Croupe, croupier
La croupe était a priori une affaire
personnelle entre les fermiers et leurs commanditaires,
sans influence sur le Trésor royal et dans laquelle le
ministère des finances était théoriquement sans droit de
se mêler. En réalité, ce principe de non intervention
restait tout théorique car le Contrôleur général répondait
aux demandes de places, croupes, demi-croupes ou quart de
croupes, que les membres influents de la Cour espéraient.
On distinguait donc les croupiers volontaires et les
croupiers obligés. Les premiers étaient les prêteurs des
fermiers généraux qui complétaient leurs fonds d'avance par l'emprunt.
Les croupiers obligés n'étaient pas les mêmes : ils
étaient imposés au Fermier général par le roi ou par le
Contrôleur général. Ces croupiers avaient le droit au
partage des revenus de la place dans une proportion fixée
par le Contrôleur général (un tiers, un quart, un sixième,
un huitième). Ces croupes constituaient une charge pour
les titulaires, ce qui n'empêchait pas la pratique d'être
très répandue. Les croupes obligées faisaient l'objet d'un
acte notarié comme pour les associations volontaires. Ces
arrangements n'étaient pas bien perçus, ni par les
administrateurs éclairés, ni par l'opinion. « Ces demandes
ne sont pas trop bien fondées, mais la sollicitation des
gens accréditez que l’on fait mouvoir aisément par
intérêt, les fait souvent réussir », lit-on dans un
mémoire de 1740.
Lorsque la
liste des croupiers du bail David fut imprimée et diffusée
pour la première fois en 1774,
l’opinion publique se scandalisa. Le journaliste Pisandat
de Mairobert fut à l'origine de cette opération de
publication. A cette époque, le célèbre libelliste avait
atteint l'âge de la maturité. Originaire de Chaource, il
s'était installé durablement à Paris où il fréquentait
assidument le salon de Madame Doublet, mais aussi le café
Procope où il devisait avec d'autres nouvellistes. Il
publia la liste dans plusieurs Mémoires et journaux dont
les Mémoires de l'abbé Terrai, véritable best-seller paru
en 1776. L'authenticité de la
liste fait peu de doute : non seulement l'on retrouve les
noms des fermiers généraux effectivement en exercice en
1774, mais le texte
mentionne également nombre de commis ou d'inconnus, et
laisse parfois en blanc les lignes impossibles à remplir.
On distinguait parmi les croupiers les membres de la
famille royale : le roi possédait une moitié de place sur
Philippe Poujaud, un quart sur Delahaye et un autre quart
sur Saleur de Grizien, soit en tout, une place entière.
Cela ne contribua pas à accroître sa popularité, car déjà
Louis XV était soupçonné d'avoir parts et profits dans
diverses affaires de finances. En novembre 1774, Louis XVI abandonna un
quart à son valet de chambre Thierry de Ville-d'Avray. ;
les filles de France se trouvaient également associées au
bail David : Sophie, Adelaïde, Victoire, Louise, entrée au
carmel en 1770 sous le nom de
Thérèse de Saint-Augustin ; les maîtresses : la Dubarry ;
Omurphy (Marie-Louise O’Murphy, dite de Boisfailly, 1737-1814) ; Mme de Belsunce ; Mme Giambone au parc aux
cerfs (il s'agit de Marie-Louise de Marny, v. 1737 -ap. 1793), Melle Romans (Anne Couppier de
Romans, 1737-1808) ; les enfants et
petits-enfants (le duc d'Orléans, le comte de
Provence, le comte d'Artois); Marie-Joséphine de Savoie, comtesse de
Provence ; les hommes de mérite (les
chirurgiens La Martinière et son gendre Andouillé ;
Gabriel architecte, Ximenès, poète) et les hommes de
confiance du roi (médecin, dentiste, intendant,
secrétaire, nourrice) se trouvaient également présents.
La liste fit également apparaître l’entourage des
ministres : Terray avait lui-même deux parents croupiers,
sans en être un lui-même : sur Mirleau de Neuville (pour
un quart) et sur Darnay (un quart également). Les grands
administrateurs : intendants de finances (Trudaine),
intendants de province (Sénac de Meilhan, de
Séchelles) ; les premiers commis (Gérard, premier
commis des affaires étrangères, Laroque, premier commis
des colonies, Dupuy, premier commis des finances) se
trouvaient aussi impliqués.
En bref, cette liste révélait
les collusions d’intérêt entre la Cour et la Ferme
générale. L'essentiel des croupes étaient toutefois
détenues par les anciens fermiers généraux et leurs
familles, représentants les plus accomplis de la finance
catholique française. Rien d'étonnant à cela puisque les
cautions versées au départ pour entrer dans la compagnie
n'étaient pas remboursées par le Trésor royal. Terray
lui-même pensa bien à supprimer les croupes. Pour cela, il
fit faire une enquête auprès des fermiers pour connaître
leurs prêteurs, croupiers et pensionnés. Il dut néanmoins
abandonner son poste.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, K 885, pièce 1, « Mémoire personnel aux sieurs Pâris sur les affaires générales où ils furent employés », 1740, f° 76.
-
Sources imprimées:
- Encyclopédie méthodique, Finances, t. 1, Paris, 1784, p. 448.
- Liste du nouveau bail des Fermes dans Jean-Baptiste Louis Coquereau, Mémoires concernant l'administration des finances sous le ministère de M. l'abbé Terrai, 1776, p. 241.
-
Bibliographie scientifique:
- George T. Matthews, The Royal General Farms in Eighteenth Century France, Columbia University Press, New York, 1958, 232-237.
- Yves Durand, Les fermiers généraux au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1971.
- Marie-Laure Legay, Finance et calomnie. L’abbé Terray, ministre de Louis XV, Paris, EHESS, 2021.
Croupe, croupier » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :