Inscription de faux
Une pratique régulière: Les fraudeurs formaient
leur demande sur toutes sortes de prétextes comme
l’absence de délivrance de copie du procès-verbal (Louis
Mignon, cabaretier à Clairvaux-Scorbé en mai 1727 devant l'Élection de
Châtellerault), ou bien le retard d’une signification: un
procès-verbal
devait en effet être signifié dans la journée même aux
fraudeurs (le lendemain matin si l’acte avait été dressé
dans l’après-midi). Le procès-verbal dressé en
1775 contre François Caillot, boucher à Caen, fut par
exemple déclaré nul car signifié le lendemain : « Les
commis, en négligeant de faire cette signification,
vouloient se conserver le tems de rédiger à leur aise le
procès-verbal afin de présenter au moins l’apparence d’une
fraude argument : un procès-verbal composé « à loisir et dans le
secret d’une méditation coupable ». Toutefois,
l’inscrivant devait lui-même respecter des règles de
droit : la demande devait être formée avant l’échéance de
l'assignation. Michel Arnoult, menuisier à La Rochelle trouvé en train
de vendre du vin en fraude en 1722 et assigné devant la justice des
Élus, fut débouté de sa demande formée trop tard.
Le demandeur en inscription de faux devait également
déposer une somme consignée et prenait le risque, au
cas où sa demande n'était pas reçue, d'être
lourdement amendé. Claude Thiesset, pris en
fraude de vente de vin, fit sa demande contre le procès-verbal du
commis des aides à temps, le
jour même de son assignation devant les Élus de Noyon, le
28 février 1714, mais ne fut
pas en mesure de rassembler la somme de 60 livres requise
en consignation. Tout au long du siècle, le législateur
augmenta le montant de la consignation pour dissuader les
inscrivants. En d'autres termes, seuls les assignés en
justice les moins démunis pouvaient contester les pièces
produites indument par l'administration. En 1763 par exemple, le conseiller
d'État Malon de Bercy forma une inscription en faux contre
le fermier des droits rétablis. Dans le cas de justiciables plus modestes, les
actions collectives permettaient de contester le procès-verbal.
En
1732, les villages de Comtes, Cauron et Saint-Vaast en Artois, associées aux Etats provinciaux,
s’opposèrent à l’adjudicataire Carlier parce que les
procès-verbaux sur lesquels étaient intervenues les
sentences du juge de la Ferme d’Hesdin étaient «
remplis de suppositions, qu’ils ne sont pas signez
des Supplians, qu’ils n’ont point été signifiez dans les
délais prescrits ». En réalité, les fraudeurs n’avaient
pas signé le procès-verbal de fraude du tabac car les commis, placés
sous la menace des armes d’une rébellion, avaient dû se retirer à Hesdin
même pour finir de dresser leur procès-verbal. En 1763, ensemble, les habitants
de Charenton s'inscrivirent également en faux contre la
ferme des droits rétablis
aux ports et barrières de
Paris. L’inscription de faux
permettait de dénoncer sincèrement les vexations et violences
des commis, notamment celles perpétrées contre les
femmes. Le 30 juillet 1702,
deux voitures se
présentèrent au bureau de la porte des Sept Fontaines à
Tournai (Hainaut) à huit heures du soir. Les employés de la
Ferme voulurent faire la visite. Ameutée, la population
soutint le couple contre le commis qui durent se réfugier
au bureau. Ils dressèrent procès-verbal. Willems, l’un des
voituriers, s’inscrivit en faux en faisant valoir
que les commis avaient insulté sa femme et voulu
porter la main sous sa jupe. Le juge des
traites de Tournai
déclara les moyens de faux irrecevables commis incriminé
fut décrété de prise de corps. Entendu, Willems déclara
qu’il ne souhaitait pas être partie civile contre le
commis mais contre Templier, le Fermier général. Il
interjeta appel de la sentence du juge des traites au parlement de
Tournai. En 1719, la veuve
Benoîte Jourdan et ses filles furent également victimes
des violences des commis des aides de l'Élection de
Valognes dans la généralité de
Caen. Leurs moyens de faux
furent déclarés pertinents et admis par sentence du
2 mai, leurs témoins furent entendus dans le courant
du mois et les commis décrétés d'ajournement et de
prise de corps, ayant été convaincu d'avoir
« faussement fabriqué ledit procès-verbal».
Toutefois, la Ferme générale fut surtout confrontée à des
demandes abusives de fraudeurs recidivistes (François
Henry au grenier de Laval
en 1712), ou de fraudeurs
rébellionnaires (Marie-Anne d'Alligny, cabaretière au
port de
Saint-Thibault, inscrivante devant
l'Élection de Bourges en 1746).
Une pratique massive (1680-1720): Les demandes
étaient particulièrement nombreuses en pays d’aides, Picardie et Normandie, car les droits taxaient lourdement les
boissons, tant au détail, qu’annuel, droits de gros, et droits de subventions réunis aux droits d’entrée. Ecoutons l'intendant de Caen,
Antoine Barillon de Morangis, s'adressant au ministre
Desmaretz en 1683. Il indique
« qu'il fait l’impossible pour empescher les fréquentes
inscriptions en faux que les accusés de fraude forment
contre les procès-verbaux des commis ». D'après lui, « ce
désordre tient de la facilité que l’on a eu de tout temps
de trouver des faux témoins et de la rigueur que les
précédents fermiers des aydes ont exercé contre les
redevables. Morangis établit donc un lien direct entre la
sévérité des contrôles de la ferme et la résistance des
particuliers. De fait, le nombre d'inscriptions en faux
diminua lorsque la ferme fut reprise par De Larré et
Rutant et régie avec plus de douceur. Il n'en demeure pas
moins que la multiplication des jugements des élections « donnait lieu
à beaucoup de fraudes par l’espérance de l’impunité de
ceux qui les commettent ». Morangis proposa à
Desmaretz d'obliger les inscrivants de faux à former
leurs demandes dans les trois jours, et à déclarer
par le même acte leurs moyens de faux, les noms et
demeures de leurs témoins et de les faire entendre
dans les trois jours suivants. L'embarras
de l'administration se confirma les années suivantes. On
voit dans la Déclaration du roi du 14 janvier 1693 pour la Normandie : “ que les parties saisies
recouroient à l'inscription de faux au moment que le
procès étoit en état d'être jugé, que par là, elles
éloignoient leur condamnation, que ces délais leur
servoient le plus souvent à pratiquer des témoins
qu'elles ne trouvoient que trop facilement; ce qui
jetoit les Adjudicataires des Fermes générales dans
des procédures d'une discussion longue si difficile,
qu'ils étoient la plupart du temps contraints de les
abandonner ou de succomber après avoir fait
inutilement beaucoup de frais ”. Outre la
Normandie, on repère la pratique massive des
inscriptions de faux en Picardie. La plupart des cabaretiers d'Amiens pris en fraude
s'inscrivaient en faux à la veille du procès contre les
procès-verbaux
des commis. Les Elus décrétaient
contre ces derniers « en sorte que les Cabaretiers
qui ont tout le temps de fabriquer de faux témoins
se sont persuadez qu'ils pourroient par ce moyen
trouver l'impunité de leurs fraudes ». Il
fallut donc, comme en Normandie, limiter le délai de demande d'inscription de
faux. « Les inscriptions de faux deviennent fréquentes
dans le ressort de nostre Cour des Aides de Paris même à
limiter les possibilités de recours à cette pratique.
La réaction (1720-1740): Pierre Asse, avocat et
ancien employé des fermes, invita les Fermiers généraux à
être vigilants et à se prémunir contre les inscriptions de
faux dans son Traité des Aydes (1704): « Pour se parer de cette procédure, lors qu'on
est averty que les faits sont declarez admissibles, il
faut sans délay obtenir un arrest de défense. Si ce moyen
manque, la preuve étant faite, il faut se tenir sur ses
gardes, de crainte du Décret de prise de corps… Les
Commis étant interrogez doivent uniquement de concert se
ressouvenir ces circonstances de leur procès-verbal, dire
la même chose, ne point se couper ny varier ». Pour
combattre l’usage abusif de l’inscription, le législateur
multiplia les règlements. Après les ordonnances qui
réglaient les délais dans lesquels pouvait être formée une
inscription, une déclaration de 1717
régla le problème de la délivrance des copies des
procès-verbaux aux assignés / accusés, d’autres (1721, 1727) ajustèrent la loi aux ressorts judiciaires du
royaume. La déclaration du 25 mars 1732
et celle du 8 septembre 1736
renforçaient les conditions d'inscriptions de faux
(délais, consignations, présentation de témoins) pour en
limiter le nombre. D'abord adoptée pour la Normandie, puis pour la Picardie et finalement pour le ressort de la Cour des aides de Paris, la loi fut généralisée à
tout le royaume. L'article IX de la déclaration de 1732 rappelait qu'à « l'égard
des accusez de faux-saunage, contrebande, rébellion, ou
autres fraudes, qui auront esté decretez, qui voudront
s'inscrire en faux », ils en fissent la démarche dans les
vingt-quatre heures, dans le cas où la copie du
procès-verbal e ût été délivrée avant la plainte du
Fermier, et dans les trois jours dans le cas contraire.
Cette dernière disposition réduisait drastiquement les
possibilités des fraudeurs qui auparavant disposaient d'un
délai plus grand : celui de l'assignation à comparaître.
En outre, la création des commissions judiciaires de Valence (1733), Reims (1740) et Saumur (1742) resserra les conditions
des demandes. Les juges ordinaires n'apprécièrent pas cet
empiètement sur leurs compétences et se signalèrent
parfois en défendant l’inscription en faux des fraudeurs.
En 1730, le parlement de
Bretagne ordonna par exemple d’agréer la demande de Jean
Gohin, dit du Houx, faux-saunier récidiviste condamné à
cinq ans de galères par la juridiction des traites et gabelles de
Fougères. Le Conseil du roi cassa la décision du
Parlement. De même en 1750, Renée Savary,
surnommée la grande Renotte, son mari Jean Auniau et
son fils, Joseph, convaincus du crime de rébellion, clameurs
et émotion par attroupement en faux-saunage,
s'inscrivirent en faux contre les procès-verbaux des
employés des fermes et en appelèrent à la Cour de
Bretagne.
Dernières flambées contre les procès-verbaux non signés : Le nombre
d’inscription de faux contre les procès-verbaux de
la Ferme générale augmenta de nouveau dans les
années 1760,
principalement pour défaut de signatures des commis. Les archives de la commission de Saumur en témoignent. A cette
époque, la Cour des aides de Paris dénonçait les
vexations de la
Ferme et combattait pour défendre le cours ordinaire de la
justice. En 1766, elle adopta
un arrêt défendant à tout fermier d'employer des commis et
gardes qui ne sachent écrire, sous peine de nullité de la
verbalisation. « L'administration des Fermes fut attaquée
dans toutes ses parties par des libelles des déclamations
: c'est cette fermentation qui produisit l'arrêt de
règlement du 25 mars 1766 »,
lit-on dans un mémoire de 1772
du Conseil de la Ferme. Ce dernier sollicita un règlement
« qui fasse cesser les inconvéniens resultans de l'arrêt
de la Cour des Aides ». Pour la compagnie, il était
d'importance pour la sûreté des droits du roi que les
brigades des gabelles, traites, tabacs… destinées à
faire face aux contrebandiers, à les arrêter de vive
force, à passer les nuits sur les chemins détournés ou au
coin des bois, soient « composées d'hommes robustes,
capables de supporter les plus grandes fatigues de
soutenir des combats ». Or, la plupart de ces hommes
n'avaient point l'habitude de l'écriture. C'était déjà
beaucoup lorsque dans une brigade, un ou deux employés
savaient lire facilement. Comme l’indique Thomas Boullu,
« l’inscription de faux, en bousculant les rapports de
force contentieux, a conduit les parties à considérer l’accommodement
sous de nouvelles perspectives ». La Ferme générale, comme
la Régie générale, eurent
tendance, lorsque l’inscription formée contre le
procès-verbal était fondée, à transiger en faveur de l’accommodement.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G1 23, Consultation du Conseil de la Ferme générale sur la question de savoir si le Ministère public peut, à la place des parties, s'inscrire en faux contre un procès-verbal d'Employés, du 15 janvier 1772.
- AN, G7 213, Correspondance des intendants de province avec le Contrôleur général des finances, Caen. Morangis à Desmaretz 15 juin 1683, pièce n° 291, pièce 303.
- AN, G7 1147, Requête de Templier, fermier général des Cinq grosses fermes, novembre 1702.
- AN, O1 107, f° 79: Fermier des droits rétablis, 23 mars 1763.
- AN, Z1a : archives de la commission de Saumur, notamment année 1767.
- AD Calvados, 2C 1919, Election de Caen).
-
Sources imprimées:
- Déclaration du Roy sur les Inscriptions de faux, donnée à Versailles le 31 janvier 1683, 3 p.
- Déclaration du Roy concernant les Inscriptions de faux contre les procès-verbaux des commis des Aydes, donnée à Versailles le 6 janvier 1699, dans Pierre Asse, Traité des Aydes, Paris, Paris, 1704, p. 303-306.
- Déclaration du Roy concernant les Inscriptions de faux, donnée à Paris le 7 octobre 1721.
- Arrêt du Conseil d'État du Roy, qui casse une sentence des élus de Noyon…, du 16 juillet 1715.Arrêt du Conseil d’Etat du Roi et Lettres patentes sur icelui servant de règlement pour les inscriptions de faux contre les procès-verbaux des employés des Fermes, 7 et 15 décembre 1723.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui ordonne que H. Maréchal, à Suzannecourt, restituera une somme de 60 liv. par lui consignée pour une inscription de faux dont il a été débouté contre un procès-verbal de saisie d'un muid de vin trouvé chez lui d'excédent à son inventaire, 26 avril 1723.
- Arrêt de la Cour des aides qui déclare le nommé Arnoult… non recevable en son inscription de faux, Paris, Vve et M. Jouvenel, 1724.
- Arrêt de la Cour des Aides des 14 juillet 1724 et 18 mai 1729, sur les inscriptions de faux contre les procès-verbaux des commis.
- Arrêt du Conseil d'Estat du Roy qui casse celui du parlement de Bretagne, du 22 septembre 1730, Paris, Imprimerie royale, 4 septembre 1731.
- Déclaration du roi concernant les inscriptions de faux, 25 mars 1732.
- Arrêt du Conseil d'Etat du Roy, qui déboute les habitants des paroisses et communautez de Comtes, Cauron et St Vast en Artois, à eux joints les Estats de ladite province, de leurs demandes, 1732.
- Déclaration du roi concernant les Inscriptions de faux contre les procès-verbaux des Commis Employés des Fermes, Versailles, 8 septembre 1736.
- Arrêt contradictoire de la Cour des Aydes du 4 mai 1712 qui juge qui inscription de faux est un fait justificatif, Paris, chez Claude Girard, 1741.
- Arrêt de la Cour des Aides du 10 janvier 1742, sur les procès-verbaux des commis.
- Arrêt de la Cour des aides qui confirme avec amende de deux sentences des élus de Bourges, par la 1re desquelles la veuve Louis Le Blanc, cabaretière…, 22 février 1747.
- Arrêt de la Cour des aides qui déboute Nicolas Tirard, débitant de bière et Marie-Anne Lefebvre, sa femme, de leur inscription de faux…, 21 juin 1748.
- Arrêt contradictoire du Parlement de Bretagne confirmatif d'une sentence de la juridiction des Traites à Fougères…, Paris, Imprimerie royale, 12 mai 1750.
- Arrêt de la Cour des Aides du 25 avril 1766, Paris, Imprimerie royale, 1766.
- Pierre Asse, Traité des Aydes pour tous les lieux où ils ont cours, contenant les abus qui s'y glissent, les fraudes qui s'y commettent tant par les redevables que par les Employés, Paris, 1704.
- Pour le Comtat-Venaissin : Ordonnance pour les causes camérales et fiscales, concernant les fermes du sel, du tabac et la régie du droit sur les cartes à jouer, Avignon, chez Alexandre Giroud, 7 décembre 1765 : sur les inscriptions de faux.
- Consultation du Conseil de la Ferme Générale sur la question de savoir si un procès-verbal d'Employés, écrit par une main étrangère est valable, et si les Employés qui le souscrivent doivent savoir écrire, du 22 janvier 1772, à Paris, De l'Imprimerie royale, 1772, p.3.
- Requête contre les employés, Directeur et Fermiers généraux pour la régie des cartes, Caen, de l’imprimerie de P. Chalopin, 1781 (AD Calvados, 2C 1919, Election de Caen).
- Mémoire à consulter et consultation pour François Caillot, boucher de la paroisse de Langrune…, Caen, de l’imprimerie de J.C. Pyron, 1781, 16 f°.
-
Bibliographie scientifique:
- Marie-Laure Legay, « Défier l’administration : les inscriptions en faux contre la Ferme générale (1680-1780) », Revue historique, vol. 690, no. 2, 2019, p. 315-334.
- Thomas Boullu, « La transaction en matière d’impositions indirectes (1661-1791) », thèse pour le doctorat en droit, soutenue en 2019, université de Strasbourg, p. 323-329.
Inscription de faux » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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