Marie-Laure Legay
Concernant cette
denrée, il faut distinguer les taxes prélevées à l’arrivée
en métropole des sucres des îles françaises d’une part
(droits du Domaine d’Occident) et les droits de traites à visée protectionniste (définis par les tarifs
d’entrée dans les Cinq grosses fermes). Les sucres furent d’emblée taxés
sur place dans les colonies au titre du Domaine d’Occident. A partir de 1671, 3% de leur valeur furent en outre
prélevés par la Ferme du Domaine à l’arrivée en métropole
(3, 5 % à partir de 1727), tant
dans les provinces des Cinq grosses fermes que dans celles réputées étrangères,
c’est-à-dire dans les ports privilégiés bretons (droits de Prévôté
de Nantes). La Ferme du
Domaine d'Occident
enregistra en 1774 une recette
de 300 000 livres sur les sucres. D’après l’état des marchandises des îles et droits acquittés pour 1775, les sucres (tant sucre brut, sucre terré) rapportèrent au total au fisc 4 542 720 livres (AN, H1 1686).
Vis-à-vis des traites, le tarif de
1667, repris de celui de
1664, taxait à l’entrée
dans l’Etendue les sucres
des îles d’Amérique à quatre livres le cent pesant, quelle
que fût leur qualité (brut ou terré), et tous les sucres
raffinés étrangers à 22 livres dix sols (40 livres suivant
l’arrêt du 17 mars 1782 qui
durcit la protection douanière). Pour encourager le
raffinage en métropole, la taxation des sucres raffinés
dans les colonies
françaises demeura élevée à l’instar de celle qui pesaient
sur les sucres étrangers. Tant le sucre raffiné des îles
d’Amérique que celui des iles de France et de Bourbon
(bien moins important en volume), restèrent pénalisés. En
métropole, le gouvernement dut régler le sort des sucres
raffinés dans les provinces « réputées étrangères » du
royaume notamment à Bordeaux et La Rochelle :
d’abord fixés à 15 livres le cent pesant (tarif de 1664), les droits furent
réduits à 3 livres deux sols et trois deniers en 1725. Les sucres arrivés à
Marseille et
raffinés dans la ville devaient, selon les instructions
pour le Languedoc du premier septembre 1691, quatre livres par quintal au titre du Domaine d’Occident et quatre
livres pour la Ferme générale quand ils entraient dans le
royaume.
Les lettres patentes de 1717 reprirent ces dispositions. Elles encouragèrent
les raffineurs de Bordeaux, La Rochelle, Rouen et Dieppe en prévoyant la
restitution des droits d’entrée sur les sucres bruts des
îles, dès lors que les produits raffinés étaient destinés
à l’exportation. Pour obtenir cette restitution, les
raffineurs devaient prendre des acquits à caution dans les bureaux
de sortie (Auxonne, Louans, Collonges ou Seyssel pour
Genève, Pont-de-Beauvoisin ou Chaparillan pour la
Savoie et le Piémont ;
Agde pour l’Italie et l’Espagne par la voie de la Méditerranée). Une partie des
droits fut remboursée d’abord (cinq livres, 12 sous et 6
deniers par quintal selon l’arrêt du 17 novembre 1733). Cette faveur engagea
les raffineurs de Bordeaux
à considérer les droits d’entrée comme simples droits de
consommation : « les droits imposés par ce règlement
[celui de 1717] sont, comme
tous les autres droits des marchandises venant de
l’étranger, purement droits d’entrée, dus et acquis au
Fermier dès l’instant de l’arrivée, leur perception est
indépendante de la consommation des marchandises ou
denrées, bien que l’usage, à Bordeaux, est de caractériser
ces droits comme droit de consommation. Or, les sucres des
colonies, quoique destinés aux raffineries, objet
privilégié dans le cas d’exportation à l’étranger, après
avoir été raffinés dans le royaume, sont assujettis aux
droits. Ils les acquittent à leur arrivée. Ils sont
conduits de suite dans la raffinerie ou à la sortie de
l’entrepôt s’ils en sont tirés à cet emploi, le
remboursement du droit d’entrée que les sucres raffinés
acquièrent par leur exportation à l’étranger est une
faveur particulière qui ne dénature ni ne peut dénaturer
la constitution du droit auquel le remboursement même
confirme s’il en est besoin son caractère propre de droit
d’entrée ». En 1732, une
procédure extraordinaire fut intentée contre Daniel
Dormand, Jean Lambert, Elie Hagon, Jean Laroque, Baltazar
David et Antoine Royés, raffineurs et négociants à Bordeaux, tous assignés
à Lyon après l’arrestation de
leurs voitures sur le chemin entre Belley et Seyssel,
prises sans acquits. Finalement la totalité des droits
d’entrée fut restituée à tous les raffineurs des ports
français qui exportaient, afin de lutter contre la
concurrence des sucres raffinés étrangers (1786). Comme il n’existait pas
de droits de sortie sur les sucres raffinés en métropole
et destinés à l’exportation (article final du tarif de
1664), la filière de
production de sucres raffinés issus des îles était
entièrement défiscalisée.
Pour les autres sucres, le tarif
douanier évolua sur le pied d’une évaluation faite de gré
à gré. « Elle est ordinairement réglée avec les négociants
de La Rochelle et renouvelée de six mois en six mois par
rapport à la variation du prix de ces marchandises »,
lit-on dans un mémoire de 1755
conservé aux archives nationales en G1 82. Ce tarif était
suivi dans tous les autres ports par où le commerce des
îles était permis. Voici le tarif fixé pour les six
premiers mois de 1764 :
-Sucre brun, le cent pesant (cent livres) : 23 livres 10 sols
-Sucre brun de Cayenne : 19 livres
-Sucre blanc raffiné : 56 livres
-Sucre terré : 35 livres
-Sucre teré de Thomé : 27 livres
-Sucre terré de Cayenne : 30 livres
La
question du prélèvement fiscal sur les sucres de prises
opposa le fermier du Domaine d’Occident et la Ferme générale. Outre les 3 %,
le premier prétendait lever sur les sucres de prises un
droit de 40 sols par cent pesant. Il jugeait qu’une grande
partie des prises de guerre était originaire des îles
françaises. Bénéficiaires de ce droit de prise, les
Fermiers généraux formèrent opposition. Lors de la
première année du bail Charles Ferreau et Charles Ysambert
(octobre 1703 -septembre 1704), les droits avaient
rapporté 56 059 livres ; la 2e année : 126 773 livres ; la
3e année : 39 153 livres ; la 4e année 20 404 et la 6e
année : 47 743 livres, soit en tout 290 135 livres, non
compris les bureaux de
Dunkerque et Ypres pour la première
année, les bureaux de
Roscoff, Audierne, Auray, Nantes, Dunkerque et Ypres pour
la 2e année. Comme les intérêts des deux fermes du roi
étaient somme toute communs et consistaient surtout à
faire en sorte que les sucres fussent ramenés en métropole
et ne passent pas à l’étranger, il fut établi que, sur le
droit de 3 livres perçu sur les sucres de prises provenant
des îles françaises de l’Amérique, 40 sols devaient être
réglés au fermier du Domaine, et 20 sols au fermier des
Cinq grosse fermes. Ainsi,
le sucre blanc provenant de l’escadre commandée par
Duguay-Troin pour l’expédition de Rio de Janeiro rapporta,
d’après le bureau général des Fermes à Rennes, 8 856
livres au titre des droits de 3% et 13 236 livres pour les
40 sols (28 avril 1713). A
l’égard des sucres de prises provenant des colonies
étrangères, le fermier du Domaine d’Occident devait pouvoir
jouir du même droit de 40 sols pendant le temps de la
guerre seulement : les sucres pris et repris sur l’ennemi
étaient traités comme s’ils venaient en droiture des îles.
Notons enfin que les sucres de la traite des noirs étaient déchargés de
la moitié des droits à l’entrée, sur présentation de
justificatifs signés soit de l’intendant des Îles, soit
d’un commis du Domaine d’Occident ou d’un commissaire-ordonnateur.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Sucre » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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