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Roussillon

Marie-Laure Legay





Le Roussillon, acquis à la France par le traité de Pyrénées (1659) se trouve borné par la Cerdagneespagnole à l’Ouest, la Catalogne au Sud et la Méditerranée à l’Est. Cette province était traversée d’importants trafics illicites : contrebande de tabacs débarqués à Banyuls depuis la côte génoise en passant par les îles au large de Marseille à destination de l’Espagne, trafics frauduleux de fers du cru vers l’Espagne, trafics en retour de piastres espagnoles, de sel de Cardona ou de bétail… Le faible encadrement administratif favorisait l’économie souterraine. Les conventions douanières de 1768 et 1774 et la grande réforme fiscale de 1785, méconnue, tenta d’y remédier en développant des lignes de bureaux à la frontière d’une part, et en alignant le régime fiscal du Roussillon sur celui du Languedoc. Toutefois, il n’est pas sûr que les autorités françaises aient eu intérêt à combattre les trafics frauduleux, dès lors que le régime commercial que le voisin imposait à la France, loin d’en faire la nation la plus favorisée, se durcissait.

Province de petites gabelles, les greniers du Roussillon, alimentés du sel de Peyriac et Saint-Jean, puis de Peccais à partir de 1717, présentaient des prix variables (de 13 livres 4 sous à Perpignan à 7 livres dans le grenier de Collioure). Les habitants qui pratiquaient le faux-sel à petite échelle demeuraient peu inquiets en cas de saisies car ils étaient protégés par une loi limitant les condamnations à 25 livres. Les versements vers le Languedoc, importants au XVIIe siècle, se réduisirent au siècle suivant en faveur de la contrebande plus lucrative du tabac. En revanche, les gabelous traquaient le faux-saunage à main armée pratiqué par les Espagnols. Le gisement salin de Cardona alimentait un trafic vers la France, sous prétexte d’approvisionner les habitants du comté de Foix qui avaient le droit de tirer d’Espagne le sel de leur consommation sous condition de le faire entrer par la vallée d’Andorre. Les faux-sauniers passaient par le Roussillon et la vallée du Carol dès que la vallée d’Andorre était enneigée. Le produit net des gabelles demeurait donc faible en Roussillon (26 038 livres en 1714). Faible également était le produit de la vente de tabac. La contrebande l’emportait très largement sur les entrepôts du roi, surtout à partir de 1701, lorsque Philippe V imposa lui aussi l’estanco dans son royaume. Ces tabacs venaient de Gênes et du Piémont pour l’Espagne via la France qui servait d’entrepôt. Ils arrivaient sur des petits bateaux catalans non pas directement sur la côte espagnole, mais bien sur la côte française car ces navires de moins de 50 tonneaux ne pouvaient être visités par les garde-côtes de la Ferme générale en vertu des conventions signées entre les deux pays. Une fois débarqués à Banyuls, les charges de tabacs passaient la frontière près de Custoja (Coustouges) via Perthus en été, près de Puygcerda via Céret en hiver. Des cols pyrénéens descendaient sur le chemin du retour des convois chargés de piastres. Puygcerda vivait sous la terreur des bandes armées. A Narbonne, le directeur des fermes générales informa le Contrôleur général Terray de l’expansion du banditisme dans le Roussillon. Devant l’ampleur du phénomène, les concertations entre le gouvernement et la Ferme générale se multiplièrent. Le commandant en chef de la province, Mailly, proposa l’établissement de cinq fortins et des détachements de garnisons pour lutter contre la contrebande par terre ; les Fermiers généraux, peu enclins à prendre en charge une telle dépense, préféraient lutter en amont et demandaient la possibilité d’arraisonner les navires espagnols de faible tonnage. Le 2 janvier 1768, on formalisa une convention entre les deux royaumes : les Espagnols établirent deux felouques sur les côtes de la Catalogne et les Fermiers généraux en établirent une sur les côtes du Roussillon pour surveiller ce trafic. La convention fut renouvelée le 27 décembre 1774 et permit aux pataches des fermiers des deux royaumes d’arraisonner tout bâtiment suspecté de contrebande de sel ou de tabac jusqu’à une contenance de cent tonneaux et jusqu’à deux lieues au large des côtes. A défaut du respect des formalités requises, les cargaisons étaient confisquées et remises aux services consulaires.

Faible enfin était le produit des droits de traite issus de cette province réputée étrangère. Il faut dire que la Ferme générale eut du mal à imposer ses propres bureaux. Les marchandises qui y entraient et sortaient étaient soumises à un droit ancien dit d’Impariage créé en 1394 par le roi d’Aragon. Le tarif de ce droit catalan avait été revu en 1654. Louis XIV s’efforça d’en contrôler le produit en assignant à partir de 1682 sur la recette de ce droit des dépenses d’utilité publique, casernes de Perpignan, ponts…. Vis-à-vis du Languedoc toutefois, les denrées et marchandises ne réglaient que les droits locaux, à charge pour les marchands de prendre les acquits à caution. Le bureau de Fitou constituait un passage obligé entre les deux provinces. Il fut détruit par les révolutionnaires en 1789.

Le régime douanier du Roussillon était jugé très insatisfaisant. On lit dans un mémoire rédigé dans les années 1770 : « le produit des droits de traites en Roussillon n’est d’un petit objet que parce que le commerce qui pourrait se faire par terre et par mer des provinces du royaume et d’Espagne avec le Roussillon est gêné par la perception des droits d’impariage et real auxquels on assujettit toutes les marchandises et denrées qui entrent et sortent. Il n’y a aucune parité entre les droits d’impariage et real et les droits de traites ». En réalité, le Roussillon était traversé par des trafics illicites mis en évidence par l’historien Gilbert Larguier, ce qui devait limiter d’autant la recette fiscale. Observant que l’activité commerciale du Roussillon était au plus bas avec l’Espagne, Louis XVI supprima les droits locaux entre le Languedoc et le Roussillon et, quant au tarif catalan de 1654, il lui substitua les droits moins lourds de la Douane de Lyon à l’entrée et ceux de la Foraine à la sortie, le tout à compter de janvier 1787 (loi du 24 septembre 1785). Ainsi, le régime douanier du Roussillon fut complètement calqué sur celui du Languedoc. Comme les droits de doublement de l’impariage finançaient les travaux de Port-Vendres, il fut décidé d’autoriser l’adjudicataire de la Ferme des gabelles du Languedoc et du Roussillon à lever une crue de quatre livres 10 sous par minot dans les greniers à sel de Perpignan et de Collioure, de 4 livres cinq sous dans ceux d’Arles et de Prades et de trois livres cinq sous seulement dans celui de Montlouis. De même, la Ferme des gabelles fut autorisée à lever une crue de sept livres par minot pour le grenier de Perpignan et de Collioure (six livres 10 sous à Arles et Prades, et cinq livres 13 sous à Montlouis), pour la recette être versée à la caisse des Ponts et Chaussées à hauteur de 31 000 livres, et dans la caisse de la ville de Perpignan à hauteur de 45 600 livres, en remplacement du real. La même loi du 24 septembre 1785 maintint Collioure dans le privilège de faire délivrer des sels à diminution du prix lorsqu’ils sont destinés au salage des poissons de leur pêche. De même, les abonnements entre la Ferme des gabelles et les villes du Roussillon passés pour la levée de certaines quantités de sel aux greniers furent maintenus. En revanche, la loi abrogea l’usage où se trouvaient les habitants du Roussillon ne n’être condamnés qu’à une somme de 25 livres lorsque du faux-sel était trouvé à leur domicile.

Dix-huit bureaux de traites furent établis en Roussillon, dont quatre principaux, quatre subordonnés, deux autres uniquement pour la perception des droits de la Douane de Lyon dus sur les mines de fer transportées du Roussillon en Languedoc. Il sortait chaque année de la province 16 000 charges (à trois quintaux la charge) de fer pour alimenter les forges du Languedoc ou celles d’Espagne. Les bureaux imposaient, outre le fer, essentiellement les vins, les huiles, les grains. Ces bureaux étaient installés à Perpignan (dont la recette fut estimée à 1 700 livres, année commune, vers 1780), avec pour bureaux subordonnés : Collioure (recette : 20 319 livres, depuis les nouveaux sols pour livre de 1771), Canet (recette de 339 livres), Saint-Laurent-de-la-Salanque (1572 livres), Le Boulou (812 livres), Villelongue, à deux lieues de la Catalogne (353 livres) ; le bureau principal d’Arles comptait à la même époque une recette de 2 460 livres, tandis que les bureaux subordonnés de Céret (2 641 livres), Saint-Laurent-de-Cerdans (564 livres), Prats-de-Mollo (97 livres) rapportaient peu. Le bureau principal de Prades (1 474 livres) et ceux subordonnés de Vinça (1068 livres), Olette (191 livres), Vernet (28 livres) le long de la Têt; le bureau principal de Montlouis (596 livres), et ceux de Saillagouse (322 livres), Carol (812 livres) et Puyvalador (557 livres). Outre ces bureaux, un contrôleur chargé de vérifier les plombs de la Ferme générale avait été établi à Salces. Collioure formait le bureau le plus important. Y arrivaient de Marseille toutes sortes de marchandises, sucres, cassonades, drogueries, épiceries, huiles, savons, liqueurs, riz cacao, chapeaux, laines, lin et chanvre… Par convention, les marchands se mirent d’accord en 1766 pour ne plus débarquer à Canet où ils avaient perdu plusieurs bâtiments. Toutefois, Collioure ne disposait pas d’entrepôts. Les commis du bureau des traites, pour éviter de gâter les marchandises en instance, devaient procéder à des vérifications rapides et se contenter de délivrer des passavants. Le receveur n’avait pas le temps de rédiger quelques 40 à 50 des acquits à caution aux marchands intéressés dans chaque chargement. A Saint-Laurent-de Salanque, les droits se percevaient surtout sur les vins expédiés par acquit à caution vers Sète. D’Espagne, le Roussillon recevait des fruits (oranges, citrons, raisins secs), des aulx, de la morue, du poisson frais, quelques meules de pierre, de la terraille commune, couvertures, ceintures et bonnets de laine…

