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Douane de Lyon

Nicolas Soulas





La douane de Lyon trouve son origine dans la politique protectionniste de la monarchie française qui tente de faire de la ville une plaque tournante du commerce international. Louis XI et Charles VIII imposèrent une taxe de 5% sur les importations de soies italiennes afin de protéger et stimuler la production locale. Quelques années plus tard, la municipalité lyonnaise ayant besoin de liquidités pour financer les réparations des fortifications de la ville, proposa à la monarchie de taxer, sous formes d’octroi, toutes les marchandises entrant dans Lyon. Pendant huit ans, la ville perçut un octroi de 2, 5% de la valeur de toutes les marchandises de passage. À l’expiration du bail, Henri II prorogea l’octroi au profit de la monarchie en élargissant la liste des produits taxés : la douane de Lyon était née. Toutes les soieries provenant de l’Espagne ou de l’Italie devaient passer par Lyon. Par la suite, les textiles provenant de Flandres, des espaces germaniques, anglais ou de la douane. Celle-ci s’étendit rapidement à d’autres produits tels qu’épiceries, drogueries et toute autre denrée passant par Lyon. Fixés à hauteur de 5% lorsque les marchandises importées étaient destinées au marché français, les droits s’élèvaient à 21, 5 % lorsque les produits traversaient le royaume. Dès sa fondation, un usage inéquitable fut instauré dans la pesée des marchandises : les productions étrangères étaient pesées au poids de marc tandis que les produits français l’étaient au poids de Lyon, plus faible de 16 %, ce qui favorisait les marchandises étrangères. Par la suite, cette anomalie fut corrigée et le poids de marc uniformément utilisé.

La municipalité de Lyon profita de la manne financière exceptionnelle représentée par la douane de Lyon. En effet, elle obtint du pouvoir royal un octroi de 45 000 livres – porté ensuite à 60 000 livres – sur le produit de la douane. En outre, la ville perçut un droit supplémentaire (le tiers-sur-taux, un tiers en sus du produit de la douane). En 1632, l’augmentation des droits et la possibilité laissée aux commis de les fixer de manière arbitraire sur certaines marchandises déclenchèrent une insurrection populaire bien connue. Les bureaux de la douane furent envahis, les archives détruites et le sous-fermier, Jean de Grange, échappa de peu au lynchage. Tout au long du siècle, la monarchie, régulièrement à court d’argent, intervint pour fixer le montant – toujours plus élevé – des droits perçus sur les soieries étrangères (1667, 1687, 1692, 1711).

Au début du XVIIIe siècle, la douane de Lyon contrôlait le marché national des soieries. Pour lutter contre la concurrence étrangère, le pouvoir royal interdit, dans un premier temps, l’importation de soie asiatique. C’est pour veiller à une stricte application de cet embargo que la douane de Lyon fut autorisée à déployer des bureaux dans les ports de Nantes et de Rouen pour contrôler les navires et lutter contre la contrebande. Cependant, jusqu’en 1743, le pouvoir royal conduisit une politique économique très erratique. Après une timide tentative de libéralisation économique sous la Régence, au cours de laquelle l’entrée des soies étrangères fut tolérée dans tous les ports du royaume (1720-1722), le gouvernement revint à un strict protectionnisme et les productions étrangères furent de nouveau contraintes de passer par Lyon où elles étaient lourdement taxées. En revanche, la perception fut rationalisée : 14 sous par livre pour les soies étrangères, à l’exception des soies indiennes, pour lesquelles la taxe fut fixée à 6 sols. La progression des idées physiocratiques poussa le pouvoir central à revoir sa politique économique. En 1755, les soieries françaises furent exemptées des droits de douane internes et, surtout, obtinrent le droit de transiter dans tout le royaume sans passer par Lyon. Reste qu’en 1772, la municipalité de Lyon, à court de liquidité, obtint le rétablissement d’un droit de 3 sols six deniers par livre. Cette nouvelle mesure, jugée très nocive pour le commerce, fut abrogée en 1775.

À Lyon, longtemps la douane fut établie dans le quartier de Saint-Paul, « assise sur le bord de la Saône avec un port suffisant et commode ». Là  se déroulaient les opérations de reconnaissance et de retrait des marchandises, l’acquittement des droits, ou  la prise des acquits à caution pour les marchandises en expédition. Les bureaux furent transférés dans l’hôtel des fermes bâti en 1786 sur l’emplacement du bicêtre de l’hôpital de la Charité. Les travaux d’aménagement, supervisés par Jean Dupoux, s’élevèrent à 278 000 livres. Le transfert eut lieu précipitamment en février 1789 à la suite des gels de l’hiver : le pont d’Alincourt fut emporté ; ceux de Saint-Vincent et Saint-Georges endommagés. Le conseil de la Ferme générale donna son accord pour le transfert d’une partie des services de la Douane de Lyon vers la nouvelle douane, non sans inquiétude : elle ne se dissimula pas les dangers d’une pareille scission des opérations mais la crainte des abus (engorgement, encombrement de la douane et fraude) lui parut devoir céder à l’emprise des circonstances… « Elle arrêta en conséquence qu’on détacheroit à la nouvelle douane une partie des préposés de l’ancienne et qu’on y feroit l’expédition de toutes les marchandises qui venant des Provinces méridionales en entrant par la Porte du Rhône se trouveroient à l’instant rendues sur le terrein de la charité et par conséquent à la nouvelle douane ». En juillet 1789, l’ensemble des opérations, recettes, déclarations et visites, fut transféré à la nouvelle douane. En août, Jean Dupoux eut encore le temps de faire ériger une barrière pour fermer la nouvelle douane, mais elle fut jugée trop petite. A cette époque, comme l’écrivit le Contrôleur général Lambert à l’intendant de la généralité, Antoine-Jean Terray : « la suppression de la gabelle et les changements qui peuvent survenir dans le régime du tabac et des traites est susceptibles de donner lieu à de nouvelles dispositions relativement à l’étendue et la distribution des bâtiments ». En dehors de Lyon même, il fut permis au fermier de la douane d’établir des bureaux pour contrôler plus étroitement les flux commerciaux. L’inscription géographique de la douane de Lyon est difficile à établir avec précision mais selon Marcel Marion, le territoire est très bien quadrillé : cinquante-trois bureaux en Dauphiné, cinquante-six autour de Lyon, cinquante-huit vers la Provence et le Languedoc, et bien d’autres en Bourgogne, Champagne.

En plus des différents commis qui officiaient dans chaque bureau, la douane de Lyon possèdait, depuis un édit de Charles IX de 1563, une juridiction très étoffée : un bureau judiciaire, formé par les trésoriers de France, le sénéchal et son lieutenant, le maître des ports et son lieutenant, le procureur du roi, et divers avocats, ayant pour fonction première de régler les différends et les contraventions liées à la douane. En outre, les juges de la douane avaient le pouvoir de saisir une marchandise dans tout le ressort du royaume. Cette organisation fut complétée par deux édits royaux de 1691 et 1692 qui confiaient la direction de la juridiction à un président juge. La douane de Lyon souffrait de la concurrence exercée par la douane de Valence, établie à la fin du XVIe siècle, et avec laquelle les autorités lyonnaises entretiennent une intense rivalité tout au long de l’époque moderne. Dès 1598, les échevins de Lyon s’opposèrent à l’établissement de la douane de Valence et tentèrent de la court-circuiter auprès des trésoriers de France de Dauphiné ou des États de la province. Au début du XVIIe siècle, ils remportèrent une victoire en obtenant que de nombreuses marchandises transitant par Lyon fussent déchargées des droits de la douane de Valence (1623). Surtout, ils obtinrent de Louis XIII la suppression pure et simple de leur concurrente en 1624. Reste que cette victoire fut éphémère : Le duc de Lesdiguières la rétablit en 1626. Les marchands et les édiles lyonnais eurent beau se pourvoir devant le parlement de Grenoble, le gouvernement confirma le rétablissement. En 1657, soutenus par le Parlement de Dijon, les fermiers de la douane de Lyon parvinrent toutefois à limiter l’ingérence des agents de la douane de Valence sur la Saône. L’existence de deux douanes, géographiquement proches l’une de l’autre, percevant chacune des droits élevés, aurait, selon les contemporains comme Forbonnais, provoqué une lente asphyxie du commerce lyonnais. En effet, les marchands étrangers préféraient allonger la durée de leur trajet en contournant la vallée du Rhône par la Suisse, la Savoie et l’espace germanique. Les travaux récents montrent au contraire que les circulations dans le sillon rhodanien augmentèrent fortement entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Ce sont avant tout les carences en matière de communications, notamment fluviales, qui entravent le grand commerce. Institution particulièrement détestée, critiquée dans les cahiers de doléance de la ville, la douane de Lyon est supprimée, comme toutes les douanes internes, par la loi du 30 octobre 1790.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G1 15, Délibération du 11 aout 1760.
  • AD Rhône, 1C 65, élection de Lyon, Mémoire de la Ferme générale, à Paris, en l’hôtel des fermes, 6 juillet 1789  lettre de Lambert à Terray, 7 juillet 1789.

    Sources imprimées:
  • Tarif de la douane de Lyon pour le Roy, Lyon, A. Jullierond, 1680, 103 f°.
  • François de Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de la France depuis l’année 1595 jusqu’à l’année 1721, 1758.
  • Fayard, « Douane de Lyon et de Valence », Bulletin de la société départementale d’archéologie et de statistique de la Drôme, Tome 2, 1867, p. 58-73.


    Bibliographie scientifique:
  • Marcel Marion, « Douane de Valence », Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1923, p. 188-189.
  • Marcel Marion, L’administration des douanes en France sous l’ancien régime, Paris, Association Pour L’histoire De L’administration Des Douanes, 1976.




Citer cette notice:

Nicolas Soulas, « Douane de Lyon » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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