Marie-Laure Legay
Ils bénéficiaient
d’atouts importants pour pratiquer la contrebande du sel ou
du tabac. : nombreux, lourdement armés, rapides, ils
n’étaient guère inquiétés par les moyens de lutte de la
Ferme générale, surtout quand ils étaient à cheval. Ils
s’adonnaient donc à des razzias sur les greniers. Les années 1640-1660 et 1690-1710 furent propices aux
activités illégales des militaires. En 1709, 110 cavaliers du régiment de
Cravattes pillèrent le grenier de Fougères en Mayenne. La même année, des témoins
rapportèrent que du sel avait été vendu « par des soldats
à plusieurs bourgeois de Nancy dans la nuit du 26 au 27
novembre 1709 ». En déplacement
au moment des démobilisations, ils profitaient aussi de
leur statut. Simon Perret, Antoine Jobet dit la Feuillade,
soldats au régiment de Champagne et Claude Fournier dit l’Espérance, soldat an
régiment de Guyenne, en revenant au pays (Lons-le-Saunier) en
octobre 1763, firent un détour
en Suisse pour faire la
contrebande du tabac.
Condamnés aux galères par la commission de Besançon, ils obtinrent
néanmoins une commutation de peine. De retour de campagne
à la même époque, le marquis de Létorière, enseigne aux
Gardes, se fit le complice de ses grenadiers en prenant
sur lui les carottes de tabac
qu'ils avaient achetées à l'étranger. En dehors des
périodes militaires actives toutefois, les trafics des
soldats furent contenus au XVIIIe siècle par la discipline
militaire, même si Jean Chagniot relève la fraude des
soldats aux barrières d’octroi de Paris dans les
années 1770 et 1780, tant sur le vin, eaux-de-vie, viande
et poissons. Le dernier cas d’intégration de
contrebandiers amnistiés dans les Gardes françaises date
par exemple de 1757. Plus
généralement, les réformes militaires placèrent les
soldats de troupes sous la surveillance plus étroite de
l’état-major. En certains lieux, les chefs d’état-major et
les cadres de la Ferme générale se
fréquentaient.
Parallèlement, les hommes de guerre furent
mobilisés pour servir de soutien logistique aux brigades de la Ferme
générale face aux contrebandiers armés ancrés dans les
territoires. Les missions de protection se multiplièrent
avec le développement du banditisme, lui-même lié au développement du
commerce international au XVIIIe siècle. Les souverains
utilisèrent les troupes pour lutter contre les
trafiquants. En 1718, six
compagnies de dragons vinrent en renfort des employés de
la Ferme aux prises avec les contrebandiers dans le
Soissonnais, la Champagne et la Picardie. Les habitants de ces provinces avaient été
marqués en décembre 1712 par
l’affaire du régiment de Touraine-Infanterie commandé par
le marquis de Maillebois : vingt à vingt-cinq grenadiers
en garnison à Laon avaient été chercher du faux-sel en pays étranger
et tentèrent de le passer en Soissonnais avec la
complicité des gabelous de Vailly, Cormicy, Amifontaine et
Sissonne. Ils furent arrêtés à Monceau-le-Waast par le
capitaine général de
brigades Doffoy. Un échange de coups
de feu provoqua la mort de deux soldats. Les jours
suivants, les grenadiers se vengèrent en poursuivant
Doffoy. Les brigades du
sel, entièrement désorganisées, ne continrent plus le faux-saunage qui se
fit librement. L’affaire n’eut pas de suite car le père du
marquis de Maillebois, Nicolas Desmaretz, tenait le
Contrôle général des finances. Le recours aux troupes
montées devint fréquent au XVIIIe siècle.
Aux confins de
la Lorraine avec le royaume, le duc Stanislas plaça
également plusieurs compagnies d’infanterie et de dragons
en différents endroits pour « donner main forte, en cas de
besoin, aux employés de la Ferme, et tomber en supériorité
sur les bandes armées qui oseraient y paraître » (1737). En Roussillon, les miquelets prirent également du service
pour surveiller les trafics de contrebande avec l’Espagne. Quinze d’entre eux logeaient à
Banyuls. Toutefois, face à l’ampleur des trafics pratiqués
depuis la Savoie et la Suisse, Choiseul opta pour
la mise sur pied de bataillons spéciaux composés des brigadiers armés de la
Ferme générale. La militarisation des brigadiers fut
envisagée dans les années 1760
en Auvergne, Dauphiné et Franche-Comté. De même, la Marine fut-elle mise à
contribution avec un premier bâtiment construit en 1773-1774 pour lutter contre la contrebande du tabac sur les
côtes de Normandie.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Soldat » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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