Le fer issu des forges du Roussillon était régulièrement transporté en Catalogne en fraude des droits par les nombreux sentiers de montagne. La Ferme générale songea un temps à sous-traiter dès lors les droits de marque de fer mais renonça à ce projet. L’activité sidérurgique du Roussillon était compromise par la prohibition de sortie du charbon côté espagnol, sous peine de mort. La régie des droits sur les huiles en revanche rendait un produit annuel appréciable de 29 888 livres, déduction faite des deux sols pour livre du droit principal et des droits d’acquits. Cinquante-huit receveurs, la plupart d’entre eux paysans, étaient actifs pour recevoir les droits sur l’huile d’olive de la province.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 79, dossier 10 : Mémoire sur les traites en Roussillon, après 1771.
  • AN, G1 80, dossier 15, traite du Languedoc : Lettres patentes du roi qui suppriment les droits de traites qui se perçoivent en Languedoc sur les marchandises et denrées qui viennent du Roussillon ou qui y sont envoyées, 24 septembre 1785.
  • AN, G1 91, dossier 38 bis : « Direction de Narbonne. Mémoire sur le faux-saunage et la contrebande du tabac par l’Espagne », 1769.
  • AN, G2 202, dossier 13, mémoire sur l’abonnement des droits de réal, impariage et doublement de la ville de Perpignan, 1780.

    Sources imprimées:
  • Convention relative au commerce, à la navigation et à la répression de la contrebande, Versailles, 27 décembre 1774, en ligne sur France Diplomatie.
  • Arrêt du Conseil d’Etat portant que les habitants de la Cerdagne continueront de payer l'augmentation mise sur le sel qui se vend dans les greniers et chambres du Roussillon, supprime les droits du tarif de 1688, en faveur desdits habitants, et ordonne qu'il ne sera perçu que le simple droit de la douane de Lyon à l'entrée du pays de Foix, et celui de la foraine ou patente de Languedoc à la sortie dud. pays pour la Cerdagne, 22 novembre 1723.
  • Arrêt du Conseil du roi qui accorde à la communauté de la ville de Perpignan la perception du droit d'impariage par forme d'augmentation d'octroi, et qui en fixe la destination, 25 février 1749.


    Bibliographie scientifique:
  • Jean-Gérard Gigot, « Banyuls-sur-Mer et la contrebande du tabac (1780) », C.E.R.C.A., no 34, 1964, p. 274-277.
  • Marcelin Defourneaux, « La contrebande du tabac en Roussillon dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Annales du Midi, t. 82, n°97, 1970, p. 171-179.
  • Peter Sahlins, Boundaries. The making of France and Spain in the Pyrenees, Berkeley, Los Angeles, Oxford, University California Press, 1984.
  • Michel Brunet, Contrebandiers, mutins et fiers-à-bras : les stratégies de la violence en pays catalan au XVIIIe siècle, Canet, Trabucaire, 2001.
  • Jean-Michel Minovez, « Formation progressive d’une frontière, barrière douanière et contrebande, vers 1761-vers 1868, dans Gilbert Larguier (dir.), Douanes, Etats et frontières dans l’Est des Pyrénées de l’Antiquité à nos jours, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2005, p. 137-157.
  • Gilbert Larguier, « Contrebande par terre et par mer en Roussillon, 1715-1815, dans Découvrir l’histoire du Roussillon XIIe-XXe siècle : parcours historien, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2010.
  • Alícia Marcet-Juncosa, Le rattachement du Roussillon à la France, Canet, Trabucaire, 1995.
  • Patrice Poujade (dir.), Histoire de Perpignan, Perpignan, Trabucaire, 2022. .




Citer cette notice:

Marie-Laure Legay, « Roussillon » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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