Tabac
Produit brut, en livres t., de la vente de tabacs par recette pour une année commune du bail L. David (AN, G1 88, dossier 15, vers 1776) Empreinte de tabac sous le bail Pierre Henriet, 1756 (AD Isère, 4C 45, Election de Grenoble)
L’objectif premier fut de
limiter la culture intérieure pour favoriser le tabac des
colonies où, selon
Jean-Baptiste Colbert, « cette plante [venait] bien
meilleure et abondante ». L’interdiction de cultiver fut
donc généralisée à l’ensemble du royaume et même, par
convention diplomatique (1734), au Comtat-Venaissin. Colbert avait néanmoins reconnu pour
productions du cru les cultures traditionnelles des
communautés situées le long de la Garonne, tant dans l’élection de
Montauban (Saint-Porquier,
Castelsarrasin…), que dans l’Agenais (Caumont sur Garonne,
Gontaud, Verteuil d’Agenais, Le Mas d’Agenais, Lagruère,
Favillet, Tonneins, Villeton, Monheurt, Clérac, Aiguillon,
Puch d’Agenais, Grateloup, Lafitte) et le Bazadais
(Damazan), depuis le cours inférieur du Lot jusqu’en amont
de Marmande. La production de ces pays était alors
strictement encadrée par la Ferme (ordonnance de 1681, articles XV à XX) ; elle
prit fin en 1719 (article V de
l’arrêt du 29 décembre). Cette année-là, la vente
exclusive fut convertie en droits d’entrée avec liberté du
commerce puis, en janvier 1721, le monopole fut définitivement rétabli sans
reconnaissance des productions de l’Agenais. Par ailleurs,
Versailles reconnut les privilèges des provinces
septentrionales (Artois, Cambrésis, Flandre, Hainaut), des provinces de l’Est (Alsace, Franche-Comté, Lorraine, au pays de Gex et
une partie de la généralité de Metz), mais aussi du Labourd (y compris Bayonne), des
principautés de Dombes (intégrée en 1762), Montbéliard, la
vicomté de Turenne et Montfort,
Charleville, Rethélois et
Sedan, Clermontois, îles de
Ré, Bouin et Corse, pays maintenus hors du monopole de la
Ferme du tabac. Ces exceptions nécessitèrent de négocier
avec les autorités locales pour mettre en œuvre le
contingentement de la consommation et le contrôle du
trafic illégal. La vicomté de Turenne
et le comté de Montfort
perdirent leur privilège de culture dès 1724. Trois lieues limitrophes furent
définies aux confins de l’Artois, Cambrésis, du Hainaut, du Labourd et
de la Franche-Comté, où l’on dut même établir une quatrième lieue
pour lutter contre le trafic du tabac qui arrivait d’Alsace et de Suisse.
Dans ces zones-tampon, on interdit également la culture et
on limita le stock à deux livres par foyer et par mois.
Des mesures complémentaires contre ces régions furent
adoptées en 1749, et notamment
la mise en œuvre sur les tabacs du royaume comme sur les
tabacs étrangers d’une taxe de 30 sous par livre-poids. Ce
droit ne manqua pas d’être vivement critiqué par les
producteurs alsaciens, lorrains, mais aussi par les
manufacturiers dunkerquois qui perdirent près de la moitié
de leurs ateliers…. De nouveaux bureaux de paiement des
droits sur le tabac furent implantés aux frontières
intérieures des provinces réputées étrangères. Turgot
abolit la taxe honnie en 1774
avec l’accord de la Ferme générale qui constata
l’inefficacité de sa mesure.
Sous Colbert, la régie du
tabac fut confiée à la Ferme générale dès 1674 ; à la mort de ce dernier,
elle fit l’objet d’un bail séparé adjugé pour 1, 5 millions
de livres par an entre 1709 et
1715, 2 millions entre
1715 et 1718, date à laquelle la régie fut
absorbée par la Compagnie des Indes (bail Jean Lamiral entre mai 1718 et décembre 1719) refondée par John Law. Celle-ci conserva la
régie sous divers prête-noms jusqu’en 1730, date à laquelle Philibert Orry
contraignit la Compagnie des Indes à céder le bail à la Ferme générale pour 8 millions
par an.
L’administration du monopole fit l’objet de
nombreux règlements. La grande ordonnance de juillet 1681 sur le commerce du tabac reprit pour partie les
dispositions contenues dans la déclaration du 27 septembre
1674. Se succédèrent
ensuite divers arrêts (onze pour la seule année 1689), jusqu’à la déclaration
du 18 septembre 1703,
interprétative de celle de 1681. Une fois la Ferme du tabac réunie complètement à la
Ferme générale (1730), les
règlements suivants ne furent rendus qu’en interprétation
des anciens, hormis celui de 1749 qui permit aux particuliers de faire entrer du
tabac étranger dans le
royaume sous certaines conditions. La réglementation
fixait globalement le monopole de la vente et d’entrepôt
dans les magasins de la Ferme, les conditions de vente en
gros, en détail, les prix, le monopole de fabrication, les
opérations de marque et cachet, les autorisations de
visite des commis, les peines encourues en cas de fraude
et de contrebande…. La Ferme générale achetait les tabacs
des îles et les tabacs des provinces réputées étrangères. Elle les
conditionnait dans des manufactures situées à Dieppe, à Morlaix et à
Paris au temps de Colbert, alors surintendant des
manufactures royales. Y furent adjointes les manufactures
de Lorient, du Havre, de
Marseille, de Sète, auxquelles il faut
associer les manufacturiers de Dunkerque, de Strasbourg, de Toulouse. En tout, la
compagnie disposait de neuf inspecteurs aux manufactures
de tabac. La distribution dans les entrepôts du royaume
était ensuite rigoureusement encadrée, tant pour les
magasins généraux situés dans les grandes villes des
généralités, que pour les entrepôts secondaires. Le
magasin général était géré par un receveur général des tabacs. Y
étaient associés un contrôleur et un garde-magasin. Le receveur dirigeait les
entreposeurs de son département, tant celui attaché à la
ville où se tenait le magasin général que ceux des
campagnes. A Lyon par exemple,
le magasin général se trouvait à la Douane ; l’entreposeur de Lyon s’y fournissait pour alimenter les
magasins situés aux places du change des Cordeliers, des
Jacobins, de Saint-Nizier ou des Terreaux. On comptait 453
entreposeurs en 1791. Le
receveur général des tabacs
envoyait chaque année un état des ventes de son
département à Paris. Cet état contenait les quantités,
l’espèce, et le prix de chaque nature de tabac, les
livraisons faites à chacun de ses entreposeurs, les
remises en deniers ou bon poids en tabac qui leur étaient
accordées par le tarif de la Compagnie sur chacune des
espèces de tabac qu’ils levaient pour leur
approvisionnement, ce qu’il leur en coûtait pour le faire
transporter chez eux… Sur cette base, le receveur sollicitait de
nouvelles livraisons. A titre d’exemple, voici un ordre
d’approvisionnement reçu par le receveur général des
tabacs de Caen le 19 novembre 1734: « Vous recevrez incessamment de la manufacture
du Havre 500 livres de tabac
de cantine et de celle de Dieppe 16 tonneaux de tabac ficelé à 6 longueurs avec 100
roues de Virginie à l’andouille supérieur couvert des
feuilles d’Anefort. A l’égard du tabac d’Hollande ficelé
que vous nous demandez, la Compagnie a donné ordre que
l’on expédia du bureau
de Paris pour le vôtre par Rouen un tonneau de tabac ».
Les entreposeurs faisaient prendre au magasin général les
tabacs dont ils avaient besoin sous le contrôle des
employés. Ils étaient à leur tour tenus pour responsables
du débit des buralistes et devait procéder chaque semaine
aux visites chez ces derniers, vérifier les prix de vente
notamment. Toutes ces opérations étaient contrôlées par
une comptabilité
rigoureuse. En 1681, le prix
du tabac en corde fut fixé à quarante sous la livre-poids
pour le tabac étranger et
vingt sous pour le tabac issu du royaume et des îles. La
déclaration de 1721 augmenta
ces prix jusqu’à 50 sols la livre de tabac supérieur (60
sols pour le prix en détail chez les particuliers qui en
avaient la permission), 25 sols pour les tabacs inférieurs
des provinces privilégiées. Le prix fut encore augmenté de
quatre sols pour livre en 1758, mais au profit du roi. Le monopole de la vente du tabac
exposa le royaume à une contrebande de revente ordinaire, mais
surtout à un intense commerce international illégal sur
l’ensemble de ses frontières extérieures.
Concernant la
contrebande
ordinaire, elle prit de l’ampleur avec l’expansion du goût
pour le tabac râpé. Tant les buralistes pour augmenter la
consommation, que les particuliers, furent tentés de mêler
le tabac de la Ferme avec du faux-tabac ou toutes sortes de substance pour
en faire un modeste trafic. Jean Laffeur sévissait par
exemple comme fabriquant de faux-tabac en vendant de la
poudre mêlée de tan et de tourbe. Il fut condamné à
Beauvais une première fois en 1768, mais, récidiva à Caen en 1772. La hausse des procès-verbaux s’explique aussi par les
règlements adoptés par la ferme du tabac en faveur des
commis « saisissants ». Celui du 14 mars 1722 gratifiait généreusement les saisies et les captures.
André Zysberg a estimé à 4 117 le nombre de galériens
enrôlés de 1730 à 1748 comme fraudeurs du tabac.
Dans l’élection de
Grenoble, on repère deux à trois procès-verbaux par
an entre 1717 et 1731, mais 12 en 1732, 9 en 1733, 10 en 1734, 9 en 1735, 17 en 1736 et 9 en 1737. A Amiens, les saisies se
multiplièrent à la même époque : on en compte une
trentaine en 1730-1731. Les Elus picards jugèrent excessif le zèle des
commis de la Ferme et écrivirent cette année-là à
Philibert Orry, ministre des finances, pour se plaindre du
trop grand nombre d’assignations. Il faut dire que les
règlements n’établissaient pas de peines pour les
quantités saisies en dessous d’une livre et les
vérifications étaient difficiles à faire sur des petits
bouts de tabac. En Basse- Normandie, on recense 65 procès-verbaux de saisie de tabac pour l’année 1732-1733: 20 dans le ressort de l’entrepôt de
Caen, 12 pour celui de Cherbourg, 13
pour Coutances, 3 pour Bayeux, 1 pour Falaise, 8 pour
Granville et 8 pour Saint-Lô. A Lyon, un dénommé Roze et sa femme furent surpris le 29
décembre 1739 à débiter du
tabac râpé sans permission et furent condamnés à 1000 livres d’amende. A
Belleville en Beaujolais, les brigadiers trouvèrent chez la buraliste
Charlotte Renard, un tonneau de tabac de contrebande et
quantité de bâtons de tabac cachés sous une table dans une
pièce fermée à clef, ne portant ni cachet, ni empreinte de
M. Henriet, mais seulement une ficelle.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Calvados, 5C/2, comptes en recettes et dépenses, direction de Caen, 1740-1743.
- AD Calvados, 5C/7 : jugement de Jean Laffeur par la Commission de Caen, 11 décembre 1772.
- AD Doubs, 1C 1312, lettre de Bertin à l’intendant Lacoré, 14 juin 1763 1319, lettre de Calonne à l’intendant, octobre 1784, accompagnant l’arrêt du 16 octobre 1784.
- AD Drôme, B 1304, affiches et jugements de la commission de Valence, 1733-1760.
- AD Hérault, 1B 40, f° 675 v°, bail Ladmiral, 16 septembre 1718.
- AD Isère, 4C 47 à 4C51, procès-verbaux pour la fraude du tabac, 1681-1741.
- AD Rhône, 4C 611, élection de Villefranche, procès-verbal du 18 février 1759.
- AD Rhône, 5C/4, registre d’ordres de la Douane de Lyon, f° 155, f° 162, concernant la saisie de Bordeaux (1768-1769).
- AD Somme, 1C 2455, lettres du 11 mai et 25 mai 1731 échangées entre P. Orry et les Elus.
- AN, F4 1939, mémoire de Sermizel sur les bénéfices de la Ferme des tabacs, 1789.
- AN, G1 88, dossier 15, vers 1776.
- AN, G1 110 à 116, dont G1 111, dossier 2 : Bureau des comptes, provinces du midi : produits des ventes de tabacs, 2e année du bail Salzard.
-
Sources imprimées:
- Recettes des saisies de tabac, 1732-1733.
- Arrêt du Conseil d’Etat du 29 décembre 1719.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que les tabacs pourront entrer dans le royaume par le port de Lorient et que la manufacture établie dans la ville de Lorient, y restera nonobstant les dispositions portées par la déclaration du 17 octobre dernier, 17 novembre 1720.
- Déclaration du roi concernant la Ferme du tabac, Paris, 17 octobre 1720.
- Déclaration du roi portant règlement pour la Ferme du tabac, Paris, 1er août 1721.
- Déclaration du roi portant règlement général pour la Ferme du Tabac, 1er août 1721.
- Déclaration du roi concernant les particuliers qui seront arrêtés portant du tabac, des toiles peintes ou autres marchandises de contrebande ou en fraude, par attroupement et armés au nombre de trois au-dessus, seront punis de mort et leurs biens confisqués, même dans le lieu où la confiscation n’aura pas lieu, Paris, 27 janvier 1733.
- Lettres patentes du 28 mai 1743, au sujet de la vente du tabac.
- Déclaration du roi ordonnant la perception d'un droit de 30 sous sur chaque livre de tabac étranger entrant dans le royaume, donnée à Marly, 4 mai 1749.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi, 25 novembre 1749.
- Déclaration du roi ordonnant la perception de quatre sols pour livre sur les tabacs, du 24 août 1758.
- Arrêt du Conseil d’Etat du roi qui fixe l'étendue des trois lieues d'Alsace, limitrophes aux trois évêchés, à la Lorraine, à la Franche-Comté et au Montbéliard, et le nombre des marchands auxquels il permet un approvisionnement de mille livres de tabac à la fois pour la consommation des Habitans de ces trois lieues, 9 novembre 1775.
- Arrêt du Conseil d’état du roi concernant la vente le débit du tabac, 16 octobre 1784.
- Opinion de M. d’Allarde sur l’impôt du tabac, s.l.n.d., vers 1790.
- Opinion de M. l'abbé Maury, député de Picardie, sur l'impôt du tabac : prononcée dans l'Assemblée nationale, le lundi 15 novembre 1790.
- Pétition des entreposeurs du tabac à l‘Assemblée nationale, s.l.n.d., vers 1790.
- Encyclopédie méthodique, Arts et métiers mécaniques, t. 8, Paris, Panckoucke, 1791, p. 1-21.
- Chambon (receveur des Fermes), Le commerce de l’Amérique par Marseille, Avignon, t. 1, 1764, p. 464-fin du vol.1 : chapitre tabac.
-
Bibliographie scientifique:
- Jacob M. Price, France and the Chesapeake. A History of the french tobacco monopoly, 1674-1791, Ann Arbor, 1973, t. I, p. 370-371.
- André Zysberg, Les galériens (1680-1798), Paris, Le Seuil, 1987.
- Marc et Muriel Vigié, L’herbe à Nicot amateurs de tabac, fermiers généraux et contrebandiers sous l’Ancien régime, Paris, Fayard, 1989.
- Jacques Tillie, Le tabac de Dunkerque, Dunkerque, Kim éditions, 1992.
- Michel Boyé, La manufacture de Tonneins et la fraude sur le tabac sous l’Ancien régime, Revue de l’Agenais, 1994, p. 187-207.
- Thierry Claeys, Les institutions financières de la France au XVIIIe siècle, t. II, annexes, Paris, éditions SPM, 2011, p. 399-401.
- Michael Kwass, Contraband. Louis Mandrin and the Making of a Global Underground, Cambridge, Harvard University Press, 2014.
Tabac » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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