Marie-Laure Legay
La frontière entre la France et l’Espagne, loin
d’être une barrière, faisait en effet l’objet de
contrebandes, tant de sel, de tabacs, de chevaux et
mulets, de monnaies… Les deux premières denrées formaient
des monopoles des deux côtés des Pyrénées. Les exemples de
contrebande du
sel sont nombreux. Par exemple, les habitants du comté de Foix avaient le droit de tirer d’Espagne
du sel de leur consommation sous condition de le faire
entrer par la vallée d’Andorre. Ce privilège, confirmé
lors de la réunion du comté à la Couronne (1607), fut maintenu et
occasionna de nombreux désordres à la frontière. En effet, les
habitants du comté faisaient des dépôts du sel
d’Espagne et le reversaient en fraude dans les pays de Gabelles. Au besoin, quand la vallée d’Andorre était
enneigée, les faux-sauniers de la vallée de Carol allaient
chercher les sels de Cardonne, en Espagne, à mains armées
par le Roussillon. Les Pyrénées orientales devinrent le théâtre
d’une intense activité de contrebande de tabac, surtout à
partir de 1701, lorsque
Philippe V imposa lui aussi l’estanco dans son royaume.
Entre 1730 et 1748, 4 114 cas de fraude furent traités
par les juridictions françaises locales. Ces tabacs
venaient de Gênes et du Piémont pour l’Espagne via la
France qui servait d’entrepôt. Ils arrivaient sur des
petits bateaux catalans non pas directement sur la côte
espagnole, mais bien sur la côte française car ces navires
de moins de 50 tonneaux ne pouvaient être visités par les
garde-côtes de la Ferme générale en vertu des conventions
signées entre les deux pays. Une fois débarqués à Banyuls,
les charges de tabacs passaient la frontière près de
Custoja (Coustouges) via Perthus en été, près de Puygcerda via Céret en hiver. Des cols pyrénéens descendaient sur le
chemin du retour des convois chargés de piastres.
Puygcerda vivait sous la terreur des bandes armées de 50 à
150 Espagnols. A Narbonne, le directeur des fermes
générales informa le Contrôleur général Terray de
l’expansion du banditisme dans le Roussillon « sans que l’on ait encore pu y apporter aucun
remède ni dans l’un, ni dans l’autre royaume » (AN, G1 83,
dossier 2). Devant l’ampleur du phénomène, les
concertations entre le gouvernement et la Ferme générale
se multiplièrent. Le commandant en chef de la province,
Mailly, proposa l’établissement de cinq fortins et des
détachements de garnisons pour lutter contre la
contrebande par terre ; les Fermiers généraux, peu enclins
à prendre en charge une telle dépense, préféraient lutter
en amont et demandaient la possibilité d’arraisonner les
navires espagnols de faible tonnage.
Le 2 janvier 1768, on
formalisa une convention entre les deux royaumes :
les Espagnols établirent deux felouques sur les
côtes de la Catalogne et les Fermiers généraux en
établirent une sur les côtes du
Roussillon pour surveiller ce trafic. La convention fut renouvelée le 27 décembre 1774 et permit aux pataches des fermiers des
deux royaumes d’arraisonner tout bâtiment suspecté de
contrebande de sel ou de tabac jusqu’à une contenance de
cent tonneaux et jusqu’à deux lieues au large des côtes
remises aux services consulaires. A défaut du respect des formalités requises, les cargaisons étaient confisquées et remises aux services consulaires. Cette convention bilatérale pour lutter contre la contrebande du sel et du tabac fut encore renouvelée le 24 décembre 1786.
Les avantages octroyés à la France comme nation la plus favorisée par le traité des Pyrénées (1659) dynamisa le négoce en Espagne, à Cadix. Par les articles 10, 14 et 15,
les navires français étaient en possession de « ne pas
être visités » par les officiers des rentes et douanes
espagnols. La politique fiscale renforça ces avantages :
côté espagnol, la convention d’Eminente limitait les
droits de douane sur les produits français ; côté
français, le gouvernement versaillais encourageait les
exportations vers le voisin espagnol en supprimant les
taxes de foraines locales. A suivre une voiture quittant
l’Ile-de-France pour l’Espagne, nul n’ignorait qu’elle
devait régler 5 % sur la valeur du convoi en quittant le
Poitou (intégré aux Cinq grosses fermes), pour entrer dans
l’Angoumois ou la Saintonge, puis 3, 5 % pour la
« comptablie de Bordeaux », puis 2, 5 % pour la Traite d’Arzac qui se levait à
l’entrée des Landes, puis 2% pour la moitié de la
« coutume de Bayonne ». Colbert déchargea donc les
marchandises quittant l’Etendue pour l’Espagne des taxes
locales des provinces réputées étrangères, comptablie de Bordeaux et Traite d’Arzac en 1669 (arrêt du Conseil du 3
juin). Ces dispositions en faveur du commerce français
s’accompagnaient de mesures protectionnistes contre
l’entrée des produits espagnols, notamment lors des
conflits ouverts. Des bureaux de ferme poussaient alors le
long de la frontière, comme en 1685
-1688, avec pour
objectif de remporter la guerre d’argent.
La mise en œuvre du pacte de famille fit évoluer la
politique d’entente commerciale entre les deux
nations.
La convention
interprétative de l’article 24 du pacte du 15 ao
ût 1761, signé à
Madrid en janvier 1768, calqua
les avantages français sur ceux accordés aux Anglais par
le traité d’Utrecht de 1713.
Il s’agissait pour l’Espagne de réduire la puissance
commerciale française ou du moins de la ramener à des
proportions plus équitables. Les toiles et les draps de
France furent taxées respectivement à hauteur de 15 et 10
% de leur valeur, tandis que les chapeaux, bas de soie,
mousselines, cotonnades… furent quasiment prohibées, notamment
par le tarif espagnol de 1782.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Espagne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :