Directeur, direction des fermes
La nomination de tels
cadres répondait à une double logique, celle de la
compétence d’une part, et celle du patronage. Concernant
la compétence, les règlements de la Ferme prévoyaient
quatre classes de directeur et des modalités d’avancement
normalisées entre elles à partir de
1774. On distinguait les directeurs de
première classe (direction de Bordeaux, Lyon, Marseille, Rouen),
les directeurs de 2e classe (direction
d’Amiens, Angers, Caen,
Châlons-sur-Marne, Lille, Montpellier, Nancy, Nantes et Saint-Quentin),
ceux de 3e classe (Bayonne, Besançon, Dijon, Grenoble, La Rochelle, Lorient, Langres, Metz, Saint-Malo, Soissons, Tours,
Toulouse et Toulon), et ceux de 4e classe (direction
d’Alençon, Auch, Belley, Bourges,
Châlons-sur-Saône, Charleville, Laval, Le Mans, Limoges,
Moulins, Narbonne, Orléans, Poitiers, Valence,
Valenciennes, Villefranche). Au poste de directeur de
4e classe, on attendait des contrôleurs généraux jugés « les plus
capables », à l’instar de Louis
Barbier de la Serre, de petite noblesse angevine,
nommé contrôleur général à Valenciennes, puis
directeur des fermes du Hainaut. Toutefois, son successeur, Antoine Richard, ne
présentait pas le même profil : il rétrograda du poste de
directeur de première classe à Rouen à celui de 4e classe
à Valenciennes (en fonction de 1784
à 1780). En réalité,
s’il est vrai que les employés des fermes pouvaient suivre
une carrière réglée par un système de promotion interne
bien rodé qui encourageait le zèle et distinguait les plus
compétents, il faut également considérer la vivacité du
système de patronage qui, sans entrer forcément en
concurrence avec la voie bureaucratique, pondérait cette
dernière. A la fin du XVIIe siècle, sur 27 directeurs
listés dans un état de directeurs, six étaient mentionnés
comme recommandés par M. Chamillart, quatre par Madame de
Maintenon, deux par Le Pelletier de Souzy, trois par M.
Degrandval, un par la princesse de Conty, un par le
Dauphin, etc. Une lettre de l’intendant des finances
Daniel-Charles Trudaine datée du 11 mars 1759 en fait également foi : « Mrs les
Fermiers Généraux à qui j’ai demandé si la direction de
Besançon étoit vacante ou devait l’être,
m’ont assuré qu’ils en avaient aucune connaissance. Au
surplus, ils ont une très bonne idée du Sieur Sauvage,
c’est la connaissance qu’ils ont de son intelligence et de
son zèle qui les a déterminé à luy confiés un controlle
(contrôleur général) aussy important que l’est celuy du
Pont-de-Beauvoisin, mais vous scavés qu’ils ne sont pas
toujours les maîtres de choisir leurs employés comme ils
voudraient ».
En 1774,
les émoluments des directeurs généraux des fermes
variaient de 8 000 livres (première classe) à 5 000 livres
(direction de 4e classe), sans compter les frais de bureau
et de commis. De tels traitements permettaient
d’entretenir un style de vie confortable et assimilaient
les directeurs aux élites nouvelles. Etienne-Louis Choron
présente un très bel exemple de cette élite. Né à
Crépy-en-Valois en 1731,
avocat au Parlement de Paris, il fut d’abord désigné
directeur à Coutances, mais s’éleva dans la hiérarchie. Il
épousa la fille du receveur général des Fermes de Caen, Anne-Rosalie
Geoffroy de Gomesnil, qui lui apporta en dot un très beau
domaine situé sur le territoire de
Sainte-Marie-aux-Anglais, arrondissement de Lisieux. Il
oeuvra pour la réforme de la production des salines de
Quart-bouillon
et devint directeur des Fermes pour les traites, la gabelle et le
tabac à Caen.
Franc-maçon, il entra à la loge Constance Fabert de Caen.
En 1783, soit six ans avant
son décès, il était désigné comme « Maître Etienne Louis
Choron, écuyer, conseiller secrétaire du roi, Maison
Couronne de France de ses Finances, Directeur et procureur
en la ville de Caen, demeurant en ladite ville rue des quais,
paroisse de Saint-Pierre à l’hôtel des fermes du roi où il
fait élection de domicile ».
Rares étaient les directeurs
peu scrupuleux, piètres gestionnaires ou qui se rendaient
coupables de concussion. Il s’agissait le plus souvent non
pas de directeurs généraux des fermes, mais de directeurs
de régie (régie des aides, régie des cartes…), soucieux de
rentabiliser au maximum leur direction dont ils rendaient
compte de clerc à maître au roi. Certains quittèrent leur
fonction en exercice, à l’instar de ce directeur des aides
à Caen, Nicolas Joseph Coureau, redevable en 1744 de 88 100 livres aux
hôpitaux de cette généralité pour la régie des droits réservés. D’une manière
générale, la compagnie surveillait les activités des
directeurs et leur réputation. Elle appréciait les
directeurs appliqués à suivre l’ensemble des opérations de
leur régie, mais s’inquiétait lorsque l’un d’eux faisait
montre de trop de dureté. A Beauvais par exemple, le
directeur Dhervilly fut jugé d’une fermeté « qui tient un
peu de la dureté vis-à-vis de ses subordonnés et du
public, et c’est un défaut qu’elle (la compagnie) lui
attribue ». Antoine-Louis Bertin de Blagny, en tournée dans le courant de
l’année 1777 sentit bien que ce
directeur n’était pas aimé du public ; il reçut même un
mémoire des marchands épiciers de la ville dirigé contre
lui. Cette critique des directeurs de la Ferme prit-elle
de l’ampleur sous l’effet de l’hostilité grimpante de
l’opinion vis-à-vis des Fermes ? A Caen, le directeur de
la régie des cartes, un
certain Ménager, fut particulièrement détesté pour son
zèle inquisiteur par les fabricants. Les tanneurs, soumis
à la nouvelle régie des cuirs, se plaignirent également de la dureté de certains
d’entre eux.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD du Rhône, 5C/1, f° 29v° à 36, « Procuration de directeur des fermes du Roy au département de Lyon en faveur du sieur Nicolas Anne Jean Bonamy », 18 février 1765.
- AD Calvados, 2C 1918, affaire Coureau, 1744.
- AD Calvados, 5C/7 (sur Choron).
- AD du Doubs, 1C 1312, lettre de Trudaine, 11 mars 1759.
- AN, G1 18, Délibération des fermiers généraux du 30 septembre 1774 concernant les appointements.
- AN, G1 91, « Rapport des vérifications faites par M. Bertin, fermier général de tournée dans les différentes directions d’aides de la généralité de Paris », 1777.
- AN, G7 1147 : pièce non datée « Noms des directeurs à qui il faut écrire ».
-
Sources imprimées:
- Délibération des fermiers généraux du 18 novembre 1774 concernant la disposition des emplois.
- Encyclopédie méthodique, Finances, t.1, 1784, article « Directeur des fermes », p. 561-567 : exemple de procuration standard.
-
Bibliographie scientifique:
- Vida Azimi, Un modèle administratif de l’Ancien régime : les commis de la Ferme générale et de la régie générale des aides, Paris, éditions du CNRS, 1987, p. 42-44.
- Jean Clinquart, chapitre III : « Une direction des fermes à la fin de l’Ancien régime », dans Les Services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien régime : l’exemple de la direction des fermes du Hainaut », Paris, CHEFF, 1996, p. 57-208 .
- Thomas Boullu, « La transaction en matière d’impositions indirectes (1661-1791) », thèse pour le doctorat en droit, soutenue en 2019, université de Strasbourg, p. 343-346.
Directeur, direction des fermes » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :