-ce « que d’un jour », le document perd son effet et
les droits, jusqu’ici exemptés, doivent être payés. Toute
infraction doit être justifiée. Si les marchandises
sont transportées par mer et qu’il arrive un
accident, le conducteur doit rapporter les causes du
retard de livraison sur un procès-verbal qui, après
avoir été enregistré par l’amirauté du port
d’arrivée, est déposé au bureau des fermes pour
prolonger la validité du passeport (règlement du 21
février 1770, art.1). La quantité et la qualité des marchandises
doivent être scrupuleusement respectées. Si un passeport
est délivré pour une certaine quantité, tout surplus
serait redevable des droits et mentionné sur le nouveau
passavant. Si le commis découvre une qualité dont la
valeur est supérieure à celle énoncée, il peut dresser un
procès-verbal de saisie. Les conséquences sont identiques
si la marchandise ne suit pas l’itinéraire prescrit.
Sources et références bibliographiques:
Arnaud Le Gonidec, « Passeport » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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