Roussillon
Province de petites gabelles, les greniers du
Roussillon, alimentés du sel de Peyriac
et Saint-Jean, puis de
Peccais à partir de
1717, présentaient des
prix variables (de 13 livres 4 sous à Perpignan à 7 livres
dans le grenier de
Collioure). Les habitants qui
pratiquaient le faux-sel à petite échelle demeuraient peu
inquiets en cas de saisies
car ils étaient protégés par une loi limitant les
condamnations à 25 livres. Les versements vers le Languedoc, importants au XVIIe siècle, se réduisirent au
siècle suivant en faveur de la contrebande plus lucrative du tabac. En revanche, les
gabelous traquaient le faux-saunage à main armée pratiqué par les
Espagnols. Le
gisement salin de Cardona alimentait un trafic vers la
France, sous prétexte d’approvisionner les habitants du
comté de Foix qui avaient le droit de
tirer d’Espagne le sel de
leur consommation sous condition de le faire entrer par la
vallée d’Andorre. Les faux-sauniers passaient par le
Roussillon et la vallée du Carol dès
que la vallée d’Andorre était enneigée. Le produit net des
gabelles demeurait donc faible en Roussillon (26 038 livres en 1714). Faible également était le produit de la vente
de tabac. La contrebande
l’emportait très largement sur les entrepôts du roi,
surtout à partir de 1701,
lorsque Philippe V imposa lui aussi l’estanco dans son
royaume. Ces tabacs venaient de Gênes et du Piémont pour
l’Espagne via la France
qui servait d’entrepôt. Ils arrivaient sur des petits
bateaux catalans non pas directement sur la côte
espagnole, mais bien sur la côte française car ces navires
de moins de 50 tonneaux ne pouvaient être visités par les
garde-côtes de la Ferme générale en vertu des conventions
signées entre les deux pays. Une fois débarqués à Banyuls,
les charges de tabacs passaient la frontière près de
Custoja (Coustouges) via Perthus en été, près de Puygcerda
via Céret en hiver. Des cols pyrénéens descendaient sur le
chemin du retour des convois chargés de piastres.
Puygcerda vivait sous la terreur des bandes armées. A
Narbonne, le directeur des fermes générales informa le
Contrôleur général Terray de l’expansion du banditisme dans le
Roussillon. Devant l’ampleur du
phénomène, les concertations entre le gouvernement et la
Ferme générale se multiplièrent. Le commandant en chef de
la province, Mailly, proposa l’établissement de cinq
fortins et des détachements de garnisons pour lutter
contre la contrebande
par terre ; les Fermiers généraux, peu enclins à prendre
en charge une telle dépense, préféraient lutter en amont
et demandaient la possibilité d’arraisonner les navires
espagnols de faible tonnage. Le 2 janvier 1768, on formalisa une
convention entre les deux royaumes : les Espagnols
établirent deux felouques sur les côtes de la Catalogne et
les Fermiers généraux en établirent une sur les côtes du
Roussillon pour surveiller ce trafic.
La convention fut renouvelée le 27 décembre 1774 et permit aux pataches des fermiers des
deux royaumes d’arraisonner tout bâtiment suspecté de contrebande de sel ou
de tabac jusqu’à une contenance de cent tonneaux et
jusqu’à deux lieues au large des côtes. A défaut du
respect des formalités requises, les cargaisons étaient
confisquées et remises aux services consulaires.
Faible
enfin était le produit des droits de traite issus de cette province réputée étrangère. Il faut dire
que la Ferme générale eut du mal à imposer ses propres
bureaux. Les marchandises qui y entraient et sortaient
étaient soumises à un droit ancien dit d’Impariage créé en
1394 par le roi d’Aragon.
Le tarif de ce droit catalan avait été revu en 1654. Louis XIV s’efforça d’en
contrôler le produit en assignant à partir de 1682 sur la recette de ce droit
des dépenses d’utilité publique, casernes de Perpignan,
ponts…. Vis-à-vis du Languedoc toutefois, les denrées et marchandises ne
réglaient que les droits locaux, à charge pour les
marchands de prendre les acquits à caution. Le bureau de Fitou constituait un
passage obligé entre les deux provinces. Il fut détruit
par les révolutionnaires en 1789.
Le régime douanier du Roussillon
était jugé très insatisfaisant. On lit dans un mémoire
rédigé dans les années 1770 :
« le produit des droits de traites en
Roussillon n’est d’un petit objet que
parce que le commerce qui pourrait se faire par terre et
par mer des provinces du royaume et d’Espagne avec le
Roussillon est gêné par la perception
des droits d’impariage et real auxquels on assujettit
toutes les marchandises et denrées qui entrent et sortent.
Il n’y a aucune parité entre les droits d’impariage et
real et les droits de traites ». En réalité, le
Roussillon était traversé par des trafics
illicites mis en évidence par l’historien Gilbert
Larguier, ce qui devait limiter d’autant la recette
fiscale. Observant que l’activité commerciale du
Roussillon était au plus bas avec l’Espagne, Louis XVI
supprima les droits locaux entre le Languedoc et le Roussillon et,
quant au tarif catalan de 1654, il lui substitua les droits moins lourds de la Douane de Lyon à l’entrée et ceux
de la Foraine à la sortie,
le tout à compter de janvier 1787
(loi du 24 septembre 1785). Ainsi, le régime douanier du
Roussillon fut complètement calqué sur
celui du Languedoc. Comme les droits de doublement de l’impariage
finançaient les travaux de Port-Vendres, il fut décidé
d’autoriser l’adjudicataire de la Ferme des gabelles du Languedoc et du Roussillon à
lever une crue de quatre livres 10 sous par minot dans les greniers à sel de
Perpignan et de Collioure, de 4 livres cinq sous dans ceux
d’Arles et de Prades et de
trois livres cinq sous seulement dans celui de Montlouis.
De même, la Ferme des gabelles fut autorisée à lever une crue de sept livres par
minot pour le grenier de Perpignan et de
Collioure (six livres 10 sous à Arles et Prades, et cinq
livres 13 sous à Montlouis), pour la recette être versée à
la caisse des Ponts et Chaussées à hauteur de 31 000
livres, et dans la caisse de la ville de Perpignan
à hauteur de 45 600 livres, en remplacement
du real. La même loi du 24 septembre 1785 maintint Collioure dans le privilège de
faire délivrer des sels à diminution du prix lorsqu’ils
sont destinés au salage des poissons de leur pêche. De même, les
abonnements entre la Ferme des gabelles et les villes du
Roussillon passés pour la levée de
certaines quantités de sel aux greniers furent maintenus.
En revanche, la loi abrogea l’usage où se trouvaient les
habitants du Roussillon ne
n’être condamnés qu’à une somme de 25 livres lorsque du
faux-sel était trouvé à leur domicile.
Dix-huit bureaux de
traites furent établis en Roussillon,
dont quatre principaux, quatre subordonnés, deux autres
uniquement pour la perception des droits de la Douane de Lyon dus sur les mines
de fer transportées du
Roussillon en Languedoc. Il
sortait chaque année de la province 16 000 charges (à
trois quintaux la charge) de fer pour alimenter les forges
du Languedoc ou celles d’Espagne. Les bureaux imposaient, outre le fer, essentiellement les vins, les huiles, les grains. Ces
bureaux étaient installés à Perpignan (dont la recette fut
estimée à 1 700 livres, année commune, vers 1780), avec pour bureaux
subordonnés : Collioure (recette : 20 319 livres, depuis
les nouveaux sols pour livre de 1771), Canet (recette de 339 livres),
Saint-Laurent-de-la-Salanque (1572 livres), Le Boulou (812 livres), Villelongue, à
deux lieues de la Catalogne (353 livres) ; le bureau
principal d’Arles comptait à la même époque une recette de
2 460 livres, tandis que les bureaux subordonnés de Céret
(2 641 livres), Saint-Laurent-de-Cerdans (564 livres),
Prats-de-Mollo (97 livres) rapportaient peu. Le bureau
principal de Prades (1 474 livres) et ceux subordonnés de
Vinça (1068 livres), Olette
(191 livres), Vernet (28 livres) le long de la Têt; le
bureau principal de Montlouis (596 livres), et ceux de
Saillagouse (322 livres), Carol (812 livres) et Puyvalador
(557 livres). Outre ces bureaux, un contrôleur chargé de
vérifier les plombs de la Ferme générale avait été établi
à Salces. Collioure formait le bureau le plus important. Y
arrivaient de Marseille
toutes sortes de marchandises, sucres, cassonades, drogueries, épiceries, huiles, savons, liqueurs, riz
cacao, chapeaux, laines, lin et chanvre… Par convention,
les marchands se mirent d’accord en 1766 pour ne plus débarquer à Canet où ils
avaient perdu plusieurs bâtiments. Toutefois, Collioure ne
disposait pas d’entrepôts. Les commis du bureau des traites, pour éviter de
gâter les marchandises en instance, devaient procéder à
des vérifications rapides et se contenter de délivrer des
passavants. Le
receveur n’avait pas
le temps de rédiger quelques 40 à 50 des acquits à caution aux marchands
intéressés dans chaque chargement. A Saint-Laurent-de
Salanque, les droits se percevaient surtout sur les vins expédiés par acquit à
caution vers Sète. D’Espagne, le
Roussillon recevait des fruits (oranges,
citrons, raisins secs), des aulx, de la morue, du poisson
frais, quelques meules de pierre, de la terraille commune,
couvertures, ceintures et bonnets de laine…
Le fer issu des forges du
Roussillon était régulièrement
transporté en Catalogne en fraude des droits par les
nombreux sentiers de montagne. La Ferme générale songea un
temps à sous-traiter dès lors les droits de marque de fer mais renonça à ce projet.
L’activité sidérurgique du Roussillon
était compromise par la prohibition de sortie du charbon côté
espagnol, sous peine de mort. La régie des droits sur les
huiles en revanche
rendait un produit annuel appréciable de 29 888 livres,
déduction faite des deux sols pour livre du droit principal et des droits
d’acquits. Cinquante-huit receveurs, la plupart d’entre eux paysans,
étaient actifs pour recevoir les droits sur l’huile d’olive de la
province.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 79, dossier 10 : Mémoire sur les traites en Roussillon, après 1771.
- AN, G1 80, dossier 15, traite du Languedoc : Lettres patentes du roi qui suppriment les droits de traites qui se perçoivent en Languedoc sur les marchandises et denrées qui viennent du Roussillon ou qui y sont envoyées, 24 septembre 1785.
- AN, G1 91, dossier 38 bis : « Direction de Narbonne. Mémoire sur le faux-saunage et la contrebande du tabac par l’Espagne », 1769.
- AN, G2 202, dossier 13, mémoire sur l’abonnement des droits de réal, impariage et doublement de la ville de Perpignan, 1780.
-
Sources imprimées:
- Convention relative au commerce, à la navigation et à la répression de la contrebande, Versailles, 27 décembre 1774, en ligne sur France Diplomatie.
- Arrêt du Conseil d’Etat portant que les habitants de la Cerdagne continueront de payer l'augmentation mise sur le sel qui se vend dans les greniers et chambres du Roussillon, supprime les droits du tarif de 1688, en faveur desdits habitants, et ordonne qu'il ne sera perçu que le simple droit de la douane de Lyon à l'entrée du pays de Foix, et celui de la foraine ou patente de Languedoc à la sortie dud. pays pour la Cerdagne, 22 novembre 1723.
- Arrêt du Conseil du roi qui accorde à la communauté de la ville de Perpignan la perception du droit d'impariage par forme d'augmentation d'octroi, et qui en fixe la destination, 25 février 1749.
-
Bibliographie scientifique:
- Jean-Gérard Gigot, « Banyuls-sur-Mer et la contrebande du tabac (1780) », C.E.R.C.A., no 34, 1964, p. 274-277.
- Marcelin Defourneaux, « La contrebande du tabac en Roussillon dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Annales du Midi, t. 82, n°97, 1970, p. 171-179.
- Peter Sahlins, Boundaries. The making of France and Spain in the Pyrenees, Berkeley, Los Angeles, Oxford, University California Press, 1984.
- Michel Brunet, Contrebandiers, mutins et fiers-à-bras : les stratégies de la violence en pays catalan au XVIIIe siècle, Canet, Trabucaire, 2001.
- Jean-Michel Minovez, « Formation progressive d’une frontière, barrière douanière et contrebande, vers 1761-vers 1868, dans Gilbert Larguier (dir.), Douanes, Etats et frontières dans l’Est des Pyrénées de l’Antiquité à nos jours, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2005, p. 137-157.
- Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815, dans Découvrir l’histoire du Roussillon XIIe-XXe siècle : parcours historien, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2010.
- Alícia Marcet-Juncosa, Le rattachement du Roussillon à la France, Canet, Trabucaire, 1995.
- Patrice Poujade (dir.), Histoire de Perpignan, Perpignan, Trabucaire, 2022. .
Roussillon » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :