Intendant
La plupart du
temps, l’intendant agit sur l’ordre du Contrôle pour
effectuer des missions d’information. Ainsi, lorsque le
gouvernement royal lance une vaste enquête sur les fermes
à la fin du premier bail général en
1687, il envoie des commissaires du roi
issus du Conseil dans certaines provinces mais, dans les
autres, c’est aux intendants qu’il demande de procéder et
de lui envoyer leurs avis. Ceux-ci prennent parfois
l’initiative de proposer telle ou telle mesure concernant
l’administration des fermes, mais ce sont les fermiers qui
ont le dernier mot. La création d’une direction provinciale en
Hainaut le montre bien. Lorsque la petite province fut
définitivement rattachée au royaume en
1678, elle dépendait de trois directions
distinctes basées à Lille, Saint-Quentin et Charleville,
ce qui privait l’intendant d’un interlocuteur unique et
compliquait sa mission de contrôle.
Une fois la frontière stabilisée aux lendemains de
la paix de Ryswick, en 1697, il suggéra alors au Contrôle général de
demander aux fermiers la création à Valenciennes
d’une direction unique pour le Hainaut, laquelle ne fut instituée que bien des
années plus tard, en 1749, à la faveur d’une modification du régime de vente
du tabac. Las, la fraude entre la Picardie, la Flandre et le Hainaut incita la Ferme à revenir à l’ancien système en
1763, à redéployer ses
gardes sur les frontières intérieures et à supprimer la
direction de
Valenciennes, au grand dam de
l’intendant, qui s’en plaignit amèrement au contrôleur
général des Finances. Il lui fallut déployer des trésors
de persuasion, avancer bien des arguments et jouer de ses
relations pour que la Ferme acceptât enfin de rétablir
enfin une direction à Valenciennes. Et encore se
décida-t-elle seulement en 1772, après le décès de son directeur de Lille. En définitive, les
fermiers ont agi dans cette affaire, comme souvent, d’une
manière empirique, en fonction de leurs propres intérêts,
confirmant par-là la faible influence de
l’intendant. Interlocuteur privilégié du Contrôle général
et de la Ferme générale, le commissaire départi est
également amené à jouer un rôle de médiation entre le fisc
et les contribuables, ce qu’exprime bien Tourny dans un
courrier adressé au fermier général Delaborde en 1754 : les négociants ont
besoin, écrit l’intendant, « d’être conduits avec
exactitude et fermeté, en même temps avec bonté et
politesse ». L’équilibre des intérêts est précaire et
l’exercice souvent périlleux pour le commissaire du roi,
dans le sens où les contribuables sont tentés de frauder
et de ne pas payer leurs taxes, cependant que les fermiers
abusent de leur position de force pour exiger des droits
plus élevés. Pour régler les différends qui surviennent
régulièrement, l’intendant dispose de plusieurs moyens. Il
peut d’abord tout simplement signaler au Contrôle général
un comportement qu’il juge abusif de la part des
fermiers. C’est ce que fait à plusieurs reprises
l’intendant d’Orléans, de Creil, à la fin du XVIIe siècle.
À propos de la gabelle,
dénonçant la mauvaise qualité du sel distribué dans
certains greniers de sa généralité et les fraudes commises
par les regrattiers sur les quantités vendues, il écrit au
contrôleur général « pour y mettre les ordres
nécessaires » (1693). De la
même manière, constatant que le fermier des aides intente
une multitude de procès, souvent sans fondement, devant l’élection de
Dourdan, il recommande à son successeur
de ne pas suivre un tel exemple, « n’estant pas séant que
ceux qui soutiennent les droits du Roy entreprennent de
méchantes affaires » (1688).
Pour autant, le commissaire départi ne doit pas dépasser
le cadre de ses attributions, comme le rappelle sans
aménité le contrôleur général à de Creil. Ce
dernier ayant rendu une ordonnance contre un commis
de Châteaudun qu’il soupçonne d’avoir abusé de sa
position, Le Peletier lui répond que s’il
suspecte un agent des fermes de « concussion », il doit
lui « en donner avis » afin que le roi puisse « y
remédier » de la manière qu’il propose (1688). Voilà qui est clair. La règle est
bien que les commissaires départis ne sont censés rien
faire de leur propre initiative, ils doivent se contenter
d’attirer l’attention du gouvernement royal sur les abus
constaté et donner leur avis si on le leur demande.
Au
vrai, l’intendant intervient surtout en sa qualité de
magistrat pour trancher le contentieux entre les
particuliers et la Ferme. Si la diversité administrative
et judiciaire de l’ancienne France vient, comme souvent,
compliquer les choses, il est possible de déterminer deux
voies qu’il peut emprunter en ce domaine, soit l’exercice
d’une compétence de droit commun, soit le recours à la
technique de l’évocation. Dans le premier cas, la
législation royale lui laisse un pouvoir juridictionnel
pour trancher les litiges relatifs à la ferme. C’est le
cas dans les provinces tardivement rattachées au royaume,
comme le Hainaut, pour lesquelles le pouvoir royal n’a pas jugé
nécessaire d’établir des juridictions spécifiques au
contentieux des fermes. Plus généralement, le
Conseil octroie cette compétence au commissaire
départi pour régler le contentieux relatifs aux
droits de création récente, qu’il s’agisse des
droits domaniaux, comme le contrôle des actes (1694), les droits de petit scel (1697), de franc-fief (1700) de centième denier (1703) ou
d’amortissement (1710),
des droits d’aides, comme ceux prélevés sur les
papiers et cartons,
les cartes à jouer, le
trop bu ou le gros
manquant, ou des droits de traite perçus sur certaines marchandises,
comme les toiles peintes, les indiennes ou le fer. Hormis ces marchandises particulières,
l’article 1er du titre XII de
l’ordonnance de février 1687
sur les fermes dispose que les maîtres des
ports, leurs lieutenants ou les juges des traites sont compétents
tant au civil qu’au criminel pour ce qui concerne
les droits d’entrée et de sortie. Depuis,
le Conseil a développé la justice retenue du roi dans ce
domaine en créant cinq commissions spéciales à Valence (1733), Saumur (1742), Reims (1765), Caen (1771) et Paris (1773), pour juger les procès
de contrebande, de
violences, rébellions et voies de fait contre les agents
des fermes. Dans son commentaire de l’ordonnance, Magnien
précise que si ces commissions ne sont pas compétentes, la
connaissance des litiges revient au lieutenant de police
de Paris et aux commissaires départis dans les provinces.
C’est le cas, par
exemple, pour la contrebande que génère le commerce
avec l’Angleterre
(1722) et, plus
généralement, pour les saisies de marchandises prohibées dans les
ports et les rades et
sur les côtes et les rivages de la mer (1719,
1728), l’intendant intervenant alors
conjointement avec les officiers de l’Amirauté pour
constituer le tribunal. Le Conseil emploie
une technique similaire pour attribuer aux commissaires
départis le jugement des litiges relatifs à certains des
monopoles royaux tels que la vente du tabac ou de la poudre de chasse. La
juridiction de l’intendant est alors fixée dans les
clauses des baux signés entre le pouvoir royal et les
fermiers. Les exemples de ce type peuvent être multipliés
à l’envi, révélant le souci du gouvernement de Versailles
de retirer une partie du contentieux de ces droits aux
juges ordinaires, dans le but de garantir une justice plus
efficace.
Ce même souci explique que le Conseil peut
recourir à la justice retenue du roi et évoquer à lui
certaines affaires pour les confier ensuite au jugement de
l’intendant par des arrêts dits d’attribution. Il procède
de la sorte pour régler au civil des contentieux
particulièrement compliqués, dans lesquels la connaissance
des circonstances locales est essentielle. Au pénal, il
abandonne également à l’intendant la connaissance de
procès pour lesquels il souhaite un jugement plus rapide
et, surtout, plus exemplaire. C’est le cas des violences
commises contre les employés des fermes. En 1723, le Conseil renvoie ainsi
devant son commissaire départi à Bordeaux la connaissance de « voyes de fait »
et de violences commises par un particulier sur un commis
parce que le juge des traites, normalement compétent,
n’avait pas encore terminé l’audition des témoins, un mois
après les faits ! La technique de l’évocation et de
l’arrêt d’attribution est employée dans un but similaire
pour lutter contre les fraudes qui laissent parfois tout
aussi indifférents les juges ordinaires.
L’exemple du faux saunage est le plus emblématique,
même si cette fraude varie d’une province à l’autre
puisqu’elle dépend du régime fiscal appliqué
localement à la vente de sel. Lorsque
l’intendant est commis afin d’instruire et de juger ce
type de procès, il prononce des peines souvent très dures,
comme les galères ou la pendaison, des peines qui se
veulent exemplaires et dissuasives. En définitive, la
justice de l’intendant dans le domaine des fermes est
révélatrice de sa position au sein des structures
administratives, fiscales et judiciaires du royaume :
représentant du roi dans la province, il a vocation
à intervenir à tout moment sur ordre du gouvernement
dans le fonctionnement des institutions, pour les
surveiller, les contrôler ou, le cas échéant, les
remplacer.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources imprimées:
- Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, t. 31, Paris, 1784, v° « Intendant ».
- Vivent Magnien, Recueil alphabétique des droits de traites uniformes, de ceux d’entrée et de sortie des Cinq grosses Fermes, de douanes de Lyon et de Valence, c, t. 4, Paris, 1786, p. 206-215.
-
Bibliographie scientifique:
- Charles de Beaucorps, L’administration des intendants d’Orléans de 1686 à 1713, Genève, Mégariotis Reprints, 1978, p. 124-132.
- Jean Clinquart, Les services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien Régime, L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, CHEFF, 1995, p. 89-102.
- Anette Smedley-Weill, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995, p. 198-221.
- Cédric Glineur, Genèse d’un droit administratif sous le règne de Louis XV, Les pratiques de l’intendant dans les provinces du Nord (1726-1754), Orléans, PUO, 2005, p. 149-154.
- Jérôme Pigeon, L’intendant de Rouen, juge du contentieux fiscal au XVIIIe siècle, Rouen, PURH, 2011, p. 247-365.
- Sophie Evan-Delbrel, Une histoire de la justice douanière. L’exemple de Bordeaux sous l’Ancien régime, Limoges, Pulim, 2012, p. 261-266.
- Sébastien Evrard, « Les compétences de l’intendant en matière contentieuse », dans Marc Ortolani, Karine Deharbe (dir.), Intendants et intendance en Europe et dans les États de Savoie (XVIIe-XIXe siècles), Serre Editeur, 2016, pp. 77-92.
Intendant » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :