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Auvergne

Marie-Laure Legay





L’Auvergne était une province bornée au nord par les généralités de Moulins et Bourges, sujettes aux grandes gabelles, à l’Ouest par la Marche, le Poitou et le Quercy, provinces exemptes, au sud et à l’est par le Rouergue, Velay et le Forez, pays de petites gabelles. Elle parvint à se rédimer du droit de gabelle qui ne subsista plus que dans une très petite partie touchant le Rouergue et le Languedoc au Sud, le Forez et le Velay au Levant. L’ordonnance de septembre 1453, confirmée par celle d’octobre 1493, avait en effet converti en un abonnement appelé « équivalent » le droit de gabelle imposé au-delà des rivières Alagnon et Jordanne, tandis que la Haute-Auvergne, située en deçà de ces rivières, vers le sud, restée assujettie à la gabelle du Languedoc. Cette division ne manqua pas de générer des doléances. La ville de Brioude et celle de Saint-Flour étaient situées en deçà de l’Alagnon et donc sujettes à la gabelle, mais treize paroisses de la prévôté de Brioude et 24 paroisses de celle de Saint-Flour se situaient au-delà en pays rédimé et avaient donc le droit d’user du sel de Brouage en payant leur portion de l’équivalent. Inversement, Aurillac se trouvait au-delà de la Jordanne, en pays rédimé, mais 23 paroisses de sa prévôté se trouvaient en pays de gabelle. Ces 23 paroisses furent donc déclarées exemptes à l’instar du chef-lieu par Henri II (Lettres patentes d’avril 1550) et confirmation d’Henri IV en juillet 1603. Les treize paroisses de la prévôté de Brioude et les 24 paroisses du ressort de celle de Saint-Flour furent conservées dans l’exemption du droit de gabelle par arrêt du 17 avril 1625, confirmé par arrêt du 6 février 1697. Ensuite, de nouveaux ajustements eurent lieu au XVIIIe siècle concernant la paroisse de Bredons, exemptée, et celle de Dienne (élection de Saint-Flour), également exemptée par arrêt du 8 avril 1727. La rivière de Jordanne et Alagnon ne constituèrent plus la séparation entre les deux régimes fiscaux.

Les versements frauduleux de sel entre Auvergne rédimée et pays de gabelles furent permanents. Par la déclaration du 13 octobre 1578, Henri III avait établi pour la Basse- Auvergne l’équivalent à 14 400 livres avec la condition, pour les habitants, de ne pas tirer plus de 600 muids de sel de Brouage et de Guyenne. En réalité, la quantité en circulation fut bien plus grande. Plusieurs lignes de contrôle furent donc définies. Celle qui séparait l’Auvergne des pays de grandes gabelles était semblable à celle définie dans le Poitou et la Marche. L’établissement de cinq lieues limitrophes à partir de 1604, puis la mise en place de contrôleurs dans les villes de Thiers, Courpière, Billom, Issoire et autres lieux par l’ordonnance du 10 décembre 1636 ne furent d’abord guère efficients: le contrôle des billets de gabelle des marchands et regrattiers qui vendaient dans les cinq lieues limitrophes ne se faisait pas sur la base d’un dénombrement. La Cour des aides de Clermont perfectionna le dispositif en créant sept dépôts en 1660 à Aigueperse, Riom, Maringues, Thiers, et Saint-Pourçain, Ris et Cusset, puis un huitième dépôt à Lezoux, pour limiter les versements de la Basse- Auvergne vers la généralité de Moulins et le Forez. L’ordonnance des gabelles de 1680 établit enfin une régie des dépôts qui fixa la consommation à un minot pour sept personnes dans l’arrondissement de chaque dépôt. Des rôles de dénombrement des familles étaient dressés par les collecteurs et remis au contrôleur du dépôt. Pour autant, la Ferme générale continua à solliciter des mesures contre la liberté d’approvisionnement; en 1773, à la suite du meurtre de deux employés de la brigade de Pont-du-Château, les habitants de Beauregard-l'Evêque furent par exemple mis en cause comme complices. Les paysans achetaient les sacs de sel à Clermont, Montferrand, Herment, Pontaumur, Pontgibaud et les revendaient aux faux-sauniers avec un bénéfice de 20 sous. Le sel passait ensuite en Bourbonnais où il était vendu en fraude des droits.

Il fallut également songer à limiter les versements entre la Haute-Auvergne gabellée et le Quercy exempt. Là, la délimitation de lieues limitrophes ne suffisait pas davantage à contenir le faux-saunage. Les contrôleurs vérifiaient les déclarations des marchands et voituriers qui voulaient aller acheter du sel dans les salorgues et délivraient des passavants, mais les Fermiers généraux réclamaient des dépôts : « en établissant dans ces contrôles de billettes une nouvelle régie à l’instar de celle qui est suivie dans les dépôts et en formant de nouveaux contrôles dans la prévôté d’Aurillac, lesquels se joindront à ceux qui pourraient être établis sur la frontière du Haut Languedoc et du Quercy ». Une ligne de nouveaux contrôles du nord au sud par Achon, Murat, Vic, Aurillac, Marcolès, Maurs, Cajarc et Caylus, fut donc envisagée. Outre ces versements qui constituaient bien un trafic frauduleux, les autorités constatèrent un trafic légal de sel entre pays de petites gabelles: les marchands venaient chercher du sel en Haute-Auvergne et Rouergue pour le mener en Velay et Languedoc où son prix était plus élevé. Le Contrôle général des finances fit donc adopter un arrêt pour interdire les déplacements de sel stocké en Auvergne et Rouergue.

Les bandes circulaient aisément en Auvergne. L’inspecteur Salua le constata en 1709 : « il est impossible de s’opposer au passage des faux-sauniers qu’en faisant des détachements tout au moins de cinquante ou soixante hommes ». Jean Barret, à la tête d’une troupe de 80 contrebandiers, parti de Savoie pour le Puy-en-Velay en décembre 1732, bénéficia de la complicité des cabaretiers auvergnats dans son expédition. En 1754, Mandrin procéda à des ventes forcées de tabac, à Brioude, à Ambert, à Thiers… Il y mit en œuvrer sa méthode consistant à prélever toute la caisse de l’entrepôt de tabac, mais à exiger aussi de l’entreposeur ou du receveur qu’il empruntât les sommes nécessaires pour couvrir la valeur de la « livraison » de tabac de contrebande. Après l’arrestation du Dauphinois en mai 1755, d’autres bandes sévirent, dès 1756. Les incursions de 1761-1762 impliquaient des groupes importants : 50 à 60 hommes repérés à Mauriac en août 1761, plus de 80 passèrent par Thiers, Ambert, Mauriac et Aurillac en mars 1762 ; ils étaient 120 en mai. L’abondante correspondance entre administrateurs, intendants, subdélégués, receveurs…, tous alertés de ces déplacements, ne permettait guère de prévenir les prédations sur les caisses de la Ferme générale comme celle de l’entreposeur d’Ambert qui subit une perte de 2 200 livres. Une partie des troupes à cheval formées en Dauphiné par la Ferme générale sur autorisation du roi fut donc détachée en Auvergne. L’épopée de Taurin Montagne entre février et juillet 1768, révéla encore d’importantes complicités parmi les Auvergnats. Originaire de Lezoux, il y séjourna plusieurs semaines après le meurtre d’un employé des gabelles, sans être arrêté. Son périple fut moins ample que celui de Mandrin. On le suit jusqu’à Troyes (juin 1768), mais ses déplacements se faisaient surtout entre l’Auvergne et le Forez (à Saint-Anthème en mai, Saint-Amand-Roche-Savine en juin, Billom, Ussel sur la route de Lyon à Thiers, Saint-Just en Chevalet en juillet). Il parvint à s’évader deux fois des prisons de Clermont. Des bandes venues de l’est savoyard et dauphinois se signalèrent encore régulièrement dans les années 1770, mais elles se cantonnèrent aux confins de la province.

Vis-à-vis des traites, l’Auvergne était enserrée au nord par la ligne des Cinq grosses fermes qui la séparait du Bourbonnais (généralité de Moulins), matérialisée par une vingtaine de bureaux dont ceux de Gannat et Vichy. Réputés de « province étrangère », ses marchands réglaient des droits d’entrée pour aller vendre les productions du cru, notamment le papier et les toiles. Concernant les aides, l’Auvergne n’était pas considérée comme pays d’aides. Lorsqu’ils tiraient les vins du Lyonnais voisin, les marchands devaient donc régler des droits comme la subvention par doublement, considérée comme un droit de douane interne. Ajoutés aux droits rétablis de courtiers-jaugeurs, et aux quatre sols pour livre d’augmentation, cette fiscalité sur les alcools finit par peser lourd lorsque Charles Cordier en prit la régie (1721). On estima à 110 livres tournois par muid de vin le coût de ces taxes, de sorte que Louis XV, pour préserver le commerce lyonnais, exempta le vin passant en Auvergne de la subvention par doublement.

La province était abonnée pour le règlement des droits réservés (1758) à 100 000 livres et deux sous pour livre (soit 10 000 livres) ; pour les droits rétablis (droits de courtiers-jaugeurs, inspecteurs aux boissons, inspecteurs aux boucheries) à 56 000 livres (1774) ; pour les droits sur les huiles et savons à 4 200 livres (1774). Le tout fut ramené à 150 000 livres, savoir 100 000 livres pour les droits et 50 000 pour les dix sous pour livre, en 1782. Elle dut également subir la nouvelle fiscalité sur les cuirs, sur les cartes à jouer, taxes qui provoquèrent les mêmes résistances qu’ailleurs dans le royaume.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AD Puy-de-Dôme, 1C 1640-1648 (affaire Mandrin).
  • AD Puy-de-Dôme, 1C 1651-1652 (nouvelles incursions de, 1761-1765).
  • AD Puy-de-Dôme, 1C 1653-1659 (parcours de Montagne, 1768-1769).
  • AD Puy-de-Dôme, 1C 4869-4885 (affaires de gabelles), 1C 4887-4989 (tabac).
  • AN, G1 88, Dossier 8 : mémoire sur les gabelles de l’Auvergne.
  • AN, G7 1170, procès-verbal de visite de Salua, inspecteur des Fermes, 29 juin 1709.

    Sources imprimées:
  • Ordonnance de l’intendant d’Auvergne, Claude Le Blanc, contre les faux-sauniers et leurs receleurs, Issoire, 2 novembre 1705.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne qu'il ne sera payé aux bureaux de Gannat et Vichy que 8 s. du cent pesant sur la Perelle, appelée teinture, venant d'Auvergne, 1er février 1718.
  • Nicolas de Fer, cartographe, Les Provinces et gouvernements du Lyonnais, Forez et Beaujolais, de la Haute et Basse Auvergne et du Bourbonois, 1720.
  • De Miremont, Carte des contrôles establis pour la conservation des droits de la ferme générale des gabelles de France sur la frontière des provinces de la Marche, Combraille et Auvergne, qui comprend les villes, bourgs et paroisses qui en composent chaque ressort, les rivières, bois, ponts et passages qu'il y convient garder et à cet effet les postes des brigades tant de pied que de cheval, s.d., XVIIIe siècle.
  • Déclaration du roi concernant les gabelles du Languedoc et d’Auvergne, donnée à Paris le 2 avril 1722.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui décharge des droits de la double subvention les vins et autres boissons qui sortiront de la généralité de Lyon pour être transportés dans la province d'Auvergne et lieux circonvoisins où les aides n'ont pas cours, 22 novembre 1723.
  • Arrêt du Conseil d’Etat portant défenses à tous muletiers, voituriers et autres du pays de Gévaudan, Velay, Languedoc, Auvergne et Rouergue de voiturer dans le Gévaudan, Velay et Languedoc le sel qu'ils auront levé dans les chambres ou marchés du Rouergue et Auvergne, 30 janvier 1725.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui maintient les habitants de la paroisse de Bredons en haute Auvergne dans le privilège de se servir du sel de Guyenne et de Poitou, 27 août 1726.
  • Lettres patentes du roi portant règlement pour la fabrication des toiles dans la généralité d'Auvergne, données à Versailles, le 30 septembre 1780.
  • Arrêt du Conseil d’Etat qui fixe les trois abonnements à payer, à compter du 1er octobre 1781, par la province d'Auvergne, pour y tenir lieu des droits réservés, de ceux de courtiers-jaugeurs, inspecteurs aux boissons et aux boucheries, et du droit sur les huiles, 8 août 1782.


    Bibliographie scientifique:
  • Marcel Juillard, « Le brigandage et la contrebande en Haute-Auvergne au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire de l’Auvergne, Aurillac, 1935, p. 441-492.
  • Emile Pauly, Le grenier à sel de Montluçon et Faux-saunage en Combrailles, Moulins, Crépin-Leblond, 1946.
  • Abel Poitrineau, La vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIIe siècle, 2 vol., PUF, 1965.
  • Michael Kwass, Louis Mandrin. La mondialisation de la contrebande au siècle des Lumières, Vendémaire, 2016.




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Auvergne » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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