Registre portatif
Image AN, G2 184 (13) : Modèle du registre portatif pour prendre les trempes en charge en donner décharge lors du passage au tamis de crin
Le terme est ancien puisque l’intérêt du « papier portatif »
pour le prélèvement des droits est indiqué dans l’édit de septembre
1553
portant règlement sur la vente de boissons au détail. L’assise légale de ces registres est confortée aux titres cinquièmes « des exercices des commis »
des deux ordonnances des aides de juin
1680
de Paris et de
Normandie. Pour faire foi en justice jusqu’à inscription de faux, le portatif doit être paraphé sans frais par le représentant de l’autorité judiciaire compétente qui est théoriquement un
élu
mais qui peut être, par défaut, tout autre juge des fermes et même, selon Bellande, un subdélégué de l’intendant.
Toute falsification de ce registre est passible de la peine de mort suivant les termes de l’article 20 du titre commun de l’ordonnance des Fermes de
1681. Le portatif sert à inventorier les boissons encavées chez un marchand, d’en suivre le débit et le renouvellement des stocks pour assurer le prélèvement des droits. Dans les pays de
Huitième, qui correspondent au ressort de la cour des aides de Paris, les
commis
doivent préciser si les vendeurs sont à pot ou à assiette car, à défaut de cette précision, les marchands ne sont redevables qu’au pied du « pot » qui est de 27 sols et 3 deniers par muid contre 33 sols et 3 deniers par muid vendu à assiette. L’indication de la qualité de la vente, à pot ou à assiette, est inutile dans le ressort de la juridiction normande dont les droits de
Quatrième
sont prélevés uniformément sur l’ensemble de la vente de boissons au détail. Aussi les portatifs des commis aux caves
normands, également qualifiés de « registres de
queste
», renseignent-ils sur le prix des boissons vendues par les débitants alors que cette information est absente des portatifs des pays de
Huitième.
La visite des commis aux
exercices
vise à confronter les
déclarations
des marchands à la réalité de leur stock. Après que le marchand ait fait sa déclaration au bureau des
aides
ou pris des
congés
pour le transport de ses marchandises, les commis se transportent sur les lieux pour y dresser un premier
inventaire. La quantité des tonneaux ainsi que la qualité des boissons sont inspectées, chaque futaille est numérotée et rouannée puis le tout est consigné sur le portatif dont l’économie générale rend compte des entrées, dites « venues », et des sorties, dites « vuidanges ». Les commis doivent préciser si les boissons sont du crû du marchand ou si elles ont été achetées en gros par le débitant car, le cas échéant, les congés de remuage
et les lettres de transport doivent être représentés. Au plan formel, les commis indiquent au verso de chaque folio les « prises en charge », soit par premier inventaire soit par « nouvelle venue », desquelles sont défalquées les « décharges » de certaines boissons vendues en gros ou encore celles qui ont été « gâtées ». Le recto fait apparaître le débit de vente des futailles « en perce », qui ne peuvent être que de deux simultanément, jusqu’à leur épuisement. Ainsi par exemple, un arrêt de la
Cour des aides de Paris daté du 20 juin
1747
confisque un muid de vin à un marchand au profit des fermiers au motif que le
procès-verbal
des commis du 28 octobre
1746
avait constaté un « remplage » sur un tonneau qui pourtant, selon l’acte dressé le 21 du même mois sur le portatif, « avait été tiré vuide, vendu entièrement rabattu ». Les portatifs contiennent ainsi une multiplicité d’actes qui font foi en justice : acte de charge par premier inventaire, acte de nouvelle venue, acte de vente ou de « vuidange », acte de décharge de vente en gros, acte de décharge pour vin gâté, acte de charge et de décharge pour « transvasion », acte de « cessé » en cas de cessation d’activité, et enfin un acte de clôture. Tous les actes doivent être écrits en toutes lettres pour éviter la falsification de la date et de la contenance des tonneaux. Ces mêmes informations sont reproduites sous forme chiffrée dans une colonne à la marge des feuillets.
L’article 8 du titre de l’exercice des commis de l’ordonnance
de
1680, dérogeant aux formes de la procédure civile ordinaire prescrites par l’ordonnance de
1667, n’enjoint pas aux commis de préciser leurs noms et surnoms ainsi que l’heure à laquelle l’acte a été tiré. L’acte de clôture est rédigé lors du renouvellement des portatifs qui est mensuel dans les villes où les exercices sont fréquents et tous les deux mois ou par « tierce » où ils le sont moins. Cet acte donne lieu à « l’arrêté » (voir illustration) qui consiste à soustraire les sorties des entrées.
L’ordonnance
des
aides
de juin
1680
pour le ressort de la
Cour des aides de Paris stipule que tous les actes doivent être reproduits à l’identique, avec les mêmes signatures et contreseings, sur une « feuille » ou un second « registre » remis à titre gratuit aux marchands lors de l’ouverture du bail et des renouvellements. Si la remise de ce document ainsi que chaque nouvelle inscription doivent faire l’objet d’un récépissé sur le registre portatif, ce n’est là que la théorie puisqu’il est rare que les marchands représentent ces documents lors des
visites. Les portatifs mentionnent donc aussi très souvent l’absence de représentation de la « feuille » des marchands. Contrairement à la législation parisienne, l’ordonnance normande des aides n’astreint pas les commis à rendre compte aux débitants de tous leurs actes quotidiens. Elle stipule simplement qu’il sera fait « à la fin de chacun mois la réduction de tout ce qui aura été débité de tout ce que dessus, en écrire autant sur le Registre du vendant vin s’il leur est représenté ».
Cette absence de conformité entre les deux ordonnances est mise à profit par les débitants les plus instruits.
C’est le cas de François Langlois, un « ancien commis révoqué qui s’en établi débitant pour se livrer à tous les genres de fraude possibles ». Quatre
procès-verbaux
dressés entre décembre
1762
et décembre
1763
témoignent que ce marchand refusait systématiquement de se soumettre aux exercices des commis.
Les
élus
de Vire en
Normandie
le condamnent donc à deux reprises à 25 livres d’amende avec injonction de se présenter lors des
visites. Langlois fait appel et la
Cour des aides de
Rouen, par son arrêt du 14 mars
1765, annule les deux condamnations, déchargeant le débitant de l’obligation qui lui est faite de souffrir les visites.
Cette décision est cassée par l’arrêt du Conseil du 11 mars
1766
qui ordonne l’exécution des deux premières sentences des
élus. Téméraire et refusant tout
accommodement, Langlois s’oppose à la décision du Conseil au motif que les commis ne lui ont jamais adressé copie de leurs actes. Les fermiers argumentent à leur tour que cette « obligation nouvelle et inconnue est sans objet utile parce qu’il est indifférent à tout vendant vin que les employés l’avertissent par écrit que tel et tel jour il a vendu tant de pots de vin, ils lui donnent cette connaissance générale à la fin de chaque mois et ils ne sont tenus à rien de plus, l’ordonnance est précise. » Au-delà de la forme et après avoir été clôturé, le portatif est transmis au commis
receveur
qui tire au net le montant des droits à percevoir sur le registre sommier.
Document utile à la procédure judiciaire comme au prélèvement fiscal, le portatif sert aussi à contrôler les commis qui sont dans l’obligation de le représenter à la moindre réquisition du
contrôleur
ambulant ou de leur
directeur. Le portatif est alors confronté aux registres des bureaux et principalement à celui des déclarations des marchands. En outre, le
contrôleur
ambulant vérifie l’exactitude des informations transcrites sur les portatifs en se rendant directement dans les caves et les
cabarets. Ce contrôle exercé par l’administration des fermes sur les employés se vérifie encore dans les portatifs des
brigades. Ces documents, qui ne font pas foi en justice, n’ont d’autres finalités que de « justifier de la réalité du service de l’exécution des ordres prescrits ». Chaque
brigadier doit tenir ce journal en indiquant si son service était de jour ou de nuit, l’identité de ses coéquipiers, l’heure de départ et l’heure d’arrivée, « des découvertes, des embuscades, des exercices chez les débitants ou regrattiers, des visites domiciliaires ». Ces registres sont vérifiés tous les dix jours par le capitaine général qui les confronte avec les « feuilles des
rebats
». Les rôles d’appointements sont arrêtés à l’issue de cette vérification. Outre le capitaine général, le
contrôleur
ambulant inspecte ces mêmes registres qu’il doit viser et envoyer tous les mois à la direction pour une nouvelle vérification. Tout défaut entre les feuilles de rebats et les portatifs est sanctionné. Si un employé a manqué à son service il est privé de salaire pendant huit jours et révoqué en cas de récidive. De même, si l’on en croit l’ordre de travail pour les gardes et employés dans les
brigades
du 5 décembre 1758, la conformité entre les portatifs et les feuilles de rebats peut conditionner les avancements et les
retraites. Bien que le même terme entretienne la confusion entre des documents juridiques dissemblables, le portatif n’est pas moins caractéristique du développement de la bureaucratie inhérente aux administrations modernes et à leur efficacité.
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- AD Drôme, C 785, registre portatif des commis de la régie des droits établis sur les cuirs et peaux au département de Romans, 1785 ; .
- AN, G1 63, dossier 7 : Ordre de travail pour les gardes et employés dans les Brigades de la Ferme Générale, 5 décembre 1758 ; .
- AN, G2 19, dossier 1 : Élection de Vire, refus de visite et de soumission aux exercices ; .
- AN, G2 184, dossier 13 : Modèle du registre portatif pour prendre les trempes en charge etamp; en donner décharge lors du passage au tamis de crin ; .
-
Sources imprimées:
- Recueil de modèles pour servir aux commis des aydes, pour bien faire leurs exercices et dresser les procez verbaux concernans leurs commissions, Paris, Chez Thomas Charpentier, 1680 ; .
- Instruction [de la Ferme générale] pour bien exercer la charge de commis aux caves dans la province de Normandie, sans contrevenir à la nouvelle ordonnance du roy, portant reglement sur les fermes, s. n., 1680 ; .
- Jacques Jacquin, Conférences de l’ordonnance de Louis XIV sur le fait des entrées, aydes etamp; autres droits, pour le ressort de la Cour des Aydes de Paris, Paris, Chez Nicolas Pepie, 1703 ; .
- Barnabé Le Vest, Les aydes de France et leur regie, Paris, Chez Guillaume Saugrain, 1704 ; .
- Pierre Asse, Traité des Aydes, Paris, Par la Compagnie des Libraires Associez, 1715, p. 17-37 ; .
- Jean-Henry Dubois, Commentaire sur le fait des Aydes, Paris, Chez Théodore Le Gras, 1722, p. 199-216 ; .
- Pierre Brunet de Granmaison, Dictionnaire des Aydes, Paris, Chez Prault, 1750, t. 1, p. 322-323, v° « portatif » et t. 2 p. 124-152 ; .
- Jean-Louis Lefebvre de la Bellande, Traité général des droits d’aides, Paris, Chez Pierre Prault, 1760, t. 1, p. 252-254 et t. 2, p. 26-37 ; .
- Jacques-Philibert Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, Paris, Chez Panckouke, 1787, t. 3, v° « portatif », p. 349-350] .
Registre portatif » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :