Délibération
L’historiographie évoque peu,
voire pas, les délibérations adoptées par la Ferme
générale. Vida Azimi estime que les délibérations sont des
« règlements généraux » signés par plusieurs fermiers sans
en préciser davantage la portée. Jean Clinquart analyse de
nombreuses délibérations pour le Hainaut mais ne propose pas une étude précise de ce
type d’acte. Ce relatif désintérêt pour les délibérations
est un peu surprenant. Tout d’abord, les archives ne
manquent pas pour son étude. Les délibérations de la Ferme
générale, cotées G1 13 à G1 19 aux Archives nationales,
sont nombreuses. Rangées par ordre chronologique de 1710 à 1790, la plupart sont publiées et bénéficient d’un bon
état de conservation. De plus, la délibération constitue à
l’évidence le principal instrument juridique de la
compagnie afin de réformer son organisation interne.
Certaines délibérations créent un nombre important de
nouvelles règles que les employés sont formellement tenus
de respecter. La délibération du 7 octobre 1752 publiée dans
l’Encyclopédie méthodique en matière de finances est
présentée comme un « code». Constituée de 66 articles, elle
règle la question du partage des sommes collectées à
l’issue d’un contrôle entre les employés avec une grande
précision et un style concis. Elle est manifestement
l’œuvre de juristes compétents qui empruntent les formes
de la législation royale. La délibération commande et se
présente comme un acte créateur de droit qui ne doit pas
souffrir de contestation.
Conformément à la définition
proposée par la doctrine, la délibération se présente
comme un produit des différentes assemblées et des comités
de la Ferme générale. Au cours de ces réunions, une
information est portée à la connaissance des fermiers qui
donnent lieu à une discussion entre les actionnaires. Ces
discussions conduisent à des « résolutions » qui, une fois
mises par écrit, deviennent formellement des
délibérations. Plusieurs exemples montrent que le projet
de délibération peut provenir des tournées réalisées par
les jeunes fermiers généraux. Les délibérations du 4
juillet 1760 et du 16 janvier
1761 réorganisant la
lutte contre la fraude dans
le département du Mans et dans le département
de Tours font suite aux remarques
effectuées par le fermier général Darnay. Plusieurs
rapports de tournée réalisés par le fermier général De
Bouillac conduisent également à des discussions qui
mèneront à des délibérations. Au lendemain de la tournée
qu’il effectue dans le département
d’Angers en 1760, De Bouillac souligne la nécessité de « réunir
différentes inspections les unes aux autres » afin que les
opérations soient mieux concertées. Malgré les objections
formulées par le directeur général des fermes d’Angers, sa proposition est
entérinée par la délibération du 6 février 1761. La délibération du 15
juillet 1777 pour la Bretagne est similaire et répond au même processus. Elle
fait suite au rapport de tournée rédigé par De Bouillac
recommandant de réformer l’organisation des employés dans
ce département.
Pour Rousselot de Surgy, deux principaux
types de délibérations peuvent être distingués. Les
délibérations sont susceptibles de traiter du personnel
employé ou de l’organisation générale de la compagnie. Les
délibérations relatives au personnel sont souvent des
actes individuels qui prononcent une mutation ou un
changement de fonction de l’employé. Elles sont
circonstanciées à l’instar de la délibération du 21 avril
1760 qui procède au
reclassement du receveur du bureau de Couëron au poste de contrôleur au bureau de Remoüillé en raison de ses crises « de goutte et autres
infirmités ». Ce nouveau poste est réputé moins exigeant
ce qui devrait permettre à l’employé de continuer à
travailler activement pour la ferme. Certaines
délibérations sont présentées comme des récompenses en
raison des bons et loyaux services rendus par l’employé.
C’est en particulier le cas des délibérations
individuelles autorisant le versement d’une retraite ou
procédant à une augmentation des appointements de
l’employé. Certaines augmentations s’expliquent par les
difficultés économiques que connaissent certaines villes.
La délibération du 27 août 1769
décide d’une hausse des appointements des employés de la
ville de Lyon
en raison « du prix des loyers et de la
valeur des denrées [qui] ont été portés au plus haut degré
». Selon la ferme, cette situation de crise explique la
progression des cas « d’intelligence » entre les commis et
les contrebandiers lyonnais qu’il convient d’interrompre
rapidement. Enfin, certaines délibérations relatives au
personnel s’assimilent à des sanctions. La délibération du
7 décembre 1780 prend par
exemple acte de plusieurs plaintes formulées à l’encontre
d’un commis aux écritures du bureau du prohibé. L’employé
est accusé d’être un alcoolique notoire pour lequel « il
ne reste aucune espérance » ce qui justifie son renvoi
définitif. Au total, ces délibérations renseignent sur la
gestion par la Ferme générale de son personnel et révèlent
la flexibilité de son organisation.
Outre les délibérations
relatives au personnel, d’autres délibérations portent
plus généralement sur le fonctionnement général de la
compagnie. Au cœur de l’Hôtel des fermes à Paris, la création de nouveaux
bureaux est fréquemment décidée par délibérations. La
délibération du 12 mars 1773
revient sur la création d’un nouveau comité qui se tiendra
tous les vendredis et traitera du personnel employé à
Paris à l’Hôtel des fermes. De manière attendue,
l’instrument principal de gouvernance prévu pour ce bureau
est la délibération. Au moins sept fermiers généraux
doivent se prononcer pour décider d’une réforme au sein de
ce comité qui prendra la forme d’une « délibération ou
décision ». À l’avènement d’un nouveau bail, plusieurs
délibérations prononcent la mise en place d’un bureau
spécifique chargé d’organiser la succession. C’est le cas
en 1767 à l’avènement du bail
Alaterre mais également en 1774
à la veille du bail David. Ce « bureau particulier » est
chargé d’examiner le projet du nouvel acte de société et
de prendre toutes les décisions qui s’imposent dans le
cadre du renouvellement du bail. Il s’agit notamment
d’arrêter les états de frais et les dépenses mais
également de faire un point sur le personnel employé. À
l’inverse, certaines délibérations prononcent la
suppression de bureaux au niveau central. La délibération
du 23 janvier 1783 remplace le
bureau du contentieux par plusieurs « chefs particuliers »
placés dans chacun des bureaux généraux des traites, des
grandes gabelles, des petites gabelles et du tabac. La délibération de 1783
traduit ainsi le souhait de déconcentrer la
gestion des litiges et de le confier à différents
responsables. L’étude de ce type de délibérations
renseigne sur l’évolution de la structure de la société et
des bureaux qui la compose. Elles permettent, en partie,
de retracer le processus de formation de cette
administration et de sa bureaucratie.
Les délibérations
peuvent également réformer le fonctionnement de «
l’administration extérieure » au sein des directions. Certaines
délibérations sont adressées à l’ensemble des directions
et instaurent une règle commune. C’est le cas de la
délibération du 25 juin 1759
« pour la rentrée des Fonds » qui règlent les modalités
des transferts d’argent effectuées par les receveurs
généraux auprès de la recette générale à Paris. D’autres
délibérations s’adressent à une direction en particulier.
Le plus souvent, elles conduisent à une réorganisation des
brigades ou des bureaux pour « le bien du service ». Les
délibérations peuvent procéder à un simple réajustement ou
prononcer une réforme d’ampleur. C’est par exemple le cas
de la délibération du 8 février 1759
qui réorganise, pour un total de 104 650 livres de
frais de régie, les missions des employés postés en
Flandre et dans le Hainaut. Œuvre nécessairement collective, les
délibérations sont presque toujours cosignées de la main
d’une petite dizaine de fermiers généraux. Ce nombre est
toutefois susceptible de varier en fonction de
l’importance du sujet évoqué. La délibération du 28 mai
1760 prononçant la
création d’une nouvelle direction à Belley est ainsi
signée par vingt et un fermiers. Une fois rédigée et
signée, la délibération emprunte un canal de communication
qui varie selon son objet. Dans l’hypothèse où la
délibération concerne les services centraux de la
compagnie, elle est directement adressée au bureau
concerné à l’Hôtel des fermes. Lorsqu’elle concerne une ou plusieurs directions,
elle passe par la voie hiérarchique qui traduit le
fonctionnement vertical de la compagnie. La délibération
est adressée aux différents directeurs concernés qui
transmettent ensuite les ordres des fermiers à leurs
employés. En cas de difficultés d’interprétation de la
délibération, les incertitudes doivent être remontées à la
Ferme générale. La délibération du 12 novembre 1773 précise que dans cette
hypothèse « il sera pourvu par Délibération particulière à
tout ce qui n’auroit point été prévu par la présente ». La
Ferme générale prévoit donc de préciser la portée de la
nouvelle règle de droit par l’édiction d’une nouvelle
délibération.
L’étude des délibérations traduit enfin la
pénétration progressive de la monarchie dans le
fonctionnement de la Ferme générale. Au début du XVIIIe
siècle, les délibérations semblent être presque
exclusivement le résultat des discussions internes des
actionnaires. La ferme paraît conserver une certaine
autonomie dans l’édiction de ses actes de gestion interne.
À l’inverse, à compter de la seconde moitié du XVIIIe
siècle, la présence de la couronne est fréquemment
identifiée. La plupart du temps, elle se remarque dans les
signatures. Le règlement du système de retraite de la
Ferme générale du 13 février 1768
porte par exemple la mention « Vu Approuvé, le 21
Février 1768. Signé, De
L’Averdy ». En l’espèce, la délibération est donc validée
par le contrôle a posteriori. Outre cette forme de
ratification, certaines archives montrent que l’initiative
d’une délibération peut directement provenir de la
couronne. La délibération du 12 mars
1773 instaurant un nouveau bureau en matière
de gestion du personnel est adoptée sur « les intentions
de Monsieur le Contrôleur général ». La Délibération du 29
août 1780 supprimant la
direction de
Belley précise que c’est le Directeur
général des finances qui l’a « ordonné par sa décision du
21 août ». De manière surprenante, la présence de la
monarchie peut également être identifiée dans des actes de
moindre importance. C’est le cas de la délibération du 17
février 1766 qui procède à la
nomination de deux avocats au Parlement de Paris chargés
de liquider le contentieux de la ferme. C’est également le
cas de la délibération du 18 novembre
1774 « concernant la disposition des emplois
» entre les sous-chefs, les contrôleurs, les directeurs et
les receveurs. Au total, l’étude des délibérations permet
donc de mesurer la transformation de la Ferme générale,
d’une société d’actionnaires, à une administration
épousant des traits plus contemporains.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN G1 13-19. Délibérations des fermiers généraux (1710-1790).
- AN G1 70, dossier 1. Délibération sur le partage des saisies et confiscations concernant les cinq grosses fermes, 1719 dossier 2. Délibération sur les gratifications accordées aux employés dans les saisies des marchandises de contrebande, amendes et confiscations, 1726 dossier 4. Délibération sur la répartition des amendes et confiscations aux entrées dans Paris, 1774.
- AN G1 87, dossier 12. Délibération pour servir d’instruction aux commis de la descente des sels, 1765.
- AN 129AP5, Mémoires, Affaires générales, t. 2, Mémoire sur l’administration de la Ferme générale s. d. - estim. 1775, f° 106-107.
- Bnf F-23728 (32) Délibération pour le partage des saisies et confiscations concernant les Cinq Grosses Fermes pendant le bail d’Aimard Lambert du 17 mars 1719, Paris, Chez Saugrain, 1719.
- Bnf F-23728 (40) Délibération de Messieurs les fermiers généraux du douze février 1721, s. l., s. n..
- Bnf F-23728 (46) Délibération de Messieurs les Fermiers generaux du Tabac du 3 décembre 1721, s. l., s. n..
- Bnf F-23728 (88) Délibération pour le partage des captures, confiscations amendes du Tabac, pendant le bail de Jacques Forceville, du 30 janvier 1739, Paris, Impr. royale, 1738.
-
Sources imprimées:
- Jacques Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique en matière de finances, Paris, Chez Panckoucke, 1784, t. 1, v° « Délibération », p. 480.
- Jean-Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, Chez la veuve Desaint, 9e éd., t. 2, 1777, v° « Délibération », p. 34.
- Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Panckoucke, 1778, t. 17, v° « Délibération », p. 411-414.
- Claude-Joseph Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, contenant l’explication des termes de droit, d’ordonnances de coutumes de pratiques, Paris, Chez Bauche, 1771, t. 1, v° « Délibération », p. 454.
-
Bibliographie scientifique:
- Vida Azimi, Un modèle administratif de l’ancien régime : les commis de la Ferme générale et de la régie générale des aides, Paris, éd. du Cnrs, p. 58.
- Jean Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien régime : l’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, Cheff, 1996.
- Thomas Boullu, « La transaction en matière d’impositions indirectes (1661-1791). (1661-1791). Contribution à l’étude de l’émergence d’un droit de l’administration monarchique », thèse pour le doctorat en droit, soutenue en 2019, université de Strasbourg.
Délibération » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :