Marie-Laure Legay
Les versements
frauduleux de sel entre Auvergne
rédimée et pays de gabelles furent permanents. Par la
déclaration du 13 octobre 1578, Henri III avait établi pour la Basse-
Auvergne
l’équivalent à 14 400 livres avec la condition, pour
les habitants, de ne pas tirer plus de 600 muids de
sel de Brouage et de
Guyenne. En réalité, la quantité en
circulation fut bien plus grande. Plusieurs lignes de
contrôle furent donc définies. Celle qui séparait l’Auvergne des pays de grandes gabelles était semblable
à celle définie dans le Poitou et la Marche. L’établissement de cinq lieues limitrophes à
partir de 1604, puis la mise
en place de contrôleurs
dans les villes de
Thiers, Courpière, Billom, Issoire et
autres lieux par l’ordonnance du 10 décembre 1636 ne furent d’abord guère
efficients: le contrôle des billets de gabelle des
marchands et regrattiers qui vendaient dans les cinq
lieues limitrophes ne se faisait pas sur la base d’un
dénombrement. La Cour des aides de Clermont
perfectionna le dispositif en créant sept dépôts en 1660 à Aigueperse, Riom, Maringues,
Thiers, et Saint-Pourçain, Ris et Cusset, puis un huitième
dépôt à Lezoux, pour limiter les versements de la Basse-
Auvergne vers la généralité de
Moulins et le Forez. L’ordonnance
des gabelles de 1680 établit
enfin une régie des dépôts
qui fixa la consommation à un minot pour sept personnes
dans l’arrondissement de chaque dépôt. Des rôles de
dénombrement des familles étaient dressés par les
collecteurs et remis au contrôleur du dépôt. Pour autant,
la Ferme générale continua à solliciter des mesures contre
la liberté d’approvisionnement; en 1773, à la suite du meurtre de deux
employés de la brigade
de Pont-du-Château, les habitants de
Beauregard-l'Evêque furent par exemple mis en cause comme
complices. Les paysans achetaient les sacs de sel à
Clermont, Montferrand, Herment, Pontaumur, Pontgibaud et
les revendaient aux faux-sauniers avec un bénéfice de 20
sous. Le sel passait ensuite
en Bourbonnais où il était vendu en fraude des
droits.
Il fallut également songer à limiter
les versements entre la Haute-Auvergne
gabellée et le Quercy exempt. Là, la délimitation de
lieues limitrophes ne
suffisait pas davantage à contenir le faux-saunage. Les
contrôleurs vérifiaient les déclarations des marchands et
voituriers qui voulaient aller acheter du sel dans les
salorgues et délivraient des passavants, mais les Fermiers
généraux réclamaient des dépôts : « en établissant dans
ces contrôles de billettes une nouvelle régie à l’instar
de celle qui est suivie dans les dépôts et en formant de
nouveaux contrôles dans la prévôté d’Aurillac, lesquels se
joindront à ceux qui pourraient être établis sur la frontière du Haut Languedoc et du Quercy ». Une ligne de nouveaux contrôles du nord au sud par Achon, Murat, Vic, Aurillac, Marcolès, Maurs, Cajarc et Caylus, fut donc envisagée. Outre ces versements qui constituaient bien un trafic frauduleux, les autorités constatèrent un trafic légal de sel entre pays de petites gabelles: les marchands venaient chercher du sel en Haute-Auvergne et Rouergue pour
le mener en Velay et Languedoc où
son prix était plus élevé. Le Contrôle général des
finances fit donc adopter un arrêt pour interdire les déplacements de
sel stocké en Auvergne et
Rouergue.
Les bandes circulaient aisément en
Auvergne. L’inspecteur Salua le constata
en 1709 : « il est impossible
de s’opposer au passage des faux-sauniers qu’en faisant
des détachements tout au moins de cinquante ou soixante
hommes ». Jean Barret, à la tête d’une troupe de 80
contrebandiers, parti de Savoie pour le Puy-en-Velay en
décembre 1732, bénéficia de la
complicité des cabaretiers auvergnats dans son expédition.
En 1754, Mandrin procéda à des
ventes forcées de tabac, à
Brioude, à Ambert, à Thiers… Il y mit en œuvrer sa méthode
consistant à prélever toute la caisse de l’entrepôt de
tabac, mais à exiger aussi de l’entreposeur ou du
receveur qu’il empruntât les sommes nécessaires pour
couvrir la valeur de la « livraison » de tabac de
contrebande. Après l’arrestation du Dauphinois en mai
1755, d’autres bandes
sévirent, dès 1756. Les
incursions de 1761-1762 impliquaient des groupes
importants : 50 à 60 hommes repérés à Mauriac en août
1761, plus de 80
passèrent par Thiers, Ambert, Mauriac et Aurillac en mars
1762 ; ils étaient 120 en
mai. L’abondante correspondance entre administrateurs,
intendants, subdélégués, receveurs…, tous alertés de ces
déplacements, ne permettait guère de prévenir les
prédations sur les caisses de la Ferme générale comme
celle de l’entreposeur d’Ambert qui subit une perte de
2 200 livres. Une partie des troupes à cheval formées en
Dauphiné par la Ferme générale sur autorisation du roi
fut donc détachée en Auvergne.
L’épopée de Taurin Montagne entre février et juillet 1768, révéla encore
d’importantes complicités parmi les Auvergnats. Originaire
de Lezoux, il y séjourna plusieurs semaines après le
meurtre d’un employé des gabelles, sans être arrêté. Son
périple fut moins ample que celui de Mandrin. On le suit
jusqu’à Troyes (juin 1768),
mais ses déplacements se faisaient surtout entre l’Auvergne et le Forez (à Saint-Anthème
en mai, Saint-Amand-Roche-Savine en juin, Billom, Ussel
sur la route de Lyon à Thiers,
Saint-Just en Chevalet en juillet). Il parvint à s’évader
deux fois des prisons de Clermont. Des bandes venues de
l’est savoyard et dauphinois se signalèrent encore
régulièrement dans les années 1770, mais elles se cantonnèrent aux confins de la
province.
Vis-à-vis des traites, l’Auvergne était
enserrée au nord par la ligne des Cinq grosses fermes qui la séparait du
Bourbonnais (généralité de Moulins), matérialisée par une vingtaine
de bureaux dont ceux de Gannat et Vichy. Réputés de
« province étrangère », ses marchands réglaient des droits
d’entrée pour aller vendre les productions du cru,
notamment le papier et les toiles. Concernant les aides, l’Auvergne n’était pas considérée comme
pays d’aides. Lorsqu’ils tiraient les vins du Lyonnais voisin, les marchands devaient donc régler des
droits comme la subvention par doublement, considérée comme un droit de douane
interne. Ajoutés aux droits rétablis de courtiers-jaugeurs, et aux quatre sols pour livre d’augmentation, cette fiscalité sur les
alcools finit par peser lourd lorsque Charles Cordier en
prit la régie (1721). On
estima à 110 livres tournois par muid de vin le coût de
ces taxes, de sorte que Louis XV, pour préserver le
commerce lyonnais, exempta le vin passant en Auvergne de la
subvention par doublement.
La province était abonnée pour
le règlement des droits réservés (1758) à 100 000
livres et deux sous pour livre (soit 10 000 livres) ; pour
les droits rétablis (droits de courtiers-jaugeurs, inspecteurs aux boissons, inspecteurs aux boucheries) à 56 000
livres (1774) ; pour les
droits sur les huiles et savons à 4 200 livres (1774).
Le tout fut ramené à 150 000 livres, savoir 100 000 livres
pour les droits et 50 000 pour les dix sous pour livre, en 1782. Elle dut également
subir la nouvelle fiscalité sur les cuirs, sur les cartes à
jouer, taxes qui
provoquèrent les mêmes résistances qu’ailleurs dans
le royaume.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Auvergne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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