Arc-et-Senans est le nom actuel du village où
se trouvait l’usine de Chaux, une dépendance de Salins. Les salines de
Salins utilisaient beaucoup de bois pour chauffer l’eau
salée et confectionner des pains de sel. Au milieu du
XVIIIe siècle, le prix du transport du bois était devenu
considérable. Afin de réduire le prix de revient du sel,
il fut décidé par arrêt du 29 avril
1773, de construire une nouvelle usine à
proximité immédiate de l’immense forêt de Chaux (20 000
hectares), située entre le village nommé Arc
et le
village de Senans. Un saumoduc long de
plus de vingt et un kilomètres, constitué par 15 000
troncs de sapin percés à la tarière, fut réalisé pour
conduire la muire (eau salée) en pente douce jusqu’à la
nouvelle usine. On espérait notamment tirer davantage
profit des « petites eaux » de Salins, c’est-à-dire de la
muire faiblement chargée en salure et « rejetées du
service faute de bois pour les travailler et réduire en
sel ». Cette nouvelle usine devait non seulement dynamiser
la production de Salins, mais aussi permettre d’honorer
plus facilement les traités de livraison de sel passés
avec les cantons suisses.
Chaux, simple dépendance de Salins, était donc une
entreprise d’Etat.A l’initiative du projet, la Ferme
générale ne s’engagea pas directement dans cette aventure
industrielle, mais opta pour l’établissement d’une régie
dans laquelle elle prit des intérêts. Par un traité
particulier en date du 12 mars 1774, elle en confia l’exécution à une compagnie
distincte qui devait la mener à son terme. Sous le prête-nom de Jean Roux-Monclar, neuf
associés appartenant à la haute finance parisienne,
parmi lesquels Alexandre Parseval Deschênes et son
fils Marc Antoine, Philibert Parseval de Fontaine,
financiers très proches de la Ferme générale, deux
directeurs des Fermes à Paris, Pierre-Martin
Dewismes et Pierre Royer, un receveur général des
finances…, financèrent l’investissement de l’usine
en échange d’un privilège d’exploitation de
vingt-quatre ans des salines de
Franche-Comté et
Lorraine. Parseval Deschênes par
exemple connaissait les salines de
Franche-Comté et avait déjà obtenu
l’exploitation du sel à Montmorot. Le montage financier
était complexe. Les régisseurs participaient aux fonds de
dépense (tant pour la construction de la nouvelle saline à
concurrence de 600 000 livres que pour l’exploitation des
cinq anciennes) et donc aux produits nets de la régie,
mais les cautions de Laurent David, c’est-à-dire les
Fermiers généraux, étaient autorisés à prendre des
intérêts dans l’affaire, à concurrence de la moitié des
fonds et des produits nets.L’architecte Claude-Nicolas
Ledoux supervisa la construction de
1775 à 1779 avec
l’aide d’André Haudry de Soucy, sans doute le fils du
Fermier général allié aux Parseval. Il est clair que le
montage financier visait tout à la fois à redynamiser les
salines tout en préservant les intérêts des Fermiers
généraux.L’entreprise ne parvint pas à son terme : en
1782, le traité fut
résilié, la nouvelle saline remise à la Ferme générale et
comprise dans le nouveau bail Salzard. Plusieurs raisons expliquent cet
échec. La question financière d’abord : estimée
initialement à 600 000 livres, la réalisation nécessita le
triple des fonds. Outre le caractère prestigieux du projet
de Ledoux, la défectuosité de la canalisation reliant
Chaux à Salins, avec une
perte assez importante de sel, fut mise en cause. Les
associés de la régie intéressée ne tirèrent donc pas grand
profit de la compagnie, d’autant que l’exploitation des
salines anciennes rendait peu. Il faut également évoquer
les plaintes liées à la surexploitation de la forêt. Ces
doléances émanaient de plusieurs corps dont la maîtrise
des Eaux et Forêts qui perdait sa juridiction sur des bois
destinés à la cuite du sel au profit de la commission de
réformation. A Paris, Jean-Mathieu Augeard, chef du
département des salines de la Ferme générale, supervisa la
suite des opérations, mais la production ne dépassa jamais
35 000 quintaux de sel, soit 3 500 tonnes c’est-à-dire
quatre fois moins qu’à Salins au début du XVIIe siècle.
Autant Salins fut une
réussite éblouissante, puisqu’elle contribua à la
prospérité de la Franche-Comté
pendant des siècles, autant Arc-et-Senans fut un échec
industriel et un gouffre financier.