Marie-Laure Legay
La fiscalisation de la pêche avait
pour objectif majeur la protection de la pêche
« nationale ». La pêche étrangère était prohibée ou fortement
taxée. Depuis 1671, le hareng
frais ou salé étranger réglait un droit de quarante livres
par lest de douze barils, mais dès 1687, le hareng frais fut prohibé. Ne pouvaient entrer par mer ou par
terre que les harengs en vrac salé au sel de Brouage (arrêt 5 janvier
1691). De même, les
morues, saumons, cabillauds, maquereaux… de pêche
étrangère furent fortement taxés par l’arrêt du 4 octobre
1691. La pêche anglaise fut strictement
encadrée : 80 livres le lest de 12 barils de hareng (et 8
livres sur les 12 barils de morues séchées) d’après
l’arrêt de prohibition
du 6 septembre 1701. Le
gouvernement fit exception pour le hareng de la pêche
hollandaise dans le cadre du traité de commerce consécutif
à la paix d’Utrecht (1713),
mais assimila finalement cette pêche de harengs hollandais
à celle de l’Angleterre
en 1746 et lui fit donc porter
les mêmes taxes.
Malgré ces
règlements, la pêche anglaise parvint à
s’introduire dans les ports de Dunkerque, Bayonne ou Marseille en fraude des droits à cause de la
diversité des contenants et des difficultés de
contrôle dans les bureaux de la Ferme générale. La fiscalité à l’entrée du royaume fut donc
uniformisée en 1763 (arrêt du 6
juin) et fixa la taxe sur le hareng blanc, qui ne pouvait
entrer en France qu’en vrac et salé du sel de Brouage, à 24 sols le
quintal, le hareng saur à 4 livres par quintal, les morues
vertes et cabillauds à douze livres par quintal, les
morues sèches à 8 livres par quintal, les maquereaux salés
à 20 sous par quintal, les saumons salés à 20 sous par
quintal également sauf pour ceux d’Angleterre réglés à 36
sous par quintal.
A l’inverse, le gouvernement encouragea
la circulation des produits de la pêche coloniale. Dès
1714, au lendemain de la
fondation de Louisbourg, les morues sèches et huiles de
poisson issues de l’Ile-royale (Cap-Breton) furent non
seulement exemptées du tarif des Cinq grosses fermes, des droits de la
prévôté de Nantes,
Comptablie et courtage,
Table de mer, deux pour cent
d’Arles, douane de Lyon, mais aussi libérées
des droits de la douane de Valence ou de la Foraine
lorsqu’elles passaient de Provence en Dauphiné. Cet avantage fut régulièrement
confirmé.
Vis-à-vis de la pêche nationale, des taxes se
levaient au titre des aides.
Ces droits dits « d’abord et de consommation », réglés par
l’ordonnance des aides de juin 1680, entraient dans le bail
de la Ferme générale. Ils ne doivent pas être confondus
avec les droits de rivière
qui taxaient les boissons. Les droits d’abord se levaient sur tous les poissons de
mer frais, secs ou salés qui entraient dans les
généralités où les aides
avaient cours et dans la province d’Anjou par la Loire. Des marchands de la
ville de
Sézanne, généralité de
Châlons où les aides étaient levées,
oublièrent par exemple de faire déclaration de
plusieurs tonnes de harengs et morues, ce qui leur
valut amende de cent livres chacun (arrêt du 23 octobre 1731). Les droits
de consommation se levaient sur tous les poissons de mer
frais, secs ou salés, mais aussi les aloses, qui entraient
spécifiquement en Normandie, en Picardie ou en Anjou par la Loire pour y être consommés ou pour y
être transporté ailleurs. Ces droits de consommation
favorisaient la pêche normande car les pêches extérieures
à la province, notamment des ports de
Flandres ou de Bretagne, devaient régler ces droits en traversant la
Normandie, outre les droits d’entrée
des Cinq grosses fermes.
Toutefois, l’ordonnance de juillet 1681
exclut des droits de consommation la pêche
destinée à Paris. Dans la capitale en effet, se levaient
des droits spécifiques destinés à rembourser des offices
de jurés-vendeurs de poisson, crées puis supprimés par
l’Etat. Certificats et lettres de voiture étaient donc
exigés dans les bureaux « d’abord et de consommation » de
la Ferme générale et vérifiés par les commis de la Ferme
aux halles de Paris où la pêche devait être menée
directement. Il était tentant en effet, pour les marchands
de poissons extérieurs à la Normandie, de déclarer leurs marchandises pour Paris
pour éviter cette taxe. Ceux de Nantes par exemple, faisaient remonter leur
pêche par la Loire et devaient déclarer leur pêche de
poisson frais et de salines
à Ingrandes en entrant en
Anjou. Ils réglaient au bureau d’Ingrandes
15 sols par cent pesant de poisson pour les
droits d’entrée des Cinq grosses fermes, 4 livres et 8 deniers le cent pesant
pour le droit de consommation, les 4 sols pour livre des dits droits, et
les droits d’acquit à caution. On voit que les droits de consommation étaient
bien plus élevés que les droits du tarif de 1664. A Paris même, la Ferme
générale dut lutter en outre contre la vente frauduleuse
de poissons par les habitants des trois lieues limitrophes autour de
la capitale. Selon l’ordonnance de juin
1680, les poissons de mer frais, secs ou
salés vendus dans cette zone devaient être pris aux halles
de Paris et avoir payé les droits. Or des fraudeurs se
procuraient les poissons soit directement, soit au Pecq ou à Saint-Germain,
localités extérieures aux trois lieues, pour les vendre
exemptés des taxes parisiennes. En 1722, au moment où les « droits rétablis » sur les
ports, quais, halles et marchés de la ville de Paris
furent réactivés, Martin Girard, chargé de la
régie de ces droits qui comprenaient ceux des vendeurs de
poissons, devait pouvoir lever douze deniers parisis pour
livre sur le poisson frais, sec ou salé, douze sols par
écu sur la marée, et quatorze sols par écu sur le hareng
frais et saur, les deux sous pour livre sur le tout ainsi
que les nouveaux droits réglés par le tarif du 13 août
1715 venant en plus.
Toutefois, les marchands de poissons ne se soumirent pas
facilement à cette nouvelle régie et s’inscrivirent
parfois en faux contre les
écritures des commis de Martin Girard (1729).
La fiscalité sur les poissons
consommés à Paris évolua sensiblement. En période de
carême, lorsque le prix des céréales se trouvait élevé, il
arrivait que le gouvernement exemptât le poisson, denrée
maigre. Cette exemption fut
rendue définitivement en 1775
: Turgot libéralisa le commerce des poissons en
réduisant de moitié les droits sur le poisson frais et en
supprimant les droits levés sur le poisson salé dans la
ville de Paris, avec pour intention à la fois de soulager
le peuple et de soutenir la pêche maritime.
En dehors des
aides, la vente des
poissons était taxée par un droit dit « sol pour
livre » depuis 1583, date de
création des jurés-vendeurs de poissons. Depuis l’arrêt du
16 avril 1680, il était payé
sur le prix de la première vente aux commis du Fermier
chargés de faire les fonctions de jurés-vendeurs, offices
qui avaient été supprimés. Cependant, certains ports
étaient privilégiés, soit parce qu’ils avaient racheté ce
droit comme Calais où le poisson se vendait sur place au
Mainque ou « bureau du poisson pêché », soit parce qu’ils
en étaient exemptés comme Dieppe où les pêcheurs pouvaient vendre directement leur
poisson frais sans payer ce droit ; de même, les armateurs
normands et picards pouvaient vendre leur poisson salé
librement sur place, dans les ports d’attache des navires.
Les contrôles s’effectuaient à partir des registres des amirautés: l’ordonnance de la Marine de 1681 exigeait en effet que les amirautés
dressassent une liste de tous les marins-pêcheurs de
plus de 18 ans avec leur nom, leur âge et leur lieu
de résidence ainsi que la nature de leur pêche. Toutefois, cette fiscalité généra également des
malentendus. Les ports du Havre, du Tréport ou de Saint-Valéry-en Caux, ports non
privilégiés, firent valoir l’injustice vis-à-vis de Dieppe. De même, Calais
était exempte des droits de sols pour livre sur les
poissons et la ville ne comprenait donc pas pourquoi sa
production payait des droits d’entrée sur les harengs (en
réalité les droits de consommation) que les pêcheurs
menaient à Rouen, étant donné qu’elle était par ailleurs
soumise aux tarifs de 1664 et
1667. La communauté
calaisienne trouvait la situation d’autant plus injuste
que dans le même temps, les pêcheurs de Dieppe qui venaient pêcher
le hareng dans ses eaux, ne payaient rien au titre des
privilèges de ladite ville. Par ailleurs, le gouvernement
accordait des avantages aux pêcheurs en limitant la
fiscalité des sels nécessaires aux salaisons des morues ;
ainsi les pêcheurs de Honfleur (arrêt du 27 janvier 1739). D’une manière générale,
depuis la loi de l’Exclusif (avril 1717), les sels pris pour la pêche à la
morue vers Terre-Neuve en Bretagne et dans le gouvernement de Brouage étaient exonérés
des droits de Brouage. Le sel destiné à la pêche à la morue était
stocké à Grandville. Si les salines étaient salées à l’étranger, la Ferme
générale percevait un droit de rachat en guise
d’indemnisation de gabelle. Etabli en
1666 (arrêt du 6 juillet) pour la Provence, en 1691 pour le
Languedoc, le Dauphiné ou le Lyonnais
(arrêts des 19 juin et 24 juillet), ce droit restait
modique (6 sols par baril de poids de vingt livres à Marseille) car il
fallait encourager la pêche côtière des sardines et
maquereaux, notamment sur les côtes bretonnes. Au retour
de pêche, le sel qui avait servi pour salaison devait être
submergé comme sel immonde. En outre, déclaration devait
être faite des sels restants (arrêt de la Cour des aides
de Normandie, 13 août 1744).
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Pêche » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